Fiche du document numéro 32963

Num
32963
Date
Lundi 25 septembre 2023
Amj
Taille
39282
Titre
Retrouvé par Le Poulpe, un ancien préfet rwandais arrêté au Havre, incarcéré et mis en examen pour sa participation présumée au génocide
Sous titre
Le Poulpe l’avait retrouvé et avait révélé sa présence au Havre en 2019 avant d’enquêter à son sujet au Rwanda. L’ancien préfet et député rwandais Pierre Kayondo qui, depuis nos révélations, était visé par une plainte déposée par une association et une enquête du Parquet national antiterroriste, a été arrêté, mis en examen pour génocide et écroué mardi dernier. Un développement majeur salué au Rwanda par les rescapés et les associations qui défendent la mémoire des victimes.
Nom cité
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
« Pierre Kayondo était un des responsables des interahamwe [« ceux qui travaillent ensemble » en langue kinyarwanda, nom de la milice du parti présidentiel qui commis le génocide NDLR]. Et celui-là c’était un "grand" comme on dit ici », affirme Alphonse* en esquissant un sourire réjoui alors qu’il apprend la nouvelle de l’arrestation en France mardi dernier de son compatriote.

Près de trente ans après le génocide d’un million de Tutsi entre avril et juillet 1994, beaucoup de Rwandais se souviennent encore de Pierre Kayondo. « Je travaillais dans l’immeuble où se trouvait le quartier général des interahamwe. Je réparais même leurs machines. Je peux vous dire qu’il en faisait partie. J’ai parfois partagé des bières avec lui. Il était vraiment méchant. Vraiment, on a tardé à l’attraper celui-là », soupire Alphonse.

C’est un tournant majeur dans l’enquête qui vise Pierre Kayondo, ex-député et préfet au Rwanda, pour son rôle présumé dans le génocide des Tutsi en 1994. L’ancien édile a été interpellé mardi 19 septembre au Havre où il coulait des jours paisibles jusqu’à ce que Le Poulpe révèle sa présence en décembre 2019 et qu’une plainte soit déposée contre lui par le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) en septembre 2021.

Visé depuis lors par une information judiciaire ouverte par le pôle crimes contre l’Humanité du Parquet national antiterroriste, Pierre Kayondo est désormais mis en examen pour génocide, complicité de génocide, complicité de crimes contre l'humanité et entente en vue de commettre ces crimes. Il a été placé en détention dans la foulée de son arrestation.

Membre du comité central du Mouvement révolutionnaire national pour le développement (MRND, le parti présidentiel jusqu’en 1994), Pierre Kayondo était une figure majeure de l’ancien régime. Avant le génocide, il a participé à la création de la milice du MRND, les sinistres interahamwe, mais aussi de la Radio télévision libre des mille collines (RTLM), station de radio commerciale à partir de laquelle seront coordonnés les massacres.

Le Poulpe avait enquêté au Rwanda et mis au jour des témoignages sur la manière dont il aurait organisé et supervisé les massacres dans sa région d’origine de Ruhango, à 70km au sud-ouest de la capitale Kigali. Depuis la France, Pierre Kayondo avait poursuivi ses activités politiques jusqu’à nos jours, notamment en levant des fonds pour des mouvements armés hostiles aux autorités actuelles du Rwanda.

Soulagement et désir de Justice chez les rescapés

Dans la région de Ruhango, les rescapés interrogés par Le Poulpe saluent unanimement cette arrestation. « C’est un soulagement pour nous. C’est quelque chose de très important pour notre dignité. Vous ne pouvez pas savoir... Cette personne nous a ôté tout ce que l’on avait et elle vivait paisiblement sa vie, comme si de rien n’était », s’exclame Armand* le fils d’un important homme d’affaires de la région, victime présumée de Pierre Kayondo.

En juillet dernier, Le Poulpe avait raconté cet épisode crapuleux survenu en plein génocide. « Il s’en est sorti car il était bien éduqué. Il savait tout organiser et commettre des atrocités sans que les gens ne sachent forcément que c’était lui », poursuit Armand.

Armand dénonce l’entregent que le suspect aurait conservé dans la région. « Ce qui me dérange c’est que depuis l’Europe, il a su continuer à manipuler des gens pour qu’ils cachent ses biens ici. Il avait tout organisé à l'avance. Comme s’il savait qu’il serait poursuivi un jour. On découvre qu’il aurait vendu des propriétés alors qu’il n’était plus dans le pays. D’autres sont au nom de sa fille qui n’était alors qu’une enfant. Qui a pu faire ces transferts ici ? Qui a pu organiser tout cela ? C’est un manipulateur au premier degré ». La justice française ne se penchera pas sur ces questions qui continuent néanmoins de se poser sur les collines rwandaises trois décennies après les faits.

Les associations entre satisfaction et inquiétude



« Nous sommes très contents et nous apprécions le fait que la Justice française arrête Pierre Kayondo qui est l’un des grands génocidaires. Il fut parmi les planificateurs et les exécuteurs du génocide dans l’ancienne préfecture de Gitarama [aujourd’hui Muhanga NDLR]. Il était parmi les chefs génocidaires qui ont supervisé la formation des tueurs puis les massacres. Son nom était très connu car il faisait de la politique. Donc c’est quelqu’un qui avait une grande influence sur la population », réagit Naphtal Ahishakiye, le secrétaire exécutif d’Ibuka, l’association qui défend la mémoire des disparus et les intérêts des rescapés au Rwanda.

« Nous souhaitons que le procès ait lieu rapidement. Car on arrête ces gens 30 ans après et les victimes ont attendu tout ce temps. Il faut accélérer les procès pour éviter que ces génocidaires qui sont pour certains âgés ne disparaissent. C’est très important de les juger vite pour que justice soit faite », ajoute-t-il.

« Tout le retard qui a été pris ne se rattrapera pas. On a appris récemment que le procès en appel de Laurent Bucyibaruta [ancien préfet rwandais de 79 ans, condamné l’année dernière à vingt ans d’emprisonnement NDLR] n’aurait pas lieu avant 2025. Cela fait presque sourire », explique Alain Gauthier, le président du CPCR qui a déposé la plainte contre Pierre Kayondo. « Néanmoins, cela montre peut-être que la justice française s’en occupe un peu plus. Ceux qui ont trouvé refuge en France ne doivent pas se sentir à l’aise mais avoir peur de se faire débusquer. La roue a tourné. Donc on se réjouit que cette arrestation ait eu lieu. Mais il y a beaucoup d’autres procès avant... », rappelle-t-il.

Deux procès en première instance et trois en appel sont d’ores et déjà programmés dans les années à venir. Une vingtaine de Rwandais sont actuellement poursuivis en France pour leur rôle présumé dans le génocide des Tutsi. Certains, comme le gynécologue Sosthène Munyemana qui comparaîtra aux assises en novembre prochain, le sont depuis déjà 28 ans. En attendant son tour, Pierre Kayondo dort en prison.

*Pour préserver l’anonymat et la sécurité de nos sources, certains prénoms ont été modifiés.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024