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«Sur ce génocide […] je crois avoir tout dit», affirme Emmanuel Macron dans une vidéo, très attendue, diffusée ce dimanche 7 avril lors des cérémonies qui commémorent les trente ans du génocide des Tutsis au Rwanda. Faisant référence au discours qu’il avait prononcé il y a trois ans à Kigali, capitale du Rwanda, le président français, qui s’adresse au peuple rwandais, a ensuite précisé : «Je n’ai aucun mot à ajouter, aucun mot à retrancher».
Rien à «ajouter» ? Voilà qui ressemble fortement à un rétropédalage. Car jeudi soir, l’Elysée avait lâché une petite bombe, en distillant certains éléments de langage censés figurer dans cette vidéo. Et plus précisément cette phrase : «La France, qui aurait pu arrêter le génocide avec ses alliés occidentaux et africains, n’en a pas eu la volonté.» Jamais des propos attribués à un dirigeant français n’avaient été aussi accablants sur le rôle trouble joué par la France, avant comme pendant le génocide au Rwanda. Il faut croire que ces déclarations préliminaires n’ont pas plu à tout le monde.
Lettre ouverte
Dès vendredi, le général Jean-Claude Lafourcade, qui commandait l’opération Turquoise déclenchée par Paris au Rwanda fin juin 1994, s’était d’ailleurs publiquement insurgé dans une lettre ouverte. Reprenant mot à mot la phrase qui fâche, il martèle qu’elle n’est pas «acceptable pour les soldats» qui ont participé à cette opération militaro-humanitaire, pourtant très ambiguë.
Car si l’opération Turquoise a sauvé des Tutsis, alors que les massacres étaient hélas quasiment achevés, elle a aussi, surtout, permis de laisser fuir l’armée génocidaire en déroute et le gouvernement de l’époque. En les laissant se réinstaller avec armes et bagages de l’autre côté de la frontière, au Zaïre, aujourd’hui rebaptisé république démocratique du Congo (RDC). Ce choix de laisser filer les responsables d’un régime allié de la France va se révéler lourd de conséquences pour l’instabilité de la région, jusqu’à aujourd’hui.
Le général Lafourcade n’est certainement pas le seul responsable de l’époque à avoir exprimé son mécontentement à l’Elysée, parmi tous ceux qui continuent à vouloir défendre à tout prix les décisions prises entre 1990 et 1994. Celles qui ont conduit Paris à soutenir aveuglément un «régime raciste», comme l’avait qualifié la commission d’historiens mandatée par Macron, dans ses conclusions publiées en avril 2021.
Maladresses
Emmanuel Macron avait alors montré qu’il savait prendre ses distances avec les zones d’ombre du passé. En mandatant la commission d’historiens dirigée par Vincent Duclert et chargée d’examiner les archives françaises sur cette période, il avait rompu avec le déni dans lequel s’enfermait trop souvent la classe politique française.
Mais déjà, à cette époque, son initiative inédite d’ouvrir les archives avait conduit à quelques compromis. Le rapport Duclert, qui n’a pas eu accès à celles de l’Assemblée nationale, se révélera très timide sur l’opération Turquoise. Et tout en dénonçant des «responsabilités lourdes et accablantes» pour la France au Rwanda, précisera ne pas avoir trouvé d’élément permettant de conclure à une éventuelle «complicité» française dans la tragédie rwandaise. Préférant évoquer un «aveuglement» des dirigeants de l’époque.
En suggérant une absence de «volonté» à arrêter le génocide, les propos présidentiels auraient en revanche constitué un pas supplémentaire vers le soupçon de complicité. Pour de nombreux chercheurs, elle est pourtant évidente. Et les experts américains mandatés par Kigali pour examiner le rôle de la France au Rwanda, également en 2021, avaient pour leur part conclu que «la France avait rendu possible un génocide prévisible».
Certes, dans cette vidéo diffusée dimanche pendant la cérémonie de commémoration à l’Unesco à Paris, le président français réaffirme sa volonté de poursuivre la réconciliation franco-rwandaise, et d’encourager le travail des historiens sur ces années de plomb. «Le passé doit continuer d’être analysé, étudié par nos historiens», souligne-t-il. Mais les maladresses d’une communication un peu erratique, qui énoncent le jeudi ce qui ne sera plus évoqué le dimanche, suggèrent également que les pressions sont encore suffisamment fortes dès qu’il s’agit de regarder, dans le rétroviseur, ce passé encore en partie tabou.