Fiche du document numéro 32844

Num
32844
Date
Lundi 21 août 2023
Amj
Auteur
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Taille
2046866
Surtitre
Tribune
Titre
Holocauste au Congo : la Bible de la haine faite de mensonges, faussetés et confusions
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Type
Page web
Langue
FR
Citation


Introduction



Notre objectif est d’analyser le livre Holocauste au Congo, la dernière publication du polémiste franco-camerounais Charles Onana, à la lumière de faits historiques avérés, tels que nous les avons vécus et tels qu’ils peuvent être sourcés de manière non équivoque.

Nous devons préciser ici que seul le Congo nous intéresse. Nous ferons donc l’impasse sur les accusations qui sont portées contre des pays voisins comme l’Ouganda, le Burundi et, surtout, le Rwanda. Nous n’aborderons ces accusations que si l’auteur les lie directement à une communauté congolaise.

Cette tribune n’est nullement un déni des crimes qui ont été commis en RDC. Il est indéniable qu’à partir du début de la décennie 1990, la RDC a été le théâtre de nombreuses violations des droits de l’homme, dont des actes d’épuration ethnique, des massacres, des viols massifs, des déracinements de population, ainsi que des destructions de biens et de cheptels, entre autres atrocités. Nous souhaitons vivement que justice soit rendue à toutes les victimes de ces crimes, en toute impartialité.

Une thèse indéfendable



D’entrée de jeu, le titre de l’ouvrage appelle à un questionnement sémantique. En effet, le terme « holocauste » désigne originellement un sacrifice d’animaux du culte hébreux pour l’expiation des péchés. Mais, depuis la deuxième guerre mondiale, il désigne également l’entreprise d’extermination systématique du peuple juif par l’Allemagne nazie qui a conduit à la disparition d’entre cinq et six millions de Juifs, soit les deux tiers des Juifs d’Europe et 40 % des Juifs du monde entier. Ce terme se justifie-t-il dans le cas du Congo ? Quel (s) est (sont) l’Etat (les Etats) qui aurait entrepris une telle entreprise d’extermination systématique du peuple congolais, exterminé « en tant que tel » ? La thèse de Charles Onana tout au long de son livre repose sur cette base : il y aurait eu au Congo 10 millions de morts, 500 000 femmes violées et 110 000 Km2 de forêts dévastées. Bien entendu, tout cela serait, selon M. Onana, le fait d’une volonté des Tutsi congolais et du gouvernement rwandais soutenus par les Américains et les Britanniques, savamment mise en œuvre pour détruire le Congo et son peuple.

Une thèse impossible à défendre lorsqu’on se penche sur les faits.

Ainsi, lorsqu’un journaliste de la radio congolaise Top Congo lui a demandé d’où il tenait le chiffre de 10 millions de morts, M. Onana, qui se définit pourtant comme journaliste d’investigation, a été totalement désarmé, incapable d’en expliquer la source, se réfugiant en dernier lieu, après moult balbutiements, derrière le président Tshisekedi qui a cité ce chiffre dans l’un de ses discours. Mais, M. Onana tient-il réellement ce chiffre du président Félix Tshisekedi ? Rien n’est moins sûr !

En effet, dans l’avant-propos de son livre, Onana écrit (p. 16) : « En 2010, on parlait déjà de 10 millions de morts pour une guerre qui a commencé secrètement en 1994 mais officiellement en 1997 ». Donc, Onana affirme être au courant de ce chiffre depuis 2010, c’est-à-dire longtemps avant la prise de pouvoir du président Tshisekedi. Alors, comment peut-il s’avérer à ce point incapable d’expliquer l’origine d’un tel chiffre ? Il nous paraît clair que le chiffre même sur lequel il se base pour donner ce titre grandiloquent à son livre ne repose sur rien. De même, deux autres chiffres paraissent ressortir de la même légèreté qui caractérise l’auteur : le viol de 500 000 femmes, et 110 000 Km2 de forêts congolaises qui auraient été dévastées. D’où tient-il ces chiffres ? Forêts dévastées par qui, dans quel but, et dans quelle (s) province (s) ? Nous avons lu tout son livre, M. Onana ne brandit nulle part aucune source pour sous-tendre ces assertions. Nous ne pouvons pas, à ce stade, juger de la crédibilité de ses arguments, car les arguments n’existent même pas. Malgré la prétention de l’auteur d’avoir découvert des soi-disant archives qu’il fait parler, en réalité son livre est fait d’une déclamation d’oracles sans aucune source vérifiable.

Une méthodologie douteuse



Méthodologiquement, le livre de M. Onana se structure sur trois bases : le déni de la nationalité des Banyamulenge (et autres Congolais tutsi qu’il considère comme un tout par ignorance) ; l’imputation de manière globale de tous les crimes commis au Congo aux Banyamulenge et à leurs soutiens rwandais ; l’accusation des Banyamulenge d’être les auteurs d’un complot visant à détruire le Congo. Nous allons donc analyser ces trois points, et, à la fin, nous allons relever de nombreuses autres faussetés que contient ce livre.

Le déni de la nationalité des Banyamulenge



Le chapitre premier du deuxième titre du livre de M. Onana (Page 243) s’intitule : « Les "Banyamulenge" ou l’histoire fabriquée au Kivu ». Ce titre donne le ton de toute l’idéologie raciste que développe M. Onana dans son livre, à savoir que les Banyamulenge ne sont pas Congolais, mais seraient plutôt des réfugiés rwandais venus au Congo récemment suite aux tragiques événements qui ont ensanglanté le Rwanda à la veille de son indépendance à partir de l’année 1959. Ce déni de la nationalité entraîne le déni des droits liés à leur citoyenneté.

Charles Onana écrit : « Tout commence en 1971 lorsque le président Mobutu signe l’ordonnance-loi n° 71/020 du 20 mars 1971 ainsi libellé : "Les personnes originaires du Rwanda-Urundi établies au Congo à la date du 30 juin 1960 sont réputées avoir la nationalité zaïroise à la date susdite". Ce texte devient immédiatement l’acte fondateur du droit à la nationalité accordé aux réfugiés originaires du Rwanda et du Burundi au Zaïre. Il faut rappeler qu’il y avait des Hutu et des Tutsi venus du Rwanda et du Burundi à cette période-là au Zaïre. C’est ainsi que ceux qui se font appeler "Banyamulenge" (Tutsi venus du Rwanda ou du Burundi) vont obtenir massivement la nationalité zaïroise ». (p. 246).

Plusieurs auteurs, géographe comme Weis [1], ethnologue comme Hautmann [2], ou anthropologue comme Hiernaux [3] ont publié des études sérieuses écrites in tempore non suspecto pendant la colonisation et qui démontrent sans le moindre doute que les Banyamulenge faisaient bel et bien partie du patrimoine humain de la colonie du Congo belge, et qu’ils étaient belges de statut congolais comme les autres Congolais à l’époque. Sans vouloir importuner les lecteurs avec une litanie de citations, nous nous limiterons ce jour au seul René Loons, qui parle en connaissance de cause, parce qu’étant à l’époque où il écrit Administrateur du Territoire de Bafulero, actuel Uvira. Il a publié en mars 1933 les conclusions de ses recherches sur les peuples de son territoire sous le titre : « Etude sur le territoire des Bafulero ».

René Loons détaille notamment le groupe qu’il qualifie de « Watutsi nomades ». Il écrit qu’ils « abandonnèrent leur milieu d’origine pour échapper aux cruautés de leur roi Kahindiro ». Ils étaient conduits par Bigimba, père de Kaila, et obtinrent de Luame les terres de Mulenge-haute Sange pour leur installation et le pâturage de leurs nombreuses bêtes. « Ce n’est qu’à la mort de leur chef Bigimba qu’ils s’éparpillèrent dans toute l’étendue du territoire, voire dans l’Ubembe, choisissant les endroits les plus reculés et les plus inaccessibles pour échapper aux prestations de toute nature », écrit Loons [4].

Rappelons que M. Loons soutient que ces Banyarwanda (personnes de langue Kinyarwanda) avaient fui leur milieu d’origine « pour échapper aux cruautés de leur roi Kahindiro ». Or, ce souverain, en fait il s’agit de Yuhi IV Gahindiro, avait régné de 1792 à 1802 [5]. Par conséquent, c’est au cours de cette période qu’ils sont arrivés dans Uvira actuel.

Bref, les Banyamulenge ont toujours été Congolais depuis la création de ce pays par la Belgique, et sont devenus Congolais lors de l’accession du Congo belge à l’indépendance. D’ailleurs, les Congolais tutsi sont la seule communauté congolaise qui a eu l’honneur de figurer en tant que telle sur un billet de banque du Congo belge : le billet de 10 francs de décembre 1941. Onana fait une confusion par ignorance : les lois de 1971 et de 1972 ne concernaient ni les Banyamulenge du Sud-Kivu, et encore moins les Hutu et Tutsi de Rutshuru au Nord-Kivu, mais plutôt les Hutu et Tutsi de Masisi au Nord-Kivu, descendants des transplantés des années 1930-1950, auxquels on venait ainsi de rappeler une bonne fois pour toutes, leur droit inaliénable à la nationalité congolaise. En effet, en droit, l’expression « sont réputés » renvoie, dans l’intention du législateur, à une présomption absolue, donc à la reconnaissance des droits préexistants depuis l’origine.



L’imputation aux Banyamulenge de tous les crimes commis au Congo



Charles Onana impute globalement aux Banyamulenge tous les maux, toutes les atrocités enregistrées au Congo depuis le début des années 1990, alors qu’un chercheur sérieux aurait dû faire la part des choses en identifiant les faits et leurs auteurs, et en les replaçant dans leur contexte.

Il écrit ainsi, amplifiant l’horreur à dessein : « le spectacle insoutenable de millions de morts aux têtes coupées, aux membres amputés et aux sexes arrachés ou profanés puis celui des déplacés aux corps faméliques, sans oublier la cohorte d’orphelins et d’enfants traumatisés » qui ne « semble émouvoir personne dans la communauté internationale ». Mais aussi : « La gravité de la situation oblige à se demander quelle dette paye le peuple congolais vis-à-vis des Banyamulenge. L’élimination d’un grand nombre de Congolais ainsi que les viols massifs de femmes congolaises se feraient-ils seulement au nom de la lutte contre la discrimination des Banyamulenge en RDC ? » (p. 245).

Un vrai journaliste aurait cherché à mieux saisir l’origine des conflits. Nous allons aborder cette question au point suivant. En attendant, nous réaffirmons ici, encore une fois, le fait que notre pays a bel et bien connu de nombreuses violations des droits de l’homme, et que ces violations ne sauraient être imputées à une seule communauté, ni à un seul groupe armé, ni même à un seul pays. D’ailleurs, dans le Sud-Kivu, les Banyamulenge ont été les premières victimes de massacres de la part de leurs voisins Babembe en territoire de Fizi. Il existe de très nombreux rapports de l’ONU qui relatent le début des conflits et la chronologie de différents massacres qui ont jalonné la région Est du Congo.

Au plan interne, il y a eu le conflit lié à la contestation de la nationalité d’une partie de la population congolaise : les Hutu et Tutsi de Masisi au Nord-Kivu, par ceux qui se considéraient comme seuls congolais autochtones et authentiques. Les seconds contestant aux premiers tout droit politique, la situation devint explosive. Selon le Rapport Mapping, le gouverneur de province Jean-Pierre Kalumbo Mbogho, d’origine nande, appela les forces armées à aider les miliciens Mayi-Mayi (Hunde et Nyanga) et Ngilima (Nande) à « exterminer les Banyarwanda » (c’est-à-dire Hutu et Tutsi du Nord-Kivu), et ensuite le vice-gouverneur de province Jean Bamwisho tint à Ntoto un violent discours qui provoqua le massacre de plus de 500 personnes parmi les Hutu [6]. De Walikale, le conflit s’étendit vers Masisi dont il devint l’épicentre, opposant d’un côté les Hunde et les Nyanga et, de l’autre, les Hutu et Tutsi coalisés, provoquant, selon MSF, entre 6 000 et 15 000 morts et 250 000 déplacés [7].

L’arrivée des réfugiés hutu rwandais va compliquer davantage la situation, car la solidarité des Congolais hutu-tutsi va voler en éclat, et les combattants hutu congolais de la MAGRIVI – Mutuelle des agriculteurs de Virunga – vont solidariser avec les miliciens Interahamwe et ex-FAR rwandais. Ensemble, ils vont s’attaquer aux Tutsi désormais isolés, qui seront « victimes de harcèlements de la part des autres communautés et, dans certains cas, des autorités. Ils ont souvent perdu leur travail et sont devenus la cible de menaces, d’actes d’intimidation et d’extorsion, de viols et de pillages. Un nombre indéterminé de Tutsi auraient été maltraités et tués, ou auraient disparu à cette époque » [8].

La même situation va se produire au Sud-Kivu, avec la même lame de fond : la contestation de la nationalité des Banyamulenge cette fois-ci, après celle des Hutu et Tutsi au Nord-Kivu. Ce sont des Babembe qui vont créer les premières milices dans la région, à l’instigation des dirigeants politiques de haut niveau comme Anzuluni Bembe : « Célestin Anzuluni Bembe, vice-président du parlement, un Bembé du Fizi, joua un rôle clé en proposant cette résolution et en envenimant les tensions ethniques dans la région. En septembre 1995, il effectua une tournée dans les territoires de Fizi et d’Uvira, prononçant des discours incendiaires et exhortant la population à prendre les armes contre les Tutsi » [9].

Mais on peut lire aussi : « les populations bembe, dont les contentieux historiques avec les Banyamulenge n’avaient jamais été réglés, ont profité de ce contexte pour s’organiser en groupes armés et multiplier à leur encontre les actes d’intimidation et les vols de bétail » [10]. Les massacres ont alors commencé : une quinzaine de Banyamulenge tués le 17 septembre 1996 par les Forces armées zaïroises à Kamanyola ; le 26 septembre, massacre de 300 Banyamulenge à Baraka par les Mayi-Mayi Babembe avec l’aide des FAZ. « En 2005, une haute autorité administrative nationale a demandé aux groupes Mayi-Mayi opérant à Baraka de déterrer les ossements des victimes et de les jeter dans le lac Tanganyika afin d’effacer toute trace des massacres » ; le 29 septembre, massacre de 152 Banyamulenge à Lueba [11].

Il va sans dire que ces massacres ont provoqué la vengeance de la part de certains jeunes Banyamulenge venus avec la rébellion de l’AFDL qui ont, à leur tour, massacré des Babembe, comme ce fut le cas de plus d’une cinquantaine de personnes tuées à Kidoti le 6 octobre 1996, ou encore 88 personnes tuées à Kiliba le 18 octobre par des éléments armés Banyamulenge [12]. C’est de cette façon que le pays est entré dans ce cycle infernal qui se perpétue à ce jour dans un pays qui compte officiellement 266 groupes armés. Et il faudrait être un dément pour prétendre placer toute la responsabilité de ces crimes sur une seule communauté.

Il faut préciser néanmoins que, répondant à l’appel du président Joseph Kabila, les membres de la milice Banyamulenge connue sous le nom de Gumino ont désarmé et rejoint l’armée nationale. Le chef de cette milice, le colonel Bisogo, a été muté dans l’ouest du pays et son second, Michel Rukunda, au Nord-Kivu. Cependant, les miliciens des autres communautés – les Yakutumba, Biloze Bishambuke, Itongwa, René, etc. – n’ont pas répondu favorablement à l’appel du président Kabila. Bien au contraire, ils ont profité de l’autodissolution de Gumino pour lancer depuis 2017 une sanglante campagne de déracinement des Banyamulenge qui, dans l’indifférence générale, a fait depuis lors des milliers de morts, des centaines de villages incendiés, plus de 400 000 vaches volées ou massacrées. Aujourd’hui, la quasi-totalité des Banyamulenge vivent dans des camps des déplacés dans l’indifférence générale, sans assistance, seuls des membres de leur diaspora leur viennent en aide.

L’accusation contre les Banyamulenge d’être les auteurs d’un complot visant à détruire le Congo



Evoquant une prétendue lettre que cinq intellectuels Banyarwanda auraient écrit au secrétaire général de l’ONU en 1981 pour revendiquer leur nationalité zaïroise abrogée par la loi de 1981, Charles Onana se lance dans une longue et ennuyeuse analyse aussi délirante que le reste de son ouvrage. Il conclut : « le masque des Banyamulenge tombe donc avec cette lettre. Ils se battent non pas pour être Zaïrois ou Congolais, mais pour avoir un Etat indépendant du Kivu, ce qui correspond soit à la volonté d’exécuter le plan de balkanisation du Congo souhaité par certaines grandes puissances, soit à concrétiser le projet de colonisation du Kivu établi par les Tutsi en 1962 et qui confirmerait l’effectivité du projet de création d’un Tutsiland dans la région des Grands lacs et en Afrique centrale » (p. 276).

C’est étonnant que le pays d’origine de M. Onana, le Cameroun, fait face à une vraie tentative de balkanisation de ses régions ouest, avec la guerre des Camerounais anglophones de l’Ambazonie, mais il n’en parle jamais. Mais il vient étaler sa légèreté et son ignorance sur le dossier RDC. Cette lettre est très répandue sur le net effectivement. Mais elle ne concerne en rien les Banyamulenge, car elle est plutôt censée plaider la cause de tous les Banyarwanda hutu et tutsi de Masisi au Nord-Kivu, les Hutu étant d’ailleurs les plus concernés car plus nombreux, déchus de leur nationalité en 1981. Cependant, l’authenticité de cette lettre n’est pas avérée à l’analyse. En effet, quels Congolais auraient pu se permettre de traiter le puissant dictateur de l’époque de « ce menteur de Mobutu » dans une lettre officielle dont copie avait été réservée au secrétariat permanent du Comité central du Mouvement populaire de la Révolution, autant dire à Mobutu lui-même, sans signer son arrêt de mort ? Non, un bon journaliste aurait mené une petite enquête qui lui aurait démontré que cette lettre est un faux, car ses cinq prétendus auteurs, à savoir : Ugirashebuja Stanislas, Gahima Pierre, Gitera Ambroise, Nkorota Jean Baptiste, et Cyimenyi Népomuscene, n’ont jamais existé. Nous mettons au défi quiconque les connaît de nous les montrer !

Charles Onana s’appuie également sur un prétendu « projet d’empire tutsi », dont il parle comme si cela relevait d’une évidence (chapitre 6, p. 193 et svtes), n’ayant comme sources que des esprits tourmentés par la haine comme l’Ougandais Kintu ou encore les Congolais Ngbanda, Mbeko ou Bucyalimwe qui n’apportent rien, alors rien comme preuves formelles sur cette assertion. Il se réfère ainsi à un soi-disant « plan de colonisation du Kivu », un document utilisé par les extrémistes rwandais pour appeler au génocide des Tutsi de leur pays en 1994. Il s’agit en fait d’une pâle copie des Protocoles des Sages de Sion, un faux antisémite dont on sait combien il a contribué aux massacres des Juifs, voire à la Shoah même. Le style utilisé, décrivant par le détail un complot auquel tous les Tutsi sont invités à prendre part, est en effet très proche du célèbre faux antisémite. Il s’agit, dans les deux cas, de prétendre qu’il s’agit d’un compte-rendu des décisions que les concernés eux-mêmes (les Juifs d’une part et les Tutsi de l’autre) auraient prises pour soumettre le monde (pour les Juifs) ou la région du Kivu (pour les Tutsi) à leur domination. M. Onana défend ce délire raciste avec plus de détails dans son livre Ces tueurs tutsi à partir de la page 91. Mais précisons d’emblée que, selon toute vraisemblance, les Tutsi concernés dans le texte sont ceux du Nord-Kivu, et qu’il n’y a rien de dit sur les Tutsi du Rwanda, du Burundi, ni même ceux du Sud-Kivu. Qu’en est-il exactement de ce document ?

Sans rentrer dans de nombreux détails, disons simplement qu’on note dans l’introduction cette phrase : « ... tout Mututsi de quelle région qui soit est tenu à appliquer le plan ci-dessous et d’y présenter une très large diffusion dans les milieux tutsi du district des Volcans ». Ceci constitue une preuve, parmi tant d’autres, du caractère faux de ce texte. En effet, un district portant le nom « Volcans » n’a jamais existé au Congo. Bien plus, l’appellation même de « district » n’avait plus lieu d’être en août 1962, moment supposé de la rédaction de ce texte, étant donné que dès le 13 avril 1962, l’Assemblée provinciale du Kivu avait, par 56 voix pour, 2 contre, et 2 abstentions, voté la scission du Kivu en trois nouvelles provinces, mettant fin à l’existence des anciens districts.

Faussetés, ignorance et mensonges



M. Onana écrit sur M. Ruberwa : « Seulement, lorsqu’il obtient le 31 octobre 1984 son diplôme d’Etat, l’équivalent du baccalauréat sous le régime du président Mobutu, il est clairement mentionné sur son diplôme qu’il est né à Rugezi, une localité du nord du Rwanda, proche de la frontière avec l’Ouganda. Mais juste avant son diplôme d’Etat, il a reçu son "certificat d’aptitude physique" le 11 octobre 1984, lequel mentionne que M. Ruberwa Manywa est né à Itombwe dans la province du Sud-Kivu. Alors, M. Ruberwa est-il né au Rwanda ou en RDC ? Est-il né le 20 août 1964 à Rugezi, à Itombwe ou à Minembwe, soit le même jour en trois endroits différents ? » (p. 433).

Ici, Charles Onana a l’excuse de l’ignorance. Cependant, quand on est ignorant, on ne doit pas se lancer avec autant d’agitation de l’esprit dans des questions que l’on ne maîtrise pas, et se permettre ainsi de diffamer les gens. M. Ruberwa est né effectivement à Rugezi, un petit village de la périphérie de la grande cité de Minembwe en territoire de Fizi, au Sud-Kivu. Dans la région, il est de coutume que les mêmes noms se trouvent en plusieurs endroits, et il existe aussi Rugezi au Rwanda, mais aussi au nord-est de la Tanzanie, dans le détroit du même nom. Autant que, à titre d’exemple, le nom Butare désigne à la fois un village de la chefferie de Bashali à Masisi au Nord-Kivu ainsi que la grande ville universitaire du sud du Rwanda. Un vrai spécialiste de la région devrait le savoir.

Concernant l’Itombwe qui figure sur le certificat d’aptitude physique qu’il publie à l’annexe 10, il n’est pas question sur ce document de lieu de naissance – d’ailleurs la date de naissance n’y est pas non plus mentionnée – mais des détails sur les lieux d’origine. Et pour M. Ruberwa, c’est bien indiqué : Région : Kivu ; Sous-Région : Sud-Kivu ; Zone : Mwenga ; collectivité : Itombwe. Ce qui est tout à fait normal parce que M. Ruberwa est originaire du village de Bidegu, qui se trouve dans la collectivité (aujourd’hui « secteur ») de Itombwe dans le territoire (anciennement « Zone ») de Mwenga. Voilà comment Onana crée des contradictions imaginaires, avec lesquelles il abuse de nombreuses personnes plus ignorantes que lui, et incapables de tout esprit critique.

Au demeurant, l’acharnement et la haine incompréhensibles de M. Onana contre la communauté tutsi apparaissent ici de façon irascible. En effet, à l’annexe 10 en question, il écrit que les diplômes du vice-Président Azarias Ruberwa attestent « de ses origines tutsi rwandaises ». Même à supposer que M. Ruberwa ait pu naître à Rugezi du Rwanda, en quoi la simple indication d’un lieu de naissance peut-elle attester de l’appartenance ethnique de quelqu’un ? Pourquoi n’a-t-il pas écrit par exemple « de ses origines rwandaises » tout simplement ? Pourquoi il lui fallait le « tutsi » ?

La vérité historique



Un vrai chercheur aurait dû exploiter les tonnes de documents qui existent, qui détaillent des faits dont la plupart d’entre nous ont été témoins d’ailleurs. Il aurait alors compris que, après une longue accalmie pendant les 25 ans de dictature de Mobutu, les problèmes de la partie Est du Congo ont repris au début de la décennie 90, consécutivement au processus de démocratisation du pays.

Le déni de la nationalité des Tutsi et Hutu comme cause principale



Plusieurs témoignages de l’époque – documents de l’ONU, rapports d’ONG, ou articles de presse – existent encore aujourd’hui. On peut citer quelques-uns :

« Depuis le déclenchement du processus démocratique, les rapports entre les habitants de la zone de Masisi et Walikale sont devenus difficiles suite à l’exploitation politicienne de la question de la nationalité » [13].

« Le 28 avril 1995, le parlement de transition (HCR-PT) à Kinshasa a rejeté officiellement toute prétention des Banyamulenge à la nationalité zaïroise et a recommandé au Gouvernement de les rapatrier au Rwanda ou au Burundi, au même titre que les réfugiés hutu et les immigrés tutsi. Au cours des mois suivants, l’administration provinciale a confisqué de nombreuses propriétés appartenant aux Banyamulenge » [14].

« Les Banyarwanda [NDR : Hutu et Tutsi congolais] sont l’objet de discrimination du fait de l’origine de leurs ancêtres auxquels on dénie le caractère de zaïrois autochtones, bien que leur nationalité leur ait été reconnue de 1960 à 1981. De ce fait, on leur dénie le droit d’avoir une nationalité, on les prive de leurs biens, on les chasse de leurs foyers et on les expulse en terre étrangère » [15].

Les premiers massacres ont visé les Hutu et Tutsi du Nord-Kivu et ensuite les Banyamulenge



« Au cours du mois de mars 1993, le Gouverneur nande Jean-Pierre Kalumbo a appelé les FAZ pour venir aider les Ngilima et les milices nyanga et hunde "à exterminer les Banyarwanda" » [16].

« S’agissant du massacre de Ntoto, le chiffre le plus souvent avancé est celui de 500 morts. Au niveau provincial, MSF estimait en 1995 que de 6 000 à 15 000 personnes avaient trouvé la mort entre mars et mai 1993, et que ces violences avaient provoqué le déplacement de 250 000 personnes » [17].

« En mars 1993, des zaïrois de diverses origines ethniques attaquèrent les Banyarwanda du Nord-Kivu. En quelques semaines, les violences provoquèrent la mort de près de 7000 d’entre eux et l’on estime à 300.000 le nombre de personnes ayant été forcées de fuir » [18].

C’est de cette manière que le chaos s’est installé dans la partie orientale de notre pays. Des Hutu, Tutsi et Banyamulenge ont eux aussi commis des massacres contre les membres des autres communautés, Hunde, Nyanga, Nande, Bembe, Fuliiru, etc. Le Congo est ainsi entré dans un sempiternel cycle de violence dont il n’est jamais sorti à ce jour. Et pour compliquer davantage la situation, après l’arrivée des réfugiés rwandais de 1994, les milices hutu congolaises se sont alliées aux combattants rwandais hutu Interahamwe-ex-FAR et, ensemble, ils se sont livré à des massacres des Tutsi au Nord-Kivu [19]. Ce qui a poussé des combattants tutsi de l’AFDL à se livrer à des massacres de Hutu congolais et rwandais en guise de vengeance lors de la campagne menée par l’AFDL à partir d’octobre 1996. Depuis 1999, des violences ont surgi en Ituri sur fond de séculaires querelles entre Hema et Lendu. Jusqu’aujourd’hui, une milice des jeunes Lendu appelée CODECO se livre à des massacres contre les Hema visés en tant que tel.

Récemment, le gouvernement congolais a répertorié 266 groupes armés en RDC, dont 252 nationaux et 14 étrangers [20]. Depuis 2020, le gouvernement a décrété l’état de siège afin de neutraliser tous ces groupes armés, sans grand succès jusqu’à ce jour.

Concernant les mouvements structurés



Au-delà de la pléthore de groupes armés qui se livrent à des rapines, des viols, des pillages, des massacres et autres violations des droits de l’homme, la RDC a connu des mouvements politico-militaires plus structurés, soutenus par des pays voisins, dont le Rwanda, l’Ouganda, le Burundi, voire même l’Angola, dans le but de renverser le gouvernement central en poste à Kinshasa. Il s’agit de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), du Mouvement de libération du Congo (MLC), du Rassemblement congolais pour la démocratie – Kisangani/Mouvement de libération (RCD/K-ML) – et du Rassemblement congolais pour la démocratie/National (RCD/N). Ces mouvements ont administré les territoires sous leur contrôle comme des Etats. Présenter leur combat comme une œuvre de génocide total, de massacres généralisés et de viols massifs savamment organisés par eux et leurs alliés contre les femmes congolaises n’est pas conforme à la vérité. Nous avons tous vu les soldats de l’AFDL accueillies par des populations enthousiastes sur l’ensemble du pays, autant que les troupes du MLC étaient accueillies dans la joie sur leur parcours dans la province de l’Equateur. On ne peut imaginer des populations accueillant de la sorte de dangereux exterminateurs.

Les anciennes cités de Butembo et Beni au Nord-Kivu ont connu leur développement actuel et ont acquis le statut de ville sous le règne du RCD/K-ML, autant que les villes de Goma et de Bukavu ont entamé le début de leur essor actuel pendant le règne du RCD. Ensuite, les chefs du MLC, M. Jean Pierre Bemba, et du RCD/K-ML, Mbusa Nyamwisi, sont actuellement respectivement vice-Premier ministre et ministre de la Défense, et ministre d’Etat et ministre de l’Intégration régionale. Le président Félix Tshisekedi aurait-il nommé d’affreux génocidaires dans son gouvernement ?

Il est important de rappeler que le parti au pouvoir actuellement en RDC, l’UDPS, sous la houlette d’un des hommes les plus respectés par le peuple congolais, à savoir Etienne Tshisekedi, véritable projection de notre identité collective, s’était allié au RCD à l’issue de la première phase du Dialogue intercongolais en 2002, créant avec ce mouvement rebelle l’Alliance pour la sauvegarde du Dialogue intercongolais, ASD en sigle, dont Etienne Tshisekedi assumait la présidence, avec comme premier vice-président l’homme d’affaires Raphaël Katebe Katoto, deuxième vice-président Adolphe Onusumba (alors président du RCD) et comme Secrétaire général Azarias Ruberwa qui occupait la même fonction au RCD. Etienne Tshisekedi avait nommé son bras droit Valentin Mubake comme son représentant auprès du RCD à Goma, la capitale des rebelles, de mai 2002 à avril 2003. Etienne Tshisekedi en personne s’était même rendu dans les territoires sous contrôle du RCD – Goma et Kisangani – y avait passé en revue les troupes du RCD, avant d’y prononcer un discours officiel en sa qualité de président de l’ASD le 30 juin 2002. Qui peut sérieusement imaginer qu’Etienne Tshisekedi se serait allié à d’affreux génocidaires qui massacraient les Congolais par millions et organisaient des viols systématiques de centaines de milliers des femmes congolaises, et qu’il se serait rendu à Goma et Kisangani passer en revue des troupes génocidaires, au risque d’être taxés lui-même et son parti de complices du génocide ?

Par ailleurs, les mouvements politico-militaires structurés ne peuvent pas être réduits à une ethnie. L’AFDL a été dirigée par Laurent Désiré Kabila, un muluba du Katanga, avec comme secrétaire général Déogratias Bugera, un Tutsi du Nord-Kivu. Le RCD a eu comme présidents successifs Wamba dia Wamba (Mukongo du Kongo central), Emile Ilunga Kalambo (Hemba du Katanga), Adolphe Onusumba (Tetela du Kasaï), Azarias Ruberwa (Munyamulenge du Sud-Kivu). Le MLC a toujours comme président Jean-Pierre Bemba (Ngbaka de l’Equateur), mais a eu plusieurs secrétaires généraux : Olivier Kamitatu (Mungongo du Bandundu), François Muamba (Muluba du Kasaï), Thomas Luhaka (Mukusu du Maniema), Eve Bazaiba (Musoko de province Orientale). Le RCD/K-ML a comme président Mbusa Nyamwisi (Nande de Lubero), et a eu de nombreux cadres d’autres provinces comme les secrétaires généraux Kolosso Sumaili (Maniema) et Jean Nengbangba (province Orientale). Par voie de conséquence, les crimes éventuels que ces mouvements auraient commis ne peuvent être imputés à aucune communauté ethnique, mais bien à leurs auteurs directs.

En conclusion, le livre Holocauste au Congo de Charles Onana, véritable bréviaire de saint Goebbels, n’est qu’une œuvre de propagande haineuse lugubre et indigeste. On pourrait croire que cette authentique Bible de la haine est l’œuvre d’un nazillon enivré de ses phobies, répulsion et aversion du Rwanda et des Tutsi en tant que communauté humaine, bas sentiments qu’il se donne la mission de répandre avec une sinistre délectation en RDC, dans la région des Grands Lacs et dans toute l’Afrique. Ce livre est rempli d’inepties totales, de mensonges et de confusion qui en font un ouvrage braillard juste bon pour la poubelle. Comme le disait si bien Henry James, montrer de l’enthousiasme pour ce genre de livre est la marque d’un niveau de réflexion définitivement primitif.

Nous attirons la particulière attention des dirigeants congolais sur le danger que représente le livre Holocauste au Congo sur la cohésion nationale, les rapports actuels et futurs entre les peuples de la RDC et des pays des Grands Lacs, et le développement de la culture de la haine dans le pays. Nous terminerons cette analyse avec les paroles de ce chant émouvant qu’avait entonné Mlle Esther Muhimpundu, jeune femme Banyamulenge, après son sacre à l’élection Miss Zuri Africa Queen 2019 à Nairobi : « Tuzahora dukunda igihugu cyacyu, Kongo, kugeza gupfa » (Jusqu’à la mort, nous aimerons toujours le Congo, notre pays). N’en déplaise à Charles Onana et ses condisciples de la haine.

Fait à Kinshasa, le 18 août 2023

Pour le Collectif contre le racisme et les discours de haine

Belhar MBUYI, journaliste

Thomas GAMAKOLO, avocat

Percy TAMBWE, défenseur des droits de l’homme

[Notes :]



[1] G. Weis, Le pays d’Uvira. Etude de géographie régionale sur la bordure occidentale du lac Tanganika, Académie royale des sciences coloniales, 1959, p. 121.

[2] Fréderic Hautmann, Etude ethnographique de l’Itombwe, District du Kivu, Congo belge, 1949, p. 175.

[3] Hiernaux Jean, Note sur les Tutsi de l’Itombwe [La position anthropologique d’une population émigrée]. In: Bulletins et Mémoires de la Société d’anthropologie de Paris, XI° Série. Tome 7 fascicule 4, 1965. p. 361.

[4] P. Loons, Histoire du territoire de Bafulero (Uvira : Archives de la Sous-Région du Sud-Kivu, 1933)

[5] https://en.wikipedia.org/wiki/Yuhi_IV_Gahindiro

[6] Rapport Mapping, pp. 59-61.

[7] Idem, p. 61.

[8] Ibid., p. 62, voir aussi : Human Right Watch et Fédération internationale des droits de l’homme, « Zaïre : violence à l’encontre des Tutsi, forcés de fuir », juillet 1996 ; et Commission des droits de l’homme des Nations Unies, rapport sur la situation des droits de l’homme au Zaïre, E/CNA/1997/6/Add.1 du 16 septembre 1996.

[9] Jason Stearns et al., Les Maï-Maï Yakutumba. Résistance et racket au Fizi, Sud-Kivu, Institut de la vallée du Rift | Projet Usalama, Nairobi, 2011, p. 20.

[10] Rapport Mapping, p. 75.

[11] Idem, p. 78.

[12] Ibid. pp. 139-140.

[13] Le Soft n° 138 du jeudi 15 avril 1993, p. 6.

[14] Rapport Mapping, p. 74.

[15] Commission des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport sur la situation des droits de l’homme au Zaïre, E/CNA/1997/6/Add.1 du 16 septembre 1996.

[16] Rapport Mapping, p. 59.

[17] Idem, p. 61.

[18] Human Right Watch, « Zaïre : Transition, guerre et droits de l’homme », p. 21.

[19] La Croix, « Les Tutsi pourchassés, Masisi devient un Hutuland », le 29 juillet 1996, sur : https://www.la-croix.com/Archives/1996-07-29/Les-Tutsis-pourchasses-le-Masisi-devient-un-Hutuland-_NP_-1996-07-29-379590

[20] Radio Okapi, Est de la RDC : « 266 groupes armés locaux et étrangers recensés par le P-DDRCS », sur : https://www.radiookapi.net/2023/04/18/actualite/securite/est-de-la-rdc-266-groupes-armes-locaux-et-etrangers-recenses-par-le-p

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