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Le troisième jour du procès d’Eugène RWAMUCYO a débuté à 9h30 par l’audition d’Alain Verhaagen, un universitaire belge spécialiste du Rwanda. Il explique avoir concentré son travail sur l’éducation des adultes et en particulier l’acceptation par les adultes de l’autorité dès lors qu’elle est légitime. Ainsi, il a cherché à vérifier les signes de non-spontanéité dans le génocide au Rwanda. Il fait référence aux massacres perpétrés dans les églises, où les trous faits par les troupes, les cadavres qui donnent une impression de mouvement vers une porte, les valises qu’ils avaient avec eux, montrent qu’ils avaient été attirés là-bas et qu’ils étaient préparés. Il mentionne un autre paramètre de préméditation : l’alternative donnée aux femmes d’être soit violées et avoir des enfants Hutus, soit d’être mutilées pour ne pas être en capacité d’enfanter. Il ajoute également les phénomènes de matricides par leurs enfants Hutus et d’infanticides par des mères Hutus.
Interrogé par le Président sur le fondement des ethnies au Rwanda, le témoin a fait un parallèle avec la société belge pour montrer les différences entre de véritables ethnies et des ethnies qui ont été construites. Il a expliqué que ce sont les colons belges qui ont racisé la population rwandaise pour accroitre la base de son pouvoir. Il a également parlé de « solution finale » pour expliquer que les Tutsi étaient attirés dans des lieux tels que des stades, écoles, hôpitaux, églises et préfectures. Selon lui, à chaque avancée vers une société rwandaises plurielles, les « durs » du régime mettaient en place un élément d’une « machine ». Sur la question de l’édification de barrières, le témoin répond qu’elles ont été mises en place dès le 6 avril, avant même l’annonce de l’attentat à la radio. Il explique finalement cette soumission de la population par un faible taux d’alphabétisation. Lors de ses études, il a constaté que les analphabètes faisaient souvent des choix surprenants lorsqu’ils considéraient l’autorité légitime. Interrogé sur l’existence d’un plan prémédité, il y répond que le Rwanda était un des pays les plus pauvres du monde, et pourtant, des barrières ont été édifiées dès le 6 avril. Pour lui, l’attentat a été le signal du déclenchement du génocide. Il explique qu’il n’y a eu aucune spontanéité notamment au vu de l’achat massif de machettes par le Rwanda juste avant 1994, du mode opératoire dans les églises et au fait qu’il y avait des horaires de tueries. Il parle de « conjonctions de hasard qui défient les probabilités ». Compte tenu de la longueur du témoignage et des questions restantes, le Président a suspendu l’audience. L’audition a repris avec les questions de la défense portant sur l’organisation du génocide. Le témoin explique qu’il ne peut parler que des constats empiriques qu’il a effectués sur le terrain. Ces constats l’ont amené à la conclusion qu’il était difficilement imaginable que le modus operandi ait été le fruit d’un hasard spontané.
La journée s’est poursuivie avec la reprise de l’audition de l’épouse de l’accusé, Madame Mamérique MUKABANANA, commencée la journée précédente. Interrogée tout d’abord par le ministère public, elle soutient ne pas savoir si son époux détenait une carte l’affiliant à un parti politique, et « pense » qu’il n’avait pas d’appartenance à un parti politique. Elle « pense » aussi que l’accusé s’est rendu « une fois » à une réunion du MRND. Questionnée sur ses déplacements, elle explique s’être déplacée durant la période du génocide avec une voiture de fonction appartenant à son travail et que de manière générale, elle pouvait passer les barrières facilement. Elle affirme ne pas avoir vu de militaire, ni de corps près des barrières. Elle assure ne pas avoir vu de barrière sur le chemin qu’elle empruntait pour se rendre à son travail vers le marché, alors même qu’elle passait par l’hôtel Faucon.
La journée s’est poursuivie avec l’audition de Madame Hélène DUMAS, historienne. Tout d’abord, Madame Dumas décrit cinq critères permettant de rapprocher les trois génocides que sont les génocides des juifs, des arméniens et des Tutsi. Ces critères sont l’idéologie, le contexte de guerre, la présence d’un Etat structuré, la rupture de la filiation, et la négation du crime par les autorités au moment où il se commet. Elle ajoute un dernier critère, celui de la duplicité, c’est-à-dire, le fait détourner les mots, par exemple dans le cadre du génocide des Tutsi le mot « travailler » signifier « tuer ». Concernant la rupture de la filiation, elle souligne que « les enfants de 0 à 10 ans représentent le tiers des victimes » du génocide des Tutti. Elle mentionne en outre l’absence de rationalité économique chez les auteurs du génocide, ces derniers détruisant de manière systématique les biens des Tutsi. Elle souligne en outre la particularité de ce génocide qui est l’interconnaissance sociale. Le système d’identification s’est fait par la connaissance sociale ce qui a réduit à « l’extrême » les chances de survie. Interrogée par le Président de la Cour sur la planification du génocide avant 1994, Madame Dumas affirme qu’il est impossible d’organiser un tel génocide en quelques heures. Interrogée par Maître AUBLE sur l’utilisation des moyens publics pour transporter les corps, la témoin souligne qu’à Kigali les prisonniers, en tenue rose, chargeaient les cadavres dans des camions bennes du ministère des transport. De plus, concernant l’influence des intellectuels pendant le génocide, elle souligne qu’il « est difficile de parler d’une élite ». Elle précise néanmoins, que dans la région sur laquelle elle a effectué ses recherches, les intellectuels racistes ont été des personnalités influentes qui ont organisé et encouragé les paysans à commettre des massacres, et que les premières victimes ont été les intellectuels Tutsi. Pour finir, les conseils de la défense ont interrogé la témoin sur l’autodéfense civile. À cet égard, Hélène Dumas soutient que l’autodéfense civile est un problème et que dans ce contexte l’autodéfense correspond de manière claire au génocide. A la suite de ces questions, l’audience a été suspendue par le Président de la Cour.
Par Ella Grappin et Léna Jaouen, Stagiaires Commission Justice Ibuka France