Fiche du document numéro 33155

Num
33155
Date
Lundi 13 novembre 2023
Amj
Taille
75982
Titre
Le Rwandais Sosthène Munyemana jugé pour « génocide », vingt-huit ans après la première plainte
Sous titre
Placé sous contrôle judiciaire, l’ancien gynécologue de l’hôpital de Butare âgé de 68 ans se présentera libre ce lundi 13 novembre devant la cour d’assises de Paris.
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Article de journal
Langue
FR
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Sosthène Munyemana, au palais de justice de Bordeaux, le 7 octobre 2010. PATRICK BERNARD / AFP

Il aura fallu quasiment trois décennies pour que Sosthène Munyemana, qui doit comparaître à partir du lundi 13 novembre devant la cour d’assises de Paris, soit jugé pour les actes qu’il est soupçonné d’avoir commis au Rwanda en 1994. L’ancien gynécologue de l’hôpital de Butare, dans le sud du pays, est notamment renvoyé devant la justice pour répondre à des accusations de « génocide » et de « crimes contre l’humanité ». Des faits imprescriptibles. Le bilan du génocide perpétré contre les Tutsi entre avril et juillet 1994 s’élève à un million de morts, selon les autorités de Kigali.

Placé sous contrôle judiciaire, l’accusé, âgé de 68 ans, doit pointer une fois par semaine à la gendarmerie de son domicile. Mais c’est libre qu’il se présentera devant le tribunal. Le Rwandais est jugé en France en vertu de la compétence universelle, un principe qui stipule qu’un Etat peut poursuivre les auteurs de certains crimes quel que soit le lieu où ils ont été commis. Avant de s’opposer dans les débats, il est un point sur lequel sa défense et les parties civiles s’accordent : l’instruction a été trop longue, la plainte le visant ayant été déposée à Bordeaux en octobre 1995.

« Cette attente est révoltante, scandaleuse et la justice n’en sort pas grandi », déplore Alain Gauthier, le président du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), l’une des associations à avoir déposé plainte contre Sosthène Munyemana.

Marathon judiciaire



Me Jean-Yves Dupeux, qui assure la défense de l’accusé depuis 1995, partage cet avis. « Ces vingt-huit années d’attente constituent très probablement un record, lâche-t-il. C’est un mauvais signal envoyé par la justice que l’on peut expliquer par les moyens limités dont elle dispose, la distance qui sépare la France et le Rwanda, mais aussi par la rupture des relations diplomatiques [entre 2006 et 2009] entre les deux pays qui a retardé les investigations sur le terrain. »

Sosthène Munyemana a déjà été interrogé à quatorze reprises par les enquêteurs. Les pièces accumulées ont rendu son dossier pléthorique. Selon l’ordonnance de mise en accusation, un document de cent pages daté du 15 décembre 2021 que Le Monde a pu consulter, « l’arrêt ne peut pas procéder de façon exhaustive à un exposé de toutes les dépositions recueillies dans le cadre de cette procédure, celles-ci se chiffrant à plusieurs centaines ».

Le marathon judiciaire de celui qui s’était installé à Talence en Gironde avec son épouse deux mois après la fin des tueries a commencé le 18 octobre 1995. Cinq membres de la communauté rwandaise avaient alors porté plainte auprès du tribunal de Bordeaux, l’accusant de tortures et de mauvais traitements pendant le génocide. Un an plus tard, une information judiciaire était ouverte.

Mais en septembre 1997, celui qui travaille alors en tant que médecin à l’hôpital Saint-André de Bordeaux contre-attaque : il dépose plainte contre X, soutenant que le rapport à en-tête du Haut-Commissariat aux droits de l’homme ayant donné lieu à l’ouverture de l’information judiciaire sur sa personne est un faux.

Une soixantaine de témoins



En avril 2007, le parquet de Paris demande sa mise en examen et, la même année, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) rejette sa demande d’asile, considérant qu’il existe « des raisons sérieuses de penser qu’il s’était rendu coupable de crime de génocide et de crimes contre l’humanité ». En 2008, le Rwanda émet un mandat d’arrêt international contre lui, mais la cour d’appel de Bordeaux refuse de l’extrader.

Finalement, comme l’indique l’ordonnance de mise en accusation, « après plusieurs missions de la section de recherches de la gendarmerie de Paris et des magistrats instructeurs au Rwanda, Sosthène Munyemana est mis en examen le 15 décembre 2011 des chefs d’actes de torture et de barbarie au sens de la Convention de New York, pour génocide, crimes contre l’humanité… et il est placé sous contrôle judiciaire ».

Des commissions rogatoires internationales sont exécutées en Belgique, aux Etats-Unis, en Norvège, en Grande-Bretagne, en Suisse pour obtenir de nouveaux éléments. Une soixantaine de témoins devraient se succéder à la barre.

Face à la cour, Sosthène Munyemana devra notamment justifier le fait qu’il possédait la clé du bureau du secteur du quartier de Tumba entre le 24 avril et la mi-mai 1994. La plupart des Tutsi réfugiés ou conduits dans ce bureau ont ensuite été exterminés.

Un jugement attendu pour le 19 décembre



« Ces éléments sont apparus dès la plainte déposée en 1995 et ont ensuite été étayés tant par les parties civiles que par les multiples auditions effectuées au Rwanda, indique l’ordonnance de mise en accusation. Confronté au témoignage du seul rescapé d’un groupe de Tutsi enfermé au bureau de secteur, Sosthène Munyemana a reconnu dès sa première audition qu’il avait été détenteur de la clé du bâtiment. »

« Le procès va se jouer une fois encore sur la crédibilité des témoignages, explique Simon Foreman, l’avocat du CPCR. L’accusé va se présenter comme une victime du régime de Paul Kagame [président du Rwanda]. » « Les audiences vont montrer qu’il a fait pression sur plusieurs témoins afin qu’ils plaident en sa faveur », ajoute Alain Gauthier.

Sosthène Munyemana avait 29 ans au moment des faits. Après avoir exercé à Bordeaux, il s’est installé à Villeneuve-sur-Lot où il compte aujourd’hui un comité de soutien. « Malgré les années, il reste extrêmement combatif et connaît son dossier par cœur, assure Jean-Yves Dupeux, qui assurera sa défense avec Me Florence Bourg. Nous allons prouver qu’il est impossible de se souvenir de certains événements trois décennies plus tard. »

Dans le Lot-et-Garonne, le Rwandais a exercé pendant une quinzaine d’années en tant qu’urgentiste avant de se spécialiser dans la gériatrie. Depuis un an, il est retraité. Le jugement est attendu mardi 19 décembre.

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