Fiche du document numéro 33959

Num
33959
Date
Samedi 6 avril 2024
Amj
Taille
2645571
Titre
Rwanda : « La France aurait pu arrêter le génocide »
Sous titre
Pour l’Elysée, Paris et ses alliés « n’ont pas eu la volonté » d’empêcher le massacre des Tutsi qui a commencé le 7 avril 1994
Nom cité
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Lieu cité
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Lieu cité
RDC
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Dimanche 7 avril, le président de la République, Emmanuel Macron, ne sera pas à Kigali dans la tribune d’honneur lorsque son homologue rwandais, Paul Kagame, allumera la flamme du souvenir au Mémorial de Gisozi pour marquer les 30 ans du génocide perpétré contre les Tutsi en 1994. A cette heure-là, le chef de l’Etat français rendra hommage, en Haute-Savoie, aux résistants français du plateau des Glières durant la seconde guerre mondiale. Il avait fait de même il y a cinq ans.

A défaut d’être présent, « le président de la République s’exprimera dimanche [7 avril] par une vidéo qui sera publiée sur ses réseaux sociaux », a indiqué l’Elysée. « Le chef de l’Etat, selon les “éléments” envoyés à la presse sur WhatsApp, jeudi 4 avril, rappellera notamment que quand la phase d’extermination totale contre les Tutsi a commencé, la communauté internationale avait les moyens de savoir et d’agir, par sa connaissance des génocides que nous avaient révélée les survivants des Arméniens et de la Shoah, et que la France, qui aurait pu arrêter le génocide avec ses alliés occidentaux et africains, n’en a pas eu la volonté. » Pour la présidence, cette démarche s’inscrit dans la continuité du travail mémoriel engagé à l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir, en 2017.

« Seul succès diplomatique »

A Kigali, le 27 mai 2021, le chef de l’Etat français avait, dans un discours historique, reconnu la « responsabilité accablante [de la France] dans un engrenage qui a conduit au pire », mais sans aller jusqu’à évoquer une quelconque « culpabilité » ou « complicité ». Des mots qui ne sont toujours pas employés. En soulignant l’absence d’intention à arrêter le génocide, le chef de l’Etat rappelle toutefois l’incapacité des opérations militaires françaises au Rwanda à empêcher la commission des crimes, l’apathie américaine durant les massacres et la déficience des Nations unies qui retirèrent la quasi-totalité de ses casques bleus.

En privé, plusieurs diplomates français s’interrogent sur l’agenda du président français. « Pourquoi ne pas venir à Kigali pour ce moment historique alors qu’il est le président français qui a relancé les relations bilatérales franco-rwandaises dès son élection en 2017 ? », demande l’un d’eux. Son absence serait-elle le signe d’une légère crispation entre les deux pays après ce que plusieurs officiels n’hésitaient pas à qualifier de « lune de miel » ? Interrogé sur cette absence, Paul Kagame avait feint l’indifférence, dans un entretien publié le 25 mars par le média spécialisé Jeune Afrique : « Ils [les Français] peuvent décider de ne pas venir du tout ou d’envoyer qui ils veulent. » « Ils » seront bien là, à haut niveau, représentés par le ministre des affaires étrangères, Stéphane Séjourné, et Hervé Berville, le secrétaire d’Etat chargé de la mer, né au Rwanda. En janvier, Paul Kagame avait envoyé une invitation à son homologue français.

Mais l’actualité de ces derniers mois ne vient-elle pas polluer cette relation ? Les affrontements armés dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) ne seraient pas étrangers à l’absence d’Emmanuel Macron, dimanche, à Kigali. Dans la province du Nord-Kivu, frontalière du Rwanda, un groupe armé rebelle, le M23, est en effet repassé à l’offensive en novembre 2021. Depuis, Kinshasa insiste – en vain à ce jour – pour que la communauté internationale sanctionne le Rwanda accusé d’envoyer des soldats se battre aux côtés des rebelles congolais. Kigali continue de nier son implication.

Le 20 février, pourtant, la France a officiellement « condamn[é] la présence des forces rwandaises sur le territoire congolais » et demandé leur retrait. Pour la première fois, Paris condamnait Kigali depuis la reprise de l’offensive du M23, rejoignant la position américaine.

Le Quai d’Orsay ajoutait toutefois dans le même communiqué que « les forces armées de RDC doivent cesser toute collaboration avec les FDLR [Forces démocratiques de libération du Rwanda], mouvement issu des milices ayant commis le génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda en 1994 ». La précision n’est pas anodine. Car Paul Kagame l’a dit dans son entretien avec le magazine Jeune Afrique : « Un pays qui condamnerait le M23 mais passerait sous silence le cas des FDLR ne saurait être audible. » Tout se passe comme si chacune des deux parties évitait d’aller trop loin dans les condamnations après tous les efforts mutuels fournis depuis 2017 pour réchauffer leurs relations.

A l’heure où le sentiment antifrançais s’exprime ouvertement en Afrique de l’Ouest et au Sahel, « le rapprochement avec le Rwanda est peut-être le seul succès diplomatique français majeur [sur le continent] ces dernières années », juge un ancien ambassadeur français en poste dans la région.

Paris avance donc avec prudence. « Au lendemain de l’élection d’Emmanuel Macron, les relations étaient au plus bas, on partait de rien », se rappelle Sira Sylla, ancienne députée (Renaissance) de Seine-Maritime – de 2017 à 2022 –, qui présida le groupe d’amitié parlementaire France-Rwanda-Burundi. A l’époque, l’Elysée avait hérité d’un dossier miné non seulement par le rôle de la France avant et pendant le génocide mais également par le traitement judiciaire français de ce drame.

Fin 2006, le juge Jean-Louis Bruguière avait en effet lancé des mandats d’arrêt internationaux contre neuf membres de l’entourage de Paul Kagame. Le magistrat français avait été saisi par les familles des Français morts dans l’attentat contre le président Juvénal Habyarimana, le 6 avril 1974, qui avait lancé les cent jours de génocide. Dans la foulée, début 2007, le Rwanda avait rompu ses relations diplomatiques avec la France.

« Dégeler la situation »

Les premiers signes du rapprochement apparaissent au début du quinquennat de Nicolas Sarkozy, sous l’impulsion, notamment, de son ministre des affaires étrangères, Bernard Kouchner. Puis sous la présidence de son successeur à l’Elysée, François Hollande (2012-2017), la relation bilatérale stagne. Emmanuel Macron, lui, « se donne pour objectif de dégeler la situation sur deux fronts distincts mais reliés : reprendre les relations diplomatiques et dénouer la controverse en France sur le rôle de [Paris] dans le génocide », écrit Etienne Smith dans un numéro de Politique africaine consacré aux relations entre les deux pays (Karthala, deuxième trimestre 2022).

Ce dernier point se traduit par la création de la commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda présidée par l’historien Vincent Duclert. La remise de son rapport, en 2021, soulignant des « responsabilités lourdes et accablantes » de la France est un tournant. La réconciliation est actée en mai de la même année par le voyage officiel d’Emmanuel Macron à Kigali. Dans la foulée un ambassadeur français est nommé. L’Agence française de développement accélère la mise en œuvre de son plan de coopération technique et financière de 500 millions d’euros qui fait de la France le deuxième bailleur bilatéral du Rwanda derrière les Etats-Unis.

Paris n’a pas ménagé ses efforts pour renouer les liens avec un Etat africain qui joue un rôle politique sur le continent sans commune mesure avec son poids, très limité, sur le plan économique (169e PIB mondial) et démographique (14 millions d’habitants sur un territoire grand comme la Belgique).

« Le Rwanda est un modèle de gouvernance et l’incarnation de la success story subsaharienne. C’est un modèle économique très attractif », explique-t-on dans l’entourage du président français. « Quitte à passer sous silence les violations des droits humains par le régime autoritaire de Paul Kagame », regrette Clément Boursin, responsable Afrique à l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture.

Quatre mois seulement après son élection, Emmanuel Macron a rencontré son homologue rwandais à New York, en septembre 2017, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies. En mai 2018, Paul Kagame vient à Paris pour une visite officielle. C’est l’occasion d’officialiser la candidature de Louise Mushikiwabo, alors ministre rwandaise des affaires étrangères, à la tête de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF).

« C’est une idée des conseillers Afrique de la présidence française et un coup de maître », confie une ancienne fonctionnaire de l’OIF. « Le Rwanda, qui a rejoint le Commonwealth en 2009, au plus bas des relations avec la France, hésitait au début. Une fois convaincu du projet, le rouleau compresseur de la diplomatie rwandaise s’est mis en marche pour rallier les présidents africains, fascinés par ce pays et son autoritarisme éclairé », ajoute notre source de l’OIF.

Sous le signe du pragmatisme

En 2022, dans une démarche comparable, la France parvient à faire nommer Valentine Rugwabiza, autre diplomate rwandaise chevronnée, en février 2022, à la tête de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en République centrafricaine (Minusca). A ce moment-là, la société de sécurité russe Wagner est au sommet de sa puissance en République centrafricaine (RCA). La France, quant à elle, est déjà largement désengagée du théâtre centrafricain, en proie à une guerre civile. Elle s’apprête à rapatrier ses derniers soldats de son ancienne colonie.

La Minusca, déployée depuis 2014, cristallise l’hostilité des Centrafricains. Une hostilité liée à son incapacité à stabiliser la situation, à protéger la population, aux scandales sexuels et à de la contrebande. « L’Elysée ne veut pas laisser le champ libre à Wagner et se dit que la nomination d’une Rwandaise renforcera la Minusca. On se dit alors que s’ils [Russes et Centrafricains] veulent déstabiliser Valentine Rugwabisa, c’est Paul Kagame qu’ils auront au téléphone et ce ne sera pas facile pour eux », raconte un diplomate au centre du dossier.

En RCA, Emmanuel Macron et Paul Kagame, pour des raisons différentes, partagent la même approche : trouver des solutions africaines aux problèmes africains qu’ils jugent mieux adaptées que les grandes, lourdes et coûteuses missions internationales de paix. Le Rwanda sert cet objectif. « Les efforts déployés par Kigali en RCA et au Mozambique où les forces rwandaises ont contribué à contenir une insurrection djihadiste, ont permis au pays de gagner en réputation », écrivent ainsi les auteurs d’un rapport d’International Crisis Group publié le 7 juillet 2023 intitulé « Le rôle croissant du Rwanda en République centrafricaine ».

Le Mozambique est en effet un autre théâtre militaire sur lequel s’expriment ces nouvelles relations franco-rwandaises placées sous le signe du pragmatisme. Là, dans la province septentrionale du Cabo Delgado, cible de groupes djihadistes, se situe le mégaprojet gazier de TotalEnergies. Quelque 3 000 soldats et policiers rwandais y sont déployés qui, en plus de la lutte antiterroriste, assurent aussi la protection des investissements de la major française (une dizaine de milliards d’euros). En échange, la France a convaincu les autres membres de l’Union européenne de financer en partie ce déploiement par une enveloppe de 20 millions d’euros accordée, en 2022, dans le cadre du mécanisme de Facilité européenne pour la paix.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024