Citation
Prof. Charles Mulinda Kabwete
Université du Rwanda
J’expose ici les sources que j’ai utilisées dans mes deux recherches, la première sur l’histoire du génocide perpétré contre les Tutsi dans les ex-communes de Gishamvu et Kibayi de la préfecture de Butare lors de mes études doctorales. La deuxième recherche post-doctorale sur le processus de réconciliation post-génocide que j’ai menée dans les districts de Nyarugenge, Bugesera, Nyamasheke, Muhanga et Karongi.
1) Les archives
Les archives se trouvaient et se trouvent toujours
- A Kigali aux archives nationales
- Dans les bureaux des ex-préfectures
- Dans les bureaux des ex-communes
- Au ministère de l’administration locale
- Dans les bureaux des districts actuels.
- En Belgique au Ministère des affaires étrangères et au Musée Royal de l’Afrique Centrale.
Types d’archives
- Il y a des documents officiels que je peux qualifier de conventionnels dans le sens où ce sont des sources que nous apprenons dans notre cursus de méthodes en histoire. Celles-ci incluent les rapports, les correspondances, les comptes rendus de réunions, les numéros de journaux anciens, les pétitions, etc.
- Il y a aussi des documents officiels et épars non conventionnels tels que les messages des pancartes, d’affiches et de journaux que les partis politiques affichaient lors de leurs manifestations politiques pendant les campagnes de recrutement de membres entre 1991 et 1994.
- Il y a les photographies et les vidéos.
- Ces archives sont en Kinyarwanda et en Français. Ceci pose problème si on est chercheur et qu’on ne connait pas une de ces langues. Nous avons des chercheurs anglophones qui se sont référés aux traducteurs seulement ou aux sources secondaires.
- Pour les archives de Gacaca, ils sont en train d’être numérisés. J’ai récemment appris que ce travail évolue très bien. Nous attendons que l’accès nous soit ouvert pour consulter les multiples informations contenues dans les cahiers et les fiches que les juges Inyangamugayo remplissaient.
Enjeux de la documentation
Il y a un article que nous avons publié avec Florent Piton, Philibert Gakwenzire ici présents et Paul Rutayisire qui revient à la manière dont nous avions eu accès aux sources pour nos recherches respectives sur le génocide perpétré contre les Tutsi.
Le ministère de l’Administration locale s’adressait en effet d’abord aux préfectures et ce sont les préfets et les sous-préfets qui, ensuite, transmettaient les messages, les politiques et les directives aux communes. Les échanges entre ces différentes entités administratives, via les rapports annuels ou trimestriels, les correspondances, etc., permettent ainsi de voir comment s’effectuait une sorte de conversation, d’échanges entre le haut et le bas, entre le centre et la périphérie. Cette logique se poursuit d’ailleurs pendant le génocide, au cours duquel les ordres sont transmis du ministère vers les préfectures, puis des préfectures vers les communes.
2) Sources orales
Les sources orales émanaient des entretiens avec les témoins des événements. Il est difficile de les appeler interviews même si j’avais une liste de questions généralement ouvertes préparées à l’avance sous forme de guide d’interview. Je les appellerais plutôt des récits de vie, parce que le témoin me relatait son expérience en tant que rescapé du génocide, ou perpétrateur du génocide, à des périodes différentes.
Ces récits de vie sont essentiellement utiles pour nous éclairer sur la manière dont le témoin rescapé a vécu les moments de violence, de discrimination et d’échappement à la mort. Le génocidaire aussi relate son rôle dans la violence à des époques différentes.
Le récit du rescapé est divisé en deux parties : il y a chaque fois la vie avant le génocide, la vie pendant le génocide, et aussi la vie après le génocide. On a comme l’impression que le témoin rescapé est aussi un historien dans la mesure où il ou elle sait périodiser les événements et les expériences. Egalement, le rescapé relate son expérience propre en tant qu’individu, c’est-à-dire ce qui lui est arrivé. Mais aussi il ou elle nous raconte comment le groupe dans lequel il se trouvait a subi la violence du génocide, a résisté à ce génocide, a fui, ou a été sauvé par le FPR ou les Hutu justes.
Et donc la plupart des rescapés savent reconstruire le récit de comment le génocide s’est déroulé dans leur milieu et contre leurs proches et contre eux-mêmes. Les rescapés savent cela parce qu’ils ont vécu tout cela. Mais plus important encore, ils se sont documentés après le génocide parce qu’ils s’efforcent de comprendre ce qui leur est arrivé, même si les causes du génocide ou les conditions de possibilité de génocide sont complexes. Et le fait de chercher à comprendre à tout prix a créé du trauma chez beaucoup de rescapés.
Alors le rescapé sait ou comprend ce qui est arrivé aux voisins et au groupe dans lequel il a pris fuite, alors qu’il n’a pas été partout et en même temps. Comment fait-il pour comprendre cela ? La plupart m’ont dit qu’ils échangeaient entre eux une fois arrivé au Burundi dans les camps des réfugiés ou à Bugesera là où le FPR les a hébergés avant la fin du génocide.
La plupart des rescapés ne rataient jamais les séances de Gacaca quand l’activité de collecte d’information Ikusanyamakuru avait commencé dans tout le pays en 2005. Et même lors des procès depuis 2006, la plupart suivaient ces séances.
C’est pourquoi le récit du rescapé est souvent narré au pluriel. Le rescapé dit : « On nous a rassemblés, ou bien on nous a chassés, on nous a poursuivi, on nous a déniché de nos cachettes, on nous a tués, on nous a exterminés. »
Ceci dit, le rescapé ne relate pas seulement les événements ou ce qui lui est arrivé, il nous offre aussi une explication, et parfois même une interprétation.
Pour le génocidaire, le récit est différent. Il est très prudent, alors il ne raconte pas son récit spontanément. Il attend patiemment et attentivement que vous lui posiez une question. Il y répond à la manière de quelqu’un qui est dans un procès. C’est-à-dire ce qu’il a préparé pour sa défense.
Je faisais la recherche au moment où les procès Gacaca se déroulaient. Alors les témoins accusés de génocide me traitaient de fonctionnaire de l’Etat ou même d’autorité parce que je leur disais que j’étais enseignant à l’université. J’ai remarqué que ce qu’ils me disaient coïncidait parfaitement avec ce qu’ils avaient raconté lors de leur procès.
3) Les publications et les films
Les ouvrages et articles sur le génocide commis contre les Tutsi deviennent de plus en plus nombreux. Ils constituent une opportunité pour le chercheur actuel. Ils sont aussi un défi car certains d’entre eux ne sont pas de recherches sérieuses, ou même ils sont écrits par des divisionnistes ou des négationnistes.
©Charles Mulinda Kabwete
[Note :]
Rutayisire, Paul, Charles Kabwete Mulinda, Philibert Gakwenzire, & Florent Piton. 2021. « Écrire l’histoire du génocide des Tutsi au Rwanda à partir de sources locales. Entretien avec Paul Rutayisire, Charles Kabwete Mulinda et Philibert Gakwenzire. » Sources. Materials & Fieldwork in African Studies: no. 3: 257–281.