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En décembre 2019, Le Poulpe révélait la présence au Havre de Pierre Kayondo, dignitaire de haut rang au sein du régime qui orchestra le génocide des Tutsis au Rwanda entre avril et juillet 1994. Préfet, puis député et membre du comité central du parti présidentiel, Pierre Kayondo aurait participé au financement et au fonctionnement de la Radio télévision libre des mille collines (RTLM) qui répandit la haine raciale au Rwanda avant d'être le principal outil de coordination des massacres.
Il aurait également fait partie des dirigeants de la milice interahamwe qui joua un rôle majeur dans les tueries. Il est lui-même soupçonné d'avoir joué un rôle déterminant dans le génocide, en particulier dans sa région d'origine de Ruhango, au sud-ouest de la capitale. Il y aurait supervisé les massacres. En septembre 2021, une plainte pour génocide, complicité de génocide et complicité de crime contre l'humanité a été déposée contre lui en France et une information judiciaire a été ouverte par le parquet de Paris. L'ancien édile vit toujours paisiblement au Havre et n'a pas souhaité nous répondre. Nous lui avons laissé un message auquel il n'a jamais donné suite. Le Poulpe s'est rendu au Rwanda, dans sa région d'origine, où de nouvelles accusations ont émergé.
Grand ordonnateur présumé du génocide à Ruhango
« Pierre Kayondo était député du MRND [parti présidentiel avant 1994 NDLR]. Pendant le génocide, il est venu habiter et organiser le génocide ici, sa région natale. Il occupait la maison communale à côté de laquelle se déroulaient toutes les tueries », résume André Mazimpaka qui fut le premier bourgmestre (Front patriotique rwandais, FPR) de Ruhango, dans le centre du Rwanda, après le génocide.
Alors que Pierre Kayondo vivait dans la demeure du bourgmestre, à partir de laquelle il est suspecté d'avoir supervisé les massacres, ses proches seraient restés vivre dans la maison familiale située un peu à l'écart du centre de Ruhango. Notre présence sur place attire l'attention d'une femme que nous retrouverons plus tard au bord de la route en compagnie d'un homme qui nous fait signe de nous arrêter. Drôle de coïncidence, il souhaite spontanément nous parler de Pierre Kayondo.
« Son domicile était là-bas », confirme l'homme qui se prétend enseignant à la retraite. « Ses propriétés ont été vendues. Prétendument pour rembourser ce que l'on avait détruit pendant la guerre [comprendre le génocide NDLR]. Mais il n'avait rien fait. Il était innocent. Il n'a eu aucun rôle. Il n'a rien commandité. Il s'est réfugié auprès de sa famille comme tant d'autres. Mais après la guerre, on impliquait les gens dans des affaires avec lesquelles ils n'avaient rien à voir et on ne pouvait pas se défendre », prétend l'homme. Il dit avoir été membre d'un parti politique, le Parti social-démocrate (PSD, aujourd'hui allié du FPR au pouvoir).
« Je suis originaire d'ici. Dans cette zone, personne n'a été tué et personne n'a tué. Personne n'a été victime du génocide. Il n'y avait pas de milice », insiste-t-il avant de s'éloigner sans en dire plus sur ses motivations. Sa dernière affirmation est parfaitement fausse. Le génocide a fait de nombreuses victimes dans la commune. 20 244 corps de victimes reposent à ce jour dans le mémorial de Ruhango et d'autres cadavres sont régulièrement découverts.
« J'ai vu Pierre Kayondo une fois à Ruhango pendant le génocide. Il portait des habits militaires », se remémore un autre voisin dont le discours contredit complètement celui de l'ancien enseignant. « Chez lui, il y avait des interahamwe [miliciens du parti présidentiel qui ont commis le génocide NDLR] et un bourgmestre venu de Gicumbi [nord-est du pays NDLR]. Ils vivaient là avec sa famille », explique-t-il. Le portrait qu'il dresse de Kayondo corrobore les témoignages que Le Poulpe avait déjà recueillis sur place en 2021.
Accusé d'un meurtre crapuleux
Dans la pénombre de sa chaumière, à une dizaine de kilomètres au nord de Ruhango, une vieille dame veut raconter ce qu'elle connaît de Pierre Kayondo. Bien qu'elle soit alitée et que sa vue lui fasse désormais défaut, sa mémoire semble intacte. « Mon fils était entrepreneur. Il était le voisin, l'ami et l'associé de Kayondo à Kigali avant le génocide. Il lui avait même prêté de l'argent. Mais Kayondo l'a pourchassé pour le tuer », explique la nonagénaire.
Elle affirme avoir vu de ses propres yeux Pierre Kayondo à l'œuvre pendant le génocide. « Juste après l'attentat [contre le président du pays, signal de départ du génocide NDLR] en avril [1994], mon fils est venu ici. Quand Kayondo a appris qu'il était encore vivant, il est venu pour le tuer. Kayondo et les personnes qui l'accompagnaient étaient tous armés et utilisaient des sifflets. J'avais un autre garçon, aveugle. Ils l'ont jeté dans les latrines et l'ont recouvert avec des pierres. Moi je suis parvenue à me cacher parmi un groupe de femmes du quartier. Nos maisons ont été détruites par ce groupe, nos vaches emportées... », se souvient-elle. Pierre Kayondo aurait ensuite continué de poursuivre son fils. « On a détruit sa maison, volé ses deux véhicules, pillé ses chantiers... Mon fils a d'abord fui à Kabgayi, puis à Gitarama... Là-bas on l'a tué », raconte-t-elle.
En contrebas de la route asphaltée, devant la maison de Gitarama où la famille de l'homme d'affaires s'était réfugiée, son fils, aujourd'hui âgé de 39 ans, se souvient des événements tragiques. « Kayondo est venu ici avant la mort de mon père. Il lui a dit : "Les gens m'ont dit que tu étais déjà mort, mais tu es toujours là !" Puis, ils ont discuté dehors. Mon père est rentré et nous a raconté que Kayondo lui avait annoncé que lui aussi devait mourir », se remémore l'orphelin.
Alors âgé de 11 ans, il dit avoir ensuite assisté, en compagnie de son petit frère et de sa petite sœur, au supplice et au meurtre de leur père. « J'étais là quand ils sont venus chercher mon père. Ils sont venus vers 22h00. Ils l'ont torturé. Ils ont pris beaucoup de temps. Ils demandaient de l'argent, si nous étions Tutsis, si nous avions des armes... Ils ont attaché mon père au bout d'une corde et l'ont amené devant nous pour nous poser des questions. On lui avait entaillé le ventre et coupé deux doigts. Puis vers 2h00, ils lui ont mis un coup de machette à la tempe. Il est tombé et ils sont partis. Quand ils sont revenus pour piller la maison, ils ont constaté que mon père bougeait encore. C'est là qu'ils l'ont achevé. Ils lui ont coupé la tête. J'étais là. Je voyais ça... », déroule péniblement le fils du défunt homme d'affaires.
« Pour être franc, je ne peux pas dire que telle ou telle personne était présente », admet-il. « Le lendemain matin, tout le monde venait voir le corps. Mon père était très connu. Ils ont même fait un communiqué à la radio pour dire qu'il était mort. Dans la matinée, une personne est venue me voir pour me désigner Kayondo, un certain Auguste et un troisième dont j'ai oublié le nom, comme étant ceux ayant tué mon père. Ce sont eux qui avaient amené les militaires et les miliciens », rapporte-t-il. Pour quelle raison Pierre Kayondo pouvait-il souhaiter à ce point la mort de cet homme ? « Il a volé une valise qui contenait 140 000 dollars en traveller's chèques », accusent en chœur sa mère, son frère et ses petits-enfants.
La famille du défunt homme d'affaires s'est constituée partie civile dans la procédure qui vise Pierre Kayondo en France. Comme un certain nombre d'autres victimes, elle n'aurait jamais perçu de compensations malgré la vente d'une partie des biens que possédait l'ancien édile au Rwanda.
Dans cette affaire, Pierre Kayondo serait coupable, selon un arrêt des juridictions populaires locales, baptisées « gacaca », rendu en octobre 2007, de crimes classés dans la « catégorie I » (les organisateurs) et la « catégorie II » (les tueurs) des génocidaires. Il a par ailleurs été condamné par trois autres tribunaux « gacaca » de la région en février et octobre 2005 ainsi qu'en mai 2007.
Dans les formulaires des verdicts, les juges ont coché les cases « planification du génocide », « organisation du génocide », « encouragement à commettre le génocide », « surveillance et direction des actes liés au génocide », « commission du génocide en tant qu'autorité », « distinction dans les actes de cruauté », « complicité de génocide », « torture » et « meurtre ». Selon les jurés, Pierre Kayondo « est responsable de tous les assassinats commis à Ruhango et autres forfaits commis dans les alentours ».