Fiche du document numéro 33528

Num
33528
Date
2017
Amj
Taille
411364
Titre
Histoire de l'évangélisation du Rwanda : recueil d'articles et de documents [Extrait : « Le Père Loupias (1872-1910) : victime d’un assassinat ou d’une imprudence ? »]
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Lieu cité
Extrait de
Histoire de l’évangélisation du Rwanda, Recueil d’articles et de documents concernant le Cardinal Lavigerie, Mgr Hirth, le Dr Kandt, le Père Brard, le Père Classe, le Père Loupias, le Chef Rukara, Mgr Perraudin, etc., Kigali, 2017. pp. 177-223.
Type
Livre (extrait)
Langue
FR
Citation
LE PERE LOUPIAS (1872-1910) :
VICTIME
D’UN ASSASSINAT OU D’UNE IMPRUDENCE ?

P. STEFAAN MINNAERT

Le 1er avril 1910 est un jour qui a marqué l’histoire du
Rwanda. Ce jour-là, le P. Loupias (1872-1910)1 de la
Société des Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs) subit une mort violente à Rwaza. Chez les Banyarwanda, elle mit
fin au mythe que le Blanc est invincible.
La version officielle des faits affirme que le Père a été tué par
Rukara, chef des Barashi2. Cette version est mise en question
par quelques historiens3. Ils se demandent si le P. Loupias n’a
pas été la victime de son imprudence. Dans cet article, nous
présentons les écrits des Pères Blancs pour les mois qui ont
suivi la mort du Père. Certains font partie d’une enquête demandée par leur Supérieur Général, Mgr Livinhac. Celui-ci
Le P. Paulin Loupias est un Père Blanc, originaire du diocèse de Rodez en France. Il
avait commencé sa vie missionnaire à Ukerewe (en Tanzanie) en 1901. Trois ans plus
tard, en 1904, il fut envoyé au Rwanda, à Nyundo (dans le Bugoyi) pour des raisons de
santé, Fin 1905, il remplaça le P. Brard (1858-1918) comme supérieur de Save (dans
le Bwanamukali). L’année suivante, en décembre 1906, il fut nommé supérieur de
Rwaza (dans le Mulera) à la place du P. Classe (1874-1945). Agé de 38 ans seulement,
il mourra à Rwaza le vendredi 1er avril 1910, quelques jours après la fête de Pâques
(27 mars), suite à des blessures infligées par deux coups de lance de la part des hommes du chef Rukara. Le P. Loupias a impressionné son entourage par son tempérament de chef, sa bonhomie mais aussi par sa taille et son poids. Il aurait mesuré deux
mètres et pesé 120 kilos (A. Van Overschelde, Un audacieux pacifique, Monseigneur
Léon-Paul Classe, Apôtre du Ruanda, Namur, 1948, p. 55). Les gens l’appelaient « Rugigana ». Certains traduisent ce mot par « le bagarreur », d’autres par « le fort », « celui
qui n’a point son pareil ». Depuis sa mort, le surnom du Père est donné à toute personne ayant une peau blanche pour dire qu’un Munyarwanda est plus fort qu’un
Muzungu (homme blanc).
2 JOURNAL (ou Diaire) DE RWAZA, A.G.M.Afr., 1910, pp. 153-163.
3 P. RUTAYISIRE, La christianisation du Rwanda. Méthodes missionnaires et Politique
selon Mgr Classe, 1900 à 1945, Presses Universitaires, Fribourg, 1988, pp. 47-49.
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1

conclut le dossier en 1911 avec une seule phrase : « Le
P. Loupias (1er avril 1910) : tombait au Ruanda, percé par
les lances des hommes de Lukara4, chef révolté auquel il
avait eu l’imprudence d’aller faire de justes mais intempestives remontrances et réclamations5. » Autrement dit,
pour Mgr Livinhac, Rukara n’est pas l’homme qui a tué le
P. Loupias.
Les écrits publiés se trouvent dans les Archives Générales
des Missionnaires d’Afrique (A.G.M.Afr). Leurs auteurs sont
Mgr Hirth (1854-1931)6, Allemand, Vicaire apostolique de
Nyanza méridional, P. Classe (1874-1945), Français, Vicaire
Général de Mgr Hirth au Rwanda, Mgr Sweens (1858-1950),
Hollandais, Coadjuteur et Auxiliaire de Mgr Hirth, le P. Léonard (1869-1953), Allemand, Régional des Vicariats du Nyanza
méridional et de l’Unyanyembe, le P. Dufays (1877-1954),
Luxembourgeois, le P. Gilli (1882-1955), Italien, et les Pères
français Soubielle (1883-1973), Pagès (1883-1951) et Delmas
(1879-1950). Tous connaissaient la victime et la Mission de
Rwaza. Mais aucun parmi eux n’était présent au moment des
faits. Leurs témoignages sont donc de seconde main. Encore
faut-il les comparer avec les témoignages des Banyarwanda en
lien avec les résultats de l’enquête de l’Administration coloniale allemande. Certes, ils contribueront à une meilleure compréhension d’un événement tragique qui connaît plusieurs lectures. Reste la présentation de la mort du P. Loupias dans le
journal (ou diaire) de Rwaza qui passe pour la version officielle.
Vu son importance, elle est prévue dans l’article suivant.
Dans les documents, le nom de ce chef est écrit de manières différentes : Lukara ou
Rukara ou encore Lukala.
5 Mgr LIVINHAC, Lettres circulaires adressées aux Missionnaires d’Afrique (Pères
Blancs) : 1889-1912. Recueil de 97 lettres (n° 1 – n° 97), Lettre du 11 février 1911,
A.G.M.Afr., N° 92.
6 Mgr Hirth écrit en 1909 : « Epreuves. – Nous devrions dire plutôt triomphes, puisqu’il
s’agit de deux missionnaires que Dieu a appelés à la récompense. Le P. Pierron
d’abord, est décédé dans l’Ussuwi ; il entrait à peine dans la carrière. Et le 1er avril est
tombé frappé de deux coups mortels, le P. Loupias, supérieur de Ruasa. C’était un des
ouvriers les plus généreux de ce Vicariat et des plus entreprenants. Le cher confrère
venait de faire dans sa jeune station, pour cette année seulement, une moisson de 263
baptêmes d’adultes et d’enfants de chrétiens, plus 419 baptêmes in extremis. » (Rapport Annuel de 1909-1910, N° 5, p. 263). Notons en passant que Mgr Hirth utilise un
procédé du Cardinal Lavigerie. Celui-ci, très habile, présentait les échecs de ses missionnaires comme des victoires spirituelles.
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1. Lettre du Père Classe du 3 avril 1910 à ses confrères de Rwaza7
« Kabgaye, le 3 Avril 1910
Mes bien chers Confrères,
Nous n’avons qu’une chose à faire : adorer Dieu qui nous frappe et prier
pour le pauvre Père Loupias. Je voudrais cependant encore espérer. Que
Notre Mère au Ciel vous aide et nous aide ! Je vous demande en grâce de
demeurer calme ; vous le devez à vos œuvres, à vos chrétiens. Que nos
œuvres ne soient pas les œuvres d’un homme de telle sorte que si l’un
de nous tombe ceux qui ne sont pas nos amis ne croient pas que pour
nous tout est perdu.
A tous, Pères et Frères, je demande donc le plus grand calme. P. Gilli
restera momentanément votre Supérieur. Demeurez parfaitement unis,
d’autant plus unis que le malheur que nous pleurons est plus grand.
Surtout n’exercez aucune représaille et empêchez vos gens d’en
exercer. La Résidence est avertie que nous devons donc attendre.
A bientôt, que Marie Immaculée vous garde tous !
Léon Classe
Adressez-moi de suite les renseignements détaillés »

2. Lettre de Mgr Hirth du 5 avril 1910 à ses confrères de Rwaza8
« Le 5 Avril 1910
Mes bien chers Confrères,
Le retard considérable qu’ont éprouvé certaines lettres de la MaisonMère, ne m’a pas permis, il y a quelques semaines de vous annoncer
moi-même en premier lieu, le choix que le Saint-Siège a daigné faire de
la personne de Mgr Jos. Sweens, comme auxiliaire et coadjuteur pour
cette mission du Nyanza méridional.
J’ai du moins aujourd’hui la consolation de vous annoncer son heureuse
arrivée à Marienberg.
Vous voudrez bien, mes chers confrères, remercier le bon Dieu de cette
faveur et en priant pour votre nouveau Père et Seigneur, et en faisant prier
les fidèles.
Vous voudrez bien ainsi annoncer dimanche prochain, un Salut spécial
du Très Saint Sacrement, à cette intention, pour le jour que vous désignerez
dans la semaine.
Veuillez agréer encore, mes bien chers confrères, mes sentiments bien affectueusement dévoués en N.S.
Jean Joseph
Lettre du P. Classe du 3 avril 1910 à ses confrères, A.G.M.Afr., N° 098083. Parmi les
supérieurs majeurs, le P. Classe a été le premier à recevoir la nouvelle de la mort du P.
Loupias.
8 Lettre de Mgr Hirth du 5 avril 1910 à ses confrères de Rwaza, A.G.M.Afr., N° 098085.
Mgr Hirth n’a pas encore appris la nouvelle quand il écrit cette lettre. Il est alors très
occupé par la nomination de son coadjuteur tant souhaité.
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3

Mgr Sweens vient d’abord à Bukoba ce soir 2 Avril avec P. van Baer [18811941] et 3 Sœurs. Demain matin entrée solennelle à Marienberg.

H. Léonard
Bukoba, 5 Avril 1910 »

3. Lettre de Mgr Sweens9 du 10 avril 1910 à ses confrères de
Rwaza
« Marienberg, le 10 Avril 1910
Mes bien chers Confrères,
(…)
En second lieu, je vous adresse volontiers ces lignes pour vous faire part
de la reconnaissance qui m’anime envers S.G. Monseigneur Hirth, Mon élévation à la dignité épiscopale, à la plénitude du sacerdoce, je la dois à Dieu,
à nos Vénérés Supérieurs, et à Celui qui a bien voulu me prendre comme
coadjuteur. Où pourrai-je mieux qu’à son école, apprendre les vertus apostoliques ? De toutes parts, je n’ai entendu qu’une voix pour vanter la belle
organisation du Vicariat. Le nombre et la valeur des fidèles qui entrent sans
interruption dans le bercail sont la preuve que Dieu bénit l’apostolat de Mgr
le Vicaire apostolique.
+ Jos. Sweens
Coadj. du N.M. 10. »
Mgr Sweens, né en 1858 à Bois-le-Duc (Pays Bas), est ordonné prêtre en 1889. Il
s’engage chez les Pères Blancs en 1889. Deux ans plus tard, il s’embarque pour le
Vicariat de l’Unyanyembe chez Mgr Gerboin. En 1905, Mgr Livinhac le nomme visiteur
régional pour les Vicariats du Nyanza méridional, du Nyanza septentrional et de
l’Unyanyembe. Le 17 décembre 1909, il devient évêque auxiliaire de Mgr Hirth pour le
Vicariat du Nyanza méridional. Il prend la direction du Vicariat « Nyanza méridional »
en 1912. Il meurt à Rubya en1950 (Notices Nécrologiques, 1951, pp. 5-13).
10 Lettre de Mgr Sweens du 10 avril 1910 à ses confrères de Rwaza, A.G.M.Afr.,
N° 098086. Mgr Sweens avait visité les postes de mission au Rwanda en 1904. Lors de
cette visite, il avait été mis au courant des expéditions militaires organisées par le
P. Classe à Rwaza. En mars 1910, le P. Sweens proposa au P. Loupias de punir ceux
qui refusaient les ordres de la Mission : « Bukoba, le 2 Mars 1910, Bien cher Confrère,
Vous aurez déjà expliqué dans votre charité le retard qu’éprouve votre lettre du mois
de décembre à cette réponse. J’espère que le bon Dieu mettra le calme et la paix dans
vos pays et surtout dans votre chrétienté. Ceux qui ne veulent pas écouter parmi
les habitants du village, faites leur imposer une punition par le nyampara du
village. Ceux qui demeurent dehors doivent être jugés par leur chef : je ne les
livrerais pas facilement au juge européen. J’espère que vous vous portez bien tous
et que l’œuvre de Dieu se fait malgré les difficultés (…). Je vois ici qu’une caisse de
munitions part pour le Muléra. Mort aux canards (…) ! (Lettre du P. Sweens du 2 mars
1910 au P. Loupias, A.G.M.Afr., N° 098079).
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4. Lettre du Père Pagès du 28 avril 1910 à Mgr Livinhac11
« Nyundo (Rouanda), le 28 Avril 1910
Monseigneur,
Je ne vous raconterai pas au détail tout ce qui s’est passé lors du meurtre du P. Loupias, ce serait trop long, mais ce que je vous dirai, c’est qu’on
aimerait que cela fût arrivé dans de toutes autres circonstances. La mission
de Rwaza, comme vous le savez, a eu des débuts très pénibles, et après
sa fondation, elle a eu affaire à pas mal de mauvaise volonté de la part
de bien des gens On a eu, peut-être, un peu tort de se mêler des affaires
du pays, affaires qui ne concernaient pas directement la mission. Mais
chose digne de remarque, le coup qui nous a tous plongés dans la désolation, est venu du côté où on s’y attendait le moins de la part d’un homme
dont le P. Loupias ne se défiait pas assez (Je me porte garant de ce dernier
point). C’est de Lukara, un chef qui réside aux environs de la mission, aux
pieds du Muhavura que le coup est parti.
Or, ce chef-là, il y a quelques années à peine, avait été sauvé d’une mort
certaine par les P.P. Dufays et Classe, qui l’ont fait donner pour guide à un
Allemand, et l’ont ainsi arraché aux griffes du roi Musinga qui le retenait à la
capitale pour le faire mourir.
Mais voici l’affaire. Il y avait eu une querelle entre Lukara et quelques autres petits chefs de son voisinage. L’affaire fut portée à la capitale, c’est-àdire à Nyanza où réside le roi Musinga. Le procès une fois jugé, un messager
fut envoyé par le roi pour signifier la chose à Lukara. Mais comme il ne faisait pas bon avoir affaire avec ce dernier qui était redouté de tous, le roi
Musinga avait fait dire au P. Loupias de se porter lui-même sur les lieux,
afin de protéger l’envoyé par sa présence.
C’est ce qui eut lieu. Le 1er Avril 1910, le P. Loupias se mit en route de
grand matin, avec 4 chrétiens et un fusil. Le messager royal signifia à Lukara les décisions de la capitale, et il n’eut pas d’incident.
Mais hélas ! le Père voulut profiter de l’occasion pour plaider une affaire
de vaches. Un des gens de Lukara nous avait, en effet, volé une vache, qui
avait été ensuite tuée et mangée. Il y avait de cela environ un an. D’où les
réclamations du P. Loupias qui voulait obliger Luakara à une restitution.
Devant le mauvais vouloir de ce dernier, le Père l’avait pris par le bras. Mais
Luakara s’étant dégagé de son étreinte, le P. Loupias prononce les mots
fatals de « Prenez-le ». Ce fut son arrêt de mort. Car au même instant, en
moins de temps qu’il ne faut pour le dire, alors que Lukara se trouvait saisi
par le Père et les chrétiens qui l’accompagnaient, une grêle de lances
s’abattit sur le lieu de la scène. Les Nègres qui avaient saisi Lukara, s’étaient
instinctivement baissés, comme ce dernier, habitués qu’ils sont au bruit de
lances ou de flèches, mais le pauvre Père était roulé à terre, une lance fixée
un peu au dessus de l’œil gauche.
Lukara avait profité de l’émotion pour s’enfuir avec ses gens. Le Père était
tombé sans connaissance. Seule sa respiration oppressée montrait qu’il vivait encore. C’était sur les 11 heures. La nouvelle se répandit bientôt, comme
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Lettre du P. Pagès du 28 avril 1910 à Mgr Livinhac, A.G.M.Afr., N° 097541-097542.

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la foudre, que Lugegana12 (le nom indigène du Père) était mort. Ce fut une
avalanche, tous les chrétiens se précipitent, c’est à qui arrivera le premier.
Le P. Soubielle et les deux Frères (j’étais malheureusement absent) se mettent en route. Ils avaient été devancés pour le sous-officier du camp allemand établi à 2 heures de la mission.
Le cortège se trouvait déjà en route pour la mission. Une fois arrivé, on
essaya de donner un vomitif au pauvre agonisant. Mais il était écrit que tout
serait inutile, le sacrifice devait être complet. L’absolution in extremis et
l’Extrême-Onction lui avaient été données à la hâte. A 8 heures du soir, il
rendait le dernier soupir.
C’est alors qu’on aperçut, en dépouillant le corps, une deuxième blessure,
un peu sur le flanc, qui avait dû transpercer le foie. Nul ne s’en était douté
jusque-là. C’est probablement au moment où la première lance avait renversé le Père, qu’il reçut la deuxième, alors qu’il gisait à terre. Les deux coups
étaient mortels.
Pour en revenir à Lukara, le chef révolté, comme on l’appelait, ce malheureux, blessé comme il avait été dans son orgueil qui était profond, puis aigri
et défiant, comme il était, avait dû prévoir le cas où on voudrait lui faire
violence et lui jouer un mauvais parti. Sans nul doute, le pauvre Père Loupias en prononçant les mots fatals de « Prenez-le » n’avait pas l’intention de
le faire arrêter. Il voulait seulement lui faire peur… mais hélas ! un terrible
malheur a suivi.
Durant ces malheureux jours, les chrétiens m’ont bien impressionné. Je
n’aurais jamais cru que les Nègres eussent autant d’attachement pour leurs
prêtres. La nouvelle s’était répandue vite ; les nouvelles vont vite en pays
nègre. Tout le pays s’est ébranlé, c’était une véritable avalanche humaine.
Quelle ne fut pas leur tristesse, quand ils perçurent gisant sur une claie
d’osier (une porte indigène) celui qu’ils avaient vu partir dans la matinée
plein de vie et de santé. Mais ce fut bien autre chose quand le triste cortège
pénétra dans la cour de la mission. Jusqu’alors contenus, les sanglots éclatèrent. Toute la soirée de vendredi, la cour ne désemplit pas. C’était à chaque instant, des questions comme celles-ci : « Comment va-t-il ? Est-ce qu’il
va mieux ? Est-ce que le bon Dieu va nous enlever notre père » ? On en a vu
plusieurs se glisser, tout en pleurs, à la chapelle pour y réciter le chapelet.
Mais le bon Dieu voulut que le sacrifice fût complet. A 8 heures du soir,
le pauvre blessé s’endormait de son dernier sommeil. On le revêtit immédiatement de ses plus beaux habits et le corps fut exposé par les chrétiens qui
se succédèrent sans interruption autour de la couche funèbre. La messe de
requiem fut célébrée le lendemain ; la chapelle était comble, nul ne manquait
à la cérémonie. Les funérailles eurent lieu dans l’après-midi. Les chrétiens
rangés en deux files, s’avancèrent lentement vers le cimetière, récitant le
chapelet qu’interrompait plus d’un sanglot. La fosse avait été creusée aux
pieds de la grande croix qui domine le cimetière et c’est là qu’il fut déposé,
au milieu des nombreuses victimes de la cholérine qui a ravagé le Rwanda
tout dernièrement.
Le P. Loupias était réellement aimé des chrétiens, auxquels plaisait beaucoup sa bonhomie. Il avait également su se faire estimer des païens qui fréquentaient la mission.
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Autre orthographie de « Lugigana ».

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« Le roi qui nous aimait, on nous l’a tué », s’écriait un païen après les funérailles, et au ton de voix on sentait bien que ce n’était pas une flatterie
qu’il nous adressait.
Voilà, Monseigneur, lesquels détails que je me suis permis de vous adresser à l’occasion de ce malheur. Espérons que la mission n’en sera pas arrêtée dans sa marche.
Je vous prie, Monseigneur, de vouloir bien agréer mes respectueux hommages.
A. Pagès
Le P. Classe ayant désigné le P. Delmas comme supérieur provisoire de
la mission de Rwaza, a jugé à propos de m’envoyer prendre sa place à
Nyundo. Je ne vous cacherai pas la peine que j’en ai éprouvée. J’en fais
néanmoins volontiers le sacrifice surtout en de pareilles circonstances, où le
bien public doit passer avant le bien privé13. »

5. Rapport du Père Pagès sur la mort du Père Loupias14
« La scène du meurtre
Dès le 28 Mars déjà, le P. Loupias avait manifesté à Paolo l’un de nos
nyampara, son dessein d’aller chez Lukara, sans arrêter le jour. La suite du
récit montrera ce qu’il voulait aller faire. Le 31 mars, arrive dans la matinée
un envoyé du roi, un Mutusi du nom de Shingamyeto, accompagné d’un
certain nombre de Bakaza (une fraction séparée de la famille des Balashi)
qui étaient allés plaider à la capitale contre Lukara. « Le roi m’envoie te dire,
dit l’envoyé Shingamyeto, s’adressant au P. Loupias, de venir assister au
débat, car nous craignons que Lukara ne nous tue ».
Le P. Loupias qui connaissait le procès depuis longtemps, et avait manifesté le désir d’aller chez Lukara ne se fit pas prier. On convint d’y aller dès
le lendemain 1er Avril. Sur ce, le Père fait avertir par un homme le Mutsi
En marge de la lettre : « Répondue le 17 Juin – Circonstances du meurtre du
P. Loupias. » Le P. Albert Pagès naquit à Monastier en Haute-Loire, le 23 septembre
1883. Ordonné prêtre à Carthage le 28 juin 1908, il atteint le Rwanda en décembre de
la même année. On le trouve tout d’abord à Rwaza où il demeure un an et demi, avant
d’effectuer un premier séjour à Nyundo. En 1913, il va à Rulindo pour passer l’année
suivante à Save. Ses pérégrinations le conduisent à Kansi en 1916 et à Miribizi quatre
ans plus tard. En 1922, il rejoint l’Europe d’où il repart pour Zaza cette fois. Après
quelques mois dans ce poste, il est nommé professeur au petit séminaire de Kabgayi.
De 1924 à 1927 il est aumônier du Noviciat des Sœurs Benebikira à Save. C’est là qu’il
apprend sa nomination comme supérieur de la mission de Nyundo, poste qu’il occupera jusqu’à sa mort, le 9 janvier 1951. Il est l’auteur de nombreux livres et articles sur
l’histoire et la culture rwandaise. Certains voyaient en lui « l’Hérodote du Rwanda. »
14 Rapport du P. Pagès sur la mort du P. Loupias (sans date), A.G.M.Afr., N° 098430098435. Le P. Pagès était arrivé au Rwanda en 1909. C’est à Nyundo qu’il écrira son
rapport. Par ce fait, il n’a pas pu demander des explications supplémentaires.
13

7

Luhanga, le gardeur de notre troupeau de vaches, de venir le rejoindre chez
Lukara, car il voulait en même temps profiter de l’occasion pour s’occuper
d’une affaire de vaches. En même temps, il fait prévenir Lukara, en lui envoyant un homme auquel il a remis un bout de papier, afin que Lukara reconnaisse à ce signe que c’est bien là un envoyé du Muzungu (du P. Loupias).
Le 1er Avril, le Père se lève donc de grand matin, dit la messe à 5 heures
et se met en route avec quatre chrétiens qu’il avait fait avertir la veille, Paolo,
Max Ukilehehe son frère et Paolo, l’un de nos nyampara. Ce dernier lui avait
remarqué la veille qu’il serait bon de n’aller chez Lukara qu’avec deux fusils :
« Nous ne risquons rien, répond le Père, car c’est Musinga (le roi) qui nous
envoie ». On part donc. Le Père avait fait prendre avec lui sa chaise pliante,
un parapluie, un imperméable et un fusil à 10 coups. Un peu avant d’arriver
chez Sebuyange, un petit chef que commandait autrefois Lukara, le Père
rencontre les envoyés de ce dernier au nombre de 5. « Où allez-vous, leur dit
le Père ? Chez toi, répondent les envoyés de Lukara. Mais, répond le Père, je
suis venu à la rencontre de Lukara ». Presque au même instant, Sebuyange
dont on vient de parler, vient rejoindre le Père avec son père et ses gens, puis
Shingamyeto, l’envoyé du roi, qui avait passé la nuit chez Sebugyange, accompagné d’un homme, puis Luhanga, notre grand vacher, avec ses gens. Le
Père parlant à tous ces gens dit qu’il ne veut aller dans le lugo (maison) de
personne, qu’il est seulement venu écouter sur la colline. Prenant ensuite un
des envoyés de Lukara, il l’envoie lui dire de venir écouter la parole que Musinga a envoyée. On s’assied et on cause. Lukara se fait longtemps désirer. Il
s’annonce enfin suivi de deux troupes de gens bien armés, qui s’assoient
derrière leur maître, un peu au dessus de lui. Le Père assis sur sa chaise, se
trouve en face de Lukara. « Je suis venu voir, dit-il, ce que l’envoyé de Musinga dira ». C’est alors que l’envoyé, le Mutusi Shingamyeto commence ainsi : « Musinga veut que Sebuyange commande les Bakaza, que Kamana (un
autre petit chef) commande les Intabga (autre fraction de la grande famille
des Balashi), que Lukara enfin commande les Abakemba (autres Balashi) ».
L’envoyé à peine a-t-il fini de parler qu’un des gens de Lukara, qui était
allé à la capitale se lève et dit : « Tu mens, ce n’est pas ce que le roi a dit, il a
dit que Lukara commanderait comme précédemment tous les Balashi ». Lukara méchant, reprend sur un ton moqueur : « Musinga m’a dépouillé, toi
Sebuyange tu me commanderas comme je t’ai commandé autrefois ». Et
Sebuyange, qui connaissait fort bien son interlocuteur, de répondre aussitôt : « Je ne veux pas te commander, car tu tues mes hommes ».
L’envoyé Shingamyeto reprend : « Allons à Nyanza (à la capitale), toi Lukara, toi Sebuyange, toi Kamana et que le Père envoie également un homme,
nous verrons ce que le roi commande ». Et Lukara de dire : « Je ne veux pas
y aller, parce que je n’ai pas assez de gens pour porter les cadeaux du roi » ;
« Mais, reprend l’envoyé, n’emporte rien, ne fais que partir, viens avec moi ».
On discute encore. Après diverses réponses où se lit son astuce et son mauvais vouloir, Lukara finit par dire : « C’est bien, j’accepte, j’irai à la capitale »,
ce qui n’était encore qu’une tromperie, à laquelle personne ne se laissait
prendre. Mais comme on était fatigué de la séance, le Père s’empresse de
dire : « C’est bien, vos affaires sont terminées ». Et tous les autres de répéter
à leur tour : « C’est bien, c’est fini ».

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C’est alors que commence une 2ième séance qui devait hélas se terminer
par une tragédie. La première affaire terminée, le Père s’adresse à Luhanga,
notre grand vacher Mutusi : « Et ma vache » ? Il s’agissait, en effet d’une
vache, qu’un des gens de Lukara nous avait volée quelques mois auparavant, et qu’on avait tuée et mangée. Le Mutusi Luhanga répond : « C’est un
des gens de Lukara qui en est le voleur ». – « Plaide avec Lukara, répond le
Père ». – « Tu m’as volé six vaches, dit Luhanga, et tu en as volé une au Père ». – « Je connais fort bien le voleur, dit Lukara ». – « Donne-moi ses vaches,
reprend alors le Père ». « Elles sont parties dans le Bufumbira (Congo belge)15. – « Mais ajoute, le Père, tu lui as pris deux vaches, je le sais, donne-les
moi ; et puis je sais que le voleur a épousé ta sœur et qu’il t’a donné deux
vaches pour la payer, ces vaches, donne-les moi ». – « Elle sont crevées, dit
Lukara, mais je poursuivrai le voleur, et si je ne t’amène le voleur ou les
vaches, tu viendras me brûler ». C’était une manière de répondre, car on
savait bien que Lukara n’en ferait jamais rien. Aussi le Père, ajoute-t-il aussitôt : « Tu ne fais que mentir, mais si vous voulez combattre, bien que vous
soyez nombreux, nous combattrons ». Et en même temps il prenait le fusil à
10 coups qu’il ouvrait, pour montrer les nombreuses balles qu’il contenait :
« Voyez mon fusil, il y a beaucoup de balles ».
C’est à ce moment que Lukara se serait un peu retourné en arrière et aurait dit à ses gens, ces trois mots : « Nonaha bahungu, murabyemye » (Eh
bien, jeunes gens, est-ce que vous avez bien compris, est-ce entendu)16, ce
qui fait supposer qu’il y avait eu entente entre lui et ses gens, dans le cas où
on lui jouerait un mauvais parti, car Lukara était très défiant.
Après avoir répondu au Père qu’il lui amènerait ou le voleur ou les vaches, Lukara faisait mine de se lever et de partir quand le Père le prend par
le bras : « Nous ne partirons pas d’ici, que tu ne nous aies amené des vaches ». Lukara fait un mouvement violent et se dégage de l’étreinte du
Père, qui crie à ses gens : « Prenez-le ». Immédiatement on le reprend ;
le Père le tient par le bras droit, Luhanga par le bras gauche, et deux
chrétiens par les épaules, faisant dos aux gens de Lukara, qui étaient en
arrière et un peu plus haut, comme je l’ai déjà dit. A ce même moment,
racontent nos gens, témoins oculaires, nous entendons comme un bruit
de lances qui vibrent dans l’air, nous nous courbons instinctivement
ainsi que Luhanga et Lukara. Je sens qu’une lance a passé sur mon épaule. Je me retourne pour voir les ennemis, dit Paolo, le nyampara, puis je
regarde du côté du Père. Il gît à terre, une lance fixée un peu au-dessus de
l’œil gauche. Il n’a pas prononcé une seule parole. Je retire la lance qui avait
pénétré jusqu’à moitié, et il en sort avec un assez gros morceau de cervelle,
et je la dirige sur les ennemis, mais sans attraper personne. Au moment où
le Père avait prononcé le mot fatal de « Prenez-le » on avait entendu un
certain Munyaruhara de la suite de Lukara, prononcer ces paroles « Estce que vous abandonnez le roi, c’est-à-dire Lukara » et immédiatement
les lances avaient fait leur œuvre de mort.
Il s’agit probablement d’une erreur de l’auteur. Le Bufumbira est une province du
Rwanda précolonial. Cette province fait maintenant partie de l’Ouganda.
16 Ou encore : « Eh bien, jeunes hommes, est-ce que vous êtes bien d’accord ».
15

9

Le Père avait reçu un second coup de lance un peu sur le côté, qui avait
transpercé le foie, mais on ne s’est aperçu de cette deuxième blessure qu’en
dépouillant le cadavre, le soir. Nos gens ont su après coup que ce coup lui
avait été donné par un nommé Lubashumukore, genre de Rwobaka, fils de
Biranboneye17. Cet homme se trouvant auprès du Père, a dû profiter du
moment où le premier coup de lance a étendu le Père à terre, lui a plongé sa
lance dans le flanc et s’est enfui aussitôt, sans être vu. Aucune tâche de
sang sur la gandoura n’a dévoilé la blessure, et ce n’est qu’en dépouillant le
cadavre qu’on a vu les linges de dessous imbibés de sang, et qu’on a découvert une petite déchirure dans la gandoura. Le Père était tombé frappé à
mort, les deux blessures étaient mortelles et lui avaient enlevé toute
connaissance. La perte de la connaissance avait dû être instantanée comme
les coups de lance. Seule sa respiration oppressée indiquait qu’il lui restait
encore un souffle de vie qu’il devait garder jusqu’à environ 8 heures du soir.
Le nyampara Paolo ayant retiré la lance qui s’était fixée un peu au-dessus
de l’œil gauche, avait repris le fusil tombé des mains du Père. Mais il ne peut
faire manœuvrer le mécanisme qu’il ignore ; il y avait 10 balles dans le fusil.
Il prend alors des balles de la cartouchière, il les met une à une dans le fusil
et tire d’abord trois coups sur les gens de Lukara qui s’étaient enfuis aussitôt le coup fait. Puis s’adressant aux Bakaza qui étaient demeurés tout interdits : « Mais aidez-nous donc, portons le Père et amenons-le dans le lugo18
de Sebuyange. C’est là que le Père fut porté et laissé sous la garde d’un
nommé Kazamarande. Après avoir versé un peu d’eau sur la blessure, les
trois chrétiens (car le 4ième s’était enfui à toute jambe pour porter la nouvelle)
avec les Bakaza, se dirigent vers les cases de Lukara et de ses gens, auxquelles ils mettent le feu. Paolo, le nyampara, reprend le fusil et tire un certain
nombre de coups, environ une quinzaine, sur les fuyards. Il en tue deux et
en blesse un autre sur le bras. Un autre chrétien prend à son tour le fusil et
tue un homme.
La conduite de Luhanga, notre vacher, a paru très louche dans cette affaire. Lukara, ayant pu se dégager, se met à fuir, pendant que les chrétiens
regardent avec stupeur le Père étendu à terre. Luhanga le poursuit, feignant
de vouloir l’atteindre et de le tuer avec sa lance. Or voilà précisément que
Lukara, dans sa fuite, trébuche et roule à terre. Que fait Luhanga ? Terriblement gêné, il fait demi-tour pour voir ce qu’il en est advenu du Père. Ajoutons que Luhanga a fait le pacte de sang avec Lukara. Etait-il du complot ?
Qui le sait. Peut-être que le complot, si complot il y a eu de la part de Lukara, n’était que conditionnel, comme semblerait l’indiquer ces trois mots !
Nonaha, bahungu, murabyemeye, traduits plus haut. Si Luhanga n’était pas
du complot, du moins a-t-il eu peur de s’attirer une vengeance en tuant
Lukara qui est fort redouté des Batusi. L’avenir dira peut-être ce qu’il en est
au juste de la conduite de Luhanga. Toujours est-il encore qu’il a refusé le
ngobye (sorte de chaise à porteur) qu’on lui a demandé pour transporter le
Père. Pourquoi a-t-il refusé ??? Il n’a pas osé se présenter à la mission les
jours suivants. Il a fait dire qu’il avait quelque chose à nous raconter, mais
qu’il avait peur des chrétiens.
« N.B. : Quant au premier meurtrier, c’est un certain Manuka, fils de ce même Rwoboka ».
18 Une maison avec son enclos.
17

10

Après avoir brûlé les maisons de Lukara et de ses gens, les trois chrétiens
reviennent avec les Bakaza chez Sebuyange dans le lugo (cour) duquel on
avait déposé le Père. Ils trouvent deux soldats qu’un indigène du pays parti
pour Luhengeli avertir le sous-officier, avait trouvé en route coupant du bois.
On met le Père sur une claie (en roseaux) et on se dirige du côté de la mission. Ils ont à peine fait 200 mètres que survient à son tour le sous-officier,
un sergent major, accompagné de ses soldats. Il fait arrêter le cortège, examine attentivement la blessure de l’œil, essaye vainement de faire prendre
au moribond quelques gouttes de vin mêlé à de l’eau. Il est occupé à lui mettre sur la blessure un linge imbibé d’eau, quand survient à son tour le
P. Soubielle.
Sur les 11 heures, on se transmet de colline en colline que le Père est attaqué, qu’on l’a blessé, qu’il est (sic) mort. Immédiatement le P. Soubielle, et
les deux Frères se mettent en route avec leurs fusils. Une foule de chrétiens
et de catéchumènes se mettent à leur suite. C’est à qui arrivera le plus vite.
Devançant les Frères, le P. Soubielle arrive le premier. Il trouve le sousofficier. A son tour, il veut voir si le Père a conservé quelque connaissance, il
lui parle à l’oreille, mais tous ces essais sont inutiles ; il lui donne
l’absolution in extremis.
Le cortège se remet en marche, tandis que le sergent major renvient en
arrière, avec un des témoins oculaires de la scène auquel il fait demander
quelques explications par le moyen de son interprète. Il se fait montrer
l’endroit où est tombé le Père, puis il va brûler ce qui était encore debout. Il
remet ensuite au chrétien la montre du Père, qu’il avait prise craignant
qu’elle tentât les indigènes, pour qu’il la rapporte à la mission, et revient
bientôt après lui-même pour avoir des nouvelles de la malheureuse victime.
Je ne vous raconterai pas au détail, tout ce qui s’est ensuite passé à la
maison, à l’arrivée du cortège, absent que j’étais. Les Pères Gilli et Soubielle pourront vous le dire, ainsi que les Frères Alfred et Pancrace, qui ont
pris les dimensions des blessures. Tout ce que je sais, c’est que le Père a
reçu à la maison le sacrement de l’Extrême Onction. Le P. Gilli a ensuite
essayé de donner de l’émétique au Père… Mais il était écrit que le sacrifice
devait être complet. Environ vers les huit heures du soir, le pauvre P. Loupias s’endormait de son dernier sommeil et son âme paraissait devant le bon
Dieu.
Le corps a été immédiatement revêtu d’habits neufs. C’est pendant qu’on
procédait au dépouillement qu’on s’est aperçu de la seconde blessure. On l’a
ensuite exposé à l’Eglise où les chrétiens sont venus le veiller toute la nuit.
Le lendemain samedi, à midi, le corps commençant à se décomposer, il fallut
songer à le porter au cimetière. On le mit dans un cercueil que les Frères
avaient fait à la hâte, et au milieu des larmes et des prières de tous les chrétiens, on le conduisit à sa dernière demeure. Il repose maintenant aux pieds
de la grande croix qui domine le cimetière, entouré de tombes récemment
creusées lors du terrible fléau qui a fait tant de victimes à Rwaza.
Le sergent-major s’est fort bien conduit dans ces circonstances ; il a montré beaucoup de sympathie à la mission et a assisté aux funérailles. Il a prié
la mission de lui fournir tous les renseignements qu’on pourrait lui donner,
et des guides sûrs qui pourraient l’aider dans ses recherches.
A. Pagès

11

Avec ce rapport un avocat se chargerait de faire acquitter le pauvre
Lukara, en prouvant qu’il se croyait très sincèrement dans le cas de
légitime défense. Je ne sais ce qui se passe en ce moment au Mulera,
mais je m’imagine que beaucoup de gens innocents paieront la sauce,
peut-être de leur vie. Le devoir de la mission ne serait-il pas de faire
tout ce qu’elle peut pour éviter toutes représailles19.
Sur les antécédents de Lukara
Quelques mots sur les antécédents de Lukara et sur ses relations avec la
mission de Rwaza me semblent nécessaires pour expliquer la scène du
meurtre. Lukara, était le petit-fils d’un homme, qui sans être de race Mutusi,
a joui de quelque faveur sous le roi Lwabugri prédécesseur de Musinga. Son
grand-père Sekitandi avait pour fonction de fournir le miel à la capitale.
Ajoutons en passant que le Muhavura, aux pieds duquel réside Lukara, est
riche en miel. Sekitantdi fut tué par Lwabugri qui fit couper les deux pieds,
et le fit ensuite attacher sur une fourmilière d’intozi (fourmis noires dont la
piqûre est très vive) où il mourut après quatre jours d’atroces souffrances.
Bishingwe, le père de Lukara continua néanmoins à jouir de quelque faveur
à la cour et à fournir le miel de la capitale. Il dut mener une vie assez tranquille, car, disent les Nègres, il finit tranquillement ses jours dans son lit.
Quant à Lukara, il succéda à son père dans la même charge auprès du roi
Musinga, et se trouvait assez bien en cour quand survint un incident. Un
procès s’étant élevé entre lui et le Mutusi Luzirampuwe pour une affaire de
vaches et de champs, il fut tranché en faveur de ce dernier (Luzirampuwe) et
cela grâce à la mère du roi qui était intervenue dans le procès. C’est alors
que Lukara aurait prononcé les paroles restées célèbres : « A-t-on jamais vu
des procès tranchés par des femmes. Pas de femmes pour juge, sinon c’est
encore ma mère qui serait le plus apte à trancher des procès ». C’était offensant pour le roi Musinga qui ne sait pas ce que c’est le pardon des injures.
Lukara comprit bien vite la grandeur de son crime ; il s’attendait tous les
jours à être tué ; le sol de la capitale lui brûlait les pieds. C’en était fait de lui
quand survinrent successivement à la capitale les P.P. Classe et Dufays20,
puis le jeune Docteur polonais M. Czekanovski. Le P. Dufays chez qui Lukara allait souvent pleurer, eut une idée lumineuse. Il raconta l’histoire à
M. Czekanovski qui se préparait à aller au Mulera, et lui conseilla de le deNote du 24 juin du P. Léonard à un membre du Conseil Général, A.G.M.Afr.,
N° 098431.
20 Le Père Félix Dufays (1877-1954), originaire d’Hollerich, rejoignit des Pères Blancs
en 1890. Il intégra leur Petit Séminaire de Saint-Eugène (Alger) en 1892. Là, il y rencontra le Cardinal Lavigerie. Il fut ordonné prêtre en 1903. La même année, il arriva
au Rwanda où il fonda, sous la direction du P. Classe, la mission de Rwaza. En 1913,
il fut nommé économe au Burundi. Il y demeura jusqu’en 1927. Après avoir travaillé à
Heston (UK), il suivit une formation de cinéaste aux studios d’Épinay. Il tourna des
films documentaires comme De Dakar à Gao (1930) et Sahara, terre féconde (1933). Il
publia des études ethnologiques et linguistiques sur son séjour en Afrique. En 1938, il
publie Les Enchaînés. Au Kinyaga en collaboration avec Vincent de Moor. Il est
l’auteur du roman Le Calvaire de Cosma-Benda qui se déroule au Rwanda. Le récit
illustre la notion de pardon chrétien. En 1953, ce roman a servi de base au scénario
du film « Vendetta » du Père De Vloo. Le P. Dufays mourra à Mariental en 1954.
19

12

mander pour guide au roi. La chose fut acceptée. Le roi qui voulait tuer Lukara, voulait donner un autre guide, mais devant l’insistance de M. Czekanovski, il dut le laisser partir. C’est ainsi que Lukara s’éloigne de ce lieu
fatal, où il se promit bien de ne plus mettre les pieds. Hélas ! Il devait en
récompenser bien mal ses bienfaiteurs.
C’est ce même Lukara qui fit un jour attaquer la caravane de M. Kirstein.
Pour se débarrasser de ces hôtes gênants, ce Monsieur dut lui-même prendre un fusil et faire le coup de feu. Ce ne fut qu’après avoir vu l’un des leurs
frappé en pleine poitrine, que les gens de Lukara abandonnaient la partie.
Pour vous montrer combien le P. Loupias se défiait assez peu de Lukara, je
me permettrai de vous citer un fait dont je garantis l’authenticité.
A M. Kandt qui lui avait demandé des détails sur cette dernière attaque,
le P. Loupias répond en défendant Lukara, en disant qu’il n’est pas aussi
révolté qu’on le croit. C’est dans un brouillon de lettre, trouvé parmi les
papiers du Père que j’ai puisé ces renseignements.
Non, le Père ne se défiait pas assez de Lukara, et pourtant il le savait
fourbe. Certes, il y a eu de temps en temps de bonnes relations entre lui et la
mission, mais il y a eu aussi de petites querelles. Comme je l’ai déjà raconté
dans la scène du meurtre, l’un des gens de Lukara nous avait volé une vache, qui avait été tuée et mangée. Devant les réclamations du P. Loupias, il
n’avait répondu que par des dénégations ou des tromperies, disant tout
d’abord qu’il n’était pour rien dans l’affaire, disant ensuite que son oncle lui
avait pris toutes ses vaches, etc… Le P. Loupias de guerre lasse, un beau
jour, lui fit envoyer un kiboko21 et une balle [de fusil], en ayant l’air de
lui dire par là que ce qu’il méritait c’était le kiboko, et que bien que
loin, il pourrait l’attraper avec son fusil. Que fit Lukara ? Il nous fit
parvenir par le même courrier cinq œufs pourris. Quelle signification
attachait-il à cet envoi, je l’ignore. Plus tard encore, je me souviens qu’un de
ses gens venu nous saluer en son nom à la mission, avait également apporté
une douzaine d’œufs pourris. Ces deux derniers traits m’en rappellent un
autre qui remonte à un peu plus haut. Un jour, il nous avait fait amener en
cadeau une vieille vache, que nos gens disaient avoir été ensorcelée, pour
nous attirer des malheurs. Le P. Loupias, pour montrer qu’il n’avait nullement peur des mauvais sorts, lui fit dire qu’il acceptait et la lui paya en étoffes, comme on paie pour les cadeaux.
Après l’incident du kiboko et de la balle, Lukara cessa de faire parler de
lui à la mission, et ses gens ne venaient plus nous saluer en son nom, quand
tout à coup il nous fit demander du remède pour un de ses parents, un frère
je crois, malade de la dysenterie. On lui fit parvenir de l’acide phénique mélangée à de l’eau. Que fit-il du remède ? Nous jugeant à sa taille probablement, il pensa que nous profitions de l’occasion pour envoyer du poison et
mit le remède de côté. Nous apprîmes que son malade mourut. Puis, le
P. Loupias, quelques temps après ayant donné à un envoyé du roi (envoyé en
mission chez Lukara et qui craignait d’y trouver la mort), nos deux nyampaUn fouet en cuir fait de lanières de peau d’hippopotame ou de rhinocéros séchées. Il
servait à punir les Noirs qui outrepassaient le règlement colonial. Au Rwanda, la loi du
5 octobre 1943 avait limité à huit le nombre de coups pouvant réprimer une infraction
à la coutume. Cette peine a été abrogée en 1951 (R. BOURGEOIS, Banyarwanda et
Barundi, Tome II, Bruxelles, 1954, p. 399).
21

13

ra pour l’accompagner chez ce terrible sire, nous sûmes qu’il leur fit boire du
pombé dans lequel il avait au préalable versé le fameux remède. Il voulait
sans doute voir si notre poison était de quelque valeur.
Que le P. Loupias ne soit pas assez défié de Lukara, c’est qu’il pensait
que ce triste sire avait conservé quelque reste de reconnaissance pour ceux
qui l’avaient retiré des griffes du roi. Et puis, disons-le aussi, malgré les
quelques nuages qui s’étaient élevés entre lui et la mission, Lukara semblait
nous avoir donné quelques marques de confiance. Lors de la fondation du
camp allemand au Luhengeri, à environ 2 petites heures de la mission de
Rwaza, M. le Résident Godovius, puis après son départ M. le Major (Commandant) Joanes, avaient successivement invité Lukara à venir les trouver
au camp, lui promettant d’arranger son affaire avec le roi22. Celui-ci excessivement défiant, différait de jour en jour, puis se disait malade. Entre-temps,
il envoyait gens sur gens nous faire demander à la mission, si les Blancs du
Luhengeli ne lui tendaient pas un piège, s’il n’y avait pas de danger pour lui,
si les Blancs ne le livreraient pas au roi, etc… Nous eûmes beau lui faire
dire, que les Blancs n’étaient pas comme les Nègres, qu’ils ne trompaient pas ainsi les gens, il ne voulut pas s’y rendre. Mais par là, il semblait avoir montré qu’il avait en nous quelque confiance. Le P. Loupias s’y
était laissé prendre, bien d’autres l’auraient fait comme lui. Bien plus encore, Lukara vint ensuite lui-même en personne à la mission, à deux reprises,
et hélas ! tout récemment. Le P. Classe, qui était venu voir où en étaient les
travaux de l’Eglise, se trouvait à Rwaza lors d’une de ses visites.
J’avais entendu dire par le P. Loupias que Lukara était très orgueilleux et
très infatué de lui-même. A la maison ou sous la tente, quand il lui est arrivé
de se trouver avec le P. Loupias, il ne s’asseyait pas n’importe où, mais sur
une caisse ou bien sur une chaise. Je ne garantis pas l’authenticité du détail
parce que je n’ai pas eu le temps de le contrôler, mais voici ce que j’ai entendu dire par les Nègres. Je ne sais plus à quelle occasion, Lukara s’était rencontré avec le P. Loupias sous la tente. Ce dernier s’étant écarté un instant,
trouve à son retour Lukara installé dans sa chaise pliante. Et le Père de le
prier en langage nègre bien entendu de quitter la chaise. Lukara paraît-il,
aurait répondu que son… (je n’ose dire le nom, mais vous le devinez) valait
bien celui des Bazungu (Blancs).
Sur les antécédents de Lukara (suite)
Que Lukara soit tout infatué de lui-même, en voici une autre preuve.
Dans le cours d’une de ses visites à la mission, c’était peut-être à la fin de
Janvier 1910, Lukara avait parlé d’aller voler des vaches chez un tel. Et
comme on cherchait à l’en dissuader, Lukara continuait à exposer ses desseins tout comme s’il n’avait rien entendu, ne pouvant comprendre que
d’autres puissent lui imposer une nouvelle manière de faire. Le P. Classe
peut vous le dire, il se trouvait alors à Rwaza.
Ces visites successives de Lukara avaient été un peu déterminées, je crois
par un premier voyage que le P. Loupias en quête de bois pour l’Eglise, avait
été faire aux pieds du Muhavura. Lukara qui sentait son influence lui
échapper, à la suite de ses démêlés avec les Bakaza qui s’étaient soustraits à
22

« N.B. : Cela se passait fin de décembre 1909. »

14

son autorité, comme nous le verrons plus loin, voulait être en bons termes
avec nous, pensant que nous pourrions lui être de quelque secours. D’où ses
visites successives à la mission, déterminées comme je viens de le dire par le
premier voyage du P. Loupias, ce qui l’avait ensuite encouragé à venir nous
voir.
Ce n’était pas la sympathie qui nous l’amenait, c’était plutôt l’intérêt.
Dans cet homme tout infatué de lui-même et de plus aigri, qu’était Lukara, il
n’y avait de place que pour la haine et la défiance. Sa disgrâce à la capitale,
où il n’y avait plus rien à espérer, avait dû aviver fortement sa susceptibilité.
Les manières de faire du P. Loupias à son égard, avaient dû également gravement l’offenser. Puisqu’il s’agit d’expliquer le meurtre, il n’est pas inutile,
ce me semble, de rechercher les causes qui remontent à plus haut.
Les gens de Lukara qui savaient fort bien que le Père était en quête de
bois, lui avaient dit qu’il en trouverait beaucoup chez eux. Le Père se rendit
donc chez Lukara, c’était je me rappelle bien vers le commencement de Décembre 1909. Mais il se trouva déçu ; les arbres étaient rares. Dans son
mécontentement, il se permit de porter la main sur la figure de Lukara. Le
coup ne fut peut-être pas très violent, toujours est-il que la pipe de Lukara
se brisa en deux. Le fait est certain ; je l’ai entendu de la bouche du P. Loupias et des chrétiens qui l’accompagnent. Hélas ! C’était une imprudence
dont on ne pouvait soupçonner les conséquences. J’ai ensuite entendu les
chrétiens raconter que les gens de Lukara vexés a) de l’humiliation qu’on
avait fait subir à leur chef, voulaient en venir aux mains, mais que devant la
contenance des chrétiens au nombre d’une trentaine, tous bien armés, ils se
seraient enfouis, activés dans leur fuite par le bruit d’un coup de fusil que
l’on aurait tiré pour leur faire peur. b) Lukara, paraît-il, ensuite, aurait dit à
ses familiers qu’il s’habillerait un jour de l’étoffe du Blanc. Mais je ne puis
me porter garant de l’authenticité de ces deux derniers détails (a et b),
n’ayant pas eu le temps de les contrôler. Je les cite néanmoins, parce qu’il
est quelquefois bon de connaître ce que les Nègres pensent de leurs semblables en de pareilles circonstances. Les sentiments qu’ils leur prêtent ne sont
pas toujours gratuits. Toujours est-il que Lukara n’en a rien laissé paraître,
car quelques mois après, il venait à la mission, suivi d’un nombreux cortège,
et nous faisait cadeau d’un joli taureau.
Après un second voyage fait par le Père, toujours en quête de bois sur les
bords du lac supérieur (le lac Mulera qui domine le lac Ruhondo, ce dernier
le plus rapproché de la mission), j’ai entendu ses porteurs rapporter un nouvel incident. Le Père aurait commandé à l’un de ses chrétiens du nom de
Pancrace, d’aller faire la cuisine dans un des lugo de Lukara. Celui-ci paraîtil serait survenu à l’improviste, aurait pris le chrétien qu’il aurait renversé à
terre en lui disant d’une voix terrible : « Je ne veux pas que tu viennes dans
ma maison ». C’est alors que le Père serait intervenu ; il aurait à son tour
empoigné Lukara, en lui enlevant sa lance qu’il aurait fixée en terre par le
haut (par le fer de lance).
Ces procédés, dont je puis malheureusement garantir l’authenticité de
quelques-uns, ont dû l’humilier beaucoup aux yeux de ses gens, lui qui se
conduisait en roi, tout roitelet qu’il fut dans son coin de terre.
Nous voici arrivés à l’affaire des Bakaza, dont il faut tenir compte, puisqu’elle a fait l’objet de la première partie du débat dans la scène du meurtre,
et aussi parce qu’elle n’a pas peu contribué à raviver la susceptibilité de

15

Lukara. C’est le vol d’une vache qui a déchaîné toute l’affaire, qui en d’autres
termes a mis le feu aux poudres. Un des gens de Lukara s’en fut un jour
voler la vache d’un Mukza, d’où procès et querelle entre les deux partis. Lukara mécontent de ce que les Bakaza fussent venus attaquer ses bagaragu
(c’est-à-dire les gens qui ont le plus de titres à sa familiarité et à sa protection) s’en alla à son tour les attaquer et leur tua deux hommes. Vexés de ce
mauvais procédé, les Bakiza allèrent plaider à la capitale contre Lukara pour
se soustraire à son autorité. Le P. Classe peut vous en dire quelque chose,
car il a certainement été mis au courant de cette affaire par le P. Loupias.
Les Bakaza qui sont allés, je crois deux fois à la capitale, sont passés par
Rwaza et par Marangara, – et si mes souvenirs sont bien fidèles, ils ont été
accompagnés par des gens, autrement dit par des chrétiens des deux missions qu’on leur avait donnés, – en vue de les protéger sur le parcours de la
route qui n’est pas très sûre pour les étrangers, entre Rwaza et Marangara.
C’est après avoir perdu ce procès, où on enlevait à Lukara trois ou quatre
cent vaches, que celui-ci se serait écrié : « Les autres vaches ne se trairont
qu’avec du sang », c’est-à-dire que pour lui enlever ses autres vaches, il y
aura du sang versé. Lukara savait fort bien qu’il n’avait plus rien à espérer
de la capitale. Le roi lui avait tout d’abord fait un affront, en refusant
d’accepter les cadeaux qu’il lui avait fait parvenir, puis il avait ravivé sa susceptibilité et sa défiance, en l’invitant à venir lui-même plaider l’affaire. Lukara comprenait fort bien la signification, le sens de cette invitation.
On comprend après cela, s’il était imprudent pour la mission de se mêler
de cette affaire, un tant soit peu que ce soit. A fortiori cela a été une grande
imprudence pour le pauvre P. Loupias qui ne se défiait pas assez de prononcer les mots fatals de : « Ni mumufate » (Prenez-le !). Ils ont été suivis d’un
grand malheur. Lukara aigri et défiant comme il était avait dû prévoir le cas
où on voudrait lui faire violence et lui jouer un mauvais parti.
Certes, le pauvre Père Loupias n’avait pas l’intention d’user de violence à
son égard. Son intention était uniquement de lui faire peur pour avoir les
vaches. Hélas !
Nul ne pense que le roi ait été du complot. Sans doute on ne sait pas au
juste ce qui se passe dans cette mystérieuse capitale de Nyanza, mais vu les
relations du roi avec Lukara, les preuves manquent pour le moment pour
mettre Musinga en cause. Qu’on se soit réjoui à la capitale du coup fait, c’est
vraisemblable, vu que depuis ce malheureux événement, on remarque un
peu d’excitation chez pas mal de Batusi. Il n’est pas jusqu’au Kanaga où le
contrecoup de cet événement ne se soit fait sentir. Depuis quelque temps
déjà, un Mutusi du nom de Lutabagisha qui exerce quelque influence dans
ce pays, menaçait les catéchistes que l’on a établis dans cette station abandonnée. Il avait cessé pour un temps, et on pensait que c’était le roi qui devant les réclamations du P. Classe, l’avait rappelé à l’ordre. Or ces jours-ci, il
recommence ses menaces, et se dit ouvertement soutenu par Rudegembya,
l’un des puissants du jour à la capitale23.
Il va sans dire que la mission de Rwaza s’est ressentie plus que tout autre
du contrecoup de cet incident. Ce sont précisément les gens avec lesquels la
mission a eu des démêlés dans le début, qui ont essayé de donner à la mission le coup de pied de l’âne. Telle a été la conduite d’un petit chef muhutu
23

« Quant à ce dernier détail, nous venons d’apprendre que ce n’était qu’une rumeur ».

16

du Kirye, un nommé Ndibakunze qui habite à une heure de la mission. Il a
été de toutes les affaire dans le début de la mission, et c’est encore avec lui,
comme avec bien d’autres aussi, qu’a eu affaire le P. Barthélemy quand il
s’en retournait au Bugoye après être venu au secours du P. Classe. Le
4 Avril, au soir, on vint nous apprendre, qu’il venait de surprendre des chrétiens, dont il en blessait un très grièvement, et tuait ou blessait ensuite
4 autres de ses parents. Les Allemands mis au courant de l’incident promirent de faire justice. Il en est encore plusieurs autres qui ont manifesté leur
joie à la nouvelle du meurtre. S’ils ne se sont pas portés à des voies de fait,
c’est qu’ils se sont sentis trop faibles, ou bien encore c’est parce qu’ils prévoient qu’ils n’auront pas le dernier mot.
Et en effet les Allemands se montrent tout disposés à faire et à frapper un
grand coup dans le pays. L’Oberlieutenant de Kissenye, M. Von Spaar, auquel nous avions annoncé la triste nouvelle (sans entrer dans des détails,
puisque nous n’en avions pas) alors qu’il se trouvait en visite à Nyundo, le
2 Avril, se mit en route immédiatement avec10 askaris pour le Luhengeli,
dès le dimanche 3 Avril, ayant eu à revenir à Nyundo le 7 Avril, je repassais
par le Luhengeli, M. Von Spaar lui dit que c’en était fini de la puissance de
Lukara. Depuis nous avons appris que cent soldats étaient revenus de Rukoma (entre Marangara et Kigali) au Luhengeli avec M. le Résident. Belges et
Allemands préparent de concert une expédition pour cerner Lukara dont la
tête été mise à prix.
Voilà, Monseigneur, les quelques détails que je me permets de vous
adresser, pour vous mettre un peu au courant de ce qui s’est passé. Espérons que de ce pénible événement, il n’en résultera que du bien, pour cette
chère mission de Rwaza, si fortement éprouvée.
A. Pagès
Un autre détail qui me revient à la mémoire et qui montre encore que les
relations de Lukara avec la mission n’étaient pas toujours empreintes de
cordialité. C’était un peu avant notre départ pour la retraite de Marangara,
dans le courant du mois d’Août, on vint un beau jour nous annoncer que le
taureau de notre troupeau, et le taureau seul, avait été volé, puis tué et
mangé. Il venait en effet, d’être pris par les gens de Lukara, mais il n’avait
pas été tué, comme nous l’avaient tout d’abord annoncé les gardeurs du
troupeau qui peut-être étaient du complot. Cette fois-là, on eut la sagesse de
s’adresser à Kigali. J’ignore ce que la Résidence répondit. Ce que je sais c’est
que M. Godovius répondit aussitôt, car je trouvais le courrier de Kigali en
route pour Rwaza ; la réponse doit être dans les archives du poste. J’ignore
ensuite comment M. Godovius s’y prit pour avoir le taureau. Toujours est-il
que M. le Résident lors de son passage au Luhengeli où était établi le camp
allemand, nous ramena lui-même la bête à la mission.
Si je me rappelle bien, ce que j’ai entendu c’est encore des gens de Lukara qui auraient dépouillé un léopard empoisonné à la strychnine par le
P. Dufays. J’ignore si les réclamations que l’on fit à cet effet, pour avoir la
peau furent couronnées de succès.

17

Personnages qui ont joué quelque rôle dans cette malheureuse affaire.
Lukara : le chef qui commande aux pieds du Muhavura.
Manuka : fils de Rwobaka, de la suite de Lukara, qui a atteint le Père un
peu au-dessus de l’œil gauche.
Lubashumukore : fils de Biraboneye, genre de Rwobaka, également de la
suite de Lukara, qui a donné le 2ième coup de lance au Père.
Autres Balashi de la suite de Lukara
Sebuyange & Kamana : petits chefs que l’envoyé du roi venait de soustraire à l’autorité de Lukara. C’est chez Sebuyange que l’on a tout d’abord
porté le Père, une fois frappé à mort.
Les Bakaza : branche détachée de la grande tribu des Balashi. Ce sont
eux qui avaient été plaider (sic) à la capitale pour se soustraire à
l’autorité de Lukara.
Shingamyeto : l’envoyé du roi, Mutusi.
Luhanga : notre grand vacher mutusi, que le Père avait invité à venir, et
dont la conduite a été si louche.
Paolo & Musa & Max & Nkilehehe : les quatre chrétiens dont le Père
s’était fait accompagner. Paolo, notre nyampara qui a fait le coup de feu,
et Musa qui s’est enfui à toute jambe rapporter la nouvelle, à la mission. »

6. Rapport du Père Soubielle sur la mort du Père Loupias24
« Le cher P. Loupias est mort ce 1er Avril, tué par Lukala bwa Bishingwe. Frappé de deux coups de lance, il a été transporté à la Mission sans
connaissance. C’est là qu’il a rendu le dernier soupir à 8 h 35 du soir, muni
des sacrements de l’Eglise.
Vous ne connaissez pas Lukala bwa Bishingwe ? Muhutu, d’une trentaine
d’années ; il est gaillardement taillé, beau, d’un teint clair. Sa démarche et
son regard sont impérieux, pleins d’orgueil de cet orgueil nègre qui nous
froisse parce qu’il n’est revêtu d’aucune de façons qui le rend un peu supportable en Europe. Il est riche car il a plus de 1 600 vaches et commande
les Barashis, une des familles les plus nombreuses, les plus aisées et les
plus belliqueuses du pays. Il est brave et cruel.
Pour lui la vie d’un homme ne compte pas. Il met dans le même sac et
couvre du même mépris, Batutsis et Européens, envoyés des rois et des
forts.
Il y a quelques temps, dans un combat livré aux Batutsis, il prit un grand
chef proche parent du roi et le dépeça sur la lave après lui avoir enlevé la
peau.
Rapport du P. Soubielle sur la Mort du P. Loupias, A.G.M.Afr., N° 098422-098430.
Le P. Soubielle était arrivé au Rwanda en 1908.
24

18

Il a attaqué les Européens de passage chez lui, à plusieurs reprises, et
ces derniers temps à une réponse du P. Loupias, il répondait par un envoi
d’œufs pourris.
Il appelait sa maison magnifiquement ornée de perles, son Nyanza (capitale du Ruanda), et alors que dans tout le reste du Ruanda on jure par Musinga, ses gens jurent : « bandoga bwa Bishingwe ».
Vous voilà bien édifié maintenant sur le compte de cet assassin qui vous
voyez n’est pas un assassin vulgaire. Allons au fait.
En lutte depuis avant la fondation du poste de Rwaza avec Luziranpuwe,
son voisin mututsi, de qui il prenait de temps en temps des bêtes et débauchait les gens, il a été cité maintes fois devant le roi et maintes fois le roi lui
a donné tort sans pouvoir jamais faire exécuter ses sentences. « Me soumettrais-je, disait-il, à des jugements dictés par une femme ». La mère du roi en
effet de par les coutumes du pays, est toute puissante à la cour et ses volontés, tant que son fils n’a pas d’enfant, sont d’un grand poids dans les
conseils royaux.
Condamné à mort une première fois par Musinga à cause de ces insultes,
il fut sauvé par Lwidegembya, oncle et premier ministre du roi.
De nouveau pris et condamné, il fut de nouveau sauvé. Les Pères Classe
et Dufays se trouvaient à la capitale avec Monsieur Csekanowski. Le P. Dufays et Monsieur Csekanowski allaient rentrer au Mulera. Trompés par ses
promesses, les Pères proposèrent Lukala comme guide au jeune ethnologue.
Mulera, chef d’une bande de Batwas, dégourdi, connaissant la forêt comme
pas un, il pourra lui dirent-ils vous rendre service. Monsieur Csekanowski
accepta. Il le demanda avec fermeté au roi qui se faisait tirer l’oreille et
l’obtint.
Lukala ne devait plus remettre les pieds à la capitale. A partir de ce jour,
il ne se conduisit plus qu’en révolté, travaillant semble-t-il par un réseau
d’amitiés habillement tressé à faire du Mulera sinon tout entier du moins en
partie, la partie qu’occupe sa famille une province indépendante qu’il régirait
à sa guise malgré les Batutsis et le roi.
Malheureusement deux de ses parents, Sebuyangi et Kamana, chacun
chef d’un groupe de Barashis et ses bergers se séparent de lui, emmenant
dans leur défection près de six cents vaches prises dans les troupeaux de
leur chef.
La cause de cette défection est bénigne. Un suivant de Lukala avait volé
une vache à un homme de Sebuyangi pour le sien. De là séparation et lutte.
Dans une première rencontre, Sebuyangi et Kamana furent battus et perdirent trois hommes.
Battus mais non découragés, les deux alliées distribuent des vaches,
achètent des auxiliaires et reprennent la lutte. Cette fois Lukala est battu ;
plusieurs de ses maisons sont brûlées. Sebuyangi et Kamana perdent huit
hommes. Ce fut la dernière bataille.
Un ennemi redoutable plus à même de le tenir en échec que le roi et les
Batutsis parce que plus près et plus mêlé à ses gens s’était levé dans son
lugo même. Lukala ne l’ignorait pas, aussi à dater de ce jour tenta-t-il de se
défaire de lui.
Pour arriver à ce but, il pensa le concours du P. Loupias lui être nécessaire ; aussi n’épargne-t-il rien pour se gagner les bonnes grâces du chef
défunt : visites fréquentes, cadeaux de vaches, de miel, de petits pois…etc.,

19

que n’arriva-t-il pas en ce temps là ? Il essaya même souvent d’acheter le
nyampara pour le servir auprès du Père. « Faisons le pacte de sang, lui répétait-il, sans cesse, et je te donnerai ce que tu voudras ».
Sebuyangi et Kamana de leur côté ne nous négligeaient pas. Lukara nous
apportait-il un taureau ? Nous étions sûrs, le lendemain de voir Sebuyangi
et Kamana nous en apporter un autre, et toujours la première visite était
pour le nyampara. Etait-ce Lukara ? – « On m’a dit que Sebuyangi t’a acheté,
qu’il a fait le pacte de sang avec toi, est-ce vrai ? – Non – C’est bien, dis au
P. Loupias de m’aider à réduire ces révoltés ; j’ai toujours commandé les
Barashis que je continue à les commander tous ».
Etait-ce Sebuyangi ? Le discours était le même tant l’idée qui les obsédait
était la même : –« As-tu fait le pacte de sang avec Lukala ? – Non. – C’est
biens, introduis-nous auprès de bwana mukulu, dis-lui que nous nous
soumettrons au roi mais pas à Lukala. Aide-nous, et nous te récompenserons.
Le Père, lui, avait pour tous de bonnes paroles. A Sebuyangi, il conseillait
d’aller faire des cadeaux au roi, afin que le roi régularise sa situation car il
était d’une famille en révolte ouverte avec le roi, et de plus détenait des
champs, des troupeaux et un commandement pour lesquels il n’avait pas
reçu juridiction. Le roi l’accueillera bien, peut-être qu’il lui donnera de commander tous les Barashis.
A Lukara qui lui demandait d’envoyer notre nyampara aux gens de Sebugyangi pour les lui ramener, il disait : « Cela n’est pas mon affaire, je n’ai
rien à voir dans les choses du roi. Ce que je puis faire c’est te donner un bon
conseil. Ta situation n’est pas perdue. Apporte un grand cadeau au roi. Il
acceptera ta soumission. Il aimera mieux gagner cela en refoulant son ressentiment que risquer de tout perdre en voulant s’entêter à poursuivre une
vengeance qu’il lui sera difficile d’assouvir ».
Sebuyangi écouta le conseil. Il partit pour Nyanza avec des cadeaux et
une feuille de route que le Père lui donna.
Lukala aussi voulut sa feuille de route, mais revenu chez lui, il eut peur
et n’envoya au roi qu’un mince cadeau accompagné de quelques hommes.
Quelques temps après, Sebuyangi et Kamana étaient de retour. Le roi
avait accepté leur soumission et leurs cadeaux tandis qu’il avait refusé ceux
de Lukala. De plus il promettait aux deux alliés de leur envoyer un homme
qui leur spécifierait ses volontés sur les lieux mêmes, à eux et à Lukala.
La situation devenait critique pour ce dernier. Il résolut de frapper un
grand coup.
C’était à la fin de février, aux environs du vingt. Le P. Loupias cherchait
des bois pour la charpente de l’église. Lukala lui envoie dire par un de ses
hommes : « Il y a ici dans la forêt de grands et beaux arbres, viens les couper
et je t’aiderai avec tout mon monde à les transporter à la mission ». Heureux
de la nouvelle, car ces bois en ce moment lui donnaient beaucoup de soucis,
le Père prit avec lui une vingtaine de chrétiens, le nyampara, des haches, des
cordes, le passe-partout et partit pour la forêt.
Arrivé chez Lukala, il demande l’homme pour le conduire et lui montrer
ces arbres.
– Je te donnerai cet homme, lui dit Lukala, mais avant, aide-moi à prendre Sebuyangi et Kamana.

20

– Je ne suis pas venu pour faire la guerre. Ton envoyé m’a dit qu’il y a de
grands arbres à la forêt ; où est ton envoyé ?
– Je ne sais.
– Cherche-le. Je camperai ici et demain matin au premier chant du coq,
je monterai avec lui à la forêt. Qu’on nous apporte des vivres.
Lukala envoie quelques hommes [pour] chercher des vivres. Ils reviennent
peu après amenant une magnifique vache stérile.
Pendant que les chrétiens dressent la tente, Lukala s’entretient avec le
Père. Ils parlent un peu de toutes choses, des haches, des forgerons
d’Europe – Lukala est un forgeron – des fusils. Ils parlent surtout de Sebuyangi et de Kamana. Le Père tue la vache d’une seule balle, au grand
étonnement de son entourage qui n’a pas vu passer le projectile. Vers quatre
heures les Barashis viennent armés et nombreux du côté de la tente. Justement alarmés de cette affluence les chrétiens les tiennent au loin. Tout à
coup le tambour sonne, les corners donnent l’alarme et au même temps, làbas dans la plaine, une maison brûle. Les barashis se précipitent de ce côté,
toute la tribu en un clin d’œil est sur le pied de guerre. Lukala donnes ses
ordres.
– Bwana, dit-il au Père, Sebuyangi vient m’attaquer sous tes yeux, que
tes hommes viennent à mon secours, que je coupe les pieds à ces deux
brutes.
– Si Sebuyangi t’attaque, défends-toi, c’est ton affaire. Pour moi, je te l’ai
déjà dit, je ne suis pas venu pour me battre.
En un instant, le calme se fait. Les Barashis reviennent, le feu s’éteint.
C’était une ruse de guerre. Pour décider le P. Loupias à se mettre de son
côté, Lukala avait fait brûler une de ses maisons à lui. Si le Père l’avait suivi,
il se serait jeté sur Sebuyangi, démoralisé par la présence des chrétiens dans
les rangs ennemis, et l’aurait taillé en pièce. Au retour de la bataille, tout le
monde alla se coucher.
Le lendemain dès l’aube, la tente était pliée et les chrétiens prêts à partir.
Lukala se fait attendre un moment puis il vient.
– Où est l’homme qui doit me montrer les bois ?
– Je ne sais, je n’ai envoyé personne te dire qu’il y avait des bois ici.
Le Père se fâche et menace de frapper Lukala, puis apercevant dans la
suite de Lukala celui qui était venu lui parler de bois à la Mission, il
l’empoigne et dit aux chrétiens de le lier. L’opération finie, ils le mettent à la
tête de la caravane pour servir de guide. Lukala reste dans son lugo.
En route ils rencontrent un Mutwa.
– Où sont les grands arbres, lui demande le Père, Lukala, l’a dit qu’il y en
avait ici.
– Bwana, Lukala t’a menti, il n’y a pas un seul grand arbre ici, crois-moi
je connais la forêt.
En effet, ils marchèrent toute la matinée sans trouver un seul arbre.
L’après-midi, fatigués de leurs marches et contremarches inutiles, ils campèrent. A peine avaient-ils campé que Lukala vint avec une centaine de Barashis au moins. Il venait parler encore de Sebuyangi. Le Père exaspéré par la
course inutile qu’il venait de faire, lui donna une gifle qui l’envoya rouler à
quatre ou cinq pas dans les broussailles. Puis prenant son fusil et en faisant
manœuvrer le mécanisme, il effraya la suite de Lukala qui s’enfuit comme
une bande de daims effarouchés.

21

J’ai demandé au nyampara si Lukala en se relevant n’avait pas proféré
des paroles de vengeance. Non, m’a-t-il répondu. Lukala avait peur en ce
moment. Il me dit : « Je t’en prie, le bwana est fâché, apaise-le ».
Après l’avoir frappé, le Père lui fit donner trois ou quatre étoffes pour sa
vache stérile, puis le congédia, ainsi que le guide. Lukala s’en retourna chez
lui heureux de n’avoir pas été lié ce jour-là et livré au roi ou aux officiers du
Luhengeli.
Le lendemain, le P. Loupias descendait du côté des lacs. Là il trouvait
quelques arbres, les coupait et après avoir distribué la besogne aux chefs
pour le partage, revenait au poste avec un accès de bile qui le cloua au lit
pendant deux jours.
Entre cette époque et celle où le Père a été tué, Lukala est revenu une
seule fois pour reparler de Sebuyangi, son cauchemar. Cette fois-là, il
n’apporta pas de cadeau.
Le Jeudi 31 Mars, arrivait Shingamiheto, l’envoyé du roi avec quelques
hommes de Sebuyangi. Il exposa au Père ce pourquoi il venait. « Le roi m’a
envoyé pour témoigner de ses volontés en présence de Lukala, de Sebuyangi
et de Kamana, et le roi veut que Sebuyangi commande ses gens, que Kamana commande ses gens, que Lukala aussi commande les siens, et que tous
cessent de se battre. Le roi m’a dit aussi de te prier de m’accompagner. Si tu
viens Lukala ne me fera pas de mal, puis tu seras témoin que les volontés du
roi auront été dictées, puis il saura que tu ne fais pas cause commune avec
ce révolté que vous avez arraché des mains même du roi alors qu’il était
condamné à mort ». L’envoyé du roi dit cela et bien d’autres choses, car venu
le matin vers neufs heures, il ne repartit qu’à onze heures.
Le Père sortit de cet entretien fort ennuyé.
– Qu’en pensez-vous, me disait-il en sortant de dîner, l’envoyé du roi veut
que je l’accompagne chez Lukala. C’est le roi qui l’a dit m’a-t-il assuré. Si
Lukala s’est révolté c’est bien notre faute car c’est nous qui l’avons arraché
au roi.
– Que voulez-vous que je pense ? Si vous croyez faire plaisir au roi en allant chez Lukala, allez-y, mais attention, il vous attaquera peut-être.
– Non, il n’attaquera pas. J’irai de très bonne heure, j’écouterai ce que
l’envoyé dit, puis je reviendrai.
Le soir après la prière des chrétiens, il appela Paulo Banbanzi, Max Lutusi et Makari Kirihehe, tous trois sur la colline et leur dit, j’étais là : « Demain
de très bonne heure, j’airai chez Lukala, vous viendrez avec moi. »
– Père, lui dit Paulo, nous trois seulement ?
– J’ai dit à Musa aussi de venir, nous partirons avant le jour.
– Tu connais Lukala, amène deux ou trois fusils, il nous jouera un mauvais tour.
– Quel mauvais tour ? J’emporterai mon fusil à dix coups, il suffira. Max !
tu viendras me servir la messe de bonne heure. Allez, dormez bien.
Quand ils furent partis, il me dit : « J’amène peu de monde, cependant je
prends les plus braves, ceux qui lorsqu’il vous arrive quelque chose ne perdent pas la tête et restent à côté de vous pour vous défendre.
Le lendemain vendredi 1er Avril, à 5 h ¼, le Père après avoir dit sa messe
partait avec sa petite troupe : Paolo portait son fusil, Max son parapluie,
Makali son fauteuil et Musa son imperméable. J’emporte mon fauteuil pour

22

dominer la situation, me disait-il en riant, la veille, alors qu’il faisait ses
préparatifs.
En route, ils rencontrèrent des envoyés de Lukala.
– Où allez-vous ?
– Chez vous à la mission.
– Et moi, je m’en vais chez Lukala, venez, suivez-moi.
Aux environs du lugo de Sebuyangi, ils trouvèrent l’envoyé du roi, avec
Luhanga, notre vacher, un de ses fils et quelques hommes. Sebuyangi vint
ensuite avec un assez grand nombre d’hommes. Toute cette troupe suivit le
Père, et l’on se dirigea du côté du lugo de Lukala.
Arrivé à quelque distance du lugo, à mi-pente, le Père s’arrêta, envoya
chercher Lukala, puis s’assit. Lukala se fit attendre un long moment, le
temps, disent les Nègres de fumer deux grandes pipes. Enfin Lukala vint.
Les gens qui le suivaient formaient deux corps rangés comme pour la bataille : les lances et les boucliers en avant, chacun avait trois ou quatre lances,
les arcs et les flèches en arrière.
A la vue de cette armée qui marchait sur lui, le Père se leva, fit signe aux
Barashis de rester loin, fit porter en arrière les arcs de ses hommes et pria
les assistants de s’asseoir. Le Père s’assit dans son fauteuil, Lukala s’assit
un peu en avant du Père sur sa gauche, l’envoyé du roi un peu en avant du
Père sur sa droite.
Paolo, Max, Makari et Musa autour de lui. Musa avait le fusil. Quand
tout le monde se fut assis, le Père dit : « je suis venu entendre les décisions
du roi, quand l’envoyé aura fini de parler je m’en irai ». Alors l’envoyé commença :
– Voici ce que le roi a dit : « Que Sebuyangi commande ses hommes à lui ;
que Kamana commande les siens ; que Lukala commande les siens.
– Lukala réplique avec un sourire narquois en relevant la tête : « Quoi Sebuyangi nous commandera ? »
– Alors deux Batutsis qui ont accompagné l’envoyé du roi demandent la
parole, contredisent la décision du premier envoyé et ne parlent qu’en faveur de Lukala. Qui croire ? Les envoyés du roi eux-mêmes ne
s’entendent pas.
– Le Père leur dit : « Puisque les envoyés ne savent plus ce que le roi a décidé, il ne reste qu’une chose à faire : que Sebuyangi et Lukala aillent à la
capitale entendre de leurs oreilles ce que le roi veut. »
– Je ne puis y aller moi, dit Lukala, puis se ravisant : et bien oui, j’irai à
la capitale.
– C’est bien dit le Père, les affaires de Musinga sont réglées.
Et tous de répondre : Oui, elles sont réglées.
A ce moment Luhanga dit au Père : « Et les vaches qu’on nous a prises ? »
– Tu n’as qu’à les plaider avec Lukala.
– Un homme de Lukala m’a pris sept vaches, six sont à moi, la septième
est à Lukigana25 (surnom du Père qui veut dire « le fort »). Lukala connaît
le voleur qu’il nous fasse rendre nos vaches.
– Je ne nie pas que je connaisse le voleur, je le connais, mais je ne puis
faire rendre les vaches.
25

Ou « Rugigana ».

23

– Pourquoi ?
– Elles ne sont plus.
– Rends-moi ma vache, lui dit le Père.
– je n’ai aucun pouvoir sur le voleur.
– Tu n’as aucun pouvoir sur lui ? Tu lui as donné ta sœur en mariage et
vous habitez dans un même lugo. Amène-moi les deux vaches qu’il t’a
donnés pour acheter ta sœur.
Lukala alors se lève et s’accroupit devant ces gens et leur dit : « Vous entendez ce qu’ils veulent ? Ils veulent que je livre un d’entre vous ou que je
rende les vaches qu’on a données pour payer ma sœur, qu’en pensezvous ? »
Pendant le temps que Lukala parlait à ses hommes, le P. Loupias dit à
Paolo : « Attention, s’il refuse de nous rendre les vaches, nous le prendrons et alors les vaches viendront tout de suite ».
Quand Lukala eut repris sa place, le Père lui dit : « Et bien ces vaches ? »
– Je t’ai dit qu’elles sont mortes.
– Tu ne veux pas les rendre ?
– Je les chercherai, si je ne les trouve pas, tu viendras brûler mon lugo.
– Tu mens toujours, et en disant cela, il avait son fusil de la main droite,
il saisit avec sa main gauche le bras de Lukala qui lui aussi s’était levé et
voulait s’enfuir. Paolo et Max de leur côté le tenaient par l’étoffe, Luhanga
et un homme de Sebuyangi par le bras droit.
A la prise de Lukala, un premier mouvement de frayeur courut dans les
rangs des Barashis, quand une voix sortie de leurs rangs les rappela à leurs
promesses : « Quoi, vous laissez prendre votre roi ? Vous ne souvenez plus
de vos promesses ? Souvenez-vous. Alors tous à la fois lancent leur[s] lance[s] qui tombent en pluie serrée autour du Père. Une d’elle le frappe au
front au-dessus de l’œil gauche, trois centimètres au-dessus des sourcils.
Frappé mortellement, le Père tomba à la renverse sans connaissance, tenant
son fusil dans la main droite et portant l’autre main au front. Il ne proféra
pas une seule parole.
Lâché par le Père qui avait été frappé et par les autres qui s’étaient baissés pour éviter les lances, Lukala bondit. Après avoir fait six ou sept pas, lui
aussi jeta sa lance mais n’attrapa personne. Il voulut se remettre à fuir, mais
tomba par terre. A ce moment, Luhanga qui le poursuivait aurait pu le tuer
mais il n’osa par superstition parce que Lukara était son ami de sang.
Des quatre chrétiens qui avaient accompagné le Père, un Musa, ayant vu
le Père tomber et les autres se baisser crut que tous étaient morts. Pris de
peur, il s’enfuit à perdre haleine et tomba sans force dans le lugo d’un chrétien qui cria de colline en colline la terrible nouvelle. C’est ainsi que nous
l’apprîmes le P. Gilli et moi – le P. Pagès était à Nyundo – à onze heures
moins vingt du matin, au moment où nous nous rendions à l’examen particulier.
Les trois autres chrétiens se conduisirent en braves. Monsieur Kandt les
en a récompensés en donnant deux vaches à chacun.
Paulo, s’étant relevé après le premier jet de lances, vit le Père étendu, la
lance au front. Il se précipite sur lui, appelle les hommes de Sebuyangi rivés
sur place par l’effroi, arrache la lance du front qui en sortant entraîne de la
cervelle gros comme un œuf de poule, et la relance aux assassins. C’est au
moment où il relançait la lance qu’un nommé Ruhasha Mukore, fils de Bira-

24

boneye, voit sans lâcher sa lance percer le Père au foie. Nous ne nous aperçûmes de cette blessure qui était la plus grave, qu’au moment où on lava le
cadavre. La lance était passée près d’une boutonnière et aucun sang révélateur n’était sorti de la blessure, avait coulé dans le ventre. Ayant confié le
corps à Sebuyangi et pris le fusil du Père, Paulo poursuivit les Barashis,
brûla leurs maisons y compris celles de Lukala.
Pendant ce temps, je courais au secours du Père. Nous savions la nouvelle à onze heures moins vingt, donc probablement le Père a été frappé entre
dix heures moins le quart et dix heures et quart.
Aussitôt la nouvelle que le Père avait été attaqué fut connue, je pris mes
souliers et mon fusil et dis à deux chrétiens qui travaillaient dans le lugo de
me suivre. Les frères venaient aussi mais je les laissai bien vite loin derrière
moi. En route des groupes nombreux se joignirent à moi pour aller au secours du Père, bientôt je comptai plus de mille hommes.
Au bout d’un quart d’heure de marche, je vis Musa, le chrétien, qui avait
accompagné le Père, pris de peur il avait fui. – Et bien Musa, lui dis-je, le
P. Supérieur comment va-t-il ?
– Il est mort, Paolo est mort, Max est mort, Makara est mort, tous sont
morts.
– Ce n’est pas vrai, lui dis-je, tu as eu peur, tu n’as rien vu.
Nous continuâmes notre route. A une demi-heure delà, je rencontrai un
païen qui venait de la forêt.
– Tu as vu le Père, lui demandai-je.
– Oui.
– Il est blessé ?
– Je ne sais pas s’il est blessé, mais ce que je sais c’est que Lukala et ses
hommes sont en fuite, et que le fusil ne discontinue pas de tirer.
Cette nouvelle me donna des jambes et du cœur, si j’avais osé, j’aurais
embrassé ce brave homme. Je dis aux chrétiens cependant de réciter le chapelet pour que le Bon Dieu nous garde notre Père. S’il n’est pas blessé, que
le Bon Dieu détourne de lui toute lance ou toutes flèches homicides, s’il est
blessé que le Bon Dieu fasse que sa plaie ne soit pas mortelle. Et tous les
chrétiens se détachant des païens récitèrent le chapelet, les uns commençant les autres répondant.
A peine avions nous fini le chapelet que deux chrétiens venant du lieu de
l’accident vinrent vers nous en courant. Ils avaient devancé les autres pour
secourir le Père ; c’est eux qui, étant plus près, avaient su les premiers la
nouvelle.
– Qu’y a-t-il ?
– Le Père est entre les mains de Lukala ; il est mort.
– Nous avons vu tout le monde fuir ; nous avons eu peur et nous nous
sommes enfuis nous aussi.
En ce moment, je vous assure, j’aurais autant aimé un coup de couteau.
Pensant au corps du Père abandonné entre les mains de Lukala, je pensai : « Que faire maintenant? Je ne puis pas reprendre le corps tout seul,
puis je suis fatigué de ma course, j’enverrai au Luhengeli, et aussitôt j’envoie
deux chrétiens au camp avec ordre de courir partout, et de dire au sergent
qui était au camp que le P. Loupias est mort, tué par Lukala ».
Je continue ma route ; près de l’endroit où le Père fut frappé, deux chrétiens vinrent à ma rencontre. Je leur demandai s’ils avaient des nouvelles du

25

Père. Oui, il est chez Sebuyangi ; il avait été frappé mortellement d’une lance
au front, mais son cœur bat encore.
Je me précipite dans le lugo de Sebuyangi, le Père en était parti ; Paolo de
retour de l’expédition, deux soldats qui s’étaient trouvés là par hasard, les
gens de Sebuyangi et les chrétiens qui nous avaient devancé le transportaient au Luhengeri.
Je l’eus bientôt atteint. Le Sergent qui venait d’arriver vint me saluer. Je
[me] mis à genoux, embrassai le Père, et voyant qu’il n’avait aucune connaissance après m’être recueilli un instant, je lui donnai l’absolution, puis ordonnai aux chrétiens de soulever la civière dans laquelle on l’avait mis et de
le transporter à la mission. Vous connaissez le reste. Nous arrivâmes à la
mission vers six heures du soir. Le P. Gilli ne se possédait plus, il oublia
cette nuit-là et de dormir et de manger ; moi aussi du reste.
Nous posâmes le Père sur son lit. Les vomitifs que nous lui donnâmes
permirent au blessé de respirer plus facilement. Mais à 8 h 35 après avoir
reçu l’Extrême-Onction, il se mourait doucement sans secousse. Mort, il
était beau.
Nous venions de le laver et de l’habiller lorsque le sergent arriva. Nous
exposâmes le corps dans le chœur, et pendant que le P. Gilli le veillait avec
les chrétiens – toute la nuit les chrétiens veillèrent – j’allai jusqu’à minuit
aider le sergent à faire son rapport.
Le lendemain à 4 h nous enterrions le Père au pied de la croix dans notre
cimentière. Requiescat in pace.
A. Soubielle
pr. miss d’Afr. »

7. Lettre du Père Dufays du 15 avril 1910 à Mgr Livinhac 26
« Mibirizi, le 15 Avril 1910
Monseigneur et Vénéré Père,
Si parmi tous vos enfants qui parleront de la mort horrible du cher Père
Loupias, quelques-uns sont en droit d’en parler avec plus de détails, personne peut-être n’a été plus affecté de cette soudaine disparition. Trois ans durant nous avons travaillé et peiné ensemble dans une mission, qui de l’avis
de tous, est la plus pénible de notre cher Ruanda. Nous avons vécu ensemble des jours heureux d’un ministère fécond et rempli de consolations, mais
aussi nous avons ensemble soutenu de bien mauvais jours. Et c’est dans le
souvenir de ces temps passés qui sont d’hier que je veux vous dire quelques
mots sur le confrère défunt.
Le bon Dieu juge l’esprit de nos actes ; nous nous disons ce que nous
voyons, et voilà pourquoi le cher P. Loupias était aimé de ceux qui ont travaillé avec lui, et je dirai, adoré des chrétiens. Et ce dernier résultat il ne l’a
eu qu’à force de bonté et de dévouement.
Naturellement ardent, généreux, se dépensant même imprudemment, il
dépassait facilement la mesure. C’était l’exubérance d’un cœur trop impres26

Lettre du P. Dufays du 15 avril 1910 à Mgr Livinhac, A.G.M.Afr., N° 097441.

26

sionnable. Et c’est précisément ce naturel qui attira les Balera si attachants,
et brida leur mauvais vouloir, si intense dans ces montagnards frondeurs.
C’était un homme de cœur et de poigne au milieu d’un peuple expansif et
indompté. Il a eu au milieu d’eux des journées angoissantes, où tout le
poids de la responsabilité le déprenait parfois jusqu’au découragement
passager et où d’autres fois la seule solution à la difficulté lui paraissait
une action rapide et énergique. Mais aussi combien lui étaient chères les
démonstrations et dévouement dont lui ou ses confrères furent l’objet dans
certains circonstances. Ce n’était pas là du dévouement en paroles, d’arrière
saison, mais la fine fleur de l’attachement au prêtre. Et je suis sûr que dans
le coup fatal qui le frappa, il a dû sentir au milieu de ses atroces douleurs
une douce joie de voir le chrétien qui l’avait accompagné cette dernière marque de son attachement à toute épreuve. Brave chrétien ! Son nom devrait
rester uni à toute l’histoire de Ruaza, car il était là à la fondation et a rendu
aux missionnaires et à l’œuvre des services inappréciables. Sans lui, la mission de Ruaza serait peut-être à son troisième missionnaire tué. Sans lui
j’aurais eu, il y a un an et demi, ma caravane massacrée alors que j’étais
seul à l’écart ; il abattit trois assaillants et maintint l’ordre jusqu’à ce que je
sus gagner le théâtre de l’action. L’an dernier il sauva d’un guet-apens le P.
Gilli au péril de sa vie. Deux heures durant il lutta comme un fou pour couvrir la retraite du Père qui n’avait pas d’armes et qui, fatigué, ne pouvait
marcher que traîné aux deux bras par deux chrétiens. Ceux-ci se relayaient
de temps en temps avec les deux autres qui recevaient et donnaient des
coups de lances et de flèches. Paolo, ce jour-là, abîma 3 assaillants et reçu
deux flèches et une lance dans son pantalon sans autre mal.
Il n’a pu empêcher cette fois les tristes accidents, mais il a payé de sa
personne sans compter et quoique blessé de deux lances sur le corps du
P. Loupias, il l’a défendu comme un lion, tuant trois des meurtries et battant
les autres en fuite. Que Dieu lui garde sa récompense.
Si dans les relations extérieures avec le pays, le cher confrère traitait
plus facilement d’énergie, vu le caractère indomptable des montagnards sans
chefs, et aussi avait une autorité incontestée, il était tout cœur dans tout ce
qui était du ministère. Non pas que quelques récalcitrants n’auraient parfois
senti l’impétuosité de son zèle offensé, mais jamais, que je sache, il n’a laissé
personne de ceux-là même sous l’impression de l’humiliation. Il aimait à
s’occuper de tous et de tout, et assumait parfois trop de travail au gré des
confrères, qui auraient voulu une part plus grande à la mission elle-même. Il
avait horreur du repos et quand la besogne lui manquait, il s’attelait à celle
d’autrui.
Son attachement et son dévouement aux confrères sont d’ailleurs deux
qualités dans lesquelles il n’a jamais failli et il y a été à plusieurs fois simplement héroïque. Ce sont deux souvenirs personnels que je devais conter.
Je ne ferai qu’indiquer les faits. Une première fois, il fit 16 heures de marche
en 23 heures de temps avec le repos, une autrefois 13 heures de marche
avec seulement 2 heures de sommeil en pleine montagne pour venir me tirer
d’un mauvais pas, que d’ailleurs il ne connaissait que par la rumeur publique. Mais il était ainsi fait : tout d’une pièce. C’est dire que la vie commune avec lui était heureuse.
Voilà le missionnaire comme homme extérieur qu’une mort prématurée
et cruelle a ravi à notre cher Ruanda et à la florissante mission du Mulera.

27

Le bon Dieu a agré toute sa générosité, toute son ardeur puisqu’il la lui a
demandée sanglante ; de sorte que sa mort encore est l’image de sa vie.
L’esprit de sacrifice qui était intimement uni à son exubérante activité
corrigeait les excès, maintenait l’endurance, surnaturalisait les motifs.
Au sujet de l’auteur et de l’occasion de l’assassinat, je voudrais ajouter
quelques mots qui éclairciront cette catastrophe en faisant la part des responsabilités. J’ai personnellement bien connu l’auteur du crime et je ne puis
guère le présenter que sous un jour défavorable. Lukara bwa Bishingwe est
le chef des Barashi dans la plaine des Volcans au Mulera, à 4-5 heures
de la mission. De tout temps il fut un révolté. Son père Bishingwe a été
tué par le roi ; en 1907, Lukara, prisonnier à la capitale, devait avoir le
même sort.
J’étais alors à la capitale où je bâtissais l’école, quand au moment du
départ, Lukara vint me trouver en cachette demandant à ce que je l’obtienne
du roi, soi-disant comme guide. Mr Czekanowsky [Czekanowski], de
l’expédition du duc de Mecklenbourg ayant besoin d’un guide, je lui présente
Lukara dont il accepte les services d’autant plus volontiers qu’il a des Batwa
à son service. Par l’influence de trois Askari, ce monsieur vient à bout des
refus du roi.
Rentré chez lui, Lukara ne reparut plus à la mission.
Quelques mois plus tard, Mr Kirschstein de la même expédition est
attaqué sans aucune provocation de sa part par Lukara en personne. Ce
monsieur lui tue trois hommes et à bout portant dont, je crois, le propre frère de Lukara, et son homme à tout faire.
Là-dessus une campagne de l’officier de Kissenyi qui pendant
3 jours brûle sans rencontrer personne. Tous sont réfugiés dans les
grottes de lave où il n’y a qu’un remède : la dynamite.
L’officier rentre sans rien faire que des menaces et l’affaire est classée.
A deux reprises depuis, je crois, le troupeau de la mission qui paît
dans la pleine du Mulera a été attaqué par Lukara. Avis en a été chaque
fois à la résidence.
Dans un pays comme le Mulera, le silence est fatal. A la longue on devait
se défier moins et alors le malheur devait arriver. Les Blancs ayant tué, des
Blancs devaient payer ; c’est l’histoire continuellement neuve des pays à
vendetta et le Mulera est une vraie Corse.
Monseigneur et Vénéré Père, en terminant ces lignes, je vous remercie de
tout mon cœur des pages réconfortantes que avez bien voulu me faire écrire
par le Révérend Père Michel à la date du 4 Févier a. c.
Je demande encore votre meilleure bénédiction en toute soumission.
Félix Dufays
prêtre missionnaire 27 »
En marge de la lettre : « Répondue le 17 Juin. » Dans son livre Pages d’épopée africaine(1928), le P. Dufays présente le Chef Rukara comme l’assassin du P. Loupias :
« Ce Lukara a une histoire, parce qu’il a fait beaucoup d’histoires ; et je dois le
présenter plus spécialement, pour éclairer dans son vrai jour son caractère frondeur et
vindicatif, qui fera de lui l’assassin du premier Européen, tombé sous une lance indigène au Rwanda…C’était un beau Muhutu, élancé, bien proportionné, dépassant
les 190 centimètres. Sa longue figure fine trahissait ses origines Mututsi, car sa
mère était de la famille des chefs ; et ses manières étaient celles des Grands. Son
premier abord était réellement engageant, car c’était un causeur émérite, intelligent. Il
27

28

8. Lettre du Père Gilli du 22 avril 1910 au Père Gobory28
« Ruasa, 22 Avril 1910
Mon très Révérend Père,

Accident très douloureux arrivé le 1er Avril 1910, à 2 h ½ de la
mission de Ruaza. Vous avez appris la mort du R.P. Loupias. C’était
mon Supérieur (mon premier pays de Mission) ; on était ensemble
depuis le 19 Novembre 1907. Sa mort fut calme mais l’accident qui le procura fut très violent. Le 1er Avril, de bonne heure, mon vénéré Supérieur disait
la Sainte Messe, à 5 h ¼, il se mettait en marche. Il allait assister à ce que le
Roi Musinga (roi du Ruanda) faisait dire par son envoyé à un grand chef. Le
Roi diminuait les vaches et l’autorité pour la donner à deux autres chefs. Le
Père il y allait pour faire plaisir au Roi. A la fin de la discussion c’est le Père
qui doit payer tout ce que le chef Lukara avait su défaire. A un mot donné
les lances partent : une frappe le Père au-dessus de l’œil gauche et le renversa (c’était en plein air) : le père tomba à côté de son (fauteuil) pliant qu’il
avait apporté : un autre homme en poussant avec sa lance lui transperça le
foie. Alors seulement trois hommes, qui étaient avec le Père se relèvent, se
sentent sans blessure. L’un prend le fusil de la main du Père et ne peut pas
manœuvrer de suite (ne connaissant pas le mécanisme à répétition). Alors il
retire la lance qui était entrée profondément : la cervelle en sort aussi. Alors
il manœuvra le fusil en y mettant des balles mais tout le monde s’était enfui.
A l’annonce qui nous venait de sur les collines, le P. Soubielle et
deux Bruders (Frères coadjuteurs) partirent. Je restais seul à la maison.
Vers 3 h ½ un homme qui était avec le Père arriva tout ruisselant de sueur,
haletant. Eh bien quelle nouvelle ? Tout à fait mauvaise semble-t-il ? Oui…
désespéré ! Le Père n’est plus ; je l’ai vu tomber et ne chercha aucunement à
se relever. Je m’enfuis alors ; j’en arrive. Vite j’expédiai des courriers : un
a Marangara au R.P. Classe, Vicaire Général, au Bugoyé pour y rappeler
le P. Pagès qui y était allé en visite. Et 6 h ½ je vois le convoi ; quel ne fut
pas mon étonnement d’entendre la respiration très forte du Père Loupias. On
le mit sur son lit, le visage tout mouillé de sang ; je lui donnais une absolution mais aucun signe de reconnaissance ; les yeux fermés, le gauche enflammé et enflé. Alors je lui administrai l’Extrême Onction. J’attends
avait dans son territoire une autorité sans conteste, hérité de son père Bishingwe, et
ne reconnaissait même pas au roi Musinga le droit de commander quoi que ce soit
chez lui. Il ne jurait que par son propre nom, signe peu équivoque qu’il se croyait son
propre maître. A qui voulait l’entendre, il répétait qu’il était roi chez lui et traitait avec
Musinga d’égal à égal : il était fils de Bishingwe comme Musinga fils de Lwabugiri, la
seule différence ! Par héritage de famille, il était ennemi du roi, car ni son père ni lui,
n’avaient pu pardonner au fils de Lwabugiri le supplice infamant infligé à leur père et
grand-père : Sekitonde avait été pris par Lwabugiri pour ses prédations, avait eu les
deux pieds coupés et était mort exposé sur une fourmilière grouillante. Pardonner,
cela n’était pas le fait d’un brave (…). Lukara avait une haine farouche contre
l’Européen… » (F. DUFAYS, Pages d’épopée africaine. Jours troublés, Souvenirs d’une
mission en fondation au Ruanda belge, Ixelles, 1928).
28 Lettre du P. Gilli du 22 avril 1910 au P. Gobory, A.G.M.Afr., N° 098429. « Lettre du
P. Gilli au P. Gobory – à conserver avec les autres lettres relatives au meurtre du
P. Loupias. » Le P. Gilli était arrivé au Rwanda en 1907. Il commença sa vie missionnaire à Rwaza.

29

quelques instants ; je mets des compresses d’eau froide sur la tête du patient ; la respiration devenait de plus en plus gênée et rauque. Les chrétiens
(qui ne voulaient pas s’en départir de leur Père mourant) me disent : « C’est
fini ; il va mourir ; les yeux ne trompent pas. » J’appelai vite les autres
Confrères et commençais à réciter les prières des agonisants, au moment
juste où je finissais le Père arrêta toute respiration et s’endormit doucement
dans le Seigneur, ayant peut-être répété de cœur les quelques oraisons jaculatoires que je lui suggérai. Le visage était calme et serein, comme celui du
martyr qui sait avoir versé glorieusement son sang pour Jésus-Christ. Sûrement cette vie qui depuis 10 ans était toute pour J.C., offerte en sacrifice
au Seigneur est le gage pour un avenir très beau pour la chère mission de
Ruaza. Deus vult !
Le 19 de ce mois je célébrai l’anniversaire mémorable de très grande action de grâces à la Vierge Immaculée de m’avoir sauvé de la mort ; les lances
et les flèches étaient tombées à mes côtés sans me toucher.
Vous aussi, mon Père, vous direz un grand merci à la Bonne Mère de
m’avoir protégé le 19 Avril, Lundi 1909.
Daignez offrir les respects aux Révérends Pères d’ici et recevoir
l’assurance de mon affection filiale.
Père Joseph Gilli
Missionnaire d’Afrique – Pères Blancs
au Ruanda »

9. Lettre de Mgr Hirth du 23 avril 1910 à son frère, l’Abbé Ernest29
« Le 23 Avril 1910
Mon bien cher frère,
Nous avons perdu un de nos meilleurs missionnaires – voyez ci-joint –
Peut-être aurez-vous lu déjà des rapports assez malveillants là-dessus. Ils
ont pour source celui fait par le Résident du Ruanda au Gouverneur (Et ce
Résident, ancien Israélite se dit l’ami de la mission)30.
Mgr Sweens part demain pour aller se fixer pour quelques temps au
Ruanda.
Bien affectueusement à vous tous et me recommandant à vos prières.
Jean Joseph »
Lettre de Mgr Hirth du 23 avril 1908 à l’Abbé Ernest Hirth, A.G.M.Afr., Casier 303,
N° 096388.
30 Il s’agit du Docteur Kandt qui, en 1899, avait invité les Pères Blancs à s’installer au
Rwanda.
29

30

10. Lettre du Père Classe du 12 mai 1910 au Père Delmas31
« Kabgaye, le 12 Mai 1910
Mon bien cher Confrère,
(…)
Samedi dernier je m’étais mis en route pour Mibirisi. A Gashari un courrier de P. Schumacher me rejoint : « Revenez vite, Mgr Sweens arrive. » Pauvre Mibirisi ! Notre Seigneur veut nous le faire gagner par la patience !
Mgr Sweens arrive à Kabgaye demain Vendredi. Ce sera grande joie
dans tout le Ruanda que cette visite inattendue. Dieu en soit béni ! Elle fera
du bien à tous.
Profitez toujours des circonstances pour avoir du bois de chauffage. Plus
tard ce sera difficile. Il faudrait faire provision pour 8 journées nécessaires à
l’Eglise, puis pour 2 autres au moins pour pouvoir réparer et mettre en ordre
lugo et maison.
En voyant le bois s’entasser, nos bons Frères ne résisteront pas à l’envie
de faire de la chaux. Il faudrait pour cela le bois de deux fournées. Vous
savez mon principe : « D’abord ce qui est nécessaire ; l’utile ne doit passer
qu’après. » Par suite, ne faites de chaux que lorsque vous aurez mis en réserve du bois pour dix ou onze fournées. Rien ne nous servira d’avoir une
base à la chaux si nous ne pourrons couvrir l’église, ou nous loger.
Si des chefs s’offrent à vous apporter les bois du Bushuri – ou s’ils acceptent – sur notre proposition de nous les porter, c’est parfait. Faites-les venir.
Vous avez déjà passablement de bois coupés là-bas. P. Durant et F. Alfred
étaient restés près de trois semaines à la forêt.
Je préfère que vous n’alliez à la forêt vous et F. Pancrace qu’après l’arrivée de Mgr Sweens. Dès l’arrivée de Sa Grandeur, nous parlerons de Ruaza,
car Ruaza me semble être le motif de ce voyage en pleine saison des pluies.
Patience donc. En attendant faites venir tout ce vous pourrez de bois et du
Bushiru et d’ailleurs.
Il ne me semble pas que vous puissiez beaucoup compter sur Kakwandi.
Serugi est rentré avec la plupart des nagbo32 et beaucoup de femmes et
d’enfants pris au Bushiru.
Biraboneye est un individu tout à fait fourbe et qui hait les Européens,
cela depuis dix ans. Tirez de lui du bois, des liens… il a beaucoup de monde.
Mais ne vous y fiez pas. Sa vache il vaut mieux ne pas l’accepter. Jamais il
ne vous dira où est Rubasha Mukore. Sa vache acceptée il se tiendrait car,
proclamant qu’il vous a vaincu et acheté.
Les chefs ont reçu l’ordre de bâtir. C’est vrai ! Mais je ne crois guère à la
réalisation. C’est la tête qui manque.
Mgr Sweens arrive avec P. van Baer, le Frère Robert. Donc ??? Que Dieu
nous garde et nous aide. Et Il le fera si nous avons confiance. Aidez toujours
Lettre du P. Classe du 12 mai 1910 au P. Delmas, A.G.M.Afr., N° 098087-098089.
Après la mort du P. Loupias, le P. Delmas devient l’homme de confiance du P. Classe à
Rwaza. Apparemment le P. Classe n’est pas au courant des motifs de la visite de
Mgr Sweens au Rwanda.
32 « Armées ».
31

31

les bons Frères à ne se pas se décourager. Ils auront de plus en plus des
ouvriers et des matériaux.
Je pense au vin et aux perles.
Faites prendre vos dix charges d’étoffes, en plus des charges revenues il y
a huit jours.
Les peaux seront envoyées à Kigari. Les couleurs sont annoncées.
Poussez les chrétiens à être bien avec leurs chefs, surtout Mushenyi. Ce
serait une bonne chose qu’ils aillent avec lui à la capitale.
Bien reçu les ornements à réparer. Ils partiront Lundi pour Issavi.
Est-ce que vous ne pourriez réserver le 2ème magasin comme chambre.
Vos avez assez d’un magasin et des 2 dépenses de la cuisine avec la laiterie.
Peut-être auriez-vous besoin de chambres bientôt.
A bientôt des nouvelles. Courage toujours. Dieu nous aidera. Prions ensemble pour nos chères œuvres et ayons confiance. Plus nous ayons de difficultés, plus nous avons alors confiance en Dieu qui aime à se servir des tout
petits moyens.
Je reste votre tout dévoué Confrère en N.S. et N.D.
Léon Classe
Veuillez, je vous prie, insister beaucoup :
1. Sur la bonne tenue à l’Eglise. C’est un point que nous devons souvent
rappeler aux chrétiens. Ils sont portés à l’oublier surtout au moment de leur
préparation à la réception au Sacrement de Pénitence.
2. A cause des bons Frères que nous pouvons si facilement scandaliser,
faites vous tous une règle de ne jamais parler à table de choses concernant
de près ou de loin la confession. Laissons aussi de côté, à table, toute conversation concernant les filles ou les femmes, les questions de mariage…
Pour nous il n’y a aucun mal, nous parlons de nos affaires, mais des bons
Frères se scandalisent et sont peinés.
Mieux vaut nous gêner un peu et ne pas blesser ces âmes qui par leur vocation nous doivent être beaucoup plus chères que celles des indigènes et ont
un véritable droit à tous nos soins.
L. C.
Le 15 Juin 191033
Sa Grandeur Mgr Hirth prie tous les Confrères Prêtres du Ruanda de dire
trois fois la Sainte Messe pour le repos de l’âme du cher P. Loupias (En dehors de la Messe de règle). Chacun pourra réclamer les honoraires au
P. Econome Général qui est averti de la chose.
Léon Classe »
33

Note du P. Classe, A.G.M.Afr., N° 098090.

32

11. Lettre du Père Classe du 16 mai 1910 au Père Delmas34
« Kabgaye, le 16 Mai 1910
Mon bien cher Confrère,
Notre Seigneur n’a pas jugé comme vous et il vous garde pour être son
Vicaire à Ruasa ! Moins vous vous sentirez à la hauteur de la situation, plus
vous aurez aussi confiance en Dieu qui vous aidera. D’ailleurs voyez : pour
vous aider vous recevrez le P. van Baer. Puis Mgr Sweens a décidé que
j’irais à Rwaza passer quelque temps. Là Sa Grandeur me rejoindra et
vous restera au moins trois semaines.
Nous demandons quelques fundis [maçons] à Issavi ainsi qu’Abeli de
Nyundo pour aider les bons Frères.
Je resterai encore une huitaine de jours ici avant de prendre le chemin de
Ruaza. Vous voyez combien Monseigneur pense à vous et que Sa Grandeur
ne veut nullement vous laisser en détresse.
Aux charges d’étoffes que je vous ai annoncées, j’en ajoute une pour les
réparations urgentes. Je prends cela sur moi et avertirai Père Huwiler.
Je vous en prie, dites bien à tous vos confrères que le meilleur moyen de
tout faire bien marcher c’est de travailler au jour le jour. La situation matérielle m’inquiète car nous allons accumuler les difficultés. Pour vous aider je
joins cette petite note pour la communauté, et vous demande de vouloir bien
faire passer ces travaux avant tout autre (tour travail d’ornementation ou
autre peinera Mgr s’il est fait avec ces réparations). Vous vous abriterez derrière cet ordre).
Prenez donc confiance. Jamais dans vos difficultés vous ne serez seul.
Notre Seigneur vous aidera bientôt. De ma part veuillez saluer les confrères.
J’envoie un petit mot à Frère Alfred.
Je reste votre bien tout dévoué en N.S. et N.D.
Léon Classe
A mon arrivée, pour que vous soyez libre, je prendrai la direction de ce
matériel. Voyez donc ce que vous désirez, mettez-le moi à l’avance par
écrit et je ferais passer le tout.
Je crains le temps sinon je ferais ensuite recouvrir votre grande maison
d’habitation. Si la proposition en est faite, laissez-la passer, car je veux vous
voir à l’abri. Courage et à bientôt. Je tâcherai de vous trouver aussi un peu
de perles mijijima35.
Veuillez m’envoyer le bréviaire de P. Loupias pour le faire parvenir à la
famille.
A la mission de Ruaza :
Les travaux de réparation urgents doivent passer avant l’église si nous ne
voulons nous exposer à des inconvénients graves.
Au nom de Mgr Sweens, je prie les Frères de vouloir bien mettre en état la
2ème maison d’habitation.
34
35

Lettre du P. Classe du 16 mai 1910 au P. Delmas, A.G.M.Afr., N° 098091-098092.
« Noirs ».

33

Veuillez ne garder qu’un seul magasin, et transformer en chambre
d’habitation la chambre qui se trouve à côté du réfectoire.
Une dépense au moins à côté de la cuisine sera mise en état pour remiser ce
qui ne pourrait aller dans le magasin, vg. blé…
Mgr prendra la chambre des étrangers.
P. van Baer devant avoir une chambre où il puisse recevoir, je prendrai cette
chambre qui se trouve à côté du réfectoire.
Veuillez, je vous prie entretenir le mur d’enceinte. Les parties tombées devront être relevées (de suite une fois le magasin couvert). La première condition pour que tout demeure calme autour de vous c’est d’enlever toute occasion de vol et de cancans en étant bien [béni ?] chez vous.
Kabgaye, le 16 Mai 1910
Léon Classe »

12. Lettre du Mgr Sweens du 16 mai 1910 à Mgr Livinhac 36
« Kabgaye, le 16 Mai 1910
Monseigneur et bien aimé Père,
J’ai l’honneur d’informer Votre Grandeur que depuis quelques jours je
suis arrivé sans trop de fatigue dans le centre du Rwanda. Le P. van Baer et
le Fr. Robert sont également ici. Le dernier trouvera facilement de quoi
s’occuper. Le poste n’est pas trop mal sous le rapport matériel et la mission,
quoique petite, marche assez bien, il me semble.
Hier j’ai eu la visite du Résident le Docteur Kandt. Il retourna de
l’expédition organisée pour venger la mort du P. Loupias. De l’entretien
que j’ai eu avec ce Monsieur, ainsi de ce que j’ai appris par le R.P. Classe, le triste accident aurait été prévenu, si le missionnaire se serait
borné de soutenir les envoyés du Roi Musinga dans leurs démarches
pour pacifier le chef révolté.
Après que ce shauri37 était fini, il paraît que le Père a entamé la
question d’un vol de vaches, commis il y a 8 mois par le chef révolté au
détriment de la mission de Muléra. Le Père a voulu obliger le chef de
rendre les animaux, séance tenante, d’où des paroles, peut-être aussi
des mouvements brusques et voilà que le sauvage donne à ses hommes
le signal de jeter des lances avec l’effet que Vous connaissez. Les chrétiens, compagnons du Père évitent les coups, celui-ci reste debout et deux
lances l’une après l’autre le blessent mortellement.
La mission et celle de Nyundo ne sont nullement en danger,
m’assure-t-on de tous les côtés. Les Allemands ont laissé dans la
contrée un détachement de soldats.
Je tâche de profiter de ce désastre pour recommander aux missionnaires d’abandonner complètement le système trop suivi dans ces missions, d’employer leurs armes dans les cas où ce moyen extrême n’est
pas absolument nécessaire. Sous ce rapport leur éducation est manquée ; ils l’avouent eux-mêmes maintenant.
36
37

Lettre du P. Sweens du 16 mai 1910 à Mgr Livinhac, A.G.M.Afr., N° 095245.
« Séance du tribunal ».

34

24 Mai. J’avais écrit les lignes précédentes lorsqu’une lettre de
Nyundo, nous apprend que le P. Pagès, en retournant d’une succursale,
a été attaqué par des indigènes. Ce qui en est au juste, est difficile à
constater. Le Père est peureux – en route un porteur dit avoir vu une
flèche lancée partant d’une troupe armée indigènes. Cela suffisait au
Père pour tirer deux coups de fusils non dans l’air, mais sur la troupe
d’où sortait la flèche. Un indigène tué, un blessé et le reste s’enfuit.
Quelques jours après, les Pères de la station ont entendu le bruit, répandu dans le pays, que le mort serait vengé sur les chrétiens ou Européens à la 1ère occasion.
En attendant le moment que je pourrai aller à Bugoye (dans un 14 de
jours), j’ai chargé le P. Classe d’avertir de suite les confrères qu’ils ne se
rendent pas dans ces contrées et qu’ils n’usent pas de leurs cartouches.
J’espère que cette histoire ne nous créera pas de difficultés ; je tenais cependant de tenir Votre Grandeur au courant. Dans quelques semaines
j’aurai l’honneur d’écrire de nouveau à Votre Grandeur.
Le P. v. Baer est placé à Mulera.
Manquant des reliques nécessaires je n’ai pas pu consacrer la pierre
d’autel dont j’avais besoin. Mgr Hirth n’en a pas non plus, j’ose m’adresser à
vous, pour en obtenir. A l’occasion un missionnaire pourrait apporter ces
reliques.
Daignez me bénir, Monseigneur et bien aimé Père, et croire aux sentiments de filiale obéissance et d’affection en N.S. avec lesquels je reste
de Votre Grandeur le très humble Serviteur
+ Jos. Sweens
Coadj. du N.M.38 »

13. Note explicative du Père Léonard (7 juillet 1910) concernant
le rapport du Père Pagès39

« Quand le malheur est arrivé à Ruaza, le Père Pagès appartenait à ce
poste, mais il était absent, en vérité au poste voisin de Nyundo. C’est là qu’il
apprit le malheur. Aussitôt il se mit en route pour Ruasa, en compagnie des
Pères Delmas et Huntzinger de Nyundo. Père Classe arriva à Ruasa le 5, au
soir. Il retint le Père Delmas comme Supérieur provisoire de Ruasa et
envoya P. Pagès à sa place à Nyundo. C’est à Nyundo que P. Pagès écrivit son rapport.
Ceci soit dit comme explication de certains passages du P. Pagès où il dit
ne plus se rappeler bien les choses, n’étant pas sur les lieux pour demander
des explications.
Père Classe prétend que P. Delmas est l’homme qu’il faut à Ruasa : je
ne le crois pas, à cause des difficultés extraordinaires (tout le monde
En marge de la lettre : « Répondue le 8 août. Envoyé reliques pour consécration
autel portatif. Confiées au R.P. Barthelemy. »
39 Note explicative du Père Léonard du 7 juillet 1910 concernant le rapport du
P. Pagès ; note envoyée à Maison-Carrée, A.G.M.Afr., N° 096624.
38

35

doit en convenir) inhérentes à ce poste. Je ne vois personne sinon
P. Classe lui-même. C’est ce que j’ai dit à Mgr Hirth et à Mgr Sweens. Je ne
sais pas ce qu’on aura fait, si le P. Delmas a été maintenu ou non.
Léonard (7 Juillet 1910) »

14. Lettre du Père Classe du 28 juillet 1910 à Mgr Livinhac40
« Rwaza, 28 Juillet 1909
Monseigneur et bien aimé Père,
Dès la nouvelle du malheur qui nous frappait dans notre cher Père Loupias, je m’étais rendu à Ruaza. A mon retour de Kabgaye, Monseigneur
Sweens nous surprenait. C’était la consolation après l’épreuve ! Il y avait si
longtemps que nous n’avions pu avoir la visite de notre Vénéré Vicaire Apostolique ! Presque aussitôt Monseigneur Sweens m’a renvoyé à Ruaza
pour tenir compagnie aux confrères et les aider un peu.
Malgré les difficultés de frontières, le pays est bien calme. Notre chère
mission de Ruaza n’a pas souffert de la perte qu’elle a faite – je veux dire au
point de vue de la chrétienté et du catéchuménat. Tous les catéchismes sont
très nombreux ; ils comptent chacun de quatre-vingt à cent vingt individus.
Un bon nombre ont fini leur épreuve de trois ans et nous ne les pouvons
admettre aux catéchismes de dernière année, les confrères ne pouvant assurer leur formation.
Les pauvres gens ont les qualités de leurs défauts, colères et batailleurs à
l’excès, ils sont aussi d’énergiques chrétiens ! Monseigneur Sweens a passé
dix jours au milieu de nous. Sa présence a fait du bien à tous. Puissionsnous profiter de la terrible leçon reçue et réparer davantage nos erreurs
passées41 !
L’an dernier, ces pays-ci ont été éprouvés à deux reprises par la guerre.
C’est un peu le pays privilégié des révoltes. Le grand chef du pays, Kayondo,
le beau-frère du Roi, a même, il y a six mois renoncé à toutes les collines. Il
s’était fait chasser par ses gens et se souciait fort peu d’y revenir tomber un
jour. Lui-même demanda à être remplacé. Ces difficultés avaient empêché
notre cher P. Loupias de réunir tous les matériaux nécessaires à la construction de l’église que réclamait notre millier de chrétiens. Frère Alfred, très
fatigué avait de son côté dû se reposer. Maintenant les travaux sont recommencés, puissent-ils se terminer sans trop de difficultés.
Nos autres stations marchent bien. La mission de Kissaka a été très bien
remontée par le cher P. Lecoindre. Hélas ! pourquoi s’est-il découragé ? Nous
y avons maintenant 992 néophytes, dont 597 au-dessus de 12 ans et
395 enfants au-dessous de 12 ans. 84 catéchumènes font leur dernière année, 120 sont à la 3ème, 200 environ à la seconde. Cette année nous aurons
donc de 15 à 20 baptêmes par trimestre, en moyenne. Le nombre ira chaque
fois en augmentant. Dans deux ans, si aucun autre malheur ne nous surLettre du P. Classe du 28 juillet 1910 a Mgr Livinhac, A.G.M.Afr., N° 11110
(095221-095222).
41 Le P. Classe reconnait que lui et ses confrères ont commis des erreurs dans le passé, des erreurs connues de Mgr Livinhac, Supérieur Général.
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vient, avec le secours de Dieu, le Kissaka aura repris son rang de grande
mission. Issavi prospère, Nyundo marche aussi bien. Malheureusement Mibirisi, dans le Kinyaga, passe à son tour par une forte épreuve qui nous demandera au moins trois ou quatre années pour la surmonter.
De plusieurs côtés nous constatons actuellement l’hostilité de certains
chefs. Jusqu’à présent le Roi nous est favorable et ne nous fait certes aucune difficulté. Quelques-uns par contre voient à regret le nombre des Européens aller croissant et le va et vient des marchands. Ce n’est pas encore
grave.
Heureusement que partout la charité et l’union règnent entre les confrères. Cette unité nous aide beaucoup à développer nos œuvres. La visite de
Monseigneur n’y aidera pas peu également.
La grande île d’Ijwi dans le Kivu est occupée – au moins en principe par
nos Protestants qui y fondent leur quatrième mission.
Mgr Sweens en nous quittant s’est rendu à Nyundo et Mibirisi. Sa Grandeur semble satisfaite des résultats partout obtenus.
Avec la Résidence nos relations continuent d’être bonnes aussi que, et
surtout avec les Officiers. Partout aussi les missionnaires font tous leurs
efforts pour être vraiment bons avec tous leurs gens, et nulle part la mission ne se fait par contrainte42.
A côté des souffrances, Notre Seigneur ne nous ménage donc pas ses
consolations. Que notre bénédiction, Monseigneur et Vénéré Père, nous aide
à faire mieux, en vrais missionnaires.
Veuillez agréer, Monseigneur et Vénéré Père, l’expression de mes hommages respectueux et de mon dévouement tout filial en N.S. et N.D.
Léon Classe »

15. La mort du Père Loupias racontée dans Missions d’Alger, revue missionnaire des Pères Blancs, (septembre – octobre 1910)43

« MORT TRAGIQUE D’UN MISSIONNAIRE

Le 21 avril 1910, Mgr Livinhac recevait un télégramme annonçant
que le P. Loupias, missionnaire à Rouaza, au nord-est du lac Kivou,
avait été assassiné ; toutefois ce fut seulement dans le courant de
juin que les lettres du R.P. Classe et de ses confrères, donnant les
circonstances du meurtre, parvinrent à Maison-Carrée. Nous publions ici celle qui contient le plus de détails.
A trois heures et demie au nord de la station de Rouaza, habite un chef,
Loukara rwa Bishingwé, qui est en révolte contre le roi Mousinga. Plusieurs
fois, dans un but de conciliation, la Mission avait intercédé en faveur de ce
chef, espérant toujours le ramener à de meilleurs sentiments. Récemment,
Mousinga ayant enlevé à Loukara l’administration d’une partie de son pays,
L’auteur a oublié qu’il avait organisé des expéditions militaires en 1904.
L. CLASSE., « Mort tragique d’un missionnaire », in Les Missions d’Alger, N° 203,
Septembre-Octobre 1910, pp. 269-372. Le récit a été publié pour informer les bienfaiteurs et familles des Pères Blancs.
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un envoyé arriva de la capitale pour faire connaître cette décision au révolté.
Cet envoyé, craignant pour sa vie, demanda au P. Loupias de venir assister à
l’entrevue. Le Père hésitait ; finalement, craignant que, s’il s’abstenait, les
démarches antérieures ne donnassent prétexte à accuser la Mission
d’hostilité et d’opposition à l’autorité du roi, il accepta. On prit jour.
Le vendredi 1er avril, le Père partit de bonne heure, suivi seulement de
quatre jeunes gens. A l’un d’eux qui lui disait : ‘‘ Père, prenons des armes, on
ne peut se fier à Loukara », il répondit : « Non. Nous allons seulement écouter ce que dira l’envoyé de Mousinga. D’ailleurs, nous resterons en dehors
des villages.’’
Comme c’était à prévoir, Loukara fut arrogant et dédaigneux, et ne
voulut rien entendre. Déjà tous se levaient, mettant ainsi fin à la discussion. Le P. Loupias, qui était demeuré assis, se leva à son tour et
prit Loukara par la main pour le faire rester encore. Alors du groupe des
gens de celui-ci, qui se tenaient non loin de là, partirent plusieurs lances44. L’une d’elles frappa le Père en plein front. Ses voisins, Loukara luimême, voyant le mouvement s’étaient baissés.
Le chef opposé à Loukara, l’envoyé du roi et leurs hommes, n’avait chacun qu’une lance ; leurs arcs, à la demande de notre confrère, ils les avaient
déposés plus loin. Parmi eux ce fut d’abord une vraie panique ; les ennemis
en profitèrent pour frapper le P. Loupias d’un second coup dans la région du
foie. Heureusement trois des jeunes gens venus avec lui rallièrent les
fuyards et chassèrent les assaillants.
Moins de vingt minutes après le malheur, on était prévenu à la station.
Le P. Soubielle part de suite, suivi par les Frères Alfred et Pancrace ; il était
devancé par le sous-officier du camp de Rouhengéri, averti lui-même immédiatement. Le P. Loupias respire encore, mais il est sans connaissance ; il
reçoit la sainte absolution. Les chrétiens accourus transportent le pauvre
blessé, ne permettant même pas aux catéchumènes de l’approcher.
Le soir, à 8 heures 35, le bon P. Loupias, après avoir reçu les derniers sacrements, rendait son âme à Dieu.
Toute la nuit et jusqu’au lendemain à trois heures de l’après-midi, les fidèles se succédèrent à la chapelle, priant pour leur Père.
C’est une grande perte que vient de faire la Mission du Rouanda. Arrivé
dans le Vicariat du Nyanza méridional en février 1901, le P. Loupias passa
d’abord trois ans à Oukéréwé. Miné par la fièvre, malgré sa robuste constitution, il fut envoyé au Rouanda (1904) qu’il ne devait plus quitter. A Nyundo,
pendant deux ans, puis, comme supérieur, à Issavi et à Rouaza (il était arrivé dans ce dernier poste le 2 décembre 1906), il fut aimé de ses confrères et
des indigènes.
Profondément bon, il s’ingéniait à faire plaisir aux missionnaires et à les
aider. Il n’y a pas de station dans le Rouanda qui n’ait eu recours à sa charité. Il savait toujours trouver ce dont les autres manquaient, et de sa part
l’envoi précédait d’ordinaire la demande.
Sous son apparente bonhomie, il cachait un esprit vif qui se rendait
vite compte des situations. Nul mieux que lui ne savait mener les hommes
dans cette difficile de mission de Rouaza.
Le P. Classe déculpabilise le P. Loupias d’une manière très subtile sans aucun doute
avec l’accord de Mgr Livinhac.
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C’est à ses chrétiens et catéchumènes surtout qu’il s’était donné sans réserve. Très vif par nature, il était d’une bonté bourrue qui d’abord inspirait la crainte ; mais la crainte faisait bientôt place à la confiance. Il
était aimé de tous et connaissait les petits secrets de tous.
Abusant de ses forces, il s’employait à tous les labeurs. Il était bien,
comme le lui écrivait dernièrement Mgr Hirth, « plus chargé de besogne que
tous les autres missionnaires du Rouanda ». Lorsqu’on lui disait de se ménager un peu, il répondait invariablement : « Bah ! si je ne fais pas cela, il
faudra qu’un confrère le fasse. Tous ont déjà assez de travail. »
Malade et souffrant beaucoup du foie, il se mettait en route pour chercher dans la montagne les bois nécessaires à la construction d’une église. Se
fatiguer, c’était son unique remède. A table, en récréation, grelottant parfois
de fièvre, il restait cependant à intéresser les confrères. Il voulait bien soigner les autres, mais n’admettait pas d’être soigné lui-même.
Cette activité et ce dévouement étaient vivifiés par un grand esprit de foi ;
car le cher P. Loupias était un missionnaire vraiment pieux, ses notes de
retraites annuelles et de retraites du mois le prouvent assez.
Tous les Européens se sont associés au malheur qui atteint notre Mission. Des lettres de condoléances nous sont venues des camps allemands,
anglais et belges. D’une voix unanime, on reconnaît dans notre cher confrère
l’excellent missionnaire et l’homme aimable qui faisait son bonheur de rendre service à tous, de servir sans réserve le pays qui lui donnait asile.
Dans le P. Loupias, nous perdons un ouvrier de bon accueil, et sur lequel, en toutes circonstances, nous pouvions compter. Notre Seigneur a bien
choisi le serviteur vivant dans l’attente de son Maître et prêt à répondre à
son appel.
Daigne Dieu, agréer ce sacrifice douloureux et accorder en échange à la
chère Mission de Rouaza le calme et la paix nécessaires à sa prospérité ! Par
là sera réalisé le vœu de notre regretté confrère : « Que d’autres moissonnent
dans la joie ce que je sèmerai dans les larmes. Je ne demande qu’une chose :
que Dieu soit connu, Jésus glorifié, Marie aimée et honorée !
L. Classe »

16. La mort du Père Loupias racontée dans les Annales de la
Propagation de la Foi (septembre 1910)45

« MEURTRE D’UN PERE BLANC
au Victoria Nyanza méridional
(AFRIQUE EQUATORIALE)
Parmi les quinze grandes- stations du vicariat apostolique du Victoria
Nyanza méridional, une des «plus- importantes est celle de Rouaza, dans le
district de Rouanda, c’est-à- dans la partie la plus occidentale et la plus
Meurtre d’un Père Blanc au Victoria Nyanza méridional (Afrique Equatoriale), in
Annales de la Propagation de la Foi, Lyon, September 1910, T. LXXXII, N° 492, pp.
317-319.
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reculée de la grande mission que gouverne Mgr Hirth et que trente Pères
Blancs évangélisent sous sa direction. C’est là que s’est produit le criminel
attentat dont nous entretient la lettre suivante.
Le 21 avril, parvenait à Maison-Carrée un télégramme du Nyanza, méridional, annonçant à Mgr Livinhac l’assassinat du R.P. Loupias, missionnaire
à Rouaza, au nord-est du lac Kivou. Mais la lettre donnant les circonstances
du meurtre n’est arrivée que le 5 juin. Le vénéré supérieur général des
Pères1 Blancs nous l’envoie, et nous nous empressons de la publier.

Lettre du R. P. CLASSE
DE LA SOCIETE DES MISSIONNAIRES D’AFRIQUE (D’ALGER)
à Mgr HIRTH, vicaire apostolique du Victoria Nyanza méridional.
Non loin de la mission de Rouaza, dont le P. Loupias était supérieur, habite un chef nommé Loukara, qui, depuis un certain temps, est en révolte
contre le roi du pays. Les missionnaires qui, deux à la fois déjà, avaient sauvé ce chef, espéraient le ramener à de meilleurs sentiments. Le 1 er avril, un
envoyé du roi se présenta à la mission de Rouaza et pria le Père Loupias de
l’accompagner chez Loukara pour essayer de lui faire entendre raison. Craignant de ne pas réussir, le Père hésita d’abord, puis finalement se décida à
faire la démarche proposée. Accompagné de quatre chrétiens et de l’envoyé,
il se rendit donc chez Loukara, s’entretint avec lui et lui conseilla d’aller à la
capitale et de s’en rapporter à la décision du roi.
C’est alors que, sans que rien le fit prévoir, et probablement par ordre de
Loukara lui-même, le Père fut frappé au front d’un coup de lance qui
l’étendit par terre, puis d’un second coup de lance qui le transperça de part
en part.
Le sous-officier du camp de Rouhengéri, prévenu aussitôt, se hâta
d’accourir ; en même temps arrivait le P. Soubielle. Le blessé sans connaissance fut transporté à la Mission, où il expira après avoir reçu les derniers
sacrements.
Le P. Loupias était un missionnaire pieux et plein de zèle, qui est mort
victime de son désir de voir régner la paix entre les chefs de son district et le
roi du pays. »
_________________________

S. MINNAERT, « Le Père Loupias (1872-1910) : victime d’un
assassinat ou d’une imprudence ? », in Histoire de l’évangélisation du Rwanda, Recueil d’articles et de documents concernant le Cardinal Lavigerie, Mgr Hirth, le Dr Kandt, le Père Brard,
le Père Classe, le Père Loupias, le Chef Rukara, Mgr Perraudin,
etc., Kigali, 2017. pp. 177-223.
rwsmyes@hotmail.com
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024