Fiche du document numéro 34581

Num
34581
Date
Mercredi 16 octobre 2024
Amj
Taille
30150
Sur titre
Tribune
Titre
Négationnisme et idéologie : l’enjeu d’un procès pour contestation du génocide des Tutsis
Nom cité
Mot-clé
Mot-clé
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Par Emmanuel Faye, philosophe, professeur émérite à l’Université de
Rouen Normandie [1].


Les audiences du procès de Charles Onana pour contestation de crime
contre l’humanité à propos du génocide des Tutsis au Rwanda viennent de
se dérouler, trente ans après les faits, au Tribunal de Paris du 7 au
11 octobre 2024. Ce procès a révélé une série d’interrogations. Trois
sujets différents ont été développés simultanément.

Contestation du génocide des Tutsis



Il y a tout d’abord l’objet du procès lui-même, à savoir les thèses,
considérées comme négationnistes par les parties civiles, énoncées par
M. Onana dans un ouvrage publié en 2019 sous le titre Rwanda. La vérité
sur l’opération turquoise
. L’auteur y présente le « génocide des
Tutsis
 », mis par lui entre guillemets, comme un « dogme » et une
« idéologie ».

Il soutient que « la thèse conspirationniste d’un régime hutu ayant
planifié un "génocide" au Rwanda constitue l’une des plus grandes
escroqueries du XXe siècle
 » et il parle de « l’industrie du
mensonge
 » du conflit rwandais. Alors que le Mémorial de la Shoah est
devenu de longue date un lieu de recherche historique et de mémoire
pour le génocide des Tutsis, le prévenu écrit que « le conflit et les
massacres du Rwanda n’ont rien à voir avec le génocide des Juifs !
Toute tentative […] de comparaison entre ces deux événements distincts
est abusive et déplacée
 ».

On retrouve ensuite le sujet politico-militaire, particulièrement
sensible, des conflits armés qui se poursuivent à l’Est du Congo, avec
des conséquences dramatiques pour les populations civiles. Des
affrontements qui, particulièrement depuis 2021, alimentent les
tensions diplomatiques entre les gouvernements en place à Kinshasa et à
Kigali.

A resurgi enfin plus indirectement, avec les dépositions de plusieurs
responsables militaires, la question des responsabilités lourdes, voire
de ce qu’un historien spécialiste de l’Afrique des Grands Lacs a nommé,
lors de la Mission ministérielle d’étude sur les génocides et crimes de
masse de 2017, une « complicité énorme », toujours en débat, de l’État
français dans le déroulement du génocide des Tutsis.

Manipulation politique d’un procès



Le contraste était radical entre les parties civiles, dont les avocats
et témoins appelés recentraient les débats sur l’objet du procès, à
savoir le délit de négationnisme, et le prévenu, ainsi que plusieurs
témoins appelés par la défense, qui s’efforçaient de transformer le
procès en tribune politique et l’inculpation pour contestation du
génocide des Tutsis en une attaque dirigée contre le Congo et manipulée
par le président Kagame. Cette situation confirme à quel point les
discours négationnistes ne sont jamais l’expression d’une recherche
neutre, mais toujours les instruments d’une cause idéologique et
politique.

La manipulation est devenue manifeste avec le contraste entre les
efforts de M. Onana pour se présenter devant les magistrats comme un
chercheur scientifique sans présupposés, et ses déclarations publiques
hors prétoire, qui se résument à des prises de position politiques
incendiaires dans le conflit actuel entre le Congo et le Rwanda.

Certes, on ne doit pas fermer les yeux sur ce qui se déroule
aujourd’hui dans la région des Grands Lacs. Mais il faut saluer les
efforts de la présidente du tribunal, de la procureure et des parties
civiles pour ne pas mélanger les genres et rappeler les décisions des
juridictions internationales et nationales, Tribunal pénal
international pour le Rwanda (TPIR) et cours d’assises de différents
pays, concernant le génocide des Tutsis, mis entre parenthèses par le
prévenu.

Les témoignages de plusieurs militaires français cités par M. Onana
constituaient l’une des dimensions les plus singulières de ce procès.
Ces derniers sont venus exposer et défendre leur action au Rwanda et,
pour trois d’entre eux, lors de l’Opération Turquoise, intervention
militaire organisée par la France à l’Ouest du pays entre les 22 juin et
21 août 1994.

Ces témoignages étaient sans lien direct avec l’objet du procès, même
s’ils avaient quelque relation avec le titre du livre incriminé. Ils
agissaient par conséquent comme une diversion, sinon même comme une
négation de la plainte, laquelle venait s’ajouter à la négation du
génocide, ainsi que l’a plaidé Maître Laure Heinich, avocate de
l’association Survie.

Négationnisme et idéologie



Ce qui est en jeu dans ce procès pour négationnisme n’est pourtant pas
d’établir les responsabilités politiques de l’État français, ni de
prendre position dans la situation militaire et humanitaire actuelle à
l’Est du Congo, mais de respecter la mémoire de toutes les victimes et
la souffrance des survivants d’un génocide qui a fait plus de 800 000
morts d’avril à juillet 1994.

Il s’agit également de poser une limite aux manipulations idéologiques
du passé qui continuent à nourrir les discours de haine en enflammant
les esprits. Car l’idéologie n’est pas dans la réalité, historiquement
avérée et juridiquement confirmée, du génocide des Tutsis, mais dans le
négationnisme de ceux qui la contestent. Verdict le 9 décembre 2024.

[1] Emmanuel Faye a pris part à la Mission sur les génocides et crimes
de masse de 2017 et a notamment publié Arendt et Heidegger. La
destruction dans la pensée
(Albin Michel, 2020).

Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024