Citation
Journées du 6 au 11 avril 1994
- rapatriement de l'assistance technique
- relation factuelle des événements (équipage de l'avion présidentiel, évacuation des assistants techniques et de la Mission.
Monsieur le Directeur,
Il est nécessaire de rependre de façon factuelle, le déroulement des événements qui ont marqué la vie de la mission de coopération et d'action culturelle de Kigali du mercredi 6 avril 1994 à compter de 21 H 30 au lundi 11 avril 1994 - jusqu'à 17 H 30.
mercredi 6 avril 21 H 30 : attentat contre l'avion présidentiel, en final pour atterrissage sur l'aéroport de Kigali, outre les Chefs d'Etat du Rwanda et du Burundi les personnalités accompagnant les deux présidents et les membres de l'équipage sont tués dans la chute de l'appareil et l'incendie qui suivit immédiatement l'impact.
Les membres d'équipage du Falcon 50 étaient:
MM. HERAUD, MINABERRY et PERRINE, agents sur marché SATIF, sur contrat annuel. La Mission gérait ces personnels par attestation de service, ils étaient logés par les soins de l'Etat rwandais et ne recevaient d'instructions que de la Présidence de la République rwandaise. l'équipage informait la mission militaire de ses déplacements et à ce sujet j'avais à plusieurs reprises attirer l'attention du Département sur la situation de cet équipage beaucoup plus "militaire" que civil", et dont il fallait dans un délai rapproché envisager le remplacement par des militaires rwandais. A chaque programmation j'ai rappelé l'urgence à essayer de résoudre ce problème d'un équipage "civil" à disposition d'un chef d'Etat menacé depuis plusieurs années.
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2.-
dans la nuit du 6 au 7 avril : dès que fut connue la destruction de l'appareil présidentiel, des tirs nourris d'armes automatiques ont retenti à travers toute la ville et la circulation fut très rapidement rendue difficile voire dangereuse. Ce qui contraignit les assistants techniques qui n'étaient pas chez eux à rester chez les personnes qui les avaient invités.
jeudi 7 avril le chef de mission demande dès 6 H du matin des instructions à M. l'Ambassadeur qui lui ordonne de rester chez lui et d'informer par téléphone chaque coopérant du danger à sortir de leur domicile, que la situation est confuse et que lui-même se rendrait à la chancellerie dans la matinée.
Durant toute la journée du jeudi les combats se sont brutalement intensifiés et il était impossible d'emprunter un véhicule pour se déplacer en ville sans risque réel d'être tué.
Lorsque j'ai demandé à M. l'Ambassadeur de le rejoindre à la chancellerie car il y était seul (le colonel attaché de défense était en France, et le conseiller M. BUNEL à Nairobi) l'Ambassadeur m'a répondu "restez chez vous, le jeu n'en vaut pas la chandelle". A partir de ce moment avec les conseillers de mission MM. RIDDELL, RONDREUX et GENET, nous avons assuré un contact téléphonique permanent avec l'assistance technique.
Le chef de mission était sans cesse sollicité par les ambassades étrangères qui n'arrivaient pas à joindre M. MARLAUD. Mais aussi par M. HERAUD fils, ayant appris par la radio l'accident du Falcon 50 et qui demandait au chef de mission que l'on récupère au plus vite le corps de son père.
vendredi 8 avril. Nouvelle demande du chef de mission de rejoindre la chancellerie, nouveau refus de l'Ambassadeur. La journée se passe à répondre à des appels de plus en plus pressant tant des assistants techniques, que des représentants étrangers. En effet l'annonce du débarquement de militaires français de Bouar au cours de la nuit s'est répandue immédiatement. Il faut savoir qu'à partir du vendredi, certains quartiers étaient isolés et le quadrillage de la ville par des troupes les plus diverses et les plus indisciplinées rendait toute tentative de regrouper des français impossible.
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3.-
Je dois ajouter que je n'avais aucune information ni instruction de l'Ambassadeur, si ce n'est d'attendre... le communiqué de Paris diffusé par CFI.
Il faut signaler que durant toutes ces journées jusqu'à mon départ à 17 H 30 le lundi 11 avril, si j'ai pu joindre l'Ambassadeur et ensuite le rencontrer très fréquemment lors de mon installation dans mon bureau samedi, je n'ai pu voir un seul télégramme ni en provenance de Paris, ni au départ de Kigali. Or, je devais répondre aussi bien aux appelés de la Nonciature (le Nonce, doyen du corps diplomatique) que de l'Ambassadeur d'Allemagne, de Tanzanie, le chargé d'affaires de Suisse, etc... qui attendaient tous des informations de la chancellerie ayant appris le débarquement des militaires français.
De même sur un nouvel appel de M. HERAUD fils demandant que l'on rapatrit au plus vite le corps de son père, j'ai seulement pu répondre que je ne pouvais rien faire, si ce n'est informer !'Ambassadeur.
Il faut savoir que l'appareil s'est écrasé dans une zone où même les militaires français ne pouvaient aller sans combattre. Les corps des victimes ont été récupérés par la Minuar. Le dimanche 10, le Commandant CHANOTTE de la MAM n'a même pas pu approcher l'appareil pour rechercher la boite noire.
Les insistances de M. HERAUD, fils, ne pouvaient trouver satisfaction et la mission de coopération ne pouvait en aucune façon se substituer aux Militaires. de la Minuar, qui seuls ont approché la carcasse calcinée de l'appareil.
Dès le vendredi, les membres du cabinet me demande de faire le nécessaire pour que l'on rapatrie au plus vite les corps des membres de l'équipage, j'en informe l'Ambassadeur la réponse est: "les corps sont récupérés par la Minuar".
Le vendredi le "village" français, site où sont regroupés une partie des coopérants est attaqué par des miliciens et des agents de la garde présidentielle recherchant les tutsis. La famille de M. Justin NIYONGIZA, responsable du Ministère de la Justice et du PSD cachée dans la maison d'un coopérant en vacance,
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4.-
est massacrée. Nos assistants techniques ramassent 12 cadavres atrocement mutilés et les enterrent.... 2 très jeunes enfants encore vivants, sont sauvés par la famille Friang (coopérant projet Promabois) et remis Marie Thérèse DEMANGE (Caritas).
Le chef de mission par l'intermédiaire des conseillers de mission restés en contact avec l'A.T. était informé de la situation mais sans cesse appelé par les ambassades étrangères attendant "tout" des militaires français. Les militaires belges n'étaient pas encore parvenus à l'aéroport de Kigali.
Durant cette journée, combats incessants à l'arme lourde, mitraillage continu, bandes assassines incontrôlées dans tous les quartiers...
J'apprends, par hasard, que le colonel CUSSAC, attaché de défense a rejoint !'Ambassade mais je reste toujours sans instruction ni information, alors que je suis littéralement harcelé, pour "donner des nouvelles" par l'Ambassadeur d'Allemagne, comme par le chargé d'affaires de Suisse qui se plaignent ouvertement du silence de l'Ambassade de France, tout autant que par les assistants techniques, que je ne pouvais renseigner....
samedi 9 avril. De nombreux quartiers de la capitale sont coupés de téléphone, d'électricité et d'eau. Les regroupements des français se font dans des conditions très difficiles. Le "village" français a enterré 12 cadavres. On continue à nous demander d'intervenir partout. Les secrétaires tutsis de la Mission nous font connaître qu'elles sont attaquées. Appels téléphoniques hallucinants... de personnes agressées (plantons, secrétaires, chauffeur de la Mission) cris et plus rien....
Alors que tout le monde demande des informations, j'apprends 1 heure après le décollage du premier avion sur Bangui, le rapatriement des français décidé par l'Ambassadeur.... Je quitte mon domicile et m'installe dans mon bureau, où je garde en permanence le contact avec Paris et mes différents correspondants.
dimanche 10 avril. L'Ambassadeur m'apprend qu'il faut envisager le départ définitif. Je demande à être reçu avec mes collaborateurs mais des urgences militaires contraignent à rendre les échanges les plus brefs. Je n'ai toujours pas lu un seul télégramme...
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5.-
La journée de dimanche s'effectue dans l'évacuation du maximum de nos compatriotes. La Mission avait dès le vendredi mis à disposition de l'armée française le maximum de véhicules disponibles pour se faire. Le décompte des agents s'effectue et les rotations par Transall sur Bujumbura et Bangui s'accélèrent.
La liaison avec Bujumbura permet de suivre en continu l'arrivée des français sur le Burundi, soit par voie aérienne, soit par la route. En effet, le vendredi j'avais demandé la constitution d'un convoi ramenant les français de Ruhengeri sur Gittarama (soeur Odette) et Butaré. Ce convoi regroupé à Butaré (47 français) a pu rejoindre sans encombre Bujumbura sous la responsabilité de Mme DONNET (coopérante universitaire). A signaler l'extrême efficacité de la Mission de Bujumbura dans l'accueil des français, remarquable. Les gens accueillis dans les familles et à l'école française se sont félicités de l'organisation présidée par Jacques GERARD.
La journée de dimanche fut très dure, les combats redoublant, les cadavres s'échelonnant le long des trottoirs, les chiens se rassasiant.... Le chef de mission va à plusieurs reprises à l'école française pour l'évacuation de nos ressortissants.
Le dimanche 10 s'achève par la destruction de toutes nos archives qui ne feront pas l'objet d'un envoi sur Paris. A la mission ce soir là sont installés dans les bureaux, sur des matelas récupérés dans les maisons des agents les plus proches ; le Monce Apostolique, le représentant du PNUD, le docteur RONDY, MM. RIDDELL et RONDREUX, GENET, Melle Joelle DUFOUR, M. DE RUYTER et Michel CUINGNET.
on se débrouille pour trouver eau et conserves...la nuit est très marquée par les combats d'une rare violence.
Lundi 11 avril. Le matin à 6 H l'Ambassadeur me demande si le tri des documents est terminé et exige que mes collaborateurs prennent l'avion de 8 H sur Bujumbura. Je reste à la Mission avec le Nonce apostolique, le docteur RONDY et Denis GENET. Le nonce reste au standard, car nous tenons à nous assurer que tout le monde est en sécurité (reste le cas GALINIER), les CSN sont tous rapatriés mais accompagnés de jeunes femmes tutsies demandent d'embarquer en dernier, ce qui se traduit par le retour seulement vendredi de CSN (MM. DOURRIEU, HOUSSARD et LASOURRO) rapatriés sur Bujumbura dimanche 10 ou lundi 11 au matin....
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6.-
A 10 H le colonel CUSSAC demande au docteur RONDY de s'occuper des corps des membres de l'équipage entreposés à l'hôpital militaire de Kanombé alors que dimanche et samedi, les membres du cabinet me demandaient de faire plus vite pour ce devoir. Il ne peut être envisagé pour un chef de mission de rapatrier les corps d'agents en coopération, alors que même l'armée française ne pouvait les approcher. Le docteur RONDY demande une escorte pour Kanombé... les colonels CUSSAC et PONCET jugent la situation trop grave et demande au capitaine SAINT QUENTIN de s'occuper du départ des cercueils entreposés à Kanombé.
A la demande du consul arrivé le matin même à la chancellerie le docteur RONDY rédige un certificat de décès vers 12 H sans avoir bien sur pu voir les corps.
M. GENET et moi-même continuons pendant ce temps le tri de nos archives que nous mettons dans trois sacs postaux et que je transporterai personnellement au Transall, sans récupérer par contre la moindre chose chez moi, où je ne me suis pas rendu depuis mon départ.
A 14 H, l'Ambassadeur me demande de quitter la mission qui, au cours de la matinée, avait été "transformée" (toit en partie enlevé) pour permettre l'installation de missiles "Milan". Il pleut dans les bureaux avec le Nonce nous ramassons les derniers papiers... les tirs redoublent, les canons de 105 tirent sur la ville, des bâtiments sont en feu...
Nous apprenons que seuls restent à l'école française MM. PIERRON et PLEUTIN, à qui j'intime l'ordre de partir avec moi : ils prendront le dernier transall après avoir fermé le centre de regroupement des expatriés, sous la totale protection de l'armée française.
Je retourne à la Mission, dire à l'Ambassadeur que je suis prêt, que les matériels sont détruits et que les archives sont en sacs postaux. Les médecins militaires coopérants sont prêts à 16 H nous quittons en convoi l'école française. Le Nonce craignant pour sa sécurité, je reste avec lui et le fait monter dans ma voiture qui suit le premier véhicule armé/
Nous arrivons à l'aéroport alors que la canonnade s'accentue, dans le Transall en dehors de quelques européens dont j 'ignore l'identité, sont: l'Ambassadeur
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d'Allemagne et son épouse le Nonce apostolique, les docteurs BOULOUNIE, KERNEIS, MILLELIRI, RONDY, M.GENET et moi-même avec la valise diplomatique.
Nous arrivons à Bujumbura lundi 11 avril â 18H15 où nous retrouvons l'ensemble de nos compatriotes arrivés par la route ou voie aérienne soit quelques 24 heures ou même 48 heures plutôt.
En descendant du Transall le Colonel CABRIERES attaché de défense à Bujumbura, m'accueille et prendra en charge mes valises diplomatiques. On me signale que le 747 en attente de décollage depuis 16H40 va partir dans un instant. Ayant appris par le colonel CABRIERES que tous les CSN pour lesquels on se posait encore des questions attendront un prochain vol pour essayer de régler le problème de leur compagne. Je décide de faire monter dans l'avion les gens qui m'ont accompagnés dans ce dernier vol de Kigali. Je retrouve MM. RIDDELL et RONDREUX ainsi que les personnels de la mission arrivés quelques heures plutôt.
M'étant assuré que MM. PIERRON et PLEUTIN partent bien pour Bangui avec l'Ambassadeur et les derniers agents du poste. Ayant vérifié que les 3 sacs d'archives sont à bord et que les personnels de l'IEMSEA sont saufs, je quitte Bujumbura par le vol spécial d'Air France, sans même avoir pu saluer Jacques Gérard. (les CSN restant à Bujumbura de leur propre volonté, dans l'attente du règlement de la situation de leur compagne rwandaise....).
L'avion décolle peu après ou je retrouve mes collaborateurs.
C'est ainsi que parti le dernier de Kigali par le dernier Transall du lundi soir, je suis arrivée avec le premier vol spécial mardi 6 H à Roissy.
Monsieur le Directeur, j'atteste la véracité de ces faits et vous prie de croire en mon respectueux dévouement.
Michel CUINGNET
Paris, le 15 avril 1994