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Les répliques du tremblement de terre mondial déclenché par les horreurs du Hamas le 7 octobre n’en finissent pas de se faire sentir dans la vie politique française. Les exemples d’effondrement intellectuel et moral sont suffisamment nombreux pour nourrir la chronique. Il va d’un David Guiraud qui, depuis la Tunisie, accuse Israël des exactions des milices phalangistes libanaises à Sabra et Chatila pour mieux exonérer le Hamas, à tous ceux qui, de l’autre côté du prisme, assumant ou non le concept de guerre de civilisation, considèrent que rappeler le contexte de colonisation, de blocus, de confiscation des terres et des ressources, reviendrait à excuser le Hamas, voire nient carrément qu’on puisse parler de colonisation de la part d’Israël.
Mais comme si cela ne suffisait pas, voilà que certains se sont trouvé une autre cible. Dominique de Villepin, l’homme du discours de l’ONU, l’ancien Premier ministre qui, depuis plusieurs semaines, fait entendre une des rares voix, avec Hubert Védrine, qui allie l’analyse géopolitique et le recul historique, se voit accusé d’antisémitisme. Le sceau de l’infamie.
« VIOLENCE DE LA PENSÉE UNIQUE »
Reprenons les faits. Dominique de Villepin, invité de « Quotidien » le 23 novembre, passe trois quarts d’heure à plaider pour la seule solution raisonnable, et plus encore à présent que la haine s’est ancrée et que l’irréparable a été commis : une négociation politique prise en main par la communauté internationale pour aboutir à deux États séparés. Intervient une séquence sur les pressions exercées, aux États-Unis, contre les acteurs qui prennent position dans le conflit, notamment ceux qui tiennent des positions propalestiniennes. Susan Sarandon, qui a perdu son agent, une actrice mexicaine qui s’est vu retirer un rôle… L’ancien Premier ministre pointe trois éléments : la « violence de la pensée unique » aux États-Unis, qu’il a lui-même « expérimentée en 2003 », la capacité de ce conflit à diviser jusqu’au sein des familles, et « la domination financière sur les médias et sur le monde de l’art » qui fait que les artistes qui s’expriment courent le risque de perdre des contrats.
Il est donc question, sans la moindre ambiguïté, des enjeux financiers gigantesques autour de l’industrie du cinéma, qui retirent aux artistes leur liberté de parole puisque l’impératif des producteurs est de flatter un public le plus large possible. Pas une seconde, un individu de bonne foi ne pourrait interpréter cela comme un propos antisémite sur « les juifs » qui « tiendraient le cinéma et les médias ». En fait, il faut être sacrément antisémite pour penser immédiatement « juifs » quand quelqu’un prononce le mot « finance ».
DÉSINFORMATION PURE
Qu’à cela ne tienne, l’attaque est lancée. BFMTV organise des débats avec, en bandeau : « "Domination" juive : Villepin fait polémique ». Et le journaliste d’interroger le président du Crif, expliquant que Dominique de Villepin « dénonce la domination de la finance juive sur les sociétés occidentales ». Désinformation pure. L’ancien Premier ministre voit lui tomber dessus tous les tenants de la « guerre de civilisation », d’Éric Ciotti à Robert Ménard, lequel explique : « Il incarne la fascination de la diplomatie française pour le monde arabe. » Nous y voilà.
Car derrière cette polémique assez abjecte se cache un enjeu idéologique de taille : refuser le choix qui nous est imposé entre, d’un côté, l’atlantisme béat et moutonnier qui domine le champ politique et médiatique français, et, de l’autre, la complaisance clientéliste envers l’islamisme que cultive derrière Jean-Luc Mélenchon la frange gauchiste des Insoumis. Entre les deux, la position historique de la France, portée par de Gaulle et ravivée par Villepin en 2003, d’un refus du messianisme américain et d’une défense d’un ordre international qui ne soit pas soumis à l’impérialisme des autoproclamés défenseurs des « démocraties ». Une voie qui, de Dominique de Villepin à Hubert Védrine, en passant par Jean-Pierre Chevènement, est celle de la paix et de la justice internationale et qu’Emmanuel Macron, sur ce dossier, tente visiblement d’emprunter.
L’immense paradoxe est que ceux qui hurlent à l’antisémitisme pour faire taire cette voix dissonante se recrutent aussi bien à l’extrême droite qu’au centre. Dans le sillage d’un Manuel Valls et du Printemps Républicain, on peut à la fois prétendre « combattre le populisme » et adopter une position vis-à-vis du conflit qui est, au même titre que celle d’Éric Zemmour, parfaitement alignée sur celle de Donald Trump et des évangéliques américains, principaux soutiens de Benyamin Netanyahou dans sa politique d’annexion progressive de la Cisjordanie.
Voici plus de vingt ans que l’atlantisme est une des composantes de la « pensée unique journalistique » que dénonçait Jean-François Kahn dès la création de Marianne. Le même Jean-François Kahn qui résume aujourd’hui : « Quiconque n’est pas pour le droit d’Israël à l’existence et à la sécurité est un salaud. Quiconque n’est pas pour le droit des Palestiniens à un État est un salaud. » Faire entendre ce message en France, aux États-Unis et dans le monde entier est une nécessité pour éviter que la haine de l’Occident ne se transforme en guerre généralisée, et chez nous en guerre civile. Et les procès en antisémitisme n’y changeront rien.