Fiche du document numéro 34559

Num
34559
Date
Samedi 5 octobre 2024
Amj
Taille
333349
Sur titre
Politique
Titre
Sommet de l’OIF : Tshisekedi se fâche, Kagame s’impose
Sous titre
Le sommet de la Francophonie a été le théâtre, ce samedi 5 octobre, d’un incident diplomatique entre la France et la RDC au sujet du Rwanda.
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Mot-clé
Mot-clé
M23
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Louise Mushikiwabo, secrétaire générale de l’OIF, accueille le président Félix Tshisekedi lors du XIXe sommet de la Francophonie, aux côtés d’Emmanuel Macron et de son épouse, le 5 octobre 2024 à Villers-Cotterêts. © DR / OIF

Tout avait pourtant bien commencé. Au premier jour, la poignée de main est cordiale entre Louise Mushikiwabo et Félix Tshisekedi. La secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), rwandaise et ancienne ministre de Paul Kagame, salue le président congolais. Elle l’accueille sur le tapis rouge du château de Villers-Cotterêts, aux côtés d’Emmanuel et Brigitte Macron, à l’occasion de l’ouverture du 19e sommet de l’organisation. Louise Mushikiwabo et Félix Tshisekedi se regardent les yeux dans les yeux.

Mauvaise surprise

Si cette banale politesse est scrutée avec attention, c’est à cause de l’inimitié connue entre le chef d’État congolais et la secrétaire générale. Leurs relations sont à l’image des tensions diplomatiques qui opposent la RDC et le Rwanda en raison du soutien militaire que Kigali est accusé d’apporter aux rebelles du M23. La secrétaire générale de l’OIF n’avait pas été invitée à la cérémonie d’ouverture des Jeux de la francophonie à Kinshasa, en juillet 2023. « Je présume que ma citoyenneté rwandaise, mes origines et mon passé politique continuent de poser des problèmes en RDC », confiait-elle récemment à Jeune Afrique.

Félix Tshisekedi se présente néanmoins satisfait à l’ouverture du sommet. L’entrevue qu’il a eu, dans la matinée du vendredi 4 octobre, avec Emmanuel Macron a duré plus d’une heure et s’est très bien passée, selon les Congolais. Cependant, il aimerait que le président français se mouille un peu plus et se range du côté de son pays. « Il a condamné le Rwanda, c’est très bien, mais on lui demande de prendre des sanctions, souffle un proche de la présidence congolaise. Comme dans le dossier Algérie-Maroc, où il a choisi le Maroc. On aimerait qu’il fasse pareil. »

Mais Emmanuel Macron va surprendre les Congolais en empruntant une autre voie : invisibiliser le conflit en cours dans l’est de la RDC. « Je crois profondément que la Francophonie, oui, est un lieu où nous pouvons, ensemble, porter une diplomatie qui défend la souveraineté, l’intégrité territoriale, partout à travers la planète », lance-t-il à l’ouverture du sommet. Et de citer les grands conflits qui secouent la planète comme l’Ukraine ou Gaza. Tous, sauf un : celui en RDC.

Cette omission ne semble pas avoir de conséquence immédiate, à Villers-Cotterêts. Le président Tshisekedi suit la cérémonie jusqu’au bout et ne fuit pas ce grand raout. Mais sa patience a des limites et il tient à montrer son mécontentement dès le lendemain au Grand palais, où se poursuit le sommet.

Fâché contre Emmanuel Macron

Le bruit court bientôt que le président congolais a quitté la salle en fin de matinée et qu’il ne participe pas au huis clos. Il est représenté par Bestine Kazadi, sa ministre déléguée aux Affaires étrangères, chargée de la Coopération et de la Francophonie. Félix Tshisekedi ne participe pas non plus au déjeuner offert au Petit palais. En milieu du samedi après-midi, il est en route pour l’aéroport, fâché contre son homologue français.

« On sait tous qu’Emmanuel Macron propose de jouer un rôle de médiation, mais dans ce cas, il ne peut pas avoir de parti pris », s’agace un dignitaire congolais. Ce dernier regrette « l’effet montagne russe » de la diplomatie macroniste : un bon entretien le matin, une déception l’après-midi. Dans son discours, Emmanuel Macron disait défendre une vision du monde et des conflits où il n’y a pas de « double standard ». C’est pourtant son « deux poids, deux mesures » qui lui est désormais reproché.

Les Congolais se demandent désormais à voix haute si la France ne cherche pas à faire plaisir à Paul Kagame. « C’est un peu le sommet du Rwanda », affirme une source précédemment citée, qui dénonce l’influence supposée de Louise Mushikiwabo.

Samedi dans la soirée, la conférence de presse donne l’occasion au président Macron de jouer les démineurs. « Je n’ai été que parcellaire dans les citations [dans son discours de la veille], se justifie-t-il. Et il y a beaucoup de crises, de tensions, de situations de guerre, que je n’ai pas citées. »

Faux pas diplomatique

Le président veut tourner la page et explique qu’il n’y a pas de « malentendu ». « Il se trouve que, pendant ces deux jours, c’est le conflit sur lequel j’ai passé le plus de temps dans les réunions parallèles », se défend-il encore. Il en profite pour interpeller Louise Mushikiwabo, qui l’écoute à sa droite : « L’OIF doit jouer un rôle en soutien des efforts régionaux. »

Le chef de l’État français s’attendait à la question et il a préparé une note pour corriger son faux pas diplomatique. « Pour ce qui est de la France, nous avons toujours été clairs, et je l’ai redit aussi à l’un et à l’autre. Nous appelons au retrait du M23 et des troupes rwandaises, nous appelons aussi à procéder au démantèlement des FDLR [Forces démocratiques de libération du Rwanda] et de tous les groupes armés en RDC, et à l’arrêt des discours de haine », a repris Emmanuel Macron, en espérant être entendu par une délégation congolaise aux abonnés absents.

Elle aurait sûrement relevé qu’Emmanuel Macron appelle à la reprise « d’un processus politique avec le M23 et toutes les composantes politiques ». Un vœu pieux, alors que la partie congolaise refuse de dialoguer avec le groupe rebelle honni qu’elle juge manipulé par le Rwanda.

Kagame à l’honneur

Lors de la « photo de famille » du XIXe sommet de la Francophonie, le 4 octobre 2024. Photo by Ludovic MARIN / POOL / AFP

Lorsque Paul Kagame est reçu à Villers-Cotterêts, quelques minutes après son homologue congolais, il délaisse son ancienne ministre des Affaires étrangères pour saluer chaleureusement le président français et son épouse – le Rwandais n’est pourtant pas friand d’effusions.

Placé immédiatement au côté d’Emmanuel Macron sur la photographie de famille, Paul Kagame s’est aussi vu réserver une place de choix au dîner donné à l’Élysée, le 4 octobre. La nomination de Louise Mushikiwabo, en 2019, à la tête de l’OIF demeure une victoire diplomatique de premier plan pour l’exécutif rwandais.

Son tête-à-tête avec Emmanuel Macron, le lendemain matin, a duré plus d’une heure et coïncide avec le départ de Félix Tshisekedi du Grand palais. Le président rwandais a, au cours de cet entretien, maintenu sa position sur le conflit qui l’oppose à son voisin congolais. Il se dit ouvert au dialogue et désireux de s’attaquer « aux causes profondes de la crise », comme le confirme à Jeune Afrique une source diplomatique rwandaise. Mais le pays des Mille collines n’en démord pas : le blocage est issu, à ses yeux, de la partie congolaise, qui demande à ce que le processus de neutralisation des FDLR soit concomitant avec la levée des « mesures de défense » de Kigali.

Tout au long du sommet, Emmanuel Macron est resté très prudent sur la question, rappelant la nécessité de « sécuriser » la région et de « démilitariser chacune des parties prenantes ». Il a fini par évoquer l’implication du Rwanda, mais du bout des lèvres.

Processus au point mort

Le conflit entre la RDC et le Rwanda, qui était l’un des principaux points prévus aux discussions des deux jours de rencontre, s’est donc téléporté à Paris. La dernière réunion du processus de Luanda, le 14 septembre, s’est soldée par un échec. La ministre congolaise des Affaires étrangères, Thérèse Kayikwamba Wagner, a émis des observations sur le plan « harmonisé » proposé par la médiation angolaise, avant de s’y opposer.

« Nous nous sommes mis d’accord sur notre désaccord », résume l’une de nos sources diplomatiques. Téte António, le chef de la diplomatie angolaise, a proposé une nouvelle réunion tripartite des experts fin septembre, sans succès. Si la prochaine conférence interministérielle est prévue pour le 12 octobre, à Luanda, aucune des deux parties ne semble vouloir bouger d’un pouce.

Quant à une éventuelle rencontre entre Paul Kagame et Félix Tshisekedi, l’hypothèse semble toujours improbable. « Si c’est pour une photographie entre deux chefs d’État, cela n’a aucun intérêt, résume le ministre rwandais des Affaires étrangères, Olivier Nduhungirehe. Lorsque la situation aura été débloquée, peut-être qu’il y aura un sommet dans le cadre du processus du Luanda pour avaliser l’accord trouvé, mais pour l’instant, cela ne fait aucun sens. » « Il n’a pas été souhaité une réunion à trois que j’appelais de mes vœux », a lui-même déclaré Emmanuel Macron, évoquant une situation « précaire » et « encore un peu trop tendue ». Ce n’est en tout cas pas auprès de l’OIF que le conflit trouvera son issue.

Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024