Citation
Prononcé publiquement le jeudi 11 mai 2023, par le Pôle 2 - Chambre 7 des appels correctionnels,
Sur appel d'un jugement du tribunal judiciaire de Paris - 7ème chambre - du 20 mai 2022, (PI8219000839).
PARTIES EN CAUSE :
Personne poursuivie POLONY Natacha épouse
Née le 15 avril 1975 à
Fille de et de
De nationalité française Journaliste, mariée Demeurant
Libre
appelante
Comparante, assistée de Maître DUPEUX Jean-Yves, avocat au barreau de
PARIS, vestiaire P77, et de Maître BOURG Florence, avocat au barreau de PARIS, vestiaire B904
Ministère public
non appelant
Parties civiles
Association IBUKA FRANCE
Ayant élu domicile chez Maître LINDON Rachel, demeurant 25 rue Etienne Marcel - 75001 PARIS
appelante
Maître AUBLE Mathilde, avocat au barreau de PARIS, vestiaire C1314
Association MOUVEMENT CONTRE LE RACISME ET POUR L'AMITIE ENTRE LES PEUPLES (MRAP)
Domiciliée 43 boulevard de Magenta- 75010 PARIS
Représentée par Maître LAGARDE Jean-Louis, avocat au barreau de PARIS,
vestiaire D127
Association Communauté Rwandaise de France
Domiciliée 5 rue Perrée - 75003 PARIS
Non comparante, non représentée
Composition de la cour
lors des débats et du délibéré :
président : Jean-Michel AUBAC, président de chambre assesseurs : Anne CHAPLY, conseiller
Valérie GUILLAUDIER, conseiller
Greffier
Margaux MORA aux débats et au prononcé,
Ministère public
représenté aux débats et au prononcé de l'arrêt par Michel LERNOUT, magistrat honoraire juridictionnel,
LA PROCÉDURE :
La saisine du tribunal et la prévention
POLONY Natacha a été poursuivie par ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel rendue par un juge d'instruction de Paris le 11 décembre 2020, à la suite de la plainte avec constitution de partie civile déposée le 27 juillet 2018 par la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme(LICRA) et par l'association IBUKA FRANCE, sous la prévention de
CONTESTATION PUBLIQUE DE L'EXISTENCE DE CRIME CONTRE L'HUMANITE COMMIS DURANT LA SECONDE GUERRE MONDIALE
en l'espèce d'avoir commis à Paris le 18 mars 2018, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription, une CONTESTATION DE L'EXISTENCE DE CRIME CONTRE L'HUMANITE PAR PAROLE, ECRIT, IMAGE OU MOYEN DE COMMUNICATION AU PUBLIC PAR VOIE
ELECTRONIQUE, en l'espèce, lors de l'émission «Le duel Natacha Polony, Raphaël Glucksmann » sur France Inter diffusée le 18 mars 2018 à 13h2Q et disponible sur https://www.franceinter.fr/emissions/le-duel-natacha-polony-raphael-gluék:srnann/ le-duel-natacha-polony-raphael-glucksmann-18mars-2018 à 10'40 minutes du podcast en tenant les propos suivants :
« qu'il est nécessaire d'essayer de regarder en face ce qui s'est passé à ce moment-là et qui n'a rien finalement d'une distinction entre des méchants et des gentils. Malheureusement on est typiquement dans le genre de cas où heu on avait euh j'allais dire des salauds face à d'autres salauds »
(...)
« C'est-à-dire que je pense que il n'y avait pas d'un côté les gentils et de l'autre les méchants dans cette histoire »
Faits prévus par ART.24-BIS ALI, ART.23 ALI, ART.42 LOI DU 29/07/1881, ART.93-3 LOI 82-652 DU 29/07/1982, et réprimés par ART.24-BIS LOI DU
29/07/188l.
Le jugement
Le TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS - 17EME CHAMBRE - par jugement
contradictoire, en date du 20 mai 2022, a
Sur l'action publique :
* Renvoyé Natacha POLONY des fins de la poursuite du chef de contestation de l'existence de crime contre l'humanité visé à la prévention,
Sur l'action civile :
* Déclaré les associations IBUKA France, Communauté Rwandaise de France et MOUVEMENT CONTRE LE RACISME ET POUR V AMITIE ENTRE LES
PEUPLES recevables en leurs constitutions de partie civile ;
* Les a déboutés de leurs demandes en raison de la relaxe prononcée ;
* Rejeté la demande de Natacha POLONY fondée sur le caractère abusif de la présente action.
Les appels
Appel a été interjeté par :
L'association MOUVEMENT CONTRE LE RACISME ET POUR L'AMITIE ENTRE
LES PEUPLES (MRAP) par l'intermédiaire de son conseil, le 25 mai 2022 (appel principal)
L'association IBUKA FRANCE par l'intermédiaire de son conseil, le 27 mai 2022 (appel principal)
POLONY Natacha par l'intermédiaire de son conseil, le 2 juin 2022, étant précisé que l'appel incident est dirigé contre IBUKA FRANCE et MOUVEMENT CONTRE LE RACISME ET POUR L'AMITIE ENTRE LES PEUPLES, parties civiles (appel incident).
Les arrêts interruptifs de prescription
Par arrêts interruptifs de prescription en date des 7 septembre 2022, 3 novembre 2022 et 5 janvier 2023, l'affaire était fixée pour plaider aù 30 mars 2023
DÉROULEMENT DES DÉBATS:
À l'audience publique du 30 mars 2023, le président a constaté la présence de la personne poursuivie POLONY Natacha.
Maître DUPEUX Jean-Yves, Maître LAGARDE Jean-Louis et Maître LINDON Rachel ont déposé des conclusions, lesquelles ont été visées par le président et le greffier et jointes au dossier.
La cour a indiqué que l'association Communauté Rwandaise de France n'est pas dans la cause.
Sur question de la cour, Maître LINDON Rachel, avocat de la partie civile l'association IBUKA FRANCE, a indiqué qu'il serait utile que les témoins soient entendus.
Maître DUPEUX Jean-Yves, avocat de la personne poursuivie a été entendu en ses observations sur ce point.
Le ministère public n'a pas formulé d'observations.
Après en avoir délibéré, la cour a estimé être suffisamment informée concernant l'audition du témoin AUDOIN•ROUZEAU Stéphane, déjà entendu en première instance, et a rejeté sa demande d'audition.
DUMAS Hélène, témoin, a été appelée et invitée à se retirer de la salle d'audience, les prescriptions de l'article 436 du code de procédure pénale ayant été observées.
Le président a informé la personne poursuivie de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire.
AUBAC Jean-Michel a été entendu en son rapport.
La personne poursuivie POLONY Natacha a été interrogée et entendue en ses moyens de défense.
A été visionnée à l'audience l'émission lors de laquelle les propos ont été tenus. Le président a donné lecture de dépositions de première instance.
Le témoin DUMAS Hélène a été réintroduit dans la salle, a satisfait aux prescriptions de l'article 445 du code de procédure pénale et, avant de déposer, a prêté serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Ses déclarations ont été dûment consignées dans la note d'audience, jointe au dossier.
Ont été entendus :
La partie civile l'association IBUKA FRANCE en la personne de son président KABANDA Marcel, en ses observations,
La personne poursuivie POLONY Natacha, en son interrogatoire et ses moyens de défense,
Maître LAGARDE Jean-Louis, avocat de la partie civile l'association MOUVEMENT CONTRE LE RACISME ET POUR L'AMITIE ENTRE LES PEUPLES (MRAP), en
ses plaidoirie et conclusions,
Maître AUBLE Mathilde, avocat de la partie civile l'association IBUKA FRANCE, en ses plaidoirie et conclusions,
Maître LINDON Rachel, avocat de la partie civile l'association IBUKA FRANCE, en ses plaidoirie et conclusions,
Le ministère public en ses observations,
Maître DUPEUX Jean-Yves, avocat de la personne poursuivie, en ses plaidoirie et conclusions,
Maître BOURG Florence, avocat de la personne poursuivie, en ses plaidoirie et conclusions,
La personne poursuivie POLONY Natacha qui a eu la parole en dernier.
Puis la cour a mis l'affaire en délibéré et le président a déclaré que l'arrêt serait rendu
à l'audience publique du 11 mai 2023.
Et ce jour, le 11 mai 2023, en application des -articles 485, 486 et 512 du code de procédure pénale, et en présence du ministère public et du greffier, Jean-Michel AUBAC, président ayant assisté aux débats et au délibéré, a donné lecture de l'arrêt.
DÉCISION:
Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,
LES FAITS :
l. Le 18 mars 2018 à 13 h 30 était diffusée en direct sur France Inter une émission animée par Ali BADDOU intitulé« Le grand face-à-face », émission présentée comme un « débat sur /'actualité et les grandes questions de notre temps avec des intellectuels, deux libres penseurs : Natacha Polony et Raphaël Glucksmann ».
2. Au cours de l'émission - consacrée à la publication récente dans le journal Le Monde de documents faisant état du soutien de la France au gouvernement génocidaire du Rwanda dans le milieu des années 1990-, les propos suivants ont été tenus (de 10' 30" à 14' 41"):
« Ali BADDOU : « Et avant d'accueillir Jean-Pierre Le Goff un sujet sur lequel vous vouliez revenir Raphaël Glucksmann. En l'occurrence, c'était cette semaine la révélation de documents confidentiels dans le journal Le Monde et qui pointent la responsabilité de la France dans le génocide des Tutsi au Rwanda ».
Raphaël GLUCKSMANN : « Oui et aussi la publication d'un livre celui d'un ancien capitaine de l 'armée. Guillaume Ance/, et son témoignage fait suite aux témoignages de plusieurs militaires français dont Rémy Duval ou le héros, la légende du GIGN. M Pruniau, qui ne sont pas des gauchistes militants ou des intellos droits-de-1'hommistes et qui, tous, disent la même chose. Ils nous disent quoi ? Que la France a aidé des troupes génocidaires alors même que le génocide a eu lieu en leur donnant des armes et là, c ·est Ance/ qui nous révèle ça, et même en leur virant, en leur versant directement leurs salaires. Donc des gens qui venaient de tuer 800 000 Tutsi et bien étaient payés par l'Etat français! Et donc on se retrouve dans cette situation où nous sommes face au plus grand scandale de la Ve République et aussi à son secret
le mieux gardé. Et donc le secret commence à être érodé grâce aux témoignages de ces militaires. C'est un moment extrêmement important, moi vous savez, j'ai passé des années à enquêter sur le Rwanda et on sait aujourd'hui que la France a armé et a soutenu des troupes qui allaient commettre un génocide. avant le génocide. qu'elle a continué à les soutenir pendant le génocide et qu'elle a même continué à les soutenir et à les armer après le génocide. Et donc là on est face à un vrai scandale d'Etat et l'Etat français n'a toujours pas été capable de faire la lumière sur son passé, les archives ne sont toujours pas déclassifiées et il n'y a toujours pas eu de véritable discours sur ce que la France a fait au Rwanda ».
Natacha POLONY : « Je pense en effet qu'il est nécessaire de... d'ouvrir les archives, de les déclassifier, qu'il est nécessaire d'essayer de regarder en face ce qui s'est passé à ce moment-là et qui n'a rien finalement d'une distinction entre des méchants et des gentils. Malheureusement on est typiquement dans le genre de cas où heu on avait e11hj'allais dire des salauds face à d'autres salauds et hélas la France a sans doute participé à cela et elle a [coupée]».
Raphaël GLUCK.SMANN : « Qui ? Quels salauds et quels autres salauds ? »
Natacha POLONY : « C'est-à-dire que je pense qu'il n y pas d'un côté les gentils et de l'autre les méchants dans cette histoire et la dérive [coupée]»
Raphaël GLUCKSMANN: «Non mais il y a eu un génocide!».
Natacha POLONY : « Oui bien sûr ! Il y a eu un génocide »
Raphaël GLUCK.SMANN : « Il y a eu un génocide, c'est des bourreaux et des victimes»
Natacha POLONY: « Bien sûr et [coupée}»
Raphaël GLUCKSMANN : « If faut arrêter de maintenir tout le temps ce gris. Je veux dire c'est pas, y avait pas des salauds face à des salauds. Il y avait des génocidaires face à des victimes. »
Natacha POLONY : «Aujourd'hui nous sommes face à un régime qui est un régime qui est devenu totalement dictatorial et qui accomplit là aussi des exactions vis-à-vis des journalistes... »
Raphaël GLUCK.SMANN: «Ouais»
Natacha POLONY : « vis-à-vis de l'ensemble des oppositions et hélas nous sommes dans cette situation-là qui est consternante et effarante et ça n ·est absolument pas remettre en cause le génocide que de dire qu'il y a ce fait-là. Malheureusement. la France a participé, sans doute et c ·est cela qu'il faut prouver, en donnant des armes, en choisissant un camp là où il ne fallait pas choisir un camp mais où il fallait aider et empêcher les massacres. »
Raphaël GLUCKSMANN: « Et bah aider et empêcher le massacre, ça aurait supposé, et bien de choisir des ·opposer à ceux que nous avons soutenus, car ce ne sont pas des salauds face à des salauds, jamais on ne dirait en 1900, alors que pourtant les exactions des troupes russes soviétiques libérant l'Europe à Berlin sont absolument énormes, bien plus grandes que celles du FPA [FPR], puisqu'il est question d ·eux au Rwanda, jamais on ne dirait que ce sont des salauds face à des salauds. Non ce ne sont pas des salauds face à des salauds. Il y a un régime tout à fait détestable aujourd'hui au Rwanda, il n ·est pas génocidaire. Et en 1994, il y a des gens qui commettent un génocide et des gens qui sont victimes du génocide et la France, malheureusement et c'est notre honte, etc. est là-dessus que nous devons faire la lumière, la France a choisi d'être du côté de ceux qui commettaient le génocide. Ça ne veut pas dire que la France a voulu le génocide. mais à aucun moment, le fait qu'il y ait génocide, n'a entrainé de remise en cause de la politique française, ce n ·est pas des salauds contre des salauds, c ·est des bourreaux face à des victimes. On a choisi le camp des bourreaux. »
Natacha POLONY: « On ne définit pas les gens par bourreau ou victimes.»
Raphaël GLUCKSMANN : « Si en ['occurrence dans un génocide on les d finit par bourreau.-c et victimes »...
3. Le 27 juillet 2018, l'association IBUKA FRANCE et la Ligue Internationale Contre le Racisme et Antisémitisme (LICRA) ont déposé plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d'instruction du tribunal de grande instance de Paris du chef de contestation de génocide prévu par l'article 24 bis, alinéa 2. de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, à raison des propos suivants - reproduits en gras au point 2 - tenus par Mme POLONY lors de cette émission à 10' 40'' :
« il est nécessaire d'essayer de regarder en face ce qui s'est passé à ce moment-là et qui n'a rien finalement d'une distinction entre des méchants et des gentils. Malheureusement on est typiquement dans le genre de cas où heu on avait euh j 'allais dire des salauds face à d'autres salauds»
et « C'est-à-dire que je pense que il n y avait pas d'un côté les gentils et de l'autre les méchants dans cette histoire... »
4. Dans leur plainte, les deux associations estimaient que les propos de Mme POLONY remettent en cause les décisions du Tribunal pénal international pour le Rwanda et des cours d'assises françaises qui ont reconnu !"existence du génocide et la responsabilité, dans ce crime, de membres du gouvernement et de l'administration du Rwanda à l'époque, niant par là même la qualité de victimes aux Tutsi ou minorant au point de l'anéantir leur statut de victime.
5. Par ordonnance du 5 juillet 2019, le magistrat instructeur a constaté l'irrecevabilité de la plainte avec constitution de partie civile déposée par la LICRA, faute pour celle-ci d'avoir versé la consignation dans le délai imparti.
6. Une information judiciaire a été ouverte le 9 août 2019.
7. Agissant sur commission rogatoire, la brigade de la répression de la délinquance contre la personne a constaté que l'émission en cause, en ligne sous forme de podcast, avait effectivement été diffusée publiquement et a procédé à son enregistrement.
8. Entendue dans le cadre d'une audition libre, Mme POLONY a confirmé que rémission avait été diffusée en direct le I8 mars 2018 et a contesté les faits reprochés, estimant que ses propos visaient les dirigeants des deux ethnies et non les populations civiles.
9. À la suite de l'interrogatoire de première comparution, elle a été mise en examen le 21 juillet 2020.
1O. Par ordonnance rendue par le magistrat instructeur le 11 décembre 2020, elle a été renvoyée devant le tribunal correctionnel de Paris pour y être jugée des faits de contestation de crime contre l'humanité.
11. C'est dans ces circonstances que, par jugement du 20 mai 2022, le tribunal ra renvoyée des fins de la poursuite et a rejeté les demandes des parties civiles, ainsi que la demande reconventionnelle présentée sur 1e fondement des dispositions de l'article 472 du code de procédure pénale.
12. Le Mouvement contre le Racisme et pour l' Amitié entre les Peuples (MRAP), puis l'association IBUKA FRANCE, ont interjeté appel de ce jugement les 25 et 27mai 2022.
13. Mme POLONY a relevé appel incident de ce jugement le 2juin 2022.
Devant la cour,
14. L'association IBUKA FRANCE était représentée à l'audience par son président qui a fait une déclaration.
Ses conseils ont soutenu leurs conclusions tendant à l'infirmation du jugement. à la reconnaissance d'une faute civile et à la condamnation de Mme POLONY au paiement de la somme d'un euro à titre de dommages-intérêts et de celle de mille euros en application de l'article 475-1 du code de procédure pénale.
Ils ont fait valoir que Mme POLONY a contesté l'existence d'un crime contre l'humanité en ce qu'elle,
• Désigne les Tutsi dans ses propos et non les dirigeants rwandais,
• Accrédite la thèse selon laquelle il existe une histoire officielle du génocide des Tutsi au Rwanda en 1994 qui diffère de la réalité,
• Etablit une confusion entre les bourreaux et les victimes du génocide des Tutsi,
• Prétend que le FPR a une responsabilité dans le génocide des Tutsi,
• Etablit une équivalence morale entre les auteurs du génocide et le mouvement politico-militaire qui y a mis fin par les armes,
• L'ensemble de ses propos ne peuvent qu'être perçus comme tel par l'auditeur moyen.
15. Le conseil du Mouvement contre le Racisme et pour l'Amitié contre les Peuples (MRAP) a soutenu ses conclusions tendant à voir constater que Mme POLONY a commis une faute civile justifiant de sa condamnation au paiement de la somme d'un euro à titre de dommages-intérêts et de celle de mille euros en application des dispositions de l'article 475-1 du code de procédure pénale.
16. Le ministère public, non appelant, a requis la confirmation du jugement entrepris, en l'absence de faute civile.
17. Mme POLONY a été entendue.
Son conseil a soutenu ses conclusions tendant au rejet des demandes des parties civiles et à leur condamnation solidaire au paiement de la somme de quinze mille euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive.
SUR CE,
- en la forme :
18. Les appels des parties civiles et de la prévenue définitivement relaxée, interjetés dans les formes et délais légaux, sont réguliers et recevables.
- sur le fond :
19. L'appel de la partie civile a pour effet de déférer à la juridiction du second degré l'action en réparation des conséquences dommageables qui peuvent résulter de la faute civile du prévenu définitivement relaxé, cette faute devant être démontrée à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite.
20. Il convient donc de constater que la relaxe est définitive et il appartient donc uniquement à la cour de rechercher s'il est démontré que le prévenu définitivement relaxé a commis une faute civile à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite.
21. Mme POLONY a fait l'objet de poursuites sur le fondement des dispositions de l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881.
22. Le premier alinéa de ce texte vise la contestation de l'existence d'un ou plusieurs crimes contre l'humanité tels qu'ils sont définis par l'article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d'une organisation déclarée criminelle en application de l'article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale.
23. Le second alinéa vise ceux qui auront nié, minoré ou banalisé de façon outrancière, par un des moyens énoncés à l'article 23, l'existence d'un crime de génocide autre que ceux mentionnés au premier alinéa du présent article, d'un autre crime contre l'humanité, d'un crime de réduction en esclavage ou d'exploitation d'une personne réduite en esclavage ou d'un crime de guerre défini aux articles 6, 7 et 8 du statut de la Cour pénale internationale signé à Rome le 18 juillet 1998 et aux articles 211-1 à 212-3, 224-1 A à 224-1 C et 461-1 à 461-31 du code pénal, lorsque ce crime a donné lieu à une condamnation prononcée par une juridiction française ou internationale.
24. Le génocide des Tutsi au Rwanda ayant donné lieu à des condamnations prononcées par une juridiction internationale, la négation, la minoration ou la banalisation de façon outrancière de son existence entre dans les prévisions des dispositions de l 'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881.
25. Mais, par des motifs pertinents que la cour adopte, les premiers juges ont exactement retenu que les propos poursuivis ne caractérisaient pas une contestation du crime de génocide commis contre les Tutsi au Rwanda.
26. En effet, il ressort du débat - dont l'enregistrement a été diffusé lors de l'audience - que Mme POLONY n'a nullement contesté l'existence d'un génocide. Au contraire, elle a déclaré« Oui bien sûr! Il y a eu un génocide», avant d'ajouter que la situation est« consternante et effarante» et qu'il ne s'agit« absolument pas» de« remettre en cause le génocide ».
27. Il sera également relevé qu'aucun de ses propos ne vise à minorer le génocide subi par les Tutsi.
28. Si les expressions« salauds face à d'autres salauds», puis,« il n'y a pas d'un côté les gentils et de l'autre les méchants dans cette histoire » ne peuvent qu'être difficilement ressenties par des victimes du génocide, elles ne caractérisent nullement une volonté de banaliser de façon outrancière son existence, le tribunal ayant à juste titre relevé que Mme POLONY n'avait pas été en mesure de développer son argumentation et d'expliquer ses propos, ayant systématiquement été interrompue par M. GLUCKSMANN.
29. Il s'ensuit qu'aucune faute civile n'est caractérisée.
30. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a reçu les parties civiles en leur constitution, mais les a déboutées de leurs demandes.
31. Il est par ailleurs équitable de rejeter les demandes présentées par les parties civiles en cause d'appel sur le fondement des dispositions de l'article 475-1 du code de procédure pénale.
32. Par des motifs pertinents que la cour approuve, les premiers juges ont exactement rejeté la demande présentée par Mme POLONY sur le fondement des dispositions de l'article 472 du code de procédure pénale dès lors qu'il ne peut être considéré que les parties civiles ont agi de manière téméraire, ayant pu se méprendre sur la portée.de leurs droits.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement dans les limites des appels, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Constate que l'association Communauté Rwandaise de France n'est pas dans la cause ;
Déclare recevables les appels formés par les parties civiles et Mme POLONY ;
Dit qu'aucune faute civile n'est caractérisée;
Confirme le jugement entrepris ;
Déboute les parties civiles de leurs demandes présentées en cause d'appel sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale
Le présent arrêt est signé par Jean-Michel AUBAC, président, et par Margaux MORA, greffier.