Fiche du document numéro 34011

Num
34011
Date
Lundi 8 avril 2024
Amj
Auteur
Taille
105308
Sur titre
Édito
Titre
Génocide au Rwanda : le « fail » mémoriel d’Emmanuel Macron
Sous titre
Vidéo d’hommage introuvable à l’heure de la 30e commémoration du génocide contre les Tutsi, éléments de langage « fuités » par l’Élysée avant d’être rétractés… Le président Emmanuel Macron a raté le coche ce 7 avril 2024.
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
« Nous n’avons rien compris. En mai 2021, au moins, c’était clair. » Tout en understatement, une source officielle rwandaise commente off the record, ce dimanche 7 avril 2024, la cacophonie entourant depuis le matin le discours « virtuel » du président Emmanuel Macron à l’occasion de « Kwibuka 30 », la commémoration du génocide perpétré contre les Tutsi en 1994.

Il faut dire qu’en cette occasion solennelle, la posture du chef de l’État français était particulièrement scrutée. À Kigali, pour la traditionnelle cérémonie organisée chaque 7 avril – laquelle a débuté, comme à l’accoutumée, par un hommage aux victimes au mémorial de Gisozi, avant de se poursuivre devant 5 000 invités au BK Arena –, nombre de chefs d’État et d’officiels de haut rang avaient répondu à l’appel du président Paul Kagame.

Mise en cause depuis le début des années 1990 pour son rôle controversé aux côtés du régime de Juvénal Habyarimana, qui avait entamé très tôt une dérive progressive vers le projet d’extermination de la population tutsi, puis dans un soutien plus discret, voire occulte, au régime dit « intérimaire » qui a supervisé l’extermination de près de 1 million de civils, d’avril à juillet 1994, la France porte dans ce drame un rôle à nul autre pareil sur la scène internationale.

« La France n’a pas compris qu’en voulant faire obstacle à un conflit régional ou une guerre civile, elle restait de fait aux côtés d’un régime génocidaire » Le président français, Emmanuel Macron, Kigali, le 27 mai 2021

Emmanuel Macron, après un premier discours à Kigali, le 27 mai 2021, tendant vers une reconnaissance des « responsabilités lourdes et accablantes » documentées dans le rapport Duclert deux mois plus tôt, allait-il franchir un nouveau cap symbolique à l’occasion de « Kwibuka 30 » ? « La France n’a pas compris qu’en voulant faire obstacle à un conflit régional ou une guerre civile, elle restait de fait aux côtés d’un régime génocidaire. En ignorant les alertes des plus lucides observateurs, la France endossait une responsabilité accablante dans un engrenage qui a abouti au pire, alors même qu’elle cherchait précisément à l’éviter », avait-il alors déclaré, enfonçant davantage le clou planté par Nicolas Sarkozy au même endroit 11 ans plus tôt.

Une attitude qui tourne au fiasco

Malheureusement, l’attitude du président français à l’occasion de cet événement majeur dans l’histoire tourmentée de la République française en Afrique a tourné au fiasco.

Le premier impair tient à son absence à Kigali, où tant d’autres dignitaires venus du monde entier ont fait le déplacement ce 7 avril. Dans un contexte bilatéral particulièrement tendu entre Kigali et Kinshasa, « il y a eu un lobbying incroyable de la part des autorités congolaises pour faire capoter la venue du président Macron à Kigali », assurait à JA, en mars, une source bien informée sur le dossier franco-rwandais.

Tour à tour, trois tentatives avaient été envisagées pour associer le président français à l’événement, à Kigali. Prétextant un empêchement lié à la commémoration de la résistance au Plateau des Glières puis à la Maison d’Izieu, Emmanuel Macron avait d’abord décliné l’invitation transmise par la présidence rwandaise pour assister à la cérémonie officielle inaugurant la période des commémorations. Une contre-proposition avait ensuite été formulée par Kigali pour qu’Emmanuel Macron assiste au colloque international tenu dans la capitale rwandaise le 5 avril. « Mais l’Élysée a une nouvelle fois invoqué une impossibilité liée à son agenda », ajoute notre source.

Décision avait donc été prise de dépêcher au Rwanda le ministre français des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné. En termes protocolaires, Emmanuel Macron visait donc un petit cran au-dessus de Jacques Chirac qui, en 2004, avait quant à lui mandaté Renaud Muselier, secrétaire d’État aux Affaires étrangères. Aux côtés de Stéphane Séjourné, dans la délégation française, le secrétaire d’État chargé de la Mer, Hervé Berville, lui-même né au Rwanda en 1990 et évacué du pays par l’armée française au début du génocide.

« Quand la phase d’extermination totale contre les Tutsi a commencé, la communauté internationale avait les moyens de savoir et d’agir et la France, qui aurait pu arrêter le génocide avec ses alliés occidentaux et africains, n’en a pas eu la volonté », propos d’Emmanuel Macron transmis à l’avance par l’Élysée, le 4 avril 2024

Mais jeudi 4 avril, en milieu d’après-midi, la communication élyséenne s’emballe. L’équipe d’Emmanuel Macron adresse à plusieurs journalistes couvrant l’Afrique au sein de rédactions parisiennes quelques éléments de langage censés figurer dans une allocution enregistrée que le chef de l’État doit rendre publique le 7 avril, en signe de solidarité. « Le président de la République a tenu à s’exprimer ce dimanche par une vidéo qui sera publiée sur ses réseaux sociaux », écrit notre interlocuteur. Emmanuel Macron « rappellera notamment que, quand la phase d’extermination totale contre les Tutsi a commencé [le 7 avril 1994], la communauté internationale avait les moyens de savoir et d’agir […] et que la France, qui aurait pu arrêter le génocide avec ses alliés occidentaux et africains, n’en a pas eu la volonté », ajoute-t-il.

Une citation reprise largement par les médias

Le mea culpa contenu dans cette dernière phrase est discutable. Car la singularité du rôle de la France n’est pas tant de ne s’être pas interposée au moment où les massacres ont commencé, le 7 avril 1994, mais d’avoir soutenu envers et contre tout, malgré de nombreux signaux d’alerte parvenus jusqu’au sommet de l’exécutif et de l’état-major des armées, le régime rwandais qui se préparait à perpétrer l’extermination des Tutsi. La phrase marque toutefois une avancée dans le discours officiel français, ce dont plusieurs médias rendent comptent dès le lendemain, vendredi 5 avril.

Pourtant, quarante-huit heures plus tard, tandis que les cérémonies officielles débutent à Kigali, le script écrit de l’intervention du président Macron adressé aux journalistes français suivant le dossier franco-rwandais a de quoi surprendre. D’abord, parce que ce dernier, en guise de discours mémoriel, se borne à renvoyer sèchement à sa précédente intervention, sans même se sentir obligé d’en réitérer les termes. « Je crois avoir tout dit le 27 mai 2021, quand j’étais parmi vous. Je n’ai aucun mot à ajouter, aucun mot à retrancher de ce que je vous ai dit ce jour-là », indique ainsi le président français.

Ensuite, parce que nulle part, dans cette courte intervention, il n’est fait allusion à la phrase présentée par l’Élysée trois jours plus tôt comme constituant l’armature de ce discours attendu par tous ceux, notamment Rwandais et Français, qui documentent depuis trois décennies la question épineuse du rôle de la France au Rwanda au début des années 1990. La phrase en question, qui a pourtant déjà amplement circulé dans les médias français, est absente du script élyséen, sans explication aucune.

Last but not least, la vidéo dont la présidence française assurait qu’elle serait rendue publique le 7 avril au matin sur ses réseaux sociaux n’y figurait toujours pas le 8 avril, dans l’après-midi, à l’heure où ces lignes étaient écrites – pas plus sur X que sur Facebook ou YouTube.

Le 7 avril, on sait seulement qu’elle a été projetée au siège de l’Unesco, à Paris, lors de la commémoration coorganisée avec l’ambassade du Rwanda en France. En fin d’après-midi, le même jour, elle s’est par ailleurs retrouvée postée sur X par le site d’information rwandais Igihe. Et la chaîne de télévision publique rwandaise en a eu, elle aussi, la primeur.

Une levée de boucliers chez les tenants de la ligne dure

Mais manifestement, la fuite organisée en amont par l’Élysée d’éléments de langage choisis – pourtant relativement aseptisés – auprès de certains médias a suscité, en coulisses, une levée de boucliers chez les tenants de la ligne dure sur le dossier « France-Rwanda », rétifs à toute mise en cause du rôle de Paris avant comme pendant le génocide. Et ces réactions outragées ont eu raison de l’intention initiale du chef de l’État, laquelle lui est revenue comme un boomerang – traduisant tristement l’ampleur du malaise qui continue d’entourer ce dossier côté français.

Le 7 avril, le socialiste Jean Glavany, président de l’Institut François Mitterrand – longtemps présidé par Hubert Védrine, qui occupait la fonction de secrétaire général de l’Élysée à l’époque des faits et défend infatigablement l’honneur de l’ancien président français dans ce dossier – dénonce une « communication hasardeuse, ainsi que l’absence de démenti clair […] de nature à créer de la confusion sur la position du président ». Lui-même vient alors de constater que la vidéo d’Emmanuel Macron circulant sous le manteau ne comporte pas les passages à ses yeux outrageants annoncés par les médias.

De son côté, le général (à la retraite) Jean-Claude Lafourcade, ancien commandant en chef de l’opération Turquoise (déclenchée au Rwanda par la France le 22 juin 1994, avec l’aval de l’ONU), avait diffusé dès le 5 avril une mise au point courroucée ressassant le déni farouche de certains officiers supérieurs français quant au rôle de la France au Rwanda, régulièrement qualifié de « complicité de génocide ».

Fiasco de la communication présidentielle française

Au-delà du fiasco en matière de communication présidentielle française – dont un membre du staff élyséen contacté par JA tentait, sans forcément convaincre, d’assumer l’entière responsabilité, ce 8 avril –, l’épisode de la « vidéo fantôme » d’Emmanuel Macron sur le Rwanda est venu rappeler à ceux qui en auraient douté combien le mal reste profond dans ce dossier pourtant ancien.

La moindre reconnaissance de responsabilité, fût-elle formulée de manière édulcorée, semble encore relever de la torture pour les décideurs français, trente ans après les faits. Et dans l’ombre, les protagonistes de cette page sombre de l’histoire de la France en Afrique demeurent déterminés à faire perdurer éternellement le mythe d’une France irréprochable au temps du génocide et de ses prodromes.

Par un tweet à la fois laconique et allusif posté le 7 avril, en fin d’après-midi, Yolande Makolo, la porte-parole du gouvernement rwandais, renvoyait ironiquement la balle de l’autre côté du filet : « C’est aussi parfois très opportun de ne rien dire du tout. Peut-être même préférable. »

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024