Comme il y a près d’un an, Randolph et Clement Arendse ont mis leurs vies entre parenthèses, ce mardi 17 octobre, pour écouter ce que la justice française avait à dire sur la mort de leur illustre parente, la militante anti-apartheid et représentante en France du Congrès national africain (ANC), Dulcie September, assassinée en plein Paris, le 29 mars 1988, de cinq balles dans la tête, dans des circonstances toujours pas élucidées, 35 ans après.
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On veut savoir ce qui s’est passé : Qui l’a tuée ? Qui a donné l’ordre ? C’est très dur de ne pas savoir, témoigne Clément Arendse, l’un des neveux de Dulcie, arrivé de Londres la veille.
Nous prenons cette audience comme un encouragement, même si nous voyons que beaucoup de barrières techniques nous sont opposées par la justice et l’État français… »
« Les paroles d’Emmanuel Macron n’ont eu aucune suite »
Avec Randolph Arendse, beau-frère de l’activiste sud-africaine, et plusieurs autres membres de la famille, aidés par les infatigables militants du Collectif des amis de Dulcie September, il bataille pour que la lumière soit enfin faite sur les circonstances de cet assassinat commis en pleine campagne présidentielle française, et sur lequel les autorités de l’époque n’avaient mené qu’une enquête bâclée.
Pour ce faire, la famille et son conseil, Me Yves Laurin, ont choisi de saisir la justice civile pour faire reconnaître la « faute lourde » de l’État dans cette affaire et le « déni de justice » dont elle est victime.
Déboutée de cette procédure en première instance, en décembre 2022, elle a décidé de faire appel, et c’est la recevabilité de cet appel qui était contesté, mardi, au Palais de justice de Paris, sur l’île de la Cité. L’occasion pour Me Laurin de défendre une nouvelle fois l’idée d’une médiation dans ce dossier, mise sur la table après la visite d’Emmanuel Macron à la Fondation Nelson Mandela, à Johannesburg, en mai 2021.
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Le chef de l’État avait visité l’exposition consacrée à Dulcie September et eu des paroles très encourageantes, explique l’avocat.
Sauf que ces paroles n’ont eu aucune suite. Et alors que le ministère de la Justice ne cesse de vanter les mérites de la médiation, là, on nous la refuse obstinément ! »
Une position confirmée à l’audience par Me Bernard Grelon, représentant de « l’agent judiciaire de l’État ». «
Nous sommes opposés à toute médiation dans cette affaire. Il peut y avoir un débat politique, un débat moral. Mais juridiquement, pour nous, il n’y a pas de débat. On ne participera à aucune médiation », a balayé l’avocat.
L’espoir au fond des cartons de Jacques Chirac
Pas vraiment une surprise pour son confrère Me Laurin, qui s’étonne toutefois du « zèle incroyable » mis par l’État à bloquer toute avancée dans ce dossier. «
En cinq mois, on a reçu pas moins de huit conclusions différentes dans cette procédure. Je n’ai jamais vu ça ! Après l’élimination physique de Dulcie September, n’est-on pas en train de chercher ici sa mort judiciaire ? » s’emporte l’avocat.
Heureusement, toutes les batailles ne sont pas vaines. Celle pour l’accès aux archives liées à cet assassinat a connu quelques (timides) avancées ces derniers mois. «
Grâce au feu vert donné par Claude Chirac, nous avons obtenu l’accès aux sept cartons d’archives liés au passage de Jacques Chirac à Matignon, et le ministère de la Justice nous promet qu’on pourra faire de même avec les deux cartons le concernant. »
Encore faudrait-il que ces précieux cartons n’aient pas été expurgés d’éventuels éléments compromettants pour l’État français, dans une période – celle de Charles Pasqua ministre de l’Intérieur – particulièrement trouble…
Ni confiants, ni résignés, les soutiens de la famille de Dulcie September, parmi lesquels l’ancienne traductrice et amie de Dulcie, Jacqueline Derens, ou encore l’ancien maire d’Arcueil et ex-sénateur Daniel Breuiller, se voulaient combatifs, quelle que soit la décision de la justice, attendue le 21 novembre prochain.
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La position de l’État est incompréhensible, pestait Jacqueline Derens, mardi, à la sortie de l’audience.
Il est procédurier, raide comme la justice – mais une mauvaise justice. Il fait comme si l’assassinat de Dulcie September était un événement anecdotique. » Un événement qui continue pourtant de mobiliser bien des énergies, 35 ans après. «
On ne lâchera pas, promet Me Laurin.
S’il faut déposer de nouvelles plaintes, nous le ferons. »