Fiche du document numéro 34554

Num
34554
Date
Samedi 5 octobre 2024
Amj
Taille
28571
Titre
« Jacaranda » : au cœur des silences du Rwanda
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Huit ans après l’immense succès de Petit pays (Grasset, 2016), son premier roman en partie autobiographique, adapté au cinéma par Éric Barbier en 2020, l’auteur-compositeur-interprète et rappeur franco-rwandais Gaël Faye replonge de manière plus frontale dans la mémoire meurtrie du Rwanda.

Jacaranda, son deuxième roman, nous entraîne au cœur des silences ordinaires, de l’horreur enfouie et des deuils du dernier des génocides du XXe siècle.

Fils d’un Français et d’une Rwandaise exilée en France depuis le début des années 1970, Milan, 12 ans, ne sait pas grand-chose de ce pays d’Afrique dont sa mère est originaire. « Le passé de ma mère était une porte close », nous raconte-t-il. Jusqu’à ce qu’un jour de 1994, après le génocide perpétré contre les Tutsis — un million de morts en trois mois —, sa famille héberge durant quelques semaines un orphelin rwandais de son âge, Claude, « blessé pendant la guerre ».

Quatre ans plus tard, Milan atterrit avec sa mère à Kigali, la capitale, où elle n’avait pas remis les pieds depuis 25 ans. Pour l’adolescent, « [b]lanc comme neige » aux yeux des Rwandais, pendant ces deux mois d’été, le dépaysement sera total : poussière rouge, moustiques, bécosses, musique (highlife, afrobeat, funk, rumba), alcool frelaté et gamins des rues. Il y découvre aussi l’amitié et le poids des non-dits. Milan, comme on le lui rappelle souvent, ne voit rien et ne comprend pas ce qu’il voit autour de lui.

Il apprend également pendant ce premier séjour, avec stupeur, que sa mère avait toujours de la famille au Rwanda. À chacune des questions qu’il lui adresse, il se heurte à la même hostilité. Malgré tout, le pays exerce sur lui sa fascination.

Il décidera d’y retourner, à 23 ans, pour affronter et pour tenter de comprendre par lui-même ce « marécage intérieur » dans lequel les Rwandais lui semblent vivre, en consacrant son master en droit aux tribunaux populaires mis en place par le gouvernement rwandais pour juger les crimes du génocide.

Au fil du temps, au moyen de témoignages glanés ici et là auprès d’amis ou de connaissances, Milan apprendra à voir et à comprendre. Le « travail » acharné des miliciens, les massacres à la machette, les viols et les spoliations. La complicité tranquille de voisins pour qui l’idée même de vérité reste encore un scandale.

Né au Burundi d’une mère rwandaise et d’un père français, ayant grandi en France après avoir fui le pays à l’âge de 13 ans, Gaël Faye vit à Kigali depuis 2015.

En faisant le choix de s’installer au Rwanda, Milan, pour sa part, va essayer de contribuer à sa façon à la reconstruction du pays. Peut-être aussi cherche-t-il à comprendre le silence de sa mère et à exhumer des secrets familiaux.

À travers Jacaranda — du nom d’un arbre tropical flamboyant aux grappes de fleurs bleu lavande, qui devient ici un symbole de mémoire et de résilience —, au moyen de quelques personnages emblématiques et bien campés, Gaël Faye nous raconte de manière simple 30 ans de la vie de ce pays.

Capable d’émouvoir mais sans pathos, il met ici nez à nez les bourreaux et les victimes, la mémoire et le déni, le silence et la parole. À la façon d’un exorcisme.

« Nous devons continuer à raconter ce qui s’est passé pour que cette histoire se transmette aux nouvelles générations et ne se reproduise jamais plus nulle part. » C’est la clé, pense le narrateur de Jacaranda, d’une patiente et nécessaire réconciliation, où chacun est responsable de la vérité.

Jacaranda

Gaël Faye, Grasset, Paris, 2024, 288 pages

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024