Par Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, correspondant)
La cour d’assises de Bruxelles a reconnu deux Rwandais coupables de crimes de guerre et de crimes de génocide, vendredi 22 décembre. Séraphin Twahirwa, 66 ans, a été condamné à la détention à perpétuité, et son arrestation immédiate a été ordonnée. Pierre Basabose, 76 ans, sera interné en raison d’un état de déficience mentale. L’énoncé de la peine a suscité un incident, l’un des avocats du premier accusé s’en prenant aux membres du jury.
Les deux hommes étaient des proches du régime dirigé à l’époque par le président Juvénal Habyarimana. Le procès a démontré qu’ils étaient au cœur de la machine génocidaire mise en branle après l’attentat du 6 avril 1994, qui avait entraîné la mort de M. Habyarimana et de son homologue burundais, Cyprien Ntaryamira.
L’avion des deux dirigeants avait été abattu par un missile à l’approche de l’aéroport de Kigali. Un événement qui marqua le déclenchement du génocide des Tutsi et le massacre des opposants hutu, et provoqua de 800 000 à 1 million de morts.
Ce procès, le sixième du genre en Belgique, s’est tenu au titre de la loi de compétence universelle pour les crimes de droit international commis à l’étranger par des personnes ayant leur résidence en Belgique. Pierre Basabose avait obtenu le statut de réfugié politique avant une enquête plus approfondie des services de l’immigration ; Séraphin Twahirwa était en séjour illégal après un rejet de plusieurs demandes d’asile.
Le procès qui s’est achevé aura, plus que les précédents, mis en lumière l’importance du viol comme une autre arme des génocidaires : Séraphin Twahirwa, alias «
Président », «
Raïs » ou «
Kihebe » – ce dernier terme signifiant à la fois «
terroriste » et «
sans pitié » –, devait aussi répondre d’au moins une douzaine de viols. Et c’est la première fois que certaines victimes étaient confrontées à leur agresseur.
Très violent et cruel
Des femmes ont, pour la plupart à huis clos, livré des récits glaçants de viols commis devant des enfants et des maris avant que les victimes soient tuées, transpercées, parfois enterrées vivantes. «
Ce sont des témoignages qui nous hanteront pour toujours », commente M
e Michèle Hirsch, l’une des avocates des parties civiles.
Des témoins ont raconté que Séraphin Twahirwa avait en fait commencé à violer les femmes des Tutsi considérés comme des complices du Front patriotique rwandais, après une attaque menée de l’Ouganda par ce parti, en 1990. Pendant le génocide, mentionnait l’acte d’accusation, il demandait à des miliciens Interhamwe, des extrémistes hutu qu’il dirigeait dans la région de Kigali, de lui ramener des femmes tutsi. Il viola ainsi une femme qui était sa collègue avant le génocide, puis la tua de sang-froid lors du déclenchement de celui-ci.
Fils d’un policier, membre de la famille de l’épouse du président Habyarimana, ce qui lui offrit de puissantes protections, l’accusé a été décrit comme très violent et cruel. Un ancien ministre réfugié en Suisse, James Gasana, a raconté qu’il avait été contraint à la démission et à la fuite par la présidence pour avoir refusé d’interférer dans une procédure judiciaire qui visait M. Twahirwa, soupçonné d’un homicide.
Dès le matin du 7 avril 1994, les miliciens aux ordres de M. Twahirwa étaient passés à l’action. Le frère de son épouse, une Tutsi, pensait ainsi être protégé en regroupant sa famille chez un ami dont le domicile était, sur ordre de Twahirwa, protégé par les Interhamwe. Ce n’était en fait qu’une tactique pour rassembler des Tutsi : trois semaines plus tard «
le Président » débarquait avec des hommes armés, n’épargnant même pas les membres de sa famille. Un témoin a affirmé que trente personnes avaient été assassinées à cette occasion.
Le gouvernement rwandais actuel, qui avait émis un mandat d’arrêt international à l’encontre de Séraphin Twahirwa – il a quitté le pays pour la République démocratique du Congo en 1994 et est arrivé en Belgique en 2006 – l’a replacé sur la liste des principaux génocidaires.
Aide à la réalisation matérielle du génocide
Pierre Basabose, un ancien militaire devenu membre de la garde présidentielle, puis entrepreneur, était, lui, un financier du Mouvement républicain national pour le développement et la démocratie, le parti présidentiel, et des Interhamwe, auxquels il était accusé d’avoir livré des armes.
Cet homme, présenté comme le « supérieur » de Twahirwa, était lui aussi mis en cause pour avoir aidé à la réalisation matérielle du génocide. Il était, par ailleurs, actionnaire de la Radio-télévision libre des Mille Collines, surnommée aussi « Radio-télévision la Mort » ou « Radio Machette », a rappelé M
e Maureen Lambert, une autre avocate des parties civiles. La station fut célèbre pour avoir répandu la haine à l’égard de la population tutsi et avoir diffusé des appels au meurtre durant le génocide.
Pierre Basabose avait établi des listes de personnes à éliminer, organisé des contrôles, ordonné des attaques à la grenade, puis donné l’ordre de creuser des fosses communes. Son avocat, qui a plaidé la démence de son client et refusé en bloc tous les arguments du parquet ainsi que tous les témoignages désignant Basabose comme une cheville ouvrière du génocide, a échoué à le faire échapper aux poursuites. Si Pierre Basabose n’avait pas été interné, il aurait sans doute été condamné à une lourde peine, le procureur ayant requis vingt-cinq années de détention.
Les psychiatres et le jury ont estimé que le septuagénaire était, en tout cas, parfaitement conscient au moment des faits. «
Il n’a peut-être pas tué de ses propres mains, mais il n’a pu qu’être éclaboussé par le sang des victimes », avait plaidé M
e Lambert.