En 2009, alors qu'Eugène Rwamucyo travaillait à l'hôpital de Maubeuge, une infirmière découvre que le nom du médecin figurait sur une liste de personnes recherchées par Interpol dans le cadre du génocide rwandais de 1994.
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Alors qu'il lui avait fait une remarque désobligeante sur son poids, elle avait tapé son nom sur internet. Il avait été alors mis à pied, puis licencié", écrivaient nos confrères de France Bleu Nord en octobre 2020.
Le 1
er octobre, s'ouvre aux assises de Paris le procès de cet ancien praticien nordiste venu dans la région après son départ du Rwanda. Jusqu'au 29 octobre, il sera jugé pour génocide, complicité de génocide, crimes contre l'humanité et complicité de crimes contre l'humanité, ainsi que pour entente en vue de la préparation de ces crimes. Des faits commis au Rwanda au printemps 1994.
Entre le 7 avril et le 17 juillet 1994, le Rwanda a été le théâtre du génocide des Tutsis par les Hutus. Faisant entre 800 000 et 1 million de morts.
"Je n'ai jamais tué personne"
Si les accusations sont très lourdes, le Dr. Rwamucyo a toujours nié les faits. En 2010, les journalistes de France 3 Nord Pas-de-Calais étaient allés à sa rencontre, trois mois après sa suspension de l'hôpital de Maubeuge.
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Je suis accusé de crimes imaginaires. Je n'ai jamais tué personne", se défendait-il à l'époque. Mettant au défi quiconque de trouver des preuves.
Pourtant, André Guichaoua, professeur de sociologie à Paris qui enquête sur le génocide rwandais, en possède des preuves. Il dispose notamment d'un document daté de juin 94 signé par le docteur lui-même, en sa qualité de coordinateur de groupes hutus armés.
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C'est lui-même qui se présente comme coordinateur et qui s'exprime au nom de tous les partis hutus. (...) et exhibe le titre de ce Cercle des Républicains Indépendants", un cercle armé, souligne le sociologue.
Son travail d'enquête a mené André Guichaoua a écrire un livre racontant comment le Dr Rwamucyo et deux autres médecins rwandais auraient évacué les blessés et les réfugiés tutsis de leur hôpital... En sachant que ces tutsis seraient massacrés.
Les preuves, aussi accablantes soient-elles, l'ancien médecin de Maubeuge ne les prend pas au sérieux. "
C'est de l'affabulation totale" niait-il au micro de France 3 Nord Pas-de-Calais. Pourtant, d'autres preuves vont venir s'ajouter à la publication d'André Guichaoua.
Le TPIR, tribunal international chargé de juger les génocidaires rwandais de 1994, expliquait par la voix de son porte-parole Roland Amoussouga en 2010 : "
en effet il a été suspecté que ce médecin aurait pris part aux tueries de certains de ses patients dans la zone de Butaré. Mais le TPIR dans sa stratégie d'identification des cibles, ne l'a pas considéré comme étant une cible prioritaire pour ses enquêtes."
Un procès aux assises de Paris 30 ans plus tard
Aujourd'hui âgé de 65 ans, Eugène Rwamucyo est le huitième Rwandais jugé en France pour sa participation au génocide des Tutsis. Il devra répondre devant la cour d'assises de Paris de ses agissements pendant, mais aussi avant les massacres de 1994. Il encourt la réclusion criminelle à perpétuité.
Originaire d'une famille hutue, Eugène Rwamucyo se serait rapidement rapproché du militantisme anti-tutsi au retour de ses études de médecine en Russie à la fin des années 80, rapporte l'accusation.
Il lui est reproché d'avoir soutenu et relayé les mots d'ordres des autorités nationales incitant la population à s'en prendre à la minorité tutsie dans la presse de propagande hutue, mais également lors d'un discours à l'université de Butare, en présence de Jean Kambada, Premier ministre du gouvernement intérimaire.
Selon des témoins, Eugène Rwamucyo aurait participé à l'exécution de blessés et à l'enfouissement de corps dans une fosse commune "
dans un ultime effort de supprimer les preuves du génocide" rapporte l'AFP.
Son avocat, M
e Philippe Meilhac soutient que son client "
n'était pas l'extrémiste que l'on dépeint. (...) Il ne nie pas l'enfouissement de corps mais il était médecin et il y avait des centaines de cadavres à l'air libre. Il savait comment procéder pour éviter d'ajouter une crise sanitaire à la catastrophe qui se déroulait."
Le 20 décembre 2023, un autre médecin rwandais, Sosthène Munyemana, a été condamné à 24 ans de réclusion criminelle, avec une période de sûreté de huit ans, pour génocide et crimes contre l'humanité. Il a fait appel.
Avec AFP