Fiche du document numéro 34184

Num
34184
Date
Dimanche 5 mai 2024
Amj
Taille
903958
Sur titre
Tribune
Titre
Rwanda : « Les militaires français ont été empêchés de sauver les premières victimes et d’arrêter les génocidaires présumés », par Vincent Duclert
Sous titre
Si la tribune de Jean Glavany contribue à défendre la mémoire de François Mitterrand, elle ne relève pas de la vérité historique. Celle qui distingue le savoir scientifique et le propos militant, celle qui mobilise des sources documentaires contextualisées et qui établit des faits démontrés.
Nom cité
Nom cité
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Source
Type
Tribune
Langue
FR
Citation
En 1990, les présidents François Mitterrand et Juvénal Habyarimana, à Paris. (William STEVENS)

par Vincent Duclert, historien, chercheur et ancien directeur du Centre Raymond-Aron (CESPRA, EHESS-CNRS)

Le 26 avril, Jean Glavany, président de l’Institut François-Mitterrand, estimait dans une tribune à Libération que la vérité sur le génocide au Rwanda viendrait de la confrontation dépassionnée des interprétations. Les historiens Jean-Pierre Chrétien, Vincent Duclert et Marcel Kabanda lui répondent.

La tribune de Jean Glavany propose une vision du passé qui est peut-être sincère dans ses intentions – défendre la mémoire d’un ancien chef d’Etat –, mais qui ne relève pas de la vérité historique, celle qui émane de la recherche et que valident des règles inaliénables de méthode : distinguer le savoir scientifique et le propos militant, mobiliser des sources documentaires contextualisées, établir des faits démontrés, fonder l’interprétation sur cette connaissance exacte, ne pas suspendre la recherche parce que la réputation d’acteurs passés ou l’image présente de son pays seraient interrogées.

Le refus de la présidence Mitterrand de prendre en compte les alertes



Si l’on se fonde sur la connaissance des faits à laquelle aboutissent les travaux des historiens, la vision du passé que promeut Jean Glavany est effectivement une réécriture de l’histoire. Elle agit par omission de pans entiers de la réalité, par transformation de celle-ci, et par assimilation abusive. Parmi ces omissions : l’ampleur du soutien politique, militaire et financier au régime qui prépare un génocide comme le signalent des agents de l’Etat français (écartés ensuite de leur poste), le refus de la présidence Mitterrand de prendre en compte ces alertes, l’évacuation prioritaire de la parentèle extrémiste de l’ancien président Habyarimana le 9 avril 1994 et la réception à Paris de ministres du gouvernement génocidaire le 27, l’acharnement sur le plan international contre les forces politiques (FPR) ayant vaincu le génocide et l’entreprise de déni de celui-ci à Biarritz le 8 novembre suivant, l’indifférence aux textes internationalement signés comme la convention sur le crime de génocide du 9 décembre 1948 faisant obligation de protéger les populations menacées, etc.

La présentation des accords d’Arusha illustre pour sa part la transformation de la réalité. Car l’Elysée, bien plus de les soutenir, torpille ces accords par son soutien inconditionnel au pouvoir extrémiste de Habyarimana et à son abandon des Hutus démocrates qui les ont négociés. Quant à l’assimilation abusive, c’est de prétendre que l’important sauvetage de civils indifférenciés par l’opération Turquoise équivaut à une intervention directe pour protéger les Tutsis et neutraliser les tueurs. Rappelons une nouvelle fois que les militaires français, prêts à l’action et c’est leur honneur, ont été empêchés de sauver les premières victimes et d’arrêter les génocidaires présumés. La responsabilité en revient à l’autorité politique.

Jean Glavany réécrit donc l’histoire. Mais il s’attaque aussi à la vérité historique. La définition qu’il en donne la mène au tombeau. Jamais la vérité historique ne provient de la confrontation entre des interprétations, entre des opinions, comme si toutes se valaient. Comme si un communiqué d’institut mémoriel, une assertion sur un plateau télé valaient le travail des années durant de chercheurs aboutissant à des centaines de pages publiées d’établissement des faits, d’analyse de ceux-ci, et de mise à disposition publique de toutes les sources. La vérité historique repose sur l’étude critique des interprétations impliquant notamment de respecter la teneur des citations. La déclaration de Nelson Mandela du 5 juillet 1994 ne dit pas que la France a combattu le génocide des Tutsis.

Ils n’ont pourtant fait que leur métier



Rappeler ces évidences à Jean Glavany vaut d’être taxé, sans preuve, d’accuser François Mitterrand de complicité de génocide ou bien, comme cela apparaît clairement dans sa tribune, de «falsifier des communiqués» (la vérité historique impose de dire que les preuves existent d’un premier communiqué de l’Institut François-Mitterrand, endossé et diffusé le 7 avril dernier, avant d’être subrepticement modifié avec la disparition d’une mention d’une haute importance). Ou encore d’être dépeint comme un exalté, aux propos agressifs, seul au monde. Je reconnais là les mêmes procédés qui ont visé à l’époque du génocide le lanceur d’alerte Jean Carbonare et maintenant le grand reporter Patrick de Saint-Exupéry traîné en justice par l’ancien président de l’Institut François-Mitterrand. Ils n’ont pourtant fait que leur métier.

Monsieur Glavany peut bien employer contre moi toutes les ressources de la rhétorique, les injonctions moralisatrices et les insinuations sur ma personne, je continuerai dans la voie de la vérité historique, et rien ne m’arrêtera. C’est le sens d’être français : agir pour la vérité entière, pour l’honneur qu’elle représente lorsqu’elle est dite et qu’elle grandit alors les sociétés démocratiques. L’esprit public que Jean Glavany prend à témoin, en lui conférant une singulière et effrayante définition, je m’efforce qu’il soit rationnel, scientifique, à destination de la jeunesse à laquelle je pense et qui mérite un avenir de clarté et de connaissance. Mes recherches se poursuivent, comme celles de beaucoup d’autres.

Vincent Duclert est l’auteur de La France face au génocide des Tutsis, éditions Tallandier, 2024.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024