Fiche du document numéro 33373

Num
33373
Date
Lundi 3 avril 1995
Amj
Taille
27562
Titre
Les réfugiés rwandais pris en tenaille
Sous titre
La Tanzanie, débordée, ferme sa frontière et le Burundi refuse leur retour.
Nom cité
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Lieu cité
Lieu cité
Lieu cité
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Mot-clé
HCR
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Ngozi (Burundi), envoyé spécial.

«Ngara! Ngara!» La clameur parcourt soudain le flot des réfugiés qui s'étend sur une dizaine de kilomètres et qui a fait halte au sommet de la colline de Kabanga, à 58 kilomètres de la frontière tanzanienne. Sorti d'un petit groupe d'hommes réunis le long de la route, le nom de Ngara, le grand camp de réfugiés rwandais en Tanzanie, se répand comme un cri de ralliement. Aussitôt, les hommes courent à leurs «blindés» : les toiles de plastique bleu du HCR qui sont dépliées et rangées prestement. Les grands bols de plastique sont chargés de sacs de sorgho et de bidons d'huile «Usaid», les bébés en haillon ligotés sur le dos de leurs mères, encore épuisées de la marche de la veille. Les enfants en état de marcher chargent de lourds fagots de bois sur leur petite tête et attendent l'ordre des grands. «On va reprendre la marche dans quelques heures», dit Vincent, un ex-professeur de Butare, au sud du Rwanda.

Comme la plupart des 55.000 réfugiés rwandais qui ont littéralement vidé le camp de Magara, à une cinquantaine de kilomètres de là, Vincent est un de ces Hutus du Rwanda que la prise de Butare par les forces du Front patriotique rwandais (FPR), en juillet 1994, a jeté sur la route et contraint de se réfugier au Burundi voisin. La cohorte est disciplinée, emmenée par des «chefs de zone», et un chef du camp, Elie Nderabanzi, ex-entrepreneur de Butare, surnommé «Compagnie». C'est lui qui a donné l'ordre de s'arrêter à ce carrefour. Il surgit de nulle part, pour permettre aux organisations non gouvernementales de distribuer leur nourriture d'urgence et pour attendre les retardataires. Serge et Pascal, deux étudiants de Butare, en profitent pour se ravitailler en bière Primus. «En tant que jeunes Hutus, nous savons que si nous rentrons à Butare, nous seront traités d'interahamwe (les milices extrémistes hutues, ndlr) et liquidés par le FPR. Alors, que pouvons-nous faire si ce n'est suivre les autres?»

La joie des réfugiés sera de courte durée. Les Tanzaniens ont fermé leur frontière. Ils hébergent déjà près de 300.000 réfugiés rwandais à Ngara. Il faut rester là dans ce hameau, où, selon le HCR, seul un maximum de 15.000 personnes peut être hébergé, sous peine de créer de graves incidents avec les locaux, et surtout avec les Tutsis de l'armée burundaise.

Le HCR a tenté samedi après-midi de rapatrier 400 réfugiés volontaires dans leur camp d'origine, à Magara. Mais les huit camions ont été refoulés par l'armée, sur ordre des autorités de Ngozi. «Les explications des autorités donnent raison aux réfugiés, confirme Paul Stromberg, porte-parole du HCR au Burundi. Elles estiment que le camp est devenu trop dangereux pour eux.» C'est l'attaque à l'arme automatique et à la grenade d'un autre camp, celui de Mujuri, le 26 mars dernier (12 morts et 22 blessés), «par des militaires venus du Rwanda», selon les réfugiés, qui a provoqué la panique de ceux de Magara.

Le HCR estime que «l'hostilité de la population de Ngozi» ­-- où les milices de jeunes Tutsis sont très actives --­ rend de toute façon la situation intenable pour ces réfugiés hutus. Le représentant des Nations unies, Amedou Ould Abdallah, attribue au contraire cet exode à une montée de fièvre chronique, due aux événements de Bujumbura et aux rumeurs qui se répandent.

Dimanche, les représentants du HCR tentaient encore de négocier l'ouverture de la frontière tanzanienne. Ils ont rencontré les autorités burundaises pour vérifier, affirme Paul Stromberg, «s'il y a un changement de politique à l'égard des réfugiés rwandais». Ce qui est sûr, c'est que l'exode massif de Rwandais arrange bien l'armée burundaise et les partis d'opposition tutsis, qui accusent les réfugiés de constituer une «cinquième colonne» de l'ex-armée rwandaise et des extrémistes hutus responsables du génocide d'il y a un an avant d'être chassés du Rwanda...

J.-P.C.

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