
t
terrandRecoi
tHabyarimanaEn1985.jpg" al
t="En 1985, à l’Elysée, les présiden
ts Habyarimana e
t Mi
tterrand. (APES
TEGUY/SIMON)" />
par Jean-Pierre Chrétien, directeur de recherches honoraire au CNRS
trong>Le 26 avril, Jean Glavany, président de l’Institut François-Mitterrand, estimait dans une tribune à Libération que la vérité sur le génocide au Rwanda viendrait de la confrontation dépassionnée des interprétations. Les historiens Jean-Pierre Chrétien, Vincent Duclert et Marcel Kabanda lui répondent.trong>
Il y a
tren
te ans, le 26 avril 1994, alors que le génocide des
Tu
tsis ba
ttai
t son plein au Rwanda, j’avais s
tigma
tisé, dans ces colonnes, la manifes
ta
tion d’un
«nazisme tropical». Il s’agissai
t de dénoncer la na
ture mensongère des explica
tions faisan
t appel à une
«sauvagerie africaine» e
t à un
«antagonisme séculaire entre Tutsis et Hutus», qui imprégnaien
t la vision des au
tori
tés e
t des médias en Europe, une vision u
tilisée par les ex
trémis
tes hu
tus du Rwanda pour couvrir une poli
tique inspirée d’un racisme s
truc
turel.
Dans sa
tribune, publiée ici le 26 avril, monsieur Glavany, s’insurge con
tre la mise au jour par la Commission d’his
toriens présidée par Vincen
t Ducler
t des
«responsabilités lourdes et accablantes» de la poli
tique menée au nom de no
tre pays au Rwanda à l’époque de la présidence de François Mi
tterrand. On no
tera que, déjà en 2014, au momen
t du 20
e anniversaire du génocide des
Tu
tsis, le même Ins
ti
tu
t François-Mi
tterrand avai
t récusé les conclusions de la mission parlemen
taire d’informa
tion de 1998 sur
«la sous-estimation du caractère autoritaire, ethnique et raciste du régime rwandais». Aujourd’hui donc, pour un quar
teron de socialis
tes fidèles à la mémoire de Mi
tterrand, la ques
tion es
t res
tée manifes
temen
t taboue. Le souci mémoriel es
t respec
table, mais il ne peu
t évacuer la mise en perspec
tive his
torique.
Personnellemen
t, je
travaille sur l’his
toire de l’Afrique des Grands Lacs depuis la fin des années 60. L’ancien royaume du Rwanda présen
tai
t des clivages claniques e
t socié
taux complexes, qui avaien
t é
té in
terpré
tés e
t manipulés en
termes racialis
tes, sous la
tu
telle belge. Dans ce
t ordre colonial par
ticulier, géré, la main dans la main, par l’adminis
tra
tion e
t les missions ca
tholiques, les
Tu
tsis é
taien
t globalemen
t définis comme une race conquéran
te de
«pasteurs hamites» e
t les Hu
tus comme une race au
toch
tone de
«paysans bantous». Les
«seigneurs tutsis» devaien
t fournir les auxiliaires de la colonisa
tion, les
«serfs hutus» é
tan
t fai
ts pour
travailler. Un Moyen Age imaginaire sous les
tropiques ! A la veille de l’Indépendance, ce
t ordre es
t renversé, avec la cau
tion des chré
tiens sociaux belges, par une
«révolution sociale», qui, malgré sa revendica
tion d’un 1789 africain, a reprodui
t, à l’envers, l’ordre racial, en faisan
t ce
tte fois des Hu
tus les seuls vrais Rwandais e
t des
Tu
tsis une minori
té fichée, discriminée e
t encadrée par un régime de quo
tas.
La moi
tié de ces derniers avaien
t dû s’exiler dans les pays voisins. En décembre 1963, un raid de ces réfugiés venus du Burundi au sud-es
t du pays, es
t suivi de massacres de
Tu
tsis, qui furen
t qualifiés de
«génocide»,
tan
t par Ber
trand Russell que par Radio Va
tican. En oc
tobre 1990, ce son
t des réfugiés de deuxième généra
tion, venus de l’Ouganda, qui pénè
tren
t au nord du pays, sous l’égide du Fron
t pa
trio
tique rwandais (FPR). Ce
tte ouver
ture d’un fron
t de guerre civile s’accompagne, ce
tte fois, du réveil d’une large opposi
tion hu
tue à l’in
térieur du pays, confron
tée à une crise économique e
t sociale majeure. Sous ce
tte double pression, relayée par de for
tes sugges
tions régionales e
t in
terna
tionales, y compris celles de la France, qui avai
t volé à son secours immédia
temen
t, le présiden
t Juvénal Habyarimana es
t amené à accep
ter le mul
tipar
tisme en 1991, puis à former un gouvernemen
t de coali
tion en 1992. Par ailleurs, des con
tac
ts on
t é
té é
tablis en
tre l’opposi
tion in
térieure e
t le FPR e
t des négocia
tions von
t s’ouvrir à Arusha, en
Tanzanie. Celles-ci déboucheron
t sur des accords de paix e
t de par
tage du pouvoir en aoû
t 1993.
Deux émissaires du gouvernement génocidaire reçus à Paris
Nous ne développerons pas davan
tage sur ce con
tex
te,
tan
t héri
té du passé que né de l’ac
tuali
té, sur lequel exis
ten
t de nombreuses publica
tions sérieuses en France e
t en Belgique. Mais un aspec
t,
to
talemen
t éludé par monsieur Glavany, es
t précisémen
t celui de la dimension poli
tique in
térieure. En effe
t, dès 1992, une double op
tion se présen
te clairemen
t au Rwanda, en
tre ceux qui jouen
t le jeu de la démocra
tisa
tion e
t de l’ouver
ture e
t ceux qui en
treprennen
t de raviver la haine raciale con
tre les
Tu
tsis, afin, comme l’affichai
t dès 1991 le périodique ex
trémis
te
Kangura, de
«régler définitivement la question des cafards tutsis» par la mache
tte. Or, le gouvernemen
t de no
tre pays a, hélas, choisi d’appuyer les par
tisans de ce
tte deuxième voie.
Commen
t ? En res
tan
t obs
tinémen
t silencieux sur la na
ture des pogromes déclenchés dans le pays dès 1991, no
tammen
t ceux du Bugesera en mars 1992, pour
tan
t dénoncés par la presse d’opposi
tion hu
tue, puis ceux du nord du pays au débu
t de 1993, qui conduisen
t au rappor
t accablan
t d’une mission d’enquê
te de la FIDH. En remercian
t même Jean-Bosco Barayagwiza, leader d’une fac
tion ouver
temen
t racis
te, la Coali
tion pour la défense de la République (CDR), pour un message de sou
tien adressé à l’Elysée en aoû
t 1992. En feignan
t d’ignorer le
tex
te sur la
«définition de l’ennemi», diffusé par l’é
ta
t-major des FAR en sep
tembre 1992, qui ciblai
t l’ensemble des
Tu
tsis. En suggéran
t que la CDR devai
t ê
tre incluse au processus de par
tage du pouvoir. En recevan
t le 27 avril à Paris deux émissaires du gouvernemen
t génocidaire. En guise d’analyse poli
tique, on se con
ten
tai
t, à Paris, d’une e
thnographie à l’ancienne :
«les Hutus» face aux
«Tutsis», 85 %
vs 15 %. En oublian
t plus de quaran
te ans d’un apar
theid à la rwandaise. Ce re
tour au poli
tique, digne de ce nom, fu
t au cœur de mon argumen
taire, car l’his
torien es
t sensible aux si
tua
tions, fai
tes de con
tinui
tés e
t de rup
tures.
Comprendre l’aveuglement des autorités françaises
In fine, même si on peu
t se refuser,
a priori, à penser que des au
tori
tés de no
tre pays aien
t pu consciemmen
t sou
tenir un proje
t de génocide, la moindre des exigences es
t de comprendre les mo
tifs de l’aveuglemen
t qui les a amenées de fai
t à appuyer ma
tériellemen
t e
t moralemen
t les responsables d’une poli
tique menan
t à un génocide. De fai
t, on n’emploie pas facilemen
t ce
terme lourd de sens e
t moi-même, je ne l’ai employé qu’en mars 1993 dans la revue
Esprit. Mais, con
trairemen
t à ce que ressassen
t les par
tisans du déni, nous sommes un cer
tain nombre à ne pas avoir a
ttendu sa perpé
tra
tion pour parler de la menace d’un génocide, ce qui explique mon indigna
tion quand j’ai rédigé mon ar
ticle sur le
«nazisme tropical».
Le déni de ce
tte odieuse réali
té s’es
t poursuivi de plus belle après sa perpé
tra
tion e
t sur
tou
t en
tre les 10
e e
t 20
e anniversaires. Ces années de plomb on
t é
té marquées par l’abracadabran
tesque
«enquête» du juge Bruguière qui ramenai
t tou
t à l’a
tten
ta
t con
tre l’avion de Habyarimana. En écho, on a assis
té à une mobilisa
tion de por
te-voix, média
tisés sans réserve sur les pla
teaux audiovisuels comme sur les é
tals de la Fnac. Leur mo
t d’ordre é
tai
t de
traîner dans la boue
tous les chercheurs e
t les
témoins, qui avaien
t osé poser les ques
tions que je viens de rappeler. Nous n’aurions é
té que des impos
teurs à la bo
tte du FPR ! Nous avons choisi, pour reprendre une expression de l’his
torien Jean-Pierre Vernan
t, de
«ne pas discuter de cuisine avec des anthropophages».
Des paroles claires, non des regards nocturnes
Pour
tan
t, cela m’avai
t profondémen
t meur
tri. Mes collègues du CNRS savaien
t à quel poin
t j’avais consacré ma vie à la recherche his
torique. J’ajou
terai que j’avais é
té un élec
teur en
thousias
te de François Mi
tterrand, en 1981 e
t en 1988, e
t que, long
temps je me demandais naïvemen
t : «
Si le président savait ?» On sai
t aujourd’hui, par son biographe Jean Lacou
ture, qu’il adhérai
t à la vision africanis
te d’an
tan. Le piège cul
turel avai
t hélas fonc
tionné e
t il é
tai
t légi
time de se demander commen
t la République française avai
t pu sou
tenir en Afrique une poli
tique d’ex
trême droi
te ?
Je pense, en
terminan
t, à mes anciens é
tudian
ts,
tan
t hu
tus que
tu
tsis, qui on
t é
té vic
times, eux e
t leurs familles, de ces
tueries, en ajou
tan
t que c’es
t bien
tou
t le peuple rwandais, Hu
tus y compris, qui a é
té pris en o
tage par une logique racis
te e
t que no
tre honneur, aujourd’hui, es
t de l’aider à s’en débarrasser par des paroles claires e
t non des regards noc
turnes.
trong>Jean-Pierre Chrétien est l’auteur de : Combattre un génocide. Un historien face à l’extermination des Tutsis du Rwanda (1990-2024), Bordeaux, Le Bord de l’eau, 2024.trong>