Fiche du document numéro 34172

Num
34172
Date
Lundi 8 avril 2024
Amj
Taille
916624
Titre
Rwanda : « Je reconnais les lieux où nous nous étions cachées. » Rescapée du génocide des Tutsis, Beata Umubyeyi Mairesse raconte « Le Convoi »
Sous titre
Rescapée du génocide des Tutsis au Rwanda, Beata Umubyeyi Mairesse, une écrivaine bordelaise a choisi de témoigner de son parcours, intimement lié à celui de dizaines d’autres “enfants des convois”, dans son dernier ouvrage “Le Convoi”. Un témoignage qu’elle relie au traitement de l’information et de l’histoire par les pays occidentaux.
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FR
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Beata Umubyeyi Mairesse a écrit « Le Convoi » qui retrace le parcours des enfants sauvés par des humanitaires, du génocide des Tutsis au Rwanda. • © France 3 Aquitaine

J’ai eu la vie sauve. Le 18 juin 1994, quelques semaines avant la fin du génocide contre les Tutsi, j’ai pu fuir mon pays grâce à un convoi de l’organisation humanitaire suisse Terre des hommes. J’avais alors 15 ans.” Par ces mots, Beata Umubyeyi Mairesse débute son dernier livre, “Le Convoi”, sélectionné au prix France Télévisions. Son ouvrage mêle enquête, récits intimes et collectifs, et réflexions sur les médias.

Retrouver sa trace



Une facette de l’histoire méconnue, capturée par les caméras de journalistes présents sur place. “On nous avait vus dans un reportage diffusé sur la BBC. Pendant 15 ans, j’ai cherché la trace de ces images et des photos”, explique l’écrivaine bordelaise. Elle et son mari se lancent alors dans une enquête qui va durer quinze ans. “On a envoyé un mail à un premier journaliste, qui nous a redirigé vers son collègue qui va nous remettre un documentaire qu’il a réalisé”, raconte Beata Umubyeyi Mairesse.

Sur les images, aucune trace d’elle ni de sa mère, toutes deux sauvées lors de ce convoi d’humanitaires suisses. “Mais je reconnais les scènes, les lieux où nous nous étions cachées”. Un second journaliste lui envoie, quelque temps plus tard, quatre photos du convoi, sans qu’elle ne se reconnaisse.

L’enquête reprend finalement lorsque l’écrivaine rencontre un Tutsi qui a, lui aussi, été sauvé grâce à un convoi “de la vie”, de la même ONG. “Je me suis dit qu’il s'agissait peut-être d’un des enfants sur les images et qu’il voudrait peut-être les voir”.

C’est comme un puzzle. On commence souvent par le cadre, les contours, et ensuite ça continue petit à petit pour révéler une image complète. Beata Umubyeyi Mairesse, auteure de "Le Convoi"

Partager son histoire, celles aussi, de dizaines d’enfants sauvés par ces humanitaires se concrétise alors. “Ce sauvetage a été organisé par une poignée de personnes qui ont réalisé quelque chose d’immense, à un moment où tout le monde nous avait abandonnés. Cette histoire, personne ne l’a racontée”, argumente l’auteure.

Mémoires, souvenirs, son livre “continue encore de s’écrire” se réjouit Beata Umubyeyi Mairesse. “De nouvelles personnes me contactent, d’autres enfants des convois, des humanitaires, des personnes qui possèdent des clichés de ces événements.

Entre 800 000 et un millions de Tutsis sont morts lors du génocide au Rwanda, en 1994. • © France 3 Aquitaine

Responsabilité française



Ce jeudi 4 avril, Emmanuel Macron a réaffirmé la responsabilité de la France dans le massacre génocidaire des Tutsis en 1994. Pour l’écrivaine, cette reconnaissance est primordiale. “On sait que si les militaires belges et français venus sauver leurs ressortissants, ainsi que les casques bleus, ne s’étaient pas retirés, on aurait pu éviter ce génocide”, avance Beata Umubyeyi Mairesse.

Une responsabilité qui s’étale après ces actes de crimes contre l’humanité. “Il y a eu une sorte d’omerta, en France et notamment à Bordeaux, où, le maire (Alain Juppé NDLR) était le ministre des Affaires étrangères de l’époque”, rappelle l’auteure.

La question de la responsabilité, Beata Umubyeyi Mairesse la pose aussi aux journalistes. “Lors de mes recherches, je me suis rendu compte que ces éléments d’histoire étaient peu accessibles en occident. En réalité, ce sont les journalistes qui ont raconté cette histoire, à destination des occidentaux. Ça a amené une réflexion autour de la place des survivants dans le récit du génocide”, indique l’auteure.

Chaque année, le 7 avril, une cérémonie est organisée à Kigali, pour commémorer le génocide des Tutsis. Cette année, cela fera 30 ans. • © France 3 Aquitaine

Figurants de leur propre histoire



Un traitement qu’elle interroge, dans la dernière partie de son ouvrage. “J’aimerais qu’il soit lu dans des écoles de journalisme pour qu’ils réfléchissent à ce qu’ils font de ces images, est-ce qu’ils ont bien compris la réalité ?”, s'interroge-t-elle, regrettant parfois que ces victimes deviennent parfois “les figurants” de leur propre histoire.

Elle y questionne aussi les erreurs journalistiques de l’époque. “Il y a beaucoup d’images de camps hutu qui ont été diffusés pour parler des victimes, parce qu’il n’y avait presque aucune image du génocide en lui-même. C’est incroyable, il y a une vraie question de déontologie ici”, explique Beata Umubyeyi Mairesse.

Il a peut-être fallu attendre trente ans et tous ces témoignages et cette littérature pour que la société soit prête à entendre. Beata Umubyeyi Mairesse, auteure de "Le Convoi"

Pour éduquer à l’histoire et au récit de ce génocide, Beata Umubyeyi Mairesse veut favoriser “l’écoute que la société peut avoir quant à la parole des survivants”. Pour diffuser ce message, l’écrivaine participait ce 5 avril à l’Escale du livre à Bordeaux. Elle se rend également régulièrement dans des classes pour témoigner. “Les ados sont dans une grande écoute. Je leur explique comment rester vigilants, face à des discours d’extrême-droite, et face au racisme décomplexé”.

Son ouvrage, publié aux éditions Flammarion, a été nommé au Prix Essai de France Télévisions. Les gagnants seront annoncés le 29 mai prochain.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024