Fiche du document numéro 33343

Num
33343
Date
Mardi 30 mai 1995
Amj
Auteur
Taille
25758
Titre
Les Français réarmeraient l'ancienne armée rwandaise
Sous titre
Paris a livré des armes aux ex-FAR malgré l'embargo.
Lieu cité
Lieu cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Les anciennes Forces armées rwandaises et les miliciens hutus, responsables de la mort de centaines de milliers de Tutsis et de Hutus modérés lors du génocide du printemps 1994, se réarment aujourd'hui au Zaïre avec l'aide de plusieurs pays, dont la France, le Zaïre et l'Afrique du Sud, et s'apprêtent à reprendre militairement le pouvoir. Telles sont les conclusions du rapport de l'association Human Rights Watch, une organisation de défense des droits de l'homme basée à New York et à Washington, qui a mené une enquête de quatre mois en Afrique centrale et interviewé des centaines de témoins. Hier soir, le Quai d'Orsay déclarait ne pas être encore en mesure de réagir à ces informations.

Selon ce rapport, les Forces armées rwandaises disposeraient aujourd'hui d'une armée de 50 000 hommes, répartis sur une douzaine de camps placés le long de la frontière entre le Zaïre et le Rwanda, et seraient sur le point de lancer une offensive contre les autorités de Kigali. Les armes dont ils disposent leur auraient été fournies par des Etats qui approvisionnaient régulièrement le Rwanda en équipements militaires avant l'embargo, imposé le 17 mai 1994, et qui auraient depuis recours à des faux certificats de destination finale, afin de camoufler l'identité du véritable récipiendaire de ces armes. La France, affirme l'organisation de défense des droits de l'homme, aurait ainsi livré, en mai et juin 1994, soit après l'entrée en vigueur de cet embargo, cinq cargaisons d'armes aux Forces armées rwandaises, via Goma au Zaïre. Selon des membres du personnel de l'aéroport, des hommes d'affaires locaux et les équipages de plusieurs avions cargos, les chargements étaient composés de pièces d'artillerie, de mitrailleuses, de fusils d'assaut et de munitions fournies par le gouvernement français.

Lors d'un entretien, le 15 février, entre l'enquêteur de Human Rights Watch et le consul de France de l'époque à Goma, Jean-Claude Urbano, ce dernier aurait justifié ces cinq livraisons en affirmant que la France n'avait fait qu'honorer des contrats d'armes antérieurs à l'embargo. Toujours selon le consul, d'autres livraisons d'armes de fabrication israélienne, sud-africaine et soviétique auraient également eu lieu au cours de la même période. «Malgré cela, commente Human Rights Watch, le gouvernement français n'aurait pas non plus fait état de ces cargaisons au comité mis en place par le Conseil de sécurité» pour recueillir toute information sur les violations de cet embargo. Les autorités militaires françaises, qui patrouillaient régulièrement la frontière entre le Zaïre et le Rwanda et assuraient une présence permanente à l'aéroport de Goma, n'ont pu, selon l'ONG, ignorer ces livraisons d'armes.

Quelques semaines plus tard, en août 1994, lorsque les forces françaises qui avaient assuré la «zone humanitaire de sécurité» dans le sud-ouest du Rwanda ont quitté le secteur, elles auraient délibérément laissé derrière elles une cache d'armes, dans la ville de Kamembe. L'enquêteur d'Human Rights Watch, qui en appris l'existence auprès d'officiers de l'ancienne armée et de la gendarmerie rwandaises, a visité cette cache et y a dénombré plus de cinquante fusils d'assaut et plusieurs mitrailleuses.

Au terme de cette même opération humanitaire Turquoise, affirme le rapport qui s'appuie cette fois sur des témoignages d'officiels de la mission des Nations unies pour l'assistance au Rwanda (Minuar), l'armée française a transporté par avion militaire, entre juillet et septembre 1994, plusieurs chefs de l'ancienne armée rwandaise, dont le colonel Théoneste Bagasora et le chef de la milice extrémiste hutu, Jean-Baptiste Gatete. Sans être en mesure d'affirmer la destination de ces vols, Human Rights Watch affirme avoir reçu de nombreuses allégations affirmant que des anciens militaires et miliciens rwandais recevraient toujours un entraînement militaire dans les bases françaises de Centrafrique. Selon des informations recueillies au Zaïre auprès de chefs miliciens hutus, des membres de ces milices, rwandais et burundais confondus, se sont rendus à la mi-octobre en Centrafrique à bord d'un vol d'Air Cameroun en provenance de la capitale kenyane. Le gouvernement du Burundi, qui possédait lui-même cette information, avait d'ailleurs saisi Paris à cette époque d'une demande d'explications sur le type d'«enseignement» qui leur était dispensé. Le ministère burundais de la Défense affirmait hier que Paris ne leur avait à ce jour livré aucune explication.

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