Souvent les mots lui manquent pour dire l'horreur dans laquelle sa vie a basculé lorsque sa famille unie et heureuse a été décimée. "
Le 7 avril, je perds ma mère, mes sœurs et frères, cinq sur sept, comment vous dire les sentiments après avoir perdu tout le monde, en un coup et partout", témoigne Félicité Lyamukuru qui a réchappé au génocide du Rwanda, qui a fait près d'un million de morts en 1994, majoritairement des Tutsis, mais aussi des Hutus modérés.
Témoigner et se battre contre le négationnisme
Elle se rend inlassablement dans les écoles depuis plusieurs années pour expliquer les mécanismes de la haine aux plus jeunes. Souvent, elle accompagne des élèves en voyage de classe au Rwanda et se rend avec eux sur les lieux des massacres. Elle forme et accompagne sur différents projets de mémoire. Trente ans après le génocide, l'un de ses combats porte sur le négationnisme, qui prospère sur les réseaux sociaux. Dans la République démocratique du Congo (RDC), le pays voisin où ont fui de nombreux génocidaires, les relations avec le Rwanda sont toujours très tendues.
Installée à Bruxelles depuis près de 25 ans, cette mère de quatre enfants détaille ce qu'ont signifié pour elle les commémorations des 30 ans post-génocide et comment elle vit avec les morts. "
C'est toujours impressionnant et douloureux (...) mais même si on a l'impression que c'était hier, quand je vois ma fille aînée de 20 ans, ça nous dit que ce n'était pas hier et que beaucoup de choses se sont réalisées..."
Si elle souffre encore chaque jour dans son corps, 30 ans, c'est "
le temps d'une génération. Aujourd'hui, vous pouvez rencontrer au Rwanda des adultes qui ont 30 ans qui n'ont pas ce rapport direct avec le génocide, décrit-elle
, c'est un espoir". Mais pour les autres, "
le temps ne change rien à ces blessures", et si "
la justice est tellement lente, elle a sa place, elle a son rôle que rien d'autre ne peut faire. Même si c'est lent, on est patient".
"Chaque fois qu'un génocidaire est jugé, c'est une justice pour plusieurs rescapés et pour les victimes."
Après un récit personnel intitulé
L'Ouragan a frappé Nyundo sorti en 2018, Félicité Lyamukuru écrit son deuxième livre, un recueil de nouvelles basées sur les témoignages de survivants du génocide, parce que "
c'est très important d'écrire, de restituer ce qui est connu. C'est une histoire pour toute l'humanité, il faut léguer à l'humanité tout ce qu'on connaît".