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Julienne N., Rwandaise tutsie réfugiée en France, avait été en juin 1994 rejetée du droit d'asile, puis «invitée à quitter le territoire» au moment où la France déclenchait l'opération Turquoise au Rwanda (lire Libération du 24 juin 1994). Son cas était examiné hier devant la Commission de recours des réfugiés.
Le président de la Commission des recours, Jean-Jacques de Bresson, a tenu hier à présider l'audience. Devant lui, une jeune femme. Elle a répété le récit que l'Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) n'avait pas cru en juin 1993. «Elle avait été entendue en français, sans interprète, souligne son avocate Me Elisabeth Hamot. Elle était incapable d'exprimer les faits très douloureux qu'elle avait vécus.»
Un mois de prison au Rwanda Julienne avait été arrêtée à Kigali, le 14 mars 1993, au cours d'une simple réunion avec d'anciens collègues de l'entreprise, tous licenciés «parce que tutsis». Mais seule Julienne avait été emprisonnée, car les autorités avaient noté qu'elle était la fille d'un vétérinaire, déjà en prison avec ses deux fils. Les trois hommes avaient manifesté un an auparavant, «pour plus de démocratie au Rwanda». Après un mois passé dans sa cellule, Julienne avait pu se sauver. Elle était, finalement, arrivée en France en avril 1993.
Pour le rapporteur de la Commission, les «persécutions endurées» ne font aucun doute. Un certificat du Coméde (Comité médical pour les exilés) l'atteste, notant «des graves traumatismes physiques et psychologiques nécessitant un suivi médical constant».
«Avec tout ce que j'ai subi depuis 1990...»
Mais hier, le débat juridique s'est porté sur un autre terrain. Pour donner droit au statut de réfugié, la Convention de Genève exige en temps normal «des craintes personnelles et actuelles». «Que craignez-vous si vous rentrez au Rwanda, alors que le FPR est arrivé au pouvoir ?», lui demande Jean-Jacques de Bresson. «Mes parents ont été massacrés, je n'ai plus aucune nouvelle de ma famille. Avec tout ce que j'ai subi depuis 1990, je ne peux plus imaginer remettre mes deux pieds là-bas», a répondu la jeune femme, par la voix de l'interprète.
Est-ce suffisant ? Au lendemain de l'holocauste juif, la Convention de Genève avait prévu le cas, accordant le statut de réfugié «lorsque les conséquences des persécutions sont d'une gravité telle qu'elles permettent d'invoquer des raisons impérieuses pour refuser de retourner dans un pays où elles ont eu lieu». Cette disposition de la Convention s'était ainsi appliquée, notamment en 1956 et en 1960, à des juifs qui ne supportaient pas l'idée de retourner en Allemagne.
Dans une interview au Monde, en juillet 1994, Jean-Jacques de Bresson avait décrit la situation des Tutsis, affirmant que «le terrible génocide nécessite une nouvelle application de la jurisprudence... Cette clause (de la Convention, ndlr), rédigée dans l'après-guerre pour les juifs d'Europe centrale, pourrait s'appliquer à des Rwandais.»
S'inscrivant dans cet argumentaire, l'avocate de Julienne a interrogé les juges : «Imaginez son retour dans ce pays pour y rencontrer des voisins, des anciens camarades de classe ou collègues de travail hutus qui, activement ou passivement, ont été impliqués dans les massacres. Et vous le savez, ces faits sont très proches dans le temps...»
Deux cas similaires déjà examinés
Que va décider la Commission ? Le 25 novembre 1994, des avocats ont plaidé sur le même thème devant la Commission des recours des avocats pour deux demandeurs d'asile tutsis. Eux aussi s'étaient appuyés sur les déclarations de Jean-Jacques de Bresson dans la presse, mais il y a deux jours les décisions sont tombées. L'une accorde le statut à un Tutsi qui, s'étant fait passer pour Hutu pendant vingt ans, peut craindre des persécutions s'il rentre dans son pays ; l'autre décision rejette la demande d'un Tutsi prénommé De Gaulle, en raison de son appartenance au FPR, actuellement au pouvoir au Rwanda.
«Ce n'est pas facile», a juste murmuré Julienne en sortant de l'audience. La décision a été mise en délibéré.