Fiche du document numéro 34596

Num
34596
Date
Mardi 22 octobre 2024
Amj
Taille
1007780
Titre
Génocide des Tutsi du Rwanda : un général français embourbé dans la partialité négationniste
Sous titre
« Contestation de l’existence d’un crime contre l’humanité, en l’espèce un crime de génocide » : c’est l’incrimination qui a conduit le polémiste Charles Onana et son éditeur Damien Serieyx devant la XVIIe chambre du tribunal correctionnel de Paris du 7 au 11 octobre derniers[1]. Nous rendons compte aujourd’hui de la seconde journée du procès, qui a vu témoigner tour à tour en faveur de l’accusé cinq personnes : le général Jean-Claude Lafourcade, ancien patron de « Turquoise », puis l’ancien ambassadeur de Belgique au Rwanda Johan Swinnen, Joseph Matata, l’activiste belgo-rwandais des droits de l’homme, la Rwandaise Marie-Jeanne Rutahisire et l’ancien ministre rwandais de la Défense James Gasana. Ont également témoigné deux historiens français cités par les parties civiles, Thomas Hochmann et Florent Piton[2]. Quoiqu’il prétende, l’ancien commandant opérationnel de « Turquoise » incarne la partialité des hauts gradés français, prisonniers par leur phobie de Paul Kagame – comme Charles Onana.
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Charles Onana entouré de ses supporters au tribunal de Paris © DR YouTube

Synthèse réalisée par Jean-François DUPAQUIER à partir des notes d’audience de Survie, Ibuka-France et de divers observateurs ou témoins

2e jour d’audience du procès de Charles Onana

« Je m’appelle Jean-Claude Lafourcade. Je suis né le 7 janvier 1943 à Talence (Gironde). Je suis Officier Général en 2e Section » (général en retraite).

Cité comme témoin par Charles Onana, le général Lafourcade est le premier appelé à la barre ce mardi 8 octobre 2024. Il lève la main droite pour jurer de dire « toute la vérité ». Il porte allègrement ses 81 ans. Il le faut, car sa vérité est lourde à porter. Jean-Claude Lafourcade avait mené une carrière militaire des plus classiques, loin des médias, lorsque pour son malheur et sa gloire il a été désigné responsable opérationnel de « Turquoise », cette opération « militaro-humanitaire » de l’armée française menée au Rwanda du 22 juin au 22 août 1994, à la fin du génocide des Tutsi.

A l’été 1994 la qualification « militaro-humanitaire » de l’intervention avait surpris et déjà créé une controverse. Elle ne vient évidemment pas de l’état-major. C’était de la « Com’ ». Cet oxymore incite à penser au talent du communiquant Jacques Pilhan, l’incontournable « sorcier de l’Elysée » de la fin du second septennat Mitterrand[3].

Mme la Présidente invite le général Lafourcade à exposer son témoignage.

Général Lafourcade : – « Ce que je savais du Rwanda avant d’y intervenir c’est que fin mai M. Juppé a parlé d’un génocide. Je fus ensuite appelé fin juin pour une opération humanitaire visant à mettre fin aux massacres. Il ne s’agissait pas de prendre parti pour un camp ou pour l’autre ».

Les non-dits du général vont démontrer les limites de cette « neutralité » revendiquée.

Lafourcade : « Il ne s’agissait pas de prendre parti pour un camp ou pour l’autre ».

Le général Lafourcade se dit indigné « des accusations éhontées [portées contre l’opération Turquoise] par les parties civiles ici présentes », alors que Turquoise a été « louée dans le monde entier et que nos soldats se sont dépensés sans compter pour sauver des vies, notamment au moment du choléra ».

Selon le général, « le livre d’Onana rend compte de la vérité et de la réalité de l’opération Turquoise au Rwanda ».

Depuis bien des années, Jean-Claude Lafourcade se veut le porte-parole d’une poignée de hauts gradés français ayant exercé sous ses ordres au Rwanda et au Zaïre (aujourd’hui République démocratique du Congo) du 22 juin au 22 août 1994. La médaille a son revers : le général Lafourcade est impliqué dans une procédure judiciaire visant le sauvetage tardif des Tutsi de la colline de Bisesero, fin juin 1994. Il a été entendu en janvier 2016 par des juges d’instruction dans une procédure pour complicité de génocide[4]…

Depuis son élection comme président de l’association éponyme France Turquoise, Il est le symbole des controverses sur l’opération militaire, objet de la thèse soutenue par Charles Onana devant l’université Lyon 3, thèse elle-même controversée.

Lafourcade, symbole des controverses sur l’opération Turquoise

Le général Lafourcade poursuit son exposé racontant l’opération « militaro-humanitaire » – par ailleurs bien connue – qu’il a dirigée. Sa déposition est fondée sur des faits qu’il a vécus lui-même, mais avec une tendance à l’hyperbole. C’est pourquoi son récit reste approximatif. Blessé dans son âme de militaire, Jean-Claude Lafourcade ressasse les accusations portées contre l’opération. Il dément avoir reçu un ordre de marche secret d’empêcher le FPR de s’emparer de Kigali. Le général Lafourcade accuse au contraire le FPR d’avoir toujours été belliqueux, faisant fuir trois millions de Hutus vers le Zaïre [chiffre très exagéré] où ils seraient morts dans la forêt ou les zones volcaniques sans eau si la force Turquoise n’avait pas « stabilisé » les populations dans sa zone.

Il souligne que le FPR a fait bombarder l’aéroport de Goma en tuant des civils. Selon Lafourcade, « la France l’a empêché de poursuivre son avance victorieuse mais ne l’a jamais combattu ». A Goma, selon le général, le choléra a fait 200 000 morts [chiffre très exagéré] et Kagame en serait responsable.

Le général n’a pas un mot de condamnation des auteurs du génocide contre les Tutsi. C’est là que se situe le naufrage éthique de Jean-Claude Lafourcade et de son état-major de Turquoise [à l’exception du général Sartre]. Ils auraient pu ne pas assumer une décision politique à laquelle ils se contentaient d’obéir. Ils ont préféré « prendre sur eux » et se radicaliser, jusqu’à se solidariser avec des pamphlétaires et amis de génocidaires plus que douteux.

Pour le général, l’ennemi c’est Kagame…

C’est que, depuis sa création le 26 juin 2006, l’association France Turquoise que préside le général Lafourcade cultive un ressentiment obsessionnel contre Paul Kagame, le président du Rwanda, accusé de tous les maux. Et suivant l’adage « les ennemis de mes ennemis sont mes amis », France Turquoise range Charles Onana parmi les plus valeureux combattant pour la vérité. Il n’est pas le seul auquel « France Turquoise » voue une sorte de culte. Dans une course à la radicalisation, le site de l’association n’hésite pas à relayer des liens vers des blogs de la « fachosphère génocidaire » et à faire la publicité de tous les auteurs, Français ou étrangers, quel que soit leur pedigrée, qui décrivent le chef de l’Etat rwandais comme un Kim Jong-un tropical.[5]

La déclaration du général devant la XVIIe chambre en est la plus récente illustration. Elle est largement hors-sujet et d’une neutralité problématique. Le général a réservé ses flèches à Paul Kagame et au FPR. Les génocidaires sont escamotés.

Ces trente dernières années, des hauts gradés français ont-ils témoigné en faveur de Tutsi rescapés ? A notre connaissance, jamais. Ont-ils témoigné en faveur de suspects de génocide ? A notre connaissance, oui.[6]

…rien ou presque contre les génocidaires

A la fin de ce témoignage, Mme la Présidente demande au témoin s’il a lu le livre contesté.

Le général Lafourcade : « Oui, mais je n’ai pas participé au livre, je sais juste qu’il est le résultat d’une thèse de haut niveau soutenue à Lyon 3 ».

Mme la Présidente le relance : Et que pensez-vous des propos poursuivis ? ».

Le général Lafourcade : – « Ce que je peux dire c’est qu’Onana met la lumière sur ce qu’a fait le FPR ».

Il revient ensuite sur les « trois millions de personnes » poussées dans la zone Turquoise par le FPR. « J’ai envoyé un message à Kagame : il faut arrêter votre progression sinon vous allez créer un drame humanitaire. Sa réponse : ce sont des génocidaires, je ne m’arrête pas. La force Turquoise a convaincu les Hutus de ne pas fuir au Zaïre par peur d’être massacrés par le FPR. Je suis fier d’avoir permis le maintien de ces trois millions de personnes au Rwanda. »

La Présidente relance une nouvelle fois le général Lafourcade : « Concernant la qualification de génocide, ce qu’ont subi les Tutsis, qu’en est-il selon vous ? Et dans le livre de M. Onana ? »

Général Lafourcade : « Le génocide n’a jamais été nié. M. Onana reconnait le génocide, d’ailleurs. »

Lafourcade : « Ce que je peux dire c’est qu’Onana met la lumière sur ce qu’a fait le FPR »

La Président donne la parole aux parties civiles.

Me Baudouin pour la LDH et la FIDH souhaite revenir sur « le vrai sujet » : « l’escroquerie de la planification du génocide », rappelant des mots prononcés par le général Lafourcade plus tôt : « Vous avez parlé de « sauver des gens, des centaines de millier de Tutsi ». Pouvez-vous nous dire quel était l’objectif principal de Turquoise ? »

Le général Lafourcade : « L’ordre d’opération c’était le génocide. Il n’y a pas d’ambiguïté là-dessus. »[7]

Me Baudouin : – Je lis un extrait du livre de M. Onana. « La thèse conspirationniste d’un régime hutu ayant planifié un “génocide” au Rwanda constitue l’une des plus grandes escroqueries du XXe siècle ». C’est ce qu’écrit Charles Onana à la page 198 de son livre « Rwanda, la vérité sur l’opération Turquoise – Quand les archives parlent », paru en 2019. Vous pensez que le génocide n’a pas été planifié ? Qu’il n’y a pas eu un génocide des Tutsi ?

Le général Lafourcade : – « Votre question porte sur la planification du génocide des Tutsi ? La planification, je n’en ai jamais entendu parler ».

« La planification du génocide, je n’en ai jamais entendu parler »

Me Gisagara pour la CRF demande au témoin de préciser son dernier commentaire.

Le général Lafourcade : – « Je n’ai aucune information là-dessus. Je n’ai jamais vu de pièce sur la planification. »

Me Gisagara : – « Pour vous, il y a bien eu un génocide contre les Tutsis ? »

Général Lafourcade : – « Sans ambiguïté ».

Vient le tour des avocats de la défense d’interroger le témoin. C’est Me Mbaye, avocat du gérant des éditions Le Toucan, M. Damien Serieyx, qui interroge le général Lafourcade : – « Vous avez été mis en cause devant la justice par certaines parties civiles, et un non-lieu a été rendu ? »

Général Lafourcade : « Merci de poser la question. Car les parties civiles ici présentes ont harcelé l’armée française depuis des années avec des accusations de complicité de génocide et de crimes contre l’humanité. »

« Les parties civiles ici présentes ont harcelé l’armée française depuis des années »

Me Mbaye : – « La France a bien sauvé des Tutsis ? »

Général Lafourcade : – « Evidemment. Peut-on affirmer le génocide des Tutsi et aborder aussi les massacres du FPR ? Personne ne parle de double génocide. »

Me Pire, avocat de Charles Onana, invite le général Lafourcade à commenter deux citations retenues dans la plainte qui abordent « la conquête du pouvoir » par le FPR pendant la commission du génocide.

Le Général Lafourcade : – « Il s’agit d’une analyse géopolitique. Ce n’est pas mon problème. Charles Onana pose des questions géopolitiques, je ne veux pas porter de jugement. »

Me Pire : – « Poser ces questions, est-ce nier le génocide ? »

Général Lafourcade : – « Non bien sûr. Les offensives [judiciaires] menées contre l’armée française sont là pour faire oublier les massacres du FPR. »

« Les offensives [judiciaires] menées contre l’armée française sont là pour faire oublier les massacres du FPR. »

Jean-Claude Lafourcade botte en touche. Il ne prend pas parti car « ce n’est pas de mon ressort ni de mon vécu ». Sa déposition n’a pas vraiment fait progresser les débats. Le lendemain, les déclarations d’officiers français de moindre importance de l’époque, le colonel Michel Robardey, le colonel Jacques Hogard, complèteront le tableau de famille d’un groupe rappelant les « ultra » de la noblesse français émigrée rentrée au pays en 1815. Ceux dont Talleyrand disait « ils n’ont rien appris, ni rien oublié ». Des personnages décalés, dépassés, hors-sol. Nous y reviendrons dans un article ultérieur.

Le Général Lafourcade ne sera resté à la barre que 30 minutes.

Le témoignage de Johan Swinnen

On appelle le témoin suivant, Johan Swinnen, également cité par Charles Onana.

Un souffle rafraichissant traverse la salle d’audience, car l’homme connait le Rwanda et ne se complaisait pas dans la caricature. Johan Swinnen a été ambassadeur de Belgique à Kigali de 1990 à 1994. Cet homme avenant, diplomate de talent, a été par la suite ambassadeur à La Haye (1997-2002), à Kinshasa (2004-2008) et à Madrid (2009-2011). Swinnen fut ensuite conseiller diplomatique du Premier ministre belge Jean-Luc Dehaene. En 2014, le roi Philippe de Belgique lui a accordé le titre de baron Depuis 2015, il est président du conseil d’administration de l’International Peace Information Service, un groupe de réflexion indépendant basé à Bruxelles qui travaille sur la paix, le développement durable et les droits de l’homme.

Johan Swinnen est connu pour avoir envoyé à Bruxelles des avertissements prémonitoires sur le génocide des Tutsi.

En 1992, il a télégraphié à Bruxelles que la milice Interahamwe avait pris part au massacre soigneusement planifiés d’environ 300 Tutsis dans le district de Bugesera, au sud-est du Rwanda. En janvier 1994, plusieurs mois avant le génocide des Tutsi du Rwanda, Bruxelles a été informée par Johan Swinnen des appels à la radio RTLM incitant à l’extermination des Tutsis. Il a averti que tant que la Mission d’assistance des Nations unies au Rwanda n’interviendrait pas, des armes seraient distribuées aux Interahamwe.

Des avertissements prémonitoires à Bruxelles

A la barre, Johan Swinnen fait globalement un bon résumé de ce qu’il a vécu de 1990 à 1994. Il précise que le génocide des Tutsis ne souffre aucune contestation. Il y a bien eu génocide des Tutsi mais le récit ne peut s’arrêter là. Lorsqu’on œuvre ou plaide pour des révélations plus complètes de l’histoire, on ne peut être taxé de négationnisme du génocide des Tutsi. L’ancien ambassadeur constate en effet que trop souvent l’histoire du génocide est “mal contée”, truffée de simplismes, de propagande, d’omissions, de mensonges même.

En substance, Johan Swinnen regrette que le contexte d’une situation de violence et de guerre, de radicalisation et de polarisation, de provocations et d‘incitations à la haine est souvent occulté ou sous-estimé dans les présentations.

L’ancien ambassadeur souligne entre autres que le FPR disposait également d’une radio Muhabura qui colportait des messages de haine, quoique plus subtils que ceux de la RTLM. Il relève le fait que les attaques récurrentes des FPR, même au moment où des progrès étaient enregistrés dans les négociations d’ Arusha (occupation et encerclement début 1993 de Byumba par exemple), avait entraîné près d’un million de personnes déplacées. Ainsi, un Rwandais sur sept vivait dans des conditions inhumaines et inacceptables.

Johan Swinnen : « Rien dans les paragraphes sélectionnés ne justifie une accusation de négationnisme ».

Johan Swinnen : – « Ce drame ne constituait pas un justificatif du génocide mais bien un ingrédient de la radicalisation des esprits. En outre, les Tutsi ne sont pas les seules victimes des crimes qui ont été commis avant et pendant le génocide. […] Madame Judi Rever n’est pas la seule qui ait démontré que les responsabilités se trouvent également dans d’autres camps que celui des Hutu extrémistes. Charles Onana les pointe également du doigt. »

Johan Swinnen ajoute : « Rien dans les paragraphes sélectionnés ne justifie une accusation de négationnisme ».

L’ancien ambassadeur insiste sur l’importance de la recherche de la vérité, en ce que beaucoup de questions doivent encore être résolues. C’est ce qu’il souligne par ailleurs à la fin de son livre de 600 pages “Rwanda mijn verhaal” (Rwanda, mon histoire), paru en 2016 et consacré à son mandat d’août 90 à avril 94 à Kigali : « L’honnêteté intellectuelle et morale nous oblige de poursuivre ces efforts de recherche de la vérité. Il ne peut y avoir question de justice ni de développement durable, aussi longtemps que le génocide n’ait pas livré davantage de ses secrets et n’ait pas trouvé de réponses aux angles morts subsistants. »

C’est là également selon lui que le combat contre et le débat sur le négationnisme prennent toute leur importance.

Ce qu’il appelle le « simplicisme » ou la « bien pensance ».

L’ancien ambassadeur explique qu’il y a deux sortes de banalisation : à côté de la banalisation du génocide existe également la banalisation de l’accusation de contestation du génocide. A ceux qui s’émeuvent ou s’indignent devant ceux qui plaident pour plus de vérité et de nuances, Johan Swinnen demande de ne pas se tromper de cible mais de s’adresser aux véritables négationnistes. « En effet je constate que la moindre question, la moindre nuance ou observation à l’encontre de ce que j’appelle le « simplicisme » ou la “pensée unique” suscitent de graves récriminations. »

M. Swinnen termine ses déclarations par la lecture d’un passage de la préface écrite par lui pour le livre « Rwanda, Malheur aux vaincus » de Patrick Mbeko. Ce passage souligne le fait que les Tutsi n’étaient pas les seuls à avoir subi les « foudres de l’horreur ».

« Nous devons être particulièrement vigilants, afin d’éviter tout soupçon d’aseptisation ou de négation du génocide des Tutsi. Ce génocide a bien eu lieu. Je ne me sentirai jamais inhibé pour continuer à dénoncer les forces négatives qui ont provoqué et exécuté le génocide, et pour souligner les aspects positifs sur la reconstruction du pays. Mais je ne peux me résoudre à l’indignation sélective de ceux qui relativisent les droits de l’homme parce que le Rwanda a été frappé par une calamité bien pire il y a 30 ans et parce que le pays enregistre aujourd’hui des chiffres de croissance spectaculaires. Les Tutsi ne sont pas les seuls à avoir subi les foudres de l’horreur. Dans une chanson d’une beauté émouvante, le chanteur de gospel Kizito Mihigo a également fait allusion aux souffrances que les Hutu et les Twa ont endurées et qui n’ont pas été conçues au nom du génocide »

Ce qu’il appelle le « simplicisme » ou la « bien pensance ».

Les questions des parties civiles se sont ensuite concentrées sur l’existence ou non d’une planification, dont Me Rachel Lindon, l’avocate de l’association Survie, a rappelé qu’il s’agissait d’un élément constitutif du crime de génocide.

Johan Swinnen : « En tant que juriste moi-même je conçois la pertinence de la question et je voudrais faire une distinction entre la planification et l’intention : l’intention s’est révélée tout de suite après le 6 avril 1994, mais je ne vois pas de preuves d’une planification. Je ne nie pas qu’il y ait eu planification mais je ne le sais tout simplement pas avec certitude, jusqu’à présent. Le TPIR d’Arusha ne l’a pas prouvé non plus. »

Me Gisagara, avocat de l’association CRF, veut faire réagir le témoin au rapport du Sénat belge sur le génocide des Tutsi, auquel il a assisté, et qui reconnait la planification du génocide.
Johan Swinnen répond qu’il ne se souvenait pas que le rapport du Sénat belge ait été aussi affirmatif.

La définition belge du génocide

L’avocat de Charles Onana l’interroge sur la définition du génocide, qui ne mentionne pas l’exigence d’un plan concerté. Ainsi, pour lui, comme pour monsieur Swinnen, il peut y avoir génocide sans planification dans le sens stricte du terme.

A noter que, dans la déposition de M. Swinnen comme dans beaucoup d’autres, la phase la plus discutée est celle sur la planification. « Sans jamais débattre des faits, regrette Yohan Swinnen. On se limite toujours aux deux arguments d’autorité, celui de la défense (« le TPIR n’a pas prouvé la planification ») face à celui des parties civiles (« le génocide a été reconnu or sa définition inclut la planification ») ».

Le témoignage de Thomas Hochmann

Cité par la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA), partie civile, Thomas Hochmann est appelé à la barre. Madame Delphine Chauchis, la présidente de la XVIIe chambre, lui demande de décliner son identité avant de prêter serment.

Professeur de droit, Thomas Hochmann a beaucoup travaillé sur la liberté d’expression, et en particulier sur le négationnisme, auquel il a consacré sa thèse [Le négationnisme face aux limites de la liberté d’expression. Étude de droit comparé, Pedone, 2013]. Elle portait surtout sur le négationnisme de la Shoah, en moindre partie sur le génocide des Arméniens, et très peu sur le génocide perpétré contre les Tutsi.

Thomas Hochmann : – « J’ai été amené à m’intéresser à ce dernier sujet de manière beaucoup plus approfondie en siégeant au sein de la Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi, qui a rendu son rapport en 2021 [« Rapport Duclert ». Charles Onana s’oppose frontalement à ses conclusions sur la « responsabilité lourde et accablante » de l’Elysée dans le génocide des Tutsi du Rwanda].

Le « Rapport Duclert »

L’enseignant en Histoire poursuit : – « Je souhaite exposer au tribunal que si tous les négationnismes partagent des similitudes, ils ont aussi chacun leurs spécificités. À consulter l’ouvrage de Charles Onana et les passages poursuivis, des éléments caractéristiques des négationnismes sautent aux yeux. Il en va d’abord des guillemets systématiques autour du mot « génocide », ainsi que de l’usage de certains mots (« escroquerie », « imposture »…). Décrire un génocide comme « l’une des plus grandes escroqueries du XXe siècle » fait immédiatement penser à l’ouvrage d’Arthur Butz, The Hoax of the Twentieth Century[8], titre important dans la littérature négationniste de la Shoah.

« La dénégation pratiquée par Onana est également habituelle chez les négationnistes dans ce type d’écrits. L’auteur prétend à plusieurs reprises qu’il Il ne s’agit nullement de nier le génocide, en contradiction totale avec la teneur de son ouvrage. « Je ne prends pas la défense de l’Allemagne », proclamait Maurice Bardèche, l’un des tous premiers négationnistes français de la Shoah, en ouverture de son livre Nuremberg ou la Terre promise, pamphlet tout à la gloire de l’Allemagne nazie.

« Permettez-moi de citer un autre cas intéressant : pour condamner Eric Delcroix[9], l’avocat français de nombreux négationnistes, auteur d’un livre qui adoptait leurs thèses, le tribunal avait écarté les formules par lesquelles l’auteur prétendait ne pas nier la Shoah.

« La dénégation pratiquée par Onana est également habituelle chez les négationnistes »

« Enfin, un comportement habituel des négationnistes consiste à s’efforcer de détourner leur procès pour en faire un débat non pas sur le caractère négationniste de leurs écrits, mais sur la réalité du crime qu’ils nient. Bien que n’ayant pas assisté aux débats jusqu’à présent, j’imagine que M. Onana adopte également cette tactique. Or, l’enjeu du procès n’est pas d’établir le génocide perpétré contre les Tutsi ou le rôle de la France dans cette affaire, mais plutôt d’examiner si le livre poursuivi consiste à contester la réalité du génocide.

« Exceptionnellement, la vérité ou la fausseté des thèses négationnistes a pu être au cœur du procès. Ce fut le cas dans les années 1980 au Canada lorsque Ernst Zündel[10] fut poursuivi sur le fondement d’un délit qui interdisait de propager de fausses nouvelles. Zündel fut autorisé à se défendre en essayant de prouver la vérité de ses affirmations, et le tribunal a accepté les témoignages de tous les principaux négationnistes venus à sa rescousse, tels Robert Faurisson et David Irving. Ce procès est demeuré dans les mémoires comme une fiasco pour Zündel et ses amis.

« les propos poursuivis contestent l’existence de ce génocide »

Thomas Hochmann précise : – « J’estime que la question posée dans le présent procès fondé sur l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881, n’est pas de savoir si un génocide a eu lieu contre les Tutsi du Rwanda mais plutôt :

1) Si un tel génocide a fait l’objet d’une condamnation par une juridiction française ou internationale.
2) Si les propos poursuivis contestent l’existence de ce génocide.

« Des juridictions tant françaises qu’internationale ont condamné ce génocide, et dès lors le seul enjeu est de savoir si Charles Onana en conteste l’existence. C’est ici qu’intervient la spécificité du négationnisme du génocide perpétré contre les Tutsi : il ne s’agit pas, comme à l’égard de la Shoah, de nier les meurtres. La négation prend plutôt deux formes particulières, liées l’une à l’autre, et dont le livre poursuivi offre de nombreux exemples.

« La première démarche consiste à nier non pas les meurtres d’ampleur, mais le plan concerté en vue de la destruction d’un groupe ethnique. C’est la thèse de la colère populaire, des massacres spontanés. Elle fut défendue par les génocidaires eux-mêmes, qui furent comme toujours les premiers négationnistes. Plusieurs passages poursuivis s’inscrivent dans ce discours, en rejetant explicitement la planification du génocide, qui relèverait d’une « thèse conspirationniste », et en évoquant plutôt « l’affect du moment ». Dès lors que le plan concerté est un élément du génocide, le nier revient bien à nier le génocide.

« Dès lors que le plan concerté est un élément du génocide, le nier revient bien à nier le génocide »

« La seconde démarche évoque des massacres indifférenciés. Elle prend parfois la forme de la thèse du « double génocide ». Dans la plupart des passages poursuivis, Charles Onana parle de tueries généralisées, de massacres qui selon lui ont touché tous les Rwandais de manière indifférenciée. C’est cela le point essentiel : ceux qui nient le génocide des Tutsi ne nient pas les morts, mais ils les noient dans un grand tourbillon de violences généralisées. De la sorte ils nient le plan concerté, l’intention de détruire un groupe, et contestent ainsi l’existence du génocide.

Thomas Hochmann a achevé sa déclaration initiale. Des questions sont ensuite posées par la présidente, plusieurs avocates des parties civiles, et l’avocat de la défense.

Sabrina Goldman, l’avocate de la LICRA : – Considérez vous que la négation du génocide perpétré contre les Tutsi est un discours dangereux ?

Thomas Hochmann : – « C’est là une question importante puisque, justement, la Constitution ne permet de restreindre la liberté d’expression que pour les discours dangereux, ceux dont on estime qu’ils risquent de porter atteinte à l’ordre public ou aux droits des tiers. Il aurait donc été préférable, si l’on souhaitait étendre le délit de négationnisme, de procéder au cas par cas, en examinant si tel ou tel phénomène négationniste semblait développer des effets néfastes qui justifient son interdiction. Le Parlement a hélas choisi plutôt de réprimer en bloc la négation de tout génocide, tout crime contre l’humanité, tout crime de guerre, tout crime de réduction en esclavage, tout crime d’exploitation d’une personne réduite en esclavage, dès lors que le crime avait fait l’objet d’une condamnation juridictionnelle.

« Le discours négationniste n’est pas une simple opinion. C’est un discours dangereux. Mais il me semble hasardeux de considérer, de manière aussi générale et abstraite, que toutes ces expressions sont suffisamment préjudiciables. Considérer, par exemple, que le massacre de Srebrenica est un crime contre l’humanité plutôt qu’un génocide, comme l’a jugé le TPIY, est-ce forcément un discours dangereux qui mérite d’être condamné ? Inversement, la négation du génocide des Arméniens mérite-t-elle d’être exclue de la répression ? Quel lien y a-t-il entre la condamnation juridictionnelle d’un crime et le caractère préjudiciable de sa négation ?

Le discours négationniste n’est pas une simple opinion. C’est un discours dangereux »

« Cependant, ces reproches adressés à la loi ne remettent pas du tout en cause le danger et les préjudices provoqués par la négation du génocide perpétré contre les Tutsi. Je suis peu qualifié, comme juriste, pour en donner une appréciation très étayée, mais je peux signaler que de nombreux tribunaux ont considéré que le négationnisme de la Shoah blessait profondément les survivants et leurs descendants, qu’il contribuait à la diffusion du racisme et présentait des risques de provoquer de la violence, voire de nouveaux génocides.

Me Rachel Lindon, avocate d’Ibuka-France : – Pouvez vous préciser si le TPIR a prononcé des condamnations pour un plan concerté en vue de commettre un génocide ?

Thomas Hochmann : – « Un point me semble essentiel : la teneur exacte des décisions du TPIR n’est pas l’enjeu du procès. L’article 24 bis exige simplement que le génocide ait fait l’objet d’une condamnation par une juridiction française ou internationale. Il ne renvoie pas à la teneur exacte de tel ou tel jugement. Il n’interdit pas de contester le contenu précis d’une décision de justice.

Thomas Hochmann : – Il en va d’ailleurs de même à propos de la Shoah : si le premier alinéa de l’article 24 bis évoque le statut du tribunal de Nuremberg, il n’a pas pour objet d’interdire la contestation des décisions prononcées par ce tribunal. C’est ainsi qu’un individu a récemment été condamné pour avoir nié la rafle du Vel d’Hiv, quand bien même elle n’a fait l’objet d’aucune condamnation juridictionnelle. Car René Bousquet, comme on le sait, impliqué dans la rafle, a été assassiné avant son procès. Il faut donc bien comprendre que la loi contre le négationnisme ne « colle » pas au contenu des décisions de justice relatives aux crimes visés.

« Un individu a récemment été condamné pour avoir nié la rafle du Vel d’Hiv »

« Néanmoins, pour répondre à la question sur l’établissement par le TPIR d’un plan concerté, observons que le « plan concerté » apparaît dans la définition du code pénal français, mais pas dans le statut du TPIR, qui évoque plutôt l’intention de détruire un groupe. Ensuite, le TPIR n’a été chargé d’examiner que les actes commis à partir de janvier 1994. Cette limitation de la compétence temporelle (pour laquelle la France s’est beaucoup engagée à l’ONU, comme nous avons pu l’établir dans le rapport Duclert) ne favorise pas l’établissement précis par le tribunal d’actes de concertation préalables au génocide. Enfin, parmi les crimes que le tribunal était chargé de juger figure l’entente en vue de commettre un génocide. Le TPIR a parfois prononcé des condamnations pour ce motif, et concernant certains accusés des relaxes, les faits n’étant pas suffisamment établis.

« Je tiens à souligner que le TPIR, pas plus qu’aucun autre tribunal, n’est ou n’était chargé de dire la vérité historique. Le Tribunal pénal international pour le Rwanda s’était saisi de cas individuels, sur lesquels il se prononçait sur le fondement de preuves et dans un cadre procédural précis.

« Le TPIR, pas plus qu’aucun autre tribunal, n’est ou n’était chargé de dire la vérité historique »

Me Rachel Lindon, avocate des parties civiles : estimez vous que la répression légale du négationnisme gêne la démarche historique ?

Thomas Hochmann : – « Ce n’a jamais été le cas. Par exemple, l’incrimination de la négation de la Shoah dans de nombreux pays n’a pas gêné la recherche sur le génocide des Juifs, elle n’a pas empêché par exemple le débat entre le « intentionnalistes » et les « fonctionnalistes ». De même, l’interdiction de nier le génocide des Tutsi n’empêche nullement de poursuivre des recherches sur la préparation du génocide, sur la concertation préalable, sur l’ampleur de tel ou tel massacre.

L’avocat d’Onana prend ensuite la parole et pose une première question : – Vous êtes donc favorable à l’augmentation de la connaissance sur les massacres au Congo ?

Thomas Hochmann : – Je suis favorable à l’augmentation de la connaissance sur tous les sujets. Il est important de travailler sur cette question, comme il est important d’étudier les exactions commises par le FPR. Mais il n’est nul besoin, pour cela, de nier le génocide perpétré contre les Tutsi.

« L’incrimination de la négation de la Shoah dans de nombreux pays n’a pas gêné la recherche sur le génocide des Juifs »

Revenant sur l’entente en vue de commettre un génocide et le « plan concerté », l’avocat du prévenu a demandé si « l’entente » et « la concertation » était la même chose.

Thomas Hochmann : – « L’un va avec l’autre : si nous nous entendions vous et moi pour dîner ensemble ce soir, nous devrions nous concerter pour préciser les modalités de notre rencontre.

Me Pire, l’avocat d’Onana : – « Comment appréciez vous l’opération Turquoise ? »

Thomas Hochmann : – « Cette question n’a rien à voir avec le fond du procès. Je vais néanmoins vous répondre. Cette opération a certes permis de sauver un nombre appréciable de Tutsi, mais elle est survenue bien trop tard pour la plupart des personnes ciblées. Le génocide était presque achevé lorsque l’opération a débuté. Elle a en revanche joué un rôle essentiel pour protéger les victimes de la catastrophe humanitaire dans les camps de réfugiés, donc essentiellement des Hutu fuyant l’avancée du FPR.

« Je rappelle que la Commission Duclert a établi précisément la manière dont la France, plutôt que d’arrêter de nombreux génocidaires dans la zone qu’elle contrôlait, les a volontairement laissés s’enfuir vers le Zaïre.

Le témoignage de Joseph Matata

C’est au tour de Joseph Matata, cité par Charles Onana, de rejoindre la barre.

Joseph Matata se présente comme Tutsi, de père Tutsi, de mère Hutsie[11]. Il se dit « défenseur des droits de l’homme ».

Au début de sa déclaration liminaire, il déclare que de 1990 à 1994 il a enquêté sur le régime hutu, ce qui lui valut de la prison en 1990, et des menaces après le 6 avril 1994 [Joseph Matata se trouvait en Belgique au moment du génocide]. Il a fait partie des Rwandais qui ont appelé à l’enquête de la Fédération internationale du droit humain (FIDH) en 1993. Après le génocide, il enquête sur le FPR.

Joseph Matata : – « J’ai eu une entrevue avec Kagame pour lui dire d’arrêter les meurtres et disparitions, et ça m’a valu des menaces puis l’exil ». Joseph Matata parle en détail de sa vie de proscrit.

Joseph Matata : – « A peu près tous les Tutsis sont menteurs mais moi j’ai été élevé dans une culture de vérité »

La présidente : – « Que pensez-vous des phrases incriminées du livre de M. Onana ?

Joseph Matata n’a pas lu le livre d’Onana et n’a pas d’avis sur les phrases poursuivies.

Il est assez convaincant jusqu’à ce qu’il se lance dans une longue démonstration sur le thème « Les Tutsis sont menteurs ».

Pince sans rire, la présidente lui demande s’il s’inclut dans la catégorie des Tutsi menteurs.

Joseph Matata : – « A peu près tous les Tutsis sont menteurs mais moi j’ai été élevé dans une culture de vérité. »

Il semble que cette dernière phrase n’encourage pas les avocats à lui poser d’autres questions.

L’intervention de l’historien Florent Piton

La présidente appelle à la barre l’historien Florent Piton. Il décline son identité. Docteur en histoire de l’Afrique de l’université de Paris, il travaille sur les mobilisations sociales et politiques au Rwanda entre les années 1930 au génocide des Tutsi. Il rappelle qu’il a publié un livre sur le génocide des Tutsi du Rwanda[12] et a co-édité avec Françoise Imbs un autre ouvrage sur un éminent historien rwandais[13].

Dans sa déclaration liminaire, Florent Piton commence par une question : Peut-on mettre le génocide perpétré contre les Tutsi entre guillemets ? Dans l’ouvrage litigieux de Charles Onana, le mot génocide est employé 160 fois entre guillemets.

Les guillemets participent de l’éthos des chercheur∙ses en sciences sociales. Il s’agit d’un code graphique pour citer, nuancer, mais surtout mettre à distance un terme trop chargé, polémique, daté parfois et in fine dont l’on cherche à contester, à interroger l’usage et la validité.

« Peut-on mettre le génocide perpétré contre les Tutsi entre guillemets ? »

Florent Piton se réfère à l’histoire de l’Afrique subsaharienne. Il parle des mots « indigène » – catégorie juridique teintée de racisme colonial -, « ethnie », etc. Dans ces cas-là, les guillemets signalent une distance critique légitime. Florent Piton regrette que Charles Onana, dans la démarche prétendument « scientifique » qu’il ne cesse de revendiquer, fasse l’impasse sur quarante ans de déconstruction des assignations identitaires.

« On ne peut pas mettre de guillemets en revanche pour des faits dont la réalité ne fait pas de doute, comme la Shoah, l’extermination/génocide des Juifs d’Europe.

« Sous un vernis qui emprunte à des codes et à des pratiques qui se prétendent scientifiques, la rhétorique négationniste constitue une authentique falsification de l’histoire et non une prétendue – et je mets précisément ici des guillemets – « thèse alternative » venant en contrepoint d’une prétendue « idéologie officielle », insiste Florent Piton.

« la rhétorique négationniste constitue une authentique falsification de l’histoire »

L’historien revient ensuite sur le négationnisme comme idéologie. « Cette idéologie est partie prenante de la logique génocidaire, elle l’accompagne, elle est concomitante au génocide »
Ainsi le 13 mai 1994 sur les ondes de la RTLM, l’animateur Habimana Kantano s’étonne que l’on parle désormais dans les médias étrangers de 500 000 morts au Rwanda contre 200 000 quelques semaines plus tôt. « D’où viennent donc ces 300 000 morts supplémentaires, interroge Kantano. Ces 300 000 supplémentaires sont sans doute des Hutu. »

Kantano poursuivait : « Cette guerre que nous menons est une guerre très importante. Qu’ils l’appellent comme ils l’entendent, [Kantano semble savoir que le mot génocide est déjà largement employé par les médias occidentaux] mais c’est bien une guerre d’extermination, une guerre déclenchée par les Inkotanyi […] dans le but d’exterminer les Hutu »

« Cette idéologie [le négationnisme] est partie prenante de la logique génocidaire »

« Ainsi, dès la commission des massacres, leurs promoteurs falsifient la réalité de ce qui est en train de se dérouler au Rwanda : ce ne seraient plus les Tutsi exterminés mais les Hutu !
« Cette négation au présent est incarnée par Théoneste Bagosora, « l’architecte du génocide », ajoute Florent Piton. C’est lui qui, quittant avec fracas les négociations d’Arusha en décembre 1992, avait déclaré rentrer au pays pour « préparer l’apocalypse ». Dans son livre, « J’ai serré la main du diable », le général Roméo Dallaire cite Théoneste Bagosora au cours d’un repas : « D’une voix avinée, il avait prétendu que la seule manière de s’occuper des Tutsi était de les éliminer complètement, en les éradiquant de la carte » (p. 285).

« Or Bagosora est une des grandes figures de la germination d’un projet génocidaire dans la première moitié des années 1990. Il est notamment un des principaux auteurs d’un document produit en décembre 1991 par une dizaine d’officiers supérieurs des FAR et qui visait à définir et identifier « l’ennemi » comme les Tutsi dans leur ensemble et leurs alliés.

Ce document pointe l’habileté de cet ennemi pour la « propagation de fausses informations » dont il serait « passé maître ». Florent Piton montre que la conspiration du génocide ne fait aucun doute.

Florent Piton montre que la conspiration du génocide ne fait aucun doute.

Pour l’historien, le premier ressort de la rhétorique négationniste est le discours conspirationniste d’une vérité contre toutes les autres. Voir par exemple le reportage de l’émission « La Marche du Siècle » de septembre. 1994. Il y a déjà un discours de Bagosora qui affirme en substance « Les escadrons de la mort contre les Tutsi et les opposants, ça n’a jamais existé, mais il y a un escadron de la mort du FPR. »

Il déclare ensuite être prêt à se rendre devant une cour internationale pour y être jugé : « Je suis prêt à y aller, même aujourd’hui, mais il faut qu’ils amènent les gens que j’ai tués et qu’ils prouvent ça. »

Le journaliste : « Sincèrement, vous pensez qu’ils peuvent les amener ? »

Bagosora : – « Amener les gens que j’ai tués ? Vous aussi vous êtes payés. Ça suffit. Ce que vous mangez, ça vous suffit. Un jour tu vas mourir, tu commences à me narguer jusqu’à ce point. ? Merci ! »

Bagosora interviewé dans « La Marche du Siècle »

Florent Piton commente : « Voilà un discours complotiste dénonçant une presse occidentale – d’autres diraient des chercheurs – corrompue par le FPR et un discours parallèle d’inversion des responsabilités, avec la rhétorique bien connue du « double génocide »)

« Théoneste Bagosora est l’auteur d’un des premiers opuscules du corpus négationniste forgé en exil, titré : « L’assassinat du Président Habyarimana ou l’ultime opération tutsi pour sa reconquête du pouvoir par la force », signé par lui à Yaoundé, le 30 octobre 1995. Il s’ouvre sur une sorte d’exergue décrivant un Rwanda « oasis de paix dans la région des Grands Lacs pendant 17 ans de règne du Président Habyarimana Juvénal » et « demeure privilégiée d’Imana, Dieu »
Un Dieu qui serait parti le 1er octobre 1990, jour du déclenchement de la guerre entre le FPR et les FAR.

Florent Piton ajoute « il y a un troisième ressort, le plus complexe : la dés-historicisation du génocide qui ne trouverait ses explications ni dans le racisme anti-Tutsi forgé entre la colonisation et les deux républiques du Rwanda indépendant, ni dans les politiques discriminatoires instaurées depuis les années 1960 (carte d’identité, politiques de quotas) mais, à court terme, dans le seul déclenchement de la guerre quelques années plus tôt voire dans l’attentat du 6 avril (titre de l’opuscule). »

« L’assassinat du Président Habyarimana ou l’ultime opération tutsi… »

« A l’ouverture de son procès au TPIR le 24 octobre 2005, Bagosora n’hésite pas à affirmer : « Mais moi aussi, je ne crois pas au génocide. […] La plupart des gens raisonnables admettent qu’il y a eu des massacres, des massacres excessifs, dont il faut trouver une explication »

« Le 4e ressort du négationnisme, c’est la minimisation sous forme de concession, in fine de la négation : admettre des « massacres » pour mieux contester la réalité d’un génocide. »

Florent Piton revient sur ce qu’il appelle « la carrière négationniste » de Bagosora. Elle résume les principaux ressorts qui fondent la rhétorique négationniste, ressorts que l’on retrouve dans la plupart des textes et discours négationnistes, en particulier chez Charles Onana.

La carrière négationniste de Bagosora

1 -Le conspirationnisme/complotisme

Le génocide serait une « imposture », une « escroquerie », issue d’une « offensive médiatique », une « thèse conspirationniste ».

La malignité du discours négationniste tient à ce discours complotiste qui prétend précisément lutter lui-même contre une autre conspiration.

2 -L’inversion des responsabilités

« Le génocide des Tutsi rwandais serait différent du génocide des Arméniens et de la Shoah. (images, fosses, preuves).

Comme il est difficile de nier l’existence d’une extermination, ces « massacres » sont dilués dans d’autres massacres qui seraient plus grands encore (une glose infinie sur les chiffres et surtout sur la nature des violences commises au Rwanda en 1994, sur celles qui en sont les victimes/les auteurs).

La thèse du double génocide ou des massacres en miroir est au cœur de l’affaire que vous avez à juger.

3 – La dés-historicisation

« L’historien se trouve sur une ligne de crête avec deux précipices.

D’un côté une « téléologie » : une relecture de l’histoire rwandaise conduisant irrémédiablement à l’extermination de 1994 en oubliant que d’autres voies ont été possibles jusqu’au printemps 1994
De l’autre côté l’hypothèse d’une violence spontanée ou a minima qui ne s’expliquerait que par une conjoncture militaire (déclenchement de la guerre en octobre 1990) ou une émotion suscitée par un évènement-choc (l’attentat du 6 avril 1994) ».

Le génocide n’était pas une fatalité de l’Histoire

Pour Florent Piton, la notion de planification (pour l’historien, synonyme d’organisation, préparation, germination) permet de saisir la manière dont des discours (exemple : des médias extrémistes), des politiques publiques (par exemple des distribution d’armes ou la constitution de groupes miliciens) ont été progressivement élaborés, parfois détournés, au profit d’un projet qui se construit par seuils plutôt qu’il ne surgit brusquement à un « temps T ».

« Quand commence le génocide des Tutsi » ? les discours révisionnistes et négationnistes s’articulent précisément à cette question à laquelle ils apportent une réponse viciée.

4 – La minimisation et in fine contestation

« Je reviens à l’usage des guillemets qui ne me paraissent pas relever d’une quelconque prudence d’un chercheur soucieux d’user d’un vocabulaire adéquat mais qui sont le signe le plus évident d’une entreprise de mystification et de falsification.

« Le signe le plus évident d’une entreprise de mystification et de falsification »

Dans la suite de son intervention, Florent Piton démonte l’imposture de Charles Onana à affirmer le caractère « scientifique » de sa démarche :

« Un indice d’appartenance à la communauté scientifique est la référence aux savoirs antérieurs. Un véritable chercheur a pour objectif d’amender les savoirs amendés mais sans oublier en même temps que tout savoir est cumulatif. A cet égard, un discours qui se positionne comme un contrepoint radical à une prétendue doxa ne peut qu’attirer a minima de la suspicion tant il adopte une attitude contraire au fondement de la recherche.

« Est-ce à dire qu’il faut se désintéresser à tout prix des discours négationnistes ? » demande Florent Piton. « Assurément pas, mais sûrement pas pour leur accorder le moindre crédit. En 1987, dans l’avant-propos d’un ouvrage au titre évocateur, « Les Assassins de la Mémoire », Pierre Vidal-Naquet préconisait face à ces récits que l’on qualifiait alors encore de « révisionnistes » l’attitude suivante : « Je me suis donc fixé cette règle : on peut, et on doit discuter sur les « révisionnistes » ; on peut analyser leurs textes comme on fait l’anatomie d’un mensonge ; on peut et on doit analyser leur place spécifique dans la configuration des idéologies, se demander le pourquoi et le comment de leur apparition, on ne discute pas avec les « révisionnistes ». »

« On ne discute pas avec les « révisionnistes » »

Florent Piton conclut : « Cette position de Pierre Vidal-Naquet est aussi la mienne et, je crois pouvoir le dire sans la moindre hésitation, celle de l’entièreté de mes collègues ».

Répondant à différentes questions, le jeune historien observe que la préparation de l’extermination des Tutsi bien avant le génocide passe par l’idéologie anti-Tutsi, la distribution des armes dans le cadre de l’auto-défense. Il cite notamment ses archives de Musanze.

« La planification se révèle aussi pendant le génocide, avec l’organisation par l’Etat des massacres au niveau local ». Florent Piton prend pour exemple ce qui passe à Nkuli (la commune sur laquelle il fait sa thèse) entre le soir du 6 avril et la journée du 7.

« La planification se révèle aussi pendant le génocide »

Il dénonce une nouvelle fois la méthode prétendument « scientifique » d’Onana et ses sources en disant d’abord qu’il n’y avait pas grand chose d’inédit (les archives de la Minuar et de l’Elysée sont ou bien en ligne ou bien publiées) et surtout que sa manière de les utiliser et de les citer n’avait rien de scientifique. L’usage des guillemets en particulier démontre qu’il est aux antipodes d’un vrai chercheur en sciences sociales.

L’avocat d’Onana demande à Florent Piton s’il suggérait qu’Onana justifiait les massacres lorsqu’il a expliqué que l’avancée du FPR ne justifiait en rien l’extermination des enfants.

Florent Piton répond qu’il a repris l’enquête de 2004 sur les 35% d’enfants de 0 à 14 ans parmi les victimes du génocide. De quoi ces enfants étaient-ils coupables ?

A une question sur les pogroms des années 1990 pour laquelle l’avocat de Charles Onana demande si on pouvait considérer que c’était en réaction aux attaques du FPR, Florent Piton répond qu’il ne s’agissait que d’un prétexte.

L’avocat a notamment cité une phrase dans un entretien de Florent Piton pour la revue des « Etudes arméniennes ».

En résumé, Charles Onana impressionne à tort avec ses sources, qui sont piochées ça et là, très loin d’un corpus cohérent.

L’intervention de Marie-Jeanne Rutahisire

Marie-Jeanne Rutahisire est citée par Charles Onana. D’ethnie Hutu, elle affirme avoir été témoin de massacres par le FPR en 1994. Elle affirme qu’au début du génocide, elle ne pouvait pas savoir qu’il y avait des massacres étant donné qu’elle était restée chez elle après l’attentat. Elle raconte sa vie en détail, la maladie de son bébé et les médicaments qu’elle emprunte au voisin, etc. En avril 1994 elle n’a pas été témoin des massacres [de Tutsi] et elle a vu des gens tués par le FPR. Mais elle aurait surtout vu beaucoup de déplacés. Après avoir dû fuir sa maison, elle affirme n’avoir aperçu aucune barrière.

Pour Marie-Jeanne Rutahisire, les écrits de Charles Onana constituent de bonnes bases des recherches pour tous ceux qui n’ont pas d’espace pour en parler publiquement.

Interrogée par la Présidente, Marie-Jeanne Rutahisire avoue ne pas avoir lu l’ouvrage en cause.

Marie-Jeanne Rutahisire n’a pas lu l’ouvrage en cause.

La présidente lui explique la poursuite : « Contestation de l’existence d’un crime contre l’humanité, en l’espèce un crime de génocide ». Elle lui lit quelques-unes des phrases incriminées.

Marie-Jeanne Rutahisire affirme ne pas voir en quoi les passages incriminés constituent une négation du génocide. Selon elle, « Charles Onana ne le nie pas mais il y a d’autres communautés qui ont été tuées et dont on ne parle pas ».

Des avocats des parties civiles la questionnent sur son évacuation par le FPR et s’il y avait une distinction entre Hutu et Tutsi.

Marie-Jeanne Rutahisire répond que non, pas de distinction.

Question d’une avocate : si elle a dans un premier affirmé avoir vu le FPR tuer des civils, elle a été incapable de le raconter.

Marie-Jeanne Rutahisire semble ne pas comprendre la question sur ses incohérences d’un témoignage à l’autre.

La Présidente lui repose la question.

La témoin déclare alors qu’elle n’aurait pas assisté à des tueries de civils par le FPR.

L’avocat de Charles Onana intervient et évoque sa situation de veuve hutu et le fait qu’en tant que telle elle n’avait le droit à considération.

Le témoignage de James Gasana

Le dernier témoin de la journée est James Gasana, ministre de l’Agriculture de 1990 et 1992 puis ministre de la Défense jusqu’à sa fuite du Rwanda en juillet 1993. Il dit que l’attaque du FPR du 7 février 1993 a cassé l’opposition démocratique et a ouvert la voie vers le génocide.

Il explique qu’en cette période, le gouvernement avait porté son attention sur la situation des réfugiés et leur retour au Rwanda. En tant que membre du gouvernement, il a observé que le FPR refusait de participer aux négociations et qu’il souhaitait s’accaparer du pouvoir par la guerre.

Selon James Gasana, à chaque avancée vers la paix, le FPR multipliait les actes terroristes.

Il estime que le livre de Charles Onana ne conteste pas la réalité du génocide. Lui-même dans ses investigations a démontré qu’il y a eu des tueries numériquement plus importantes [de Hutus] que ce que l’on dit. D’après un rapport du ministère de l’Intérieur – qu’il apporte -, il y aurait eu plus de 2 100 000 victimes des événements qui ont suivi le 6 avril 1994. Il a également affirmé qu’il y avait derrière cela l’idée de planification. Ce génocide serait le résultat de nombreux facteurs, notamment les problèmes rencontrés durant les négociations de paix au début des années 1990.

____________________________

[1] Pour une analyse juridique du délit en cause, voir :
https://www.leclubdesjuristes.com/justice/genocide-au-rwanda-un-proces-pour-negationnisme-a-paris-7265/

[2] Trois des témoins, Jean-Claude Lafourcade, Johan Swinnen et Florent Piton ont publié des livres traitant du génocide commis contre les Tutsi du Rwanda. : Général Jean-Claude Lafourcade (avec Guillaume Riffaud) « Opération Turquoise, Rwanda 1994 », Ed. Perrin, Paris, 2010 ; Johann Swinnen (en flamand), “Rwanda mijn verhaal” (« Rwanda, mon histoire), Ed. ‎Pelckmans, Bruxelles, 2016 ; Johann Swinnen, « Résilience: Crise des Grands Lacs : témoignages d’une fratrie rwandaise après l’attentat du 6 avril 1994 » Alice Nsabimana, Johann Swinnen 6 avril 2022, sur Kindle), Florent Piton, « Le Génocide des Tutsi du Rwanda », Ed. La Découverte, Paris, 2018.

[3] Cf. le livre de François Bazin, « Le Sorcier de l’Elysée, l’histoire secrète de Jacques Pilhan », Ed. Plon, 2009. Le journaliste Jean-François Dupaquier soupçonne, sans en apporter la preuve, que c’est Jacques Pilhan qui a inventé le concept de « double génocide » en 1994 pour détourner l’attention des responsabilités de François Mitterrand au Rwanda.

[4] Après l’ouverture en 2005, à l’initiative de rescapés rwandais, d’une information judiciaire pour complicité de génocide et de crimes contre l’humanité visant des militaires français ayant participé à l’opération Turquoise, le général Lafourcade qui était alors le commandant en chef de Turquoise a été placé sous le statut de témoin assisté – un statut intermédiaire entre simple témoin et mis en examen – par les magistrats instructeurs. Il est suspecté d’avoir eu pour mission de voler au secours du régime génocidaire hutu en déroute, au détriment des rescapés tutsis.

[5] Voir
https://www.france-turquoise.com/association-france-turquoise/

[6] Début 2007 trois officiers supérieurs, français ont été appelés à témoigner devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda siégeant à Arusha en faveur d’au moins un des accusés du procès Militaires 1. Ce procès concernait quatre militaires de haut rang des ex-Forces armées rwandaises (FAR) : le Colonel Théoneste Bagosora, ancien Directeur de cabinet du ministre de la Défense, le Général Gratien Kabiligi, ancien Chef des opérations militaires des FAR, le Lieutenant Colonel Anatole Nsengiyumva, ancien Commandant du secteur opérationnel militaire de Gisenyi et le Major Aloys Ntabakuze, ancien Commandant du bataillon para commando.

Pas vraiment fiers de l’exercice, les trois hauts gradés français ont exigé de témoigner à huis-clos. Le ministère français de la Défense s’était opposé à leur déplacement en Tanzanie pour « protéger leur sécurité ». Sous pseudonyme, ils ont témoigné en vidéo-conférence. Ils ont obtenu qu’un représentant du ministère de la Défense soit présent à l’audience et puisse opposer un véto à toute question qu’il jugerait « tendancieuse ».

Si le huis clos ne permet par de connaitre les débats, il semble que l’essentiel de la déposition des trois hauts gradés français constituait un témoignage en faveur du général Gratien Kabiligi, qui a été acquitté.

[7] Inexact : le mot génocide ne figure pas dans l’ordre d’opération de Turquoise.

[8] Spécialiste en électronique, l’Américain Arthur Butz, 91 ans, a inventé l’algorithme qui porte son nom et qu’il a fait connaître en 1969. Il enseigne la théorie de la régulation et du traitement numérique du signal à l’université Northwestern depuis 1974. Il est principalement connu en tant que militant négationniste pour son livre dont on peut traduire le titre comme suit : “le canular du XXe siècle”, publié en 1976 dans lequel il nie le génocide juif.

[9] Né à Mont-Saint-Aignan en 1944, Eric Delcroix, 80 ans, avocat au barreau de Paris, est surtout connu pour son action en faveur des négationnistes de la Shoah. D’abord militant pour le mouvement d’extrême droite Ordre nouveau, il s’est fait connaître ensuite pour des causes de liberté d’expression impliquant surtout des auteurs négationnistes. En 1979, il défend Robert Faurisson puis Henri Roques en 1986. Farouche opposant aux lois mémorielles, il a notamment publié « La Police de la pensée contre le révisionnisme. Du jugement de Nuremberg à la loi Fabius-Gayssot », Colombes, RHR, 1994 ».

[10] Ernst Zündel, né le 24 avril 1939 à Bad Wildbad (Bade-Wurtemberg) et mort le 5 août 2017 dans la même ville, était un éditeur néonazi allemand.

[11] Les termes « Hutsi » ou « Hutsie » n’ont pas grande signification. Avant le génocide, c’est ainsi qu’étaient stigmatisés des hommes ou des femmes sur qui pesait le soupçon de ne pas révéler leur véritable ethnie tutsi.

[12] Florent Piton, « Le Génocide des Tutsi du Rwanda », op. cit.

[13]Florent Piton avec Françoise Imbs, « Emmanuel Ntezimana (1947-1995). Être historien et citoyen engagé au Rwanda », Toulouse, Presses universitaires du Midi, 2021.

[14] Nous avons demandé à Florent Piton le paragraphe en cause qui n’a pas été cité à l’audience. Le voici :

« 6 avril 1994, 22 heures, centre administratif de Nkuli, une commune du nord-ouest du Rwanda à la frontière de l’ancien Zaïre. Une heure et demie plus tôt, l’avion présidentiel de Juvénal Habyarimana a été abattu par deux tirs de missiles au moment d’achever sa descente sur l’aéroport de Kigali. Peu après que l’information a été diffusée sur les ondes de la Radio-télévision des mille collines (RTLM), une radio libre très proche des milieux extrémistes créée un an plus tôt, une réunion est improvisée au bureau communal. Il ne s’agit pas d’un banal rassemblement de cadres comme il s’en tient régulièrement dans l’administration mais d’une rencontre à la tonalité martiale, où certains participants se rendent en tenue militaire. Autour de Juvénal Kajelijeli, ancien bourgmestre de la commune voisine de Mukingo et l’un des hommes forts de la région, une dizaine de personnalités sont présentes parmi lesquelles le président local du parti présidentiel, le Mouvement républicain national pour la démocratie et le développement (MRND), un responsable du parti extrémiste Coalition pour la défense de la république (CDR), un ancien adjudant-chef des Forces armées rwandaises (FAR), le brigadier communal et son adjoint, ainsi que l’encadreur jeunesse de la commune, par ailleurs responsable des interahamwe, la milice du parti présidentiel. Juvénal Kajelijeli est l’un des premiers à prendre la parole. D’emblée, il attribue l’attentat au Front patriotique rwandais (FPR) et réactive la menace de l’extermination pour les Hutu :
S’ils tuent un président […], automatiquement, le reste de la population, et surtout les intellectuels, devraient être tués. […] Vous voyez ici, derrière, derrière dans la cellule de Kinyababa, derrière le bâtiment communal, il y a des Tutsis. Et vous savez très bien que ce sont les Tutsis qui ont abattu l’avion présidentiel ; et qu’est-ce que vous attendez pour éliminer l’ennemi ? Vous voulez qu’ils abattent eux-mêmes encore un autre membre du gouvernement, ou bien un autre de l’administration [Propos rapportés par le témoin GDD durant l’audience du 3 octobre 2001 devant la Chambre de première instance dans l’affaire Juvénal Kajelijeli contre Le Procureur (affaire n° ICTR-98-44A).]

À l’issue de cette prise de parole, le même Juvénal Kajelijeli téléphone au camp militaire voisin de Mukamira pour que des armes soient apportées à la commune de Nkuli. Quelques heures plus tard, entre 5 et 6 heures au matin du 7 avril, des kalachnikovs, des grenades et plusieurs caisses de cartouches sont livrées à la barrière qui, à quelques dizaines de mètres du bureau communal, traverse la route principale, jouxtée du terrain d’entraînement des interahamwe. Une partie de ces armes est entreposée dans un bureau du bâtiment communal et l’autre distribuée aux miliciens. Les premiers groupes de tueurs commencent à ratisser les collines de la commune vers 9 heures, se dirigeant notamment vers la cellule [Ce terme désigne la plus petite circonscription administrative du pays, où plusieurs familles tutsi se sont réfugiées dans deux maisons] de Kinyababa. Quelque 80 victimes y périssent. Plus tard dans la journée, un autre massacre de grande ampleur a lieu au temple adventiste de Hesha, en même temps que des assauts sont menés dans plusieurs localités de la commune. Ainsi, si quelques tueries sporadiques ont encore lieu jusqu’au 10 avril à Nkuli, la quasi-totalité des Tutsi de la commune y sont assassinés au premier jour du génocide, le 7 avril 1994. »

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024