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La journée du mardi 29 octobre 2024 a été consacrée à la plaidoirie de la défense.
Maître MATHE commence sa plaidoirie en soulignant l’existence de plusieurs histoires antagonistes relatives au Rwanda. Elle indique qu’une seule de ces versions, largement adoptée, se présente désormais comme la « vérité » dominante, cette version formerait une « grille de lecture confortable ». Elle met en avant l’implication que le FPR aurait eu durant le génocide. Paul KAGAME aurait refusé de mettre tout de suite fin au génocide pour prendre le pouvoir sur l’ensemble du territoire. Elle mentionne notamment l’existence d’infiltrés du FPR, reconnaitre leur présence n’est selon elle pas complotiste ou négationniste. Le FPR aurait commis des massacres qui sont « mal documentés » car la « partie minuscule » des journalistes internationaux s’intéressant au Rwanda, était acquise au FPR, de même pour les organisations non gouvernementales (ONG). Elle déclare qu’« il y a un génocide dont le bilan est de plusieurs centaines de milliers de morts. La population Tutsi en 1994 était d’à peu près 850 000 au Rwanda » et ajoute, « je ne citerais aucun chiffre de plus ». Ce chiffre aurait été mentionné par le Ministère public la veille.
Elle soutient qu’à l’Est du Congo, les militaires du gouvernement rwandais auraient fait « probablement » près de 250 000 morts, et souligne que les Nations Unies auraient dit que cette situation pourrait être qualifiée de génocide si un certain nombre de conditions étaient réunies. En outre, la défense remet en cause la fiabilité des témoignages, qu’ils proviennent de rescapés ou d’experts appelés à la barre. « Il y a des témoins qui mentent car on leur demande de mentir » affirme-t-elle. Elle mentionne, à propos de l’ancien président de la Gacaca de Butare, Monsieur Jean-Baptiste NDAHUMBA qu’elle « serait tentée de penser que c’était un homme engagé dans des services », sans plus de précisions. Elle souligne ensuite la teneur « très politique » de son discours, en rappelant qu’il a dit que ce n’est pas aux ONG de rendre la justice dans son pays. Monsieur DUPAQUIER aurait « réécrit l’histoire » car il aurait dit que l’accusé « a co-inventé le concept « d’ivoirité » ». De plus, selon elle, Madame Hélène DUMAS aurait créé sa carrière autour du Rwanda, ses propos seraient donc guidés par la volonté de ne pas perdre son visa, car sans visa elle n’aurait plus d’objet d’étude.
En outre, la défense affirme que « continuer de dire que le pays était ségrégationniste avant 1994, de dire que le génocide était programmé depuis 1973 et qu’il a été interrompu par le FPR est un discours politique nécessaire, c’est le discours de légitimité, c’est le discours qui permet de générer au sein de la communauté internationale un sentiment de culpabilité suffisant pour que l’on fasse taire les voix. Ce pays est un modèle social nouveau qui passe par le contrôle de la parole ». La défense mentionne alors la loi rwandaise sur le négationnisme et le divisionnisme qui « est si floue qu’elle permet de sanctionner tout opposant politique ». Elle ajoute que « la parole des témoins s’inscrit dans ce cadre-là ».
Maître MEILHAC poursuit. Il revient sur la crédibilité des témoins. Il souligne que « la preuve testimoniale est fragile par nature ». Le passage des témoins par les tribunaux Gacaca mettrait en évidence une « grande fragilité des témoignages ». Concernant la procédure, il souligne que malgré des éléments visant l’accusé, connus de l’OFPRA et du TPIR, aucune démarche ni poursuite n’avait été engagée à son encontre avant « une rencontre un peu inopinée » entre l’accusé et Monsieur Alain GAUTHIER.
Concernant les faits reprochés à l’accusé, il revient sur le témoignage d’Emmanuel BIRASA devant la Cour, ce dernier ayant fait des déclarations contradictoires à celles tenues devant le juge d’instruction. À cet égard, l’avocat affirme que « si Emmanuel BIRASA avait fait au juge d’instruction ce qu’il a fait à la Cour d’Assises, je suis convaincu que les accusations n’auraient pas été soutenues ». Il ajoute que les témoignages d’Emmanuel BIRASA et de Callixte NDAGIJE MUSONI, « les deux principaux témoins », devraient être écartés en raison de leurs déclarations contradictoires. Sur les faits relatifs à l’ensevelissement des corps, il soutient qu’il n’est pas possible de remettre en cause l’idée selon laquelle il y aurait un risque de contamination, ou d’épidémie, sans ensevelissement. Selon l’avocat « la situation était telle qu’il fallait agir ». Sur l’absence de marquage des fosses, le conseil interroge simplement : « Qui peut se satisfaire du fait qu’il n’y ait pas eu d’identification des corps, des fosses ? Personne ». Il ajoute par ailleurs que les rescapés entendus évoqueraient des événements survenus « au début des opérations d’ensevelissement, à un moment où la population s’en chargeait ». Il n’y aurait pas eu de survivant lorsque l’accusé s’occupait de ces opérations.
Concernant la réunion du 14 mai, il considère que ce qui est important est la suite donnée aux propos de l’accusé, et affirme qu’il n’y a eu aucune suite.
Après une courte suspension, Maître MATHE a repris la parole. Elle affirme que « faute de preuve réelle, l’accusation a bâti un schéma narratif ». Elle reproche un dossier bâti sur la personnalité de l’accusé. Elle affirme ensuite que le génocide n’est pas le produit d’une société ségrégationniste. Elle soutient en outre que c’est « complètement faux », l’accusé n’a pas adhéré à « ce que l’on croit être l’idéologie du génocide ». Il aurait simplement donné son avis sur le multipartisme et les accords d’Arusha. Elle affirme que, concernant le multipartisme, « il était contre sa mise en place en temps de guerre civile ». Elle explique alors que cela ne pouvait pas marcher, car les partis d’opposition ont cru que pour obtenir des postes il fallait s’allier avec le FPR ; et que pendant qu’il y avait des discussions à Kigali avec le gouvernement, « il y avait des négociation avec les personnes du FPR en exil sous la houlette de la Belgique qui favorisait les fauteurs de guerre ». Elle conclut sur ce point en soulignant, que lorsque l’accusé dit « moi les accords d’Arusha j’aurais bien aimé car la paix tout le monde la voulait » et « je trouvais que le multipartisme c’était joli mais pas en temps de guerre », cela illustrerait le fait que celui-ci n’est pas un extrémiste. Maître MATHE indique que « La propagande a chauffé les esprits c’est vrai. De là à dire que c’est un élément essentiel j’ai tendance à en douter ».
Concernant la RTLM, elle souligne qu’un futur ministre du FPR avait aussi souscrit à des actions à la RTLM, et que donc le fait pour l’accusé d’avoir été un contributeur de cette radio n’a rien avoir avec l’idéologie ou la propagande. Concernant la CDR, elle souligne que l’accusé « a toujours dit qu’il n’était pas membre ». Sur l’implication de l’accusé au journal Kangura, la défense affirme que Kangura n’était plus imprimé à l’imprimerie scolaire en 1991, l’accusé étant arrivé en 1992, il ne peut pas être dit qu’en 1993 il y était vu en train de modifier les articles, ainsi selon elle, ce sont « des bobards » et Monsieur DUPAQUIER « enregistre tout tant que cela va dans le sens qui lui chante ». Concernant les chefs d’entente, elle affirme que la chambre d’appel du TPIR aurait dit dans l’affaire dite des Médias que « jusqu’au 7 avril les émissions [de la RTLM] sont extrémistes, haineuses mais elles ne sont pas génocidaires ». Le TPIR aurait rencontré des difficultés politiques, notamment lorsqu’il aurait s’agit d’enquêter sur le FPR.
En outre, Maître MATHE reproche qu’aucun nom ne soit donné concernant les personnes avec qui l’accusé se serait entendu. Elle souligne également que, parmi les condamnations prononcées pour « petite entente », c’est-à-dire des faits circonscrits dans le temps et l’espace, il n’y a « quasiment aucune mention de l’accusé ». De plus, elle soutient que les rapports rédigés par l’accusé visent à faire un examen de la situation dans les camps de réfugiés sur des critères d’hygiènes. Elle ajoute que les deux derniers rapports sont « ahurissants de déconnexion », mais n’ont rien qui les incluraient dans un plan de génocide, leur rédaction ne révèlerait pas une intention génocidaire. Elle interroge, de façon rhétorique, sur l’effet que ces rapports a pu avoir une fois adressés au préfet et au ministre de la santé, et sur la manière dont cela pourrait révéler une entente. Sur les ensevelissements, elle soutient que l’article 17 de la première Convention de Genève, opposé par les Parties civiles, ne s’applique pas en l’espèce, car le TPIR a fait le constat judiciaire qu’en 1994, la situation au Rwanda correspond à un conflit armé non international.
Toujours concernant ces opérations d’ensevelissement, elle déclare : « je vous assure que rien ne permet d’identifier, de compter et de localiser, localiser peut-être, je ne sais pas ». Elle affirme que s’il avait laissé les corps, cela lui aurait été également reproché. Elle ajoute que le fait de contribuer à l’organisation des corps dans les fosses communes avec des engins, ne permet pas de prétendre que c’est « un maillon de la chaîne ». Pour souligner la nécessité de procéder aux ensevelissements, la défense souligne que Monsieur GAILLARD a fourni du carburant au gouvernement afin d’ensevelir les corps, malgré le refus de faire participer directement son équipe. Elle affirme alors qu’un « vrai non » pour la Croix-Rouge était impossible. De plus, elle mentionne le massacre de Srebrenica, et indique que celui-ci a été qualifié de génocide alors qu’il s’agissait d’un « massacre de masse de 8000 personnes » et indique alors que l’on « peut en tirer quelques conclusions sur le concept de génocide ».
Elle se réfère à un jugement du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie concernant ce génocide, où il serait considéré que la présence des pelleteuses avant les massacres indiquait que cela faisait partie de l’organisation. Elle interroge alors : « est ce qu’en procédant aux ensevelissements, alors que les massacres étaient en cours, l’accusé a participé au génocide ? ». Elle poursuit, « j’aimerais vous convaincre que vous devriez répondre non, car il faut pour cela que vous ayez la conviction que c’était son intention, que le creusement des fosses facilitait la poursuite des massacres ». Elle revient alors sur le témoignage de BIRASA, qui ne pourrait permettre d’établir la présence de survivants. Concernant son témoignage, elle affirme qu’il a pu être menacé par ses accompagnants. Elle dénonce le fait que les témoins ne seraient accompagnés que de « policiers ou d’agents de renseignements » rwandais. Elle considère sinon, que le fait « d’assoir des accusations » sur lui aurait pu lui permettre de préparer sa venue afin de former une demande d’asile.
Elle remet en cause la crédibilité des témoignages des personnes qui auraient vu l’accusé près de fosses. Elle affirme notamment que Monsieur MUTIRENDE aurait été « catapulté ici » pour être « transformé en faux témoin », il aurait été manipulé, ce qu’elle essaye de démontrer en affirmant « qu’il se tortillait », « qu’il regardait toujours derrière lui », et que « c’est un paysan transformé en assassin », et qu’il « remercie Kagamé qui l’a sauvé ». Elle cite les témoins qui étaient âgés de 9, 11 et 13 ans au moment des faits, et affirme à leurs égards qu’« ils ont des souvenirs vieux de 30 ans, traumatiques et potentiellement reconstruits, certains sont manipulés par d’autres manipulateurs, cela peut exister ». Elle ajoute que de nouveaux témoins de faits, qui n’avaient jamais fait de déclaration auparavant, ont été entendus et qu’il n’y a donc aucun moyen de vérifier leurs propos. Elle soutient que « parfois ils mentent », mais que « le plus probable c’est qu’un récit collectif se soit construit à Gishamvu ». Concernant d’autres témoins, elle affirme simplement que ce qu’ils ont dit n’est « pas possible ». Elle remet aussi en cause la légitimité des constitutions de parties civiles.
Elle s’appuie sur un rapport d’African Rights pour affirmer que la chronologie des faits n’est pas cohérente. Elle déduit de la chronologie établie par le rapport, que le Caterpillar ne serait arrivé sur les lieux qu’après que les assassins aient détecté les survivants afin de les achever, et que lorsque les détenus n’auraient pas réussi a ensevelir les corps. Il n’y aurait donc pas eu de survivant au moment où l’accusé aurait participé aux opérations. Enfin, elle compare le discours de l’accusé prononcé le 14 mai au discours du ministre des affaires étrangères prononcé devant le Conseil de sécurité, qui a été acquitté du chef de génocide. Ces discours seraient du « même genre ». Elle ajoute alors : « donc le discours dans le vide d’Eugène RWAMUCYO dans un amphithéâtre de la faculté de médecine devant cent personnes est beaucoup plus grave que le discours prononcé par le Ministre des affaires étrangères pour éviter l’embargo ? Comprend qui peut » .
Elle reprend une phrase prononcée par l’accusé. « Il y a une phrase « Monsieur le Premier ministre vous devez adopter un langage commun, il n’y a pas de massacre, il n’y a pas de trouble interethnique, il y a un pays qui se défend », c’est tout » dit-elle. Elle ajoute qu’avec « le recul ce n’est pas ce que l’on pouvait écrire de plus adapté, de plus intelligent et de plus empathique », mais souligne que cela ne pourrait être considéré comme une participation, et notamment car aucune suite n’aurait été donnée à ses propos. Finalement, elle demande si le manque de lucidité de l’accusé est une raison ou un motif de condamnation.
Enfin, elle soutient que deux des questions posées aux jurés seraient incompréhensibles. Elle indique alors aux jurés qu’ils ont « le droit de ne pas répondre à une question mal rédigée, dont la réponse est équivoque ».
Par Ella Grappin, Stagiaire Commission Justice Ibuka France