Fiche du document numéro 32634

Num
32634
Date
Dimanche 2 juillet 2023
Amj
Taille
826843
Titre
Amertume au Rwanda après la condamnation d’un génocidaire à Paris
Sous titre
La justice française a condamné mercredi 28 juin un ancien gendarme rwandais à la prison à perpétuité pour son rôle dans le génocide des Tutsis en 1994. Mais à 6 000 kilomètres de Paris, les habitants de sa région regrettent leur éloignement des débats, s’ils les connaissent.
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Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Nyanza (Rwanda).– Mercredi 28 juin, la cour d’assises de Paris, devant laquelle comparaissait depuis le 10 mai Philippe Hategekimana, ancien adjudant-chef de la gendarmerie rwandaise, l’a condamné à la prison à perpétuité pour son rôle dans le génocide des Tutsi·es, qui fit un million de morts au Rwanda entre avril et juillet 1994.

Visé depuis 2015 par une enquête du pôle « crimes contre l’humanité » du tribunal de grande instance de Paris, après qu’une plainte a été déposée contre lui par le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), ce Rwandais de 66 ans ans, naturalisé français et établi à Rennes, avait été arrêté en 2018 au Cameroun, où il était parti en cavale, puis extradé vers la France et incarcéré. Depuis une loi du 22 mai 1996, les « personnes présumées responsables d’actes de génocide » au Rwanda en 1994 « peuvent être poursuivies et jugées par les juridictions françaises en application de la loi française ». Les crimes qui lui valent la peine maximale ont été commis dans la région de Nyanza, située dans le sud du pays des mille collines.

Ancienne capitale royale du Rwanda précolonial, Nyanza est une ville fortement empreinte d’histoire. Un peu à l’écart du centre se dresse le palais du dernier roi du pays, transformé en musée, où l’on vient également visiter des reproductions d’habitations rwandaises ancestrales. Jusqu’au génocide de 1994, ce statut particulier faisait de Nyanza un sanctuaire dans lequel de très nombreux Tutsis pensèrent trouver refuge.

Canisius, enseignant à la retraite qui fut le président local d’Ibuka, l’association qui défend la mémoire des rescapés. © Photo Théo Englebert pour Mediapart

« Il y a de vieilles superstitions qui veulent qu’on ne tue pas là où vivait jadis le roi. Depuis 1959, il n’y a pas eu de bagarres », explique Canisius, enseignant à la retraite de 73 ans qui fut longtemps le président local d’Ibuka, l’association qui défend la mémoire des rescapé·es. « On vivait ensemble, on mangeait ensemble, on se mariait ensemble. Nous avions une amitié très très efficace. En 1994, les Tutsis sont venus de partout pour se réfugier ici. »

« Mais les chefs de l’administration, des entreprises publiques et des écoles secondaires adhéraient à l’idéologie du génocide. Ils ont commencé à tuer. Ils ont montré que ceux qui ne voulaient pas tuer pourraient être tués également. Et aussi que l’on pouvait prendre tous leurs biens aux Tutsis et manger leurs vaches. Alors le ventre a parlé. Satan a fait comme ça », poursuit Canisius.

À Nyanza, le bourgmestre (maire), l’un de ses conseillers ainsi que le major qui commandait les gendarmes, tous trois hutus, furent assassinés pour avoir tenté de s’opposer au génocide. L’adjudant-chef Philippe Hategekimana, en revanche, joua un rôle de superviseur dans les tueries.

« On n’en parle pas ici »



Âgée d’une vingtaine d’années, la jeune fille chargée de l’accueil du musée royal de Nyanza n’a qu’une vague idée de l’affaire que les magistrats français ont tranchée mercredi 28 juin. « Ouais, ouais, j’ai vu ça sur Internet. C’est un soldat qui était au Rwanda pendant le génocide, c’est ça ? Enfin, je crois que c’est ce que j’ai lu, mais je ne suis pas sûre du tout… Que je sache, on n’en parle pas ici. En tout cas pas avec les gens de mon âge. »

Plus loin, sous un parasol jaune de l’opérateur téléphonique MTN, Rose patiente sur le bord de l’artère principale de Nyanza. Elle a 22 ans et a passé toute son existence ici. Elle n’a jamais entendu le nom de Philippe Hategekimana et ignore tout du procès qui prend fin à Paris après presque deux mois d’audience. Au Mémorial du génocide, les deux seules personnes présentes, l’agente de propreté de 30 ans et l’agente de sécurité de 19 ans, n’en savent pas plus.

Croquis judiciaire du procès de l'ancien gendarme rwandais Philippe Hategekimana au palais de justice de Paris, le 10 mai 2023. © Dessin Benoit Peyrucq / AFP

Cette quasi-absence d’impact du procès sur les jeunes générations rwandaises préoccupe certains de leurs aînés. « Beaucoup de jeunes ne savent rien. Moi, je n’en parle pas à mes enfants. Je les informe que le procès a lieu, mais sans leur donner trop de détails », explique Juvénal, un rescapé de 64 ans qui a témoigné à Paris pour l’accusation. « Il faudrait arriver à les mettre au courant sans que cela soit nuisible et sème l’idéologie divisionniste. Si ce procès avait eu lieu ici, ça aurait été un bon moyen », poursuit celui qui a perdu ses parents, quatre de ses frères, trois de ses sœurs et son fils pendant le génocide.

« Une personne qui a commis des tueries d’une telle gravité devrait être jugée ici pour que les gens la voient. Il y a des orphelins qui en entendent parler, mais ils n’ont même aucune idée de son apparence », abonde Hodorate, autre témoin dans la procédure française.

Des témoins absents



« Si seulement il était possible qu’il purge sa peine ici pour que tous les Rwandais sachent que la justice est rendue et que celui qui a été actif dans le génocide sera poursuivi même s’il s’en va ailleurs. Ça aurait un vrai impact sur les Rwandais et les Rwandaises. Que la jeune génération voie ça et qu’on en reparle. Si c’est possible, je souhaiterais que le Rwanda et la France le permettent », déclare Immaculée, une rescapée de 56 ans.

Les rescapé·es s’accordent également sur le caractère incomplet de la procédure qu’implique, selon eux, l’éloignement géographique du procès. « Ce n’est pas favorable, car tous les témoins n’ont pas eu la chance de participer. Que ce soit des gens que Philippe Hategekimana a utilisés sur les barrières pour tuer ou bien ses victimes. En se basant sur l’expérience des Gacaca [juridictions populaires rwandaises chargées de juger les participants au génocide entre 2002 et 2012 – ndlr], on peut affirmer que beaucoup de ces témoins se seraient présentés si le procès avait eu lieu ici », affirme Juvénal, qui aurait souhaité assister à l’intégralité des audiences concernant Philippe Hategekimana.

Au lieu de cela, il doit se contenter « des choses [qu’il voit passer] sur les réseaux sociaux ». Dans un haussement d’épaules où se perçoivent la déception et la résignation, Canisius explique s’informer quotidiennement « par SMS » et redistribuer les informations qu’il parvient à se procurer aux autres rescapé·es et témoins.

Canisius n’a pas été autorisé à se rendre à Paris et a témoigné devant la cour d’assises par visioconférence depuis Kigali. « Le juge a dit non. Parce que j’ai 73 ans et que, selon lui, je serais trop âgé. Mais j’aurais dû y être. Parce que c’est moi qui ai commencé ce dossier quand les Gauthier [Alain et Dafroza, dirigeants de l’association française Collectif des parties civiles pour le Rwanda – ndlr] sont venus à Nyanza et que j’étais le président d’Ibuka pour le district », explique le septuagénaire, qui ne cache pas son amertume.

Hodorate a fait l’aller-retour à Paris pour le procès. © Photo Théo Englebert pour Mediapart

Déceptions



D’autres ont fait un court séjour à Paris dans des conditions particulièrement éprouvantes. « On est arrivés à Paris dans la nuit. Le matin, nous étions au tribunal jusqu’à 20 heures. Puis à 4 heures, dans la nuit, nous sommes repartis. Ce n’était pas facile, mais nous avons fait de notre mieux », soupire Hodorate.

Les témoins rencontrés par Mediapart attendaient tous le verdict avec fébrilité et impatience. « On voulait la justice. Parce que Philippe Hategekimana a tué partout. Sur la colline de Nyamure, au moins 30 000 personnes ont été tuées, sur celle de Karama, au moins 25 000, sur celle d’à côté, plus de 20 000… Il était là avec ses gendarmes », affirme Canisius.

Si toutes et tous se félicitent de la sentence très lourde, plusieurs ne sont pas entièrement satisfaits. « Ce que nous voulons aussi, c’est qu’il paie nos biens. Ce serait aussi justice. Il ne peut pas ressusciter nos proches, mais il doit nous rendre nos biens. On nous dit que c’est difficile et que la justice de France est comme ça… C’est une déception », soupire l’ancien président d’Ibuka.

D’autres demeurent inquiets. « Nous n’avons pas confiance dans les tribunaux étrangers. Nous avons peur que les autorités françaises prennent en compte son âge et sa santé pour alléger sa peine. Ces personnes âgées étaient les principaux responsables du génocide. Prendre de telles choses en considération les concernant n’est pas juste à nos yeux », explique Hodorate. Pour l’heure, Philippe Hategekimana dort en prison.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024