Au Rwanda, émerge aujourd'hui une génération qui n’a pas connu le cauchemar du génocide. La moyenne d’âge n’y est que de 19 ans et demi. Le pays se redresse économiquement même s’il reste pauvre. Après l’enfer vécu par la génération des grands-parents et des parents, la jeunesse peut et doit de nouveau regarder devant. Vers quel avenir ? C'est toute la question.
"Quand on regarde aujourd'hui les collines, personne ne peut s'imaginer ce qui s'est passé"
Incontestablement, la jeunesse reste imprégnée de son histoire traumatique. Cela se devine au métier choisi par Sarah et Ariella, deux adolescentes de l’école francophone de Kigali. "
J'aimerais devenir psychologue", affirme la première. "
Parce qu'au Rwanda, les gens ont beaucoup de dignité, ils ne viennent pas te parler de leurs problèmes, c'est presque un sujet tabou. Donc ce serait mieux s'ils s'exprimaient un peu plus". Ariella, elle, se voit journaliste. Sa professeure de français a déclaré en cours que "
personne ne sait qui a abattu l'avion du Président Habyarimana", le 6 avril 1994. "
Donc j'ai envie de poser cette question aux gens. Juste savoir un tout petit peu pour pouvoir raisonner moi-même", justifie-t-elle.
Le génocide, Sandrine Umutoni l’a vécu en France où elle faisait ses études. De son retour à l’automne 1994, elle garde l’image d’un pays en sang. Depuis le mois d’août dernier, à un peu plus de 40 ans, elle est secrétaire d’État à la Jeunesse du Rwanda. "
Quand je regarde aujourd'hui les collines, personne ne peut s'imaginer ce qui s'est passé", raconte la jeune ministre. C'est, pour elle, un nouveau Rwanda qui a à cœur de ne plus jamais revivre ça. "
Le devoir que nous avons par rapport aux jeunes, c'est de dire 'voici ce que nous avons vécu'. Mais nous ne voulons pas ça pour vous. Et pour que ça ne se reproduise plus, voici ce que nous allons mettre en place".
Tous Rwandais
La genèse des massacres, ses ignobles conséquences, sont enseignées aux élèves à partir de 11 ans. Il n’y a plus de mention ethnique sur les pièces d’identité, plus officiellement de Tutsis ni de Hutus, mais juste des Rwandais. Le passé malgré tout s’invite encore dans les discussions au lycée ou à l’université.
Sylvie, 25 ans, donne des cours au centre mémorial Gisimba à Kigali. "
Ça n’est pas honteux de ne pas avoir de parents, même s’ils ont été tués… Mais on en discute. Tu sais que j’avais une grand-mère ? Je n’ai pas eu la chance de pouvoir lui faire un câlin… alors que d’autres enfants ont leurs parents. Mais ça va…" Aujourd’hui, 65% des Rwandais ont moins de 30 ans, ils n’ont donc pas connu l’horreur. Mais l'unité reste au cœur de l’enseignement ! "
Nous ne devons absolument pas oublier, mais nous ne devons pas vouloir nous venger", insiste-t-elle.
Le défi est double pour cette jeune génération rwandaise : ne pas oublier le passé, le digérer, mais surtout.... travailler ! Arthur Germont, le directeur de l’Agence française de développement à Kigali, regarde les chiffres : 300.000 enfants naissent au Rwanda chaque année. "
Et 300.000 enfants, c'est l'équivalent d'un District supplémentaire", note-t-il. Quand il compare le nombre de jeunes qui arrivent sur le marché de l'emploi et le nombre d'emplois créés, il constate qu'il y a un fossé. Le Rwanda réfléchit à sa stratégie quinquennale "
et il semblerait que l'axe fort sera la jeunesse et l'enjeu de l'emploi pour cette jeunesse", selon Arthur Germont.
20% des jeunes sont aujourd’hui au chômage. Le défi consiste à les former, tout en perfectionnant le système éducatif. "
Oui, nous devons offrir des perspectives d’emploi", admet Sandrine Umutoni. "
Mais cette génération doit s'impliquer. Ce qu'on dit aux jeunes, c'est 'vous n'avez aucune excuse. Vous n'avez pas à aller vous battre dans les volcans, vous avez un pays stable en sécurité'. Nous ne devons pas les décevoir, mais ne pas trop les chouchouter non plus. Leur temps, c'est maintenant !" martèle-t-elle.
À la jeunesse de dépasser l’histoire maudite pour garantir la cohésion du pays. Le symbole le plus fort en ce sens, c’est probablement l’humble retour des mariages mixtes, entre Hutus et Tutsis. "
Les gens se mélangent, ils se marient même, ils font même des cérémonies, sans considérer la question de l’ethnie", témoigne Kenny, 20 ans, étudiant à Kigali. Ces mariages mixtes étaient encore inimaginables il y a dix ans au Rwanda.