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Il faut parfois des décennies et des hommes d’une génération nouvelle pour qu’un pays regarde en face les périodes sombres de son histoire. Plus d’un demi-siècle s’était écoulé entre la rafle du Vél’ d’Hiv de 1942 et la reconnaissance, en 1995, par Jacques Chirac, de la responsabilité de la France dans la déportation des juifs, niée par son prédécesseur François Mitterrand. Le degré supplémentaire que vient de franchir Emmanuel Macron dans l’acceptation de la responsabilité de Paris dans le génocide qui a coûté la vie à 800 000 Tutsi au Rwanda en 1994 constitue une autre manifestation de ce long processus qui conduit à sortir d’un lourd déni national.
Le président de la République, en affirmant que la France « aurait pu arrêter » les massacres mais « n’en a pas eu la volonté», franchit, de façon salutaire, un seuil nouveau à l’occasion du 30e anniversaire du génocide qui débuta le 7 avril 1994, au lendemain de l’attentat contre le président hutu Juvénal Habyarimana, soutenu par Paris.
Déjà, le 27 mai 2021, à Kigali, Emmanuel Macron avait, lors d’un discours historique s’appuyant sur le rapport de l’historien Vincent Duclert, reconnu solennellement la « responsabilité accablante [de la France] dans un engrenage qui a conduit au pire ». Il s’était abstenu de parler de culpabilité ou de complicité. Cette fois, en insistant sur l’absence de volonté de stopper le génocide, le chef de l’Etat se fait plus précis : le défaut de volonté qu’il met en cause renvoie implicitement aux errements de la politique de François Mitterrand dans son soutien au régime génocidaire.
Qu’il semble loin, le temps où, en 1998, la mission d’information parlementaire dirigée par Paul Quilès s’était contentée d’évoquer une France « mithridatisée face à un contexte dont elle a sous-estimé la gravité », et avait conclu que le pays n’était « nullement impliqué ». Longtemps marquées par une hostilité réciproque confinant à la haine, les relations entre la France et le Rwanda n’ont commencé à se dégeler que lorsque Nicolas Sarkozy, en 2010, à Kigali, a reconnu « des graves erreurs d’appréciation » et « une forme d’aveuglement » de la part de la France. Emmanuel Macron, lui, a inscrit la réconciliation avec le Rwanda parmi ses priorités africaines, à la croisée de sa politique de réparation mémorielle et d’une diplomatie qui voit le pays dirigé d’une main de fer par Paul Kagame comme une success story économique et un acteur politique de poids en Afrique.
Le président de la République, en délivrant son nouveau message par une vidéo postée sur les réseaux sociaux sans se rendre lui-même aux commémorations organisées par Kigali dimanche, entend sans doute marquer sa distance avec un régime dont la France a condamné officiellement l’implication dans les combats qui font rage dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), frontalière du Rwanda. Une manière de signifier que la réconciliation par la mémoire ne vaut pas blanc-seing pour aujourd’hui.
Emmanuel Macron, dont la politique de vérité sur les pages dérangeantes de l’histoire coloniale et postcoloniale française se heurte à bien des obstacles politiques − face à l’extrême droite − et diplomatiques − face à l’Algérie −, a raison de poursuivre dans cette voie. Si la lucidité sur le passé, vertu propre aux régimes démocratiques, ne constitue nullement une garantie contre les égarements du présent, elle doit servir à s’en préserver.