Fiche du document numéro 33335

Num
33335
Date
Mardi 13 mai 1997
Amj
Taille
32987
Titre
Zaïre : l'incroyable odyssée des réfugiés
Sous titre
Fuyant Tingi-Tingi, des milliers de Hutus ont marché jusqu'au Congo.
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Kinshasa envoyé spécial.

Il y a deux semaines, ces réfugiés-là ont surgi de la forêt. Là où personne ne les attendait, sur l'équateur, dans la région de Boende, au nord-ouest du Zaïre. Par dizaines de milliers, au cours d'un périple qui ouvre un nouveau chapitre de l'invraisemblable odyssée des fugitifs hutus. D'abord, des milliers d'hommes, de jeunes, puis des femmes et des enfants ; derrière eux, les plus malades ou les plus vieux ne sont pas encore sortis, ou ne sortiront plus, abandonnés en chemin. Environ 27 000 marcheurs ont déjà dépassé la bourgade d'Ingende par la piste de Djoa. Plus de 12 000 personnes ont déjà atteint Wendji, en périphérie de Mbandaka, ville du nord-est du Zaïre. Au moins autant sont repérés, derrière eux, dans la savane. Peut-être deux ou trois fois plus traînent encore dans l'épaisseur végétale tropicale. Nul ne sait.

Encadrement militaire



Ces réfugiés, comme leurs compatriotes à Kisangani, viennent des camps autour de Tingi-Tingi. Un délégué de la Croix-Rouge internationale, de retour de Mbandaka, explique : « Lorsque les rebelles ont attaqué le camp, ces réfugiés sont partis en colonnes, droit devant eux. Au contraire de ceux de Kisangani, ils ne se sont jamais arrêtés.» Plus de cent mille au départ. Des femmes (25%), des enfants (15%), des hommes, parmi lesquels des militaires des Forces armées rwandaises, en armes, et soupçonnés du génocide de 1994 (5%) : statistiques approximatives proposées par le CICR et des associations humanitaires. Dans la brousse, les palmeraies, les marais, les savanes, une partie a tracé un itinéraire passant aux alentours de Shabunda, Kindu, Mbuji-Mayi, Luiza, pour tenter de franchir la frontière angolaise. Les autres se sont dirigés vers Kisangani. Ils ne se sont donc pas posés, mais ont disparu sous les végétations ou sur les rivières pour réapparaître vers Boende. A 1 800 kilomètres de leur camp de Tingi-Tingi, à 2 000 ou 3 000km de leurs villages au Rwanda.

Le délégué du CICR raconte : « A trois ou quatre reprises, nous avons pu les localiser et les joindre. Ils marchent en file de centaines de personnes. Ils sont encadrés par des militaires des FAR très bien organisés. Ils disposent de cartes, écoutent RFI sur leurs transistors. Ils savent bien ce qui se passe autour d'eux, et où ils veulent se rendre. Toujours plus au nord.» Le délégué poursuit : « Plusieurs fois, nous avons tenté de les stabiliser. Sans aucun succès. Tous les matins, ils se lèvent et se mettent en marche et campent le soir trente kilomètres plus loin. Les plus affaiblis sont aidés par les plus valides. Les autres meurent sur les bas-côtés, ou se font prendre par les rebelles.»

De gré ou de force



Ce n'est pas sans motif que ces réfugiés marchent ainsi. Les hommes fuient les rebelles qui, depuis l'attaque de Tingi-Tingi, à travers brousse et villages, les pourchassent, avec une ténacité qui n'a d'égale que celle des fugitifs. Femmes et enfants suivent de gré ou de force.

« Heureusement pour ces réfugiés qu'ils sont plutôt bien encadrés. Sinon ils n'auraient pas survécu, dit une toubib d'une association humanitaire française ; dans la région de Boende, par exemple, ils affrontent le danger des rebelles tutsis à leur poursuite, des forces armées zaïroises en déroute du front, des villageois le long des pistes et des rivières, qui tentent de protéger leurs récoltes.» Une foule de dizaines de milliers de marcheurs, dans une région pauvre, cause en effet des dévastations sur son passage : pousses de manioc arrachées, maïs coupés, arbres élagués, poulets et chevreaux égorgés... Toutefois, le plus souvent, racines d'arbres, feuillages bouillis, oiseaux, rats ou poissons attrapés par chance constituent leur repas.

Etat catastrophique



Mitte Phillips, logisticienne de MSF-Belgique, explique : « Dans les dispensaires que nous ouvrons encore, nous avons diagnostiqué un état physique catastrophique chez la plupart de ces réfugiés. A part des jeunes hommes pas trop mal portants, les autres sont atteints d'œdèmes et d'abcès aux jambes, de fièvres malariques, de troubles de vision à cause de carence de vitamine A. Ils souffrent d'une malnutrition dramatique. Il faudrait qu'on puisse les poser pour les ravitailler. Le problème est qu'ils refusent, ou sont empêchés, de s'arrêter une seule journée.»

Ignorés jusqu'à ces derniers jours du HCR, reconnus récemment seulement par le CICR, ces dizaines de milliers de réfugiés menacent l'équilibre de la région. Au fil de leur arrivée, le gouverneur de Mbandaka, ville fluviale, tente de les aiguiller vers un camp à Wendji, une quinzaine de kilomètres plus loin, ou à Irebu, une île sur le Zaïre. Quel sort attend ces marcheurs de l'impossible ? « La solution, répond un délégué du CICR, serait de les accueillir au Congo, où ils se sentiraient assez en sécurité pour accepter de s'arrêter. Le temps de se refaire une santé, et d'envisager l'avenir avec un peu de sérénité.»

Malheureusement, deux obstacles se dressent sur cette route congolaise. Le premier est l'immensité des marécages, fétides, infectés, qui interdisent l'abord sur l'autre rive frontalière du fleuve. Déjà 3 000 ou 4 000 réfugiés, les plus gaillards, chevauchant des troncs d'arbres, construisant des radeaux ou utilisant les pirogues des pêcheurs, ont descendu le fleuve pour aborder à Lukolela, deux cents kilomètres en aval, et prendre pied sur une terre congolaise, ferme et isolée de tout. Par dizaines, d'autres les suivent qui affrontent le danger des bateaux de l'armée zaïroise, ceux des premières patrouilles rebelles, ceux des militaires congolais, eux aussi agressifs à leur encontre.

Zone fragile



L'hostilité des Congolais au débarquement des réfugiés est en effet le second obstacle. Crainte d'un afflux aussi massif et appauvri, qui pourrait envahir Brazzaville. Peur, aussi, de ces militaires hutus des forces armées rwandaises, toujours armés et susceptibles d'attirer ou de provoquer des troubles dans une zone fragile. « L'idéal serait d'obtenir pour ces militaires, un statut de prisonniers internés, explique un autre représentant du CICR. Peut-être accepteraient-ils de se laisser désarmer au passage du fleuve. Et peut-être pourrait-on établir des camps pour interrompre cette tragédie.» Il ne dit pas mais le pense : sans l'appui des gouvernements occidentaux, Brazzaville ne se risquera pas à accueillir autant de gens. Sans l'aide de troupes occidentales, basées à Brazzaville, les soldats congolais ne parviendront pas à désarmer ces militaires hutus.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024