Fiche du document numéro 33537

Num
33537
Date
Mercredi 24 janvier 2024
Amj
Taille
214550
Titre
Une enquête pour « génocide » ouverte contre un ancien gendarme rwandais réfugié en France
Sous titre
Les investigations ont été confiées à l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité. Elles visent un ancien officier de la gendarmerie rwandaise, dont Mediapart avait révélé la présence en France depuis des années. L’intéressé conteste tout acte répréhensible dans le passé.
Nom cité
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Une enquête préliminaire pour « génocide » a été ouverte, à la fin 2023, contre un ancien lieutenant-colonel de la gendarmerie rwandaise par le pôle crimes contre l’humanité du Parquet national antiterroriste (PNAT), a appris Mediapart de sources concordantes. Les investigations ont été confiées à l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité (OCLCH), une unité spécialisée de la gendarmerie. À Kigali, la capitale du Rwanda, l’Autorité nationale des poursuites publiques (NPPA, l’équivalent du parquet général du pays) dit de son côté ne pas avoir encore été sollicitée officiellement à ce sujet par ses homologues français.

En mai 2019, Mediapart avait raconté que le gendarme de 69 ans, dénommé Jean-Marie Vianney Nzapfakumunsi, résidait en France alors qu’il était visé, au Rwanda, par des accusations pour son éventuelle implication dans le génocide des Tutsis, qui a fait près de un million de morts en 1994. Jean-Marie Vianney Nzapfakumunsi avait démenti tout acte répréhensible dans la tragédie rwandaise.

Illustration 1Agrandir l’image : Illustration 1
Jean-Marie Vianney Nzapfakumunsi. © Photomontage Armel Baudet / Mediapart

Arrivé en France en 1997, Jean-Marie Vianney Nzapfakumunsi a été naturalisé français en novembre 2004 sous le nom de « Munsy ». Il s’était, dans un premier temps, vu refuser l’asile par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), qui avait estimé qu’il existait « des raisons sérieuses de penser [qu’il] s’[était] rendu personnellement coupable de crime de génocide ou de complicité de génocide ». Mais il avait ensuite obtenu gain de cause devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) qui avait annulé la décision de l’Ofpra et lui avait accordé le statut de réfugié.

Ces dernières années, plusieurs personnes ont témoigné publiquement contre Jean-Marie Vianney Nzapfakumunsi, notamment devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), chargé par l’ONU de juger entre 1995 et 2015 une partie des responsables du génocide.

Selon un témoin protégé entendu par le TPIR, l’une des principales figures de l’opposition rwandaise de l’époque, Landoald Ndasingwa, aurait téléphoné à Jean-Marie Vianney Nzapfakumunsi au matin du premier jour du génocide, le 7 avril 1994 à 6 h 45, pour lui demander la protection de la gendarmerie. Quelques minutes après ce coup de téléphone, des gendarmes auraient commencé à tirer sur la maison de l’homme politique, avant de l’exécuter ainsi que sa femme, canadienne, et ses deux enfants.

Les principales accusations à l’encontre de Jean-Marie Vianney Nzapfakumunsi portent sur le rôle qu’il aurait ensuite joué dans la localité de Nyange, située à 75 kilomètres à l’ouest de Kigali. Alors qu’il affirme pour sa part être resté confiné dans un camp militaire de la capitale, les habitants de sa région le soupçonnent d’avoir en réalité pourvu en armes et en boissons la population de Nyange avant de déclencher, d’encourager et de superviser le génocide dans la commune.

L’église de Nyange dans laquelle plus de deux mille Tutsis avaient trouvé refuge fut notamment détruite au bulldozer par les génocidaires, ensevelissant vivantes leurs victimes sous les décombres, selon un reportage de Libération.

D’autres cas similaires

Mediapart s’est également rendu à Nyange, où tout le monde semble se souvenir de la présence de l’ancien officier. « Nzapfakumunsi n’était pas ici en vacances. Il portait sa tenue militaire », précise Aloys, le président de la branche locale d’Ibuka, une association qui défend la mémoire des victimes du génocide.

« Au lieu d’aller combattre les inkotanyi [rebelles du Front patriotique rwandais - ndlr], Nzapfakumunsi a amené les armes et les grenades à Nyange pour tuer des civils tutsis qui n’en avaient pas », raconte Emmanuel, un voisin lui-même condamné pour sa participation aux tueries. « Nzapfakumunsi était à Nyange. Il participait même aux réunions quotidiennes du comité de crise [instance ad hoc composée de notables qui coordonnait le génocide au niveau local - ndlr]. Il avait toujours une escorte de gendarmes avec lui, et d’autres surveillaient sa maison », appuie Ildephonse, un autre ancien milicien.

Pendant vingt-six ans, Jean-Marie Vianney Nzapfakumunsi a coulé des jours paisibles en France où il a échappé à toute enquête pénale. Il y a même étudié à l’Institut de criminologie de Paris pendant quatre ans et a travaillé comme conseiller chez Pôle emploi. Sollicité par Mediapart pour réagir à l’ouverture de l’enquête préliminaire, Jean-Marie Nzapfakumunsi a bloqué notre numéro sans nous répondre.

Ce n’est pas la première fois qu’une enquête pour génocide est ouverte à la suite de révélations de Mediapart ou de ses partenaires.

En septembre dernier, l’ancien préfet et député Pierre Kayondo était arrêté au Havre et placé en détention provisoire, alors que notre partenaire Le Poulpe avait révélé sa présence dans la ville normande en décembre 2019. Une plainte avait été déposée contre lui par le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) en 2021, puis une enquête ouverte par le pôle crimes contre l’humanité du PNAT.

Membre du comité central du Mouvement révolutionnaire national pour le développement (MRND, le parti présidentiel jusqu’en 1994), Pierre Kayondo était une figure majeure de l’ancien régime rwandais. Avant le génocide, il a participé à la création de la milice du MRND, les interahamwe, qui ont commis le génocide, mais aussi de la Radio-télévision libre des mille collines (RTLM), station de radio commerciale à partir de laquelle furent coordonnés les massacres. Le Poulpe avait enquêté au Rwanda et mis au jour des témoignages sur la manière dont il aurait organisé et supervisé les tueries dans sa région d’origine de Ruhango, à 70 kilomètres au sud-ouest de la capitale, Kigali. Pierre Kayondo avait refusé de réagir à ces récits.

En juillet 2020, Mediapart retrouvait à son tour, près d’Orléans, l’ancien colonel rwandais Aloys Ntiwiragabo qui s’y terrait depuis au moins quatorze ans, déclenchant l’ouverture d’une enquête du parquet national antiterroriste (PNAT), mais également l’envoi d’un mandat d’arrêt international par le Rwanda et l’émission d’une notice rouge par Interpol.

Aloys Ntiwiragabo était le numéro deux de l’armée rwandaise au moment du génocide. Il dirigeait les renseignements militaires du pays et a commandé les militaires et les gendarmes de Kigali. Sans papiers, il fait aujourd’hui l’objet d’une information judiciaire et a été placé sous le statut de témoin assisté, moins incriminant que celui de mis en examen. La France refuse de l’extrader.

Depuis le rapprochement historique entre la France et le Rwanda en 2021, après vingt-sept ans de tensions et quinze ans de froid diplomatique, la coopération judiciaire entre les deux pays s’est considérablement améliorée, d’après plusieurs observateurs. En témoigne l’ouverture de ces trois enquêtes.

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Une meilleure coopération judiciaire avec le Rwanda

Au début du mois de juillet 2023, un Rwandais de 58 ans installé près de Tours (Indre-et-Loire), Safari Madjaliwa, a été mis en examen par des juges du pôle crimes contre l’humanité et placé en détention provisoire. L’avocat de Safari Madjaliwa a déclaré quelques jours après son arrestation que son client contestait « fermement l’intégralité des faits qui lui sont reprochés ».

« Je me souviens de lui. Il était un militant convaincu du Hutu Power [idéologie des génocidaires – ndlr] très impliqué dans la milice interahamwe [milices hutues du Mouvement révolutionnaire national pour le développement (MRND), responsables des tueries — ndlr]. Il a commis le génocide dans notre secteur et tué beaucoup, beaucoup, beaucoup de gens », affirme Maria Moretti Uwisenga, une rescapée de 41 ans rencontrée par Mediapart et qui était la voisine de Safari Madjaliwa dans la localité de Kavumu, à 90 kilomètres au sud-est de Kigali. Elle énumère ensuite les noms des nombreuses familles qu’il aurait décimées selon elle.

« La coopération judiciaire entre nos deux pays est désormais excellente, affirme le parquet général du Rwanda, joint par Mediapart. Concernant Safari Madjaliwa, c’est nous qui avions émis un mandat d’arrêt en 2017, et les autorités judiciaires françaises ont depuis fait leur enquête. Comme dans d’autres dossiers ils ont pu venir enquêter sur le terrain. S’ils ont abouti à une arrestation, c’est que, à notre avis, ils étaient convaincus des faits. Nous espérons donc que le procès va suivre. »

De son côté, le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), une association qui poursuit depuis plus de vingt ans les suspects rwandais ayant trouvé refuge en France, se réjouit également des récentes ouvertures d’enquêtes, arrestations et mises en examen, tout en restant nuancé. « C’est un bon signe. Mais tout le retard qui a été pris ne se rattrapera pas. On a appris récemment que le procès en appel de Laurent Bucyibaruta [ancien préfet rwandais de 79 ans, condamné en 2022 à vingt ans d’emprisonnement – ndlr] n’aurait pas lieu avant 2025. Cela fait presque sourire », réagit Alain Gauthier, le président du CPCR.

Une vingtaine de Rwandais sont actuellement poursuivis en France pour leur rôle présumé dans le génocide des Tutsis.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024