Citation
Silhouette solide, sourire rassurant, sanglé dans son uniforme de paracommando et arborant son grade de lieutenant-colonel : lors de toutes les
crises africaines de la fin du siècle dernier, entre la Somalie et l’Afrique
centrale, il était là. A chaque fois, Jean-Loup Denblyden, officier de réserve,
débarquait de Genève et prenait une part active aux opérations d’évacuation des
expatriés. C’est ainsi qu’à Brazzaville, en 1990, il a embarqué les Belges qui
fuyaient le Zaïre de Mobutu et que, sur le ponton du beach de Kinshasa, il nous
a poussées in extremis dans une barge qui traversait le fleuve. Jean-Loup
Denblyden est décédé mardi.
Longtemps aumônier des para-commandos, le « padre » Quertemont se souvient
que le colonel André Desmet, chef de corps de la brigade para-commando de
Flawinne, avait le réflexe d’appeler Denblyden, en raison de son sang froid et de
ses qualités d’organisateur. Ayant quitté l’armée pour travailler au Cern à
Genève, où il était responsable de la sécurité du centre de recherches nucléaire,
l’officier de réserve n‘hésitait jamais à prendre le premier vol pour se retrouver
en terrain connu. En effet, en 1945, il était né au Rwanda, où son père était
militaire, et il avait quitté l’Afrique dans les années 60 pour faire l’école des
cadets et retrouver le terrain vingt ans plus tard, au fil des crises qui se
succédaient. Des crises marquées par le danger, l’urgence, les pleurs des familles
brisées. « Il débarquait de Suisse, comme un extra-terrestre, affable, attentif,
terriblement efficace. Très vite nos paras le reconnaissaient comme l’un des leurs
et suivaient ses instructions », se souvient le « padre ».
En avril 1994, au lendemain de l’attentat contre l’avion présidentiel et après la
mise à mort des 10 Casques bleus belges, Bruxelles avait décidé d’évacuer le
contingent de para-commandos de Flawinne, mis à la disposition des Nations
unies et d’organiser le départ de tous les Belges résidant au Rwanda, religieux,
coopérants, ou simples civils qui abandonnaient leur véhicule sur le parking de
l’aéroport. Beaucoup sanglotaient en songeant à leurs amis ou collaborateurs
rwandais promis à une mort certaine, d’autres décrivaient des scènes d’horreur,
exhibaient leur passeport ou tentaient de trouver place pour leur animal de
compagnie. Denblyden, avec le titre d’« officier d’embarquement » calmait les
uns, alignait les autres dans la file d’attente, tandis que les autorités
consulaires récusaient ceux qui n’avaient pas la nationalité belge, y compris les
épouses ou les fiancées rwandaises. En douce, Denblyden fit une exception à la
règle, poussant dans l’avion Jean Birara et son neveu. L’ancien gouverneur de la
Banque nationale, un Hutu opposé aux extrémistes du régime, avait depuis
longtemps averti Bruxelles de l’imminence du cataclysme.
Après avoir mis en place l’opération « Blue Safari » (l‘évacuation des Casques
bleus), Denblyden participa à « Silver Back », organisant le départ de tous les
ressortissants belges. Le souvenir de l’évacuation de l’ETO (Ecole technique
officielle) devait le poursuivre jusqu‘à ses derniers jours : obéissant aux ordres venus de Bruxelles, les Belges, civils et militaires avaient embarqué dans les camions, abandonnant des centaines de Tutsis réfugiés dans l’établissement tandis que, de l’autre côté de la route, les miliciens brandissaient leurs machettes et attendaient le départ des « Blancs ». D’après l’un de ses collègues, « à son retour, Jean-Loup, traumatisé par ce qu’il avait vu, fut incapable de parler durant quinze jours ».
Par la suite, le Rwanda n’allait plus quitter l’ancien officier de réserve : il participa à l’aventure du Groupov qui mena à la création d’un spectacle de 5 heures, « Rwanda 94 » et fut brièvement marié avec Yolande Mukagasana, l’actrice principale. La retraite lui permit d’ouvrir le deuxième chapitre de sa vie, sans doute le plus heureux : il ne quitta plus le Rwanda, entouré de son épouse Chantal et de deux fils qu’il eut le bonheur de voir grandir jusqu’à l’adolescence.
Affable, généreux, extraordinairement documenté, il multiplia les actes de
solidarité et les témoignages en faveur du nouveau régime et dans son pays
adoptif, il était déjà, de son vivant, considéré comme un Juste.