Fiche du document numéro 32576

Num
32576
Date
Jeudi 22 juin 2023
Amj
Taille
224227
Sur titre
Justice
Titre
Rwanda : que valent les témoignages dans le procès pour génocide qui se déroule à Paris ?
Sous titre
La question de la fiabilité des témoignages a été souvent soulignée par la défense dans le procès d’un ancien gendarme rwandais, accusé de génocide. Que vaut la parole des proches des victimes ? Mais aussi celle de ceux qui défendent l’accusé ?
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Lors de la cérémonie de commémoration du génocide rwandais, le 7 avril à Paris, en présence de la maire de la capitale, Anne Hidalgo, et de l'ambassadeur rwandais en France, Francois Nkulikiyi. (Ait Adjedjou Karim/Abaca)

Mais quelle tension ! Mercredi 21 juin, l’ambiance était orageuse, dans la petite salle d’audience, située au premier étage du vieux palais de justice sur l’île de la Cité. Depuis le 10 mai, on y juge un ancien adjudant-chef de la gendarmerie présent au Rwanda pendant le génocide des Tutsis en 1994. Avec parfois une certaine nervosité. «J’en ai marre ! Je lui [le témoin, alors interrogé, ndlr] pose des questions et il répond à côté», explose maître Alexis Guedj, avocat de la défense. Lequel s’en était pris quelques instants auparavant, à l’avocate générale : «Je ne sais pas si c’est la chaleur, mais vous n’êtes pas sérieuse !»

C’est vrai qu’il fait très chaud. Les fenêtres ouvertes, faute de climatisation, obligent régulièrement à interrompre les débats, dès qu’on entend les sirènes d’un véhicule qui traverse l’île de la Cité. Les micros semblent en sourdine, on peine à entendre. Sauf quand l’avocat hausse brutalement le ton. «Vous mentez !» assène-t-il à plusieurs reprises au témoin, un ancien tueur repenti, qui intervient en visioconférence depuis le Rwanda. «Tout ça est extraordinaire…» constate dans un souffle Jean-Marc Lavergne, le président du tribunal.

Reste que la question de la fiabilité des témoignages semble au cœur de la stratégie de la défense. Dans ce procès, comme dans les quatre précédents liés au génocide des Tutsis du Rwanda en 1994, qui se sont déjà déroulés en France. Les arguments sont souvent les mêmes : les témoins se contrediraient, et plus souvent encore, seraient manipulés par le régime de Kigali. «Les avocats de la défense m’ont demandé ce que je pense du pouvoir actuel. Mais quel rapport ? Ce qui est jugé, c’est ce qui s’est passé en 1994 : le génocide des Tutsis du Rwanda», s’étonne l’historienne Hélène Dumas, intervenue aux premiers jours de ce procès comme témoin de contexte.

«Etes-vous objectif ?»



La question de la fiabilité des témoins avait également été posée ce lundi, à l’avocat belge Eric Gillet qui intervenait en visioconférence depuis Bruxelles. Il a été l’un des premiers à dénoncer les préparatifs du génocide. En 1993, il fait partie d’une commission qui part enquêter au Rwanda, déjà sur des rumeurs de tueries. Des fosses communes seront découvertes, parfois par hasard. Celles de «petits massacres», visant les Tutsis, qui «annoncent le génocide», explique celui qui représentait alors la Fédération internationale des droits de l’homme. Depuis, il a été impliqué, en tant qu’avocat cette fois, dans de nombreux procès liés à ce génocide. Que pense-t-il de «l’instrumentalisation supposée des témoins ?» lui demande maître Aublé, qui représente les parties civiles.

«Déjà lors du premier procès, qui s’est déroulé en Belgique en 2001, certains ont évoqué un soi-disant “syndicat des délateurs”. Des universitaires belges sont venus expliquer qu’il régnait au Rwanda “une culture du mensonge”. Mais moi je n’ai jamais été mis en difficulté face à un témoin qui aurait menti. On a toujours pris des précautions, recoupé les témoignages, vérifié la traduction des interprètes», constate l’avocat belge.

Il souligne en revanche l’importance des «accusations en miroir», qui ont pollué la montée des périls au Rwanda. Celles qui visent «à accuser l’autre de ce qu’on a l’intention de faire». Il cite le cas de la région du Bugesera, en 1992 : «Pendant plusieurs semaines, la radio a fait état d’un plan Tutsi visant à exterminer les Hutus. La population était chauffée à blanc». Puis début mars cette année-là, plus de 300 Tutsis seront massacrés dans cette région. «Etes-vous objectif ? Pouvez vous être objectif en ayant été l’avocat de parties civiles ?» l’interpelle brutalement maître Guedj.

«Libé» cité à la barre



Les témoins de la défense auraient-ils eux aussi leurs zones d’ombre ? Le 23 mai, elle avait appelé à la barre Jean-Marie Vianney Nzapfakumunsi. Cet ancien lieutenant-colonel de la gendarmerie, venu témoigner en faveur de son ancien collègue, a été depuis, épinglé par une enquête de Libération. Des témoignages, là encore, recueillis au Rwanda, accusent cet homme d’avoir lui-même participé au génocide à Nyange dans l’ouest du pays. Là où sévissait un autre génocidaire présumé, Fulgence Kayishema, recherché lui par la justice internationale. Avant d’être arrêté le 24 mai en Afrique du Sud, où il se cachait sous la fausse identité d’un réfugié burundais. Mercredi matin, Jean-Marie Vianney Nzapfakumunsi est revenu à la barre pour achever son interrogatoire.

— «Avez-vous lu l’article de Libération ? Avez vous eu peur ?» l’interroge maître Emmanuel Altit, lui aussi avocat de la défense.

— «Oui je l’ai lu, je n’ai pas eu peur. Ce ne sont que des mensonges, fabriqués contre moi. Ma famille en souffre, j’en ai marre», se plaint le petit homme en costume bleu, muni d’un attaché-case.

Ce n’est pas tous les jours que Libération est cité dans une cour d’assises. A fortiori dans un procès pour génocide. Mais on n’en saura pas plus. Le reste des questions porteront notamment sur les massacres qu’aurait pu commettre de son côté le Front patriotique rwandais, une rébellion tutsie qui va reprendre le combat dès avril 1994 et faire fuir hors du pays les chefs d’orchestre de ce génocide. Elle aurait commis elle aussi «beaucoup de massacres», affirme le témoin. Bien incapable pourtant de citer une date, un lieu concernant ces crimes supposés au cours des trois mois du génocide.

Lettre anonyme



Deux jours plus tôt, lundi 19 juin, c’est Ignace Munyemanzi, un ancien ingénieur agronome, qui était appelé à la barre par la défense. Lui aussi a été accusé de génocide, dans une lettre anonyme affirmant qu’il se serait trouvé sur les barrières où les Tutsis étaient arrêtés et tués à Kiyovu, le quartier de Kigali où il habitait en 1994. Cette lettre est également à l’origine de la procédure judiciaire qui vaut aujourd’hui à Philippe Hategekimana-Manier de comparaître devant cette cour d’assises. Elle avait été envoyée en 2013 à Alain et Dafroza Gauthier, les fondateurs du collectif des parties civiles pour le Rwanda, principale partie civile dans ce procès.

Ignace Munyemanzi, affirme ne jamais avoir entendu parler de cette lettre, jusqu’à ce jour. Il serait bien le seul. Mais dans l’immédiat, il n’est visé par aucune procédure judiciaire et n‘a donc aucune raison de se sentir inquiété. Il a rencontré «Philippe» à Rennes, après le génocide. Ensemble, ils ont fait partie de la même association qui organisait des spectacles de danses traditionnelles rwandaises. «On a fait des tournées dans toute la Bretagne», explique-t-il, après avoir décrit l’accusé comme quelqu’un de sensible, très affecté par les accusations portées contre lui. «Ce garçon, je l’ai côtoyé. J’ai partagé beaucoup de choses avec lui. Je me suis dit avec mon intime conviction qu’il fallait que je témoigne», souligne encore celui qui a travaillé pendant cinq ans comme enquêteur pour la défense au Tribunal international pour le Rwanda. Il aurait obtenu le statut de réfugié sans avoir été persécuté – «ce n’est pas obligatoire», affirme-t-il tout d’abord, contre toute évidence. L’accusé, dont il est pourtant proche, ne lui aurait jamais parlé de son passé pendant le génocide. «Je savais juste qu’il était gendarme», avance-t-il.

Dans le box, derrière une vitre teintée, difficile de percevoir les réactions de l’ancien adjudant-chef de la gendarmerie, poursuivi pour son rôle supposé dans l’organisation d’au moins trois massacres au sud du pays. Dont celui qui a eu lieu sur la colline de Nyabubare, où 300 Tutsis ont été tués le 23 avril 1994. Parmi ceux qui l’accusent aujourd’hui, nombreux sont ceux qui avaient participé à ces crimes à l’époque, et dont les témoignages ont été recueillis en prison. Ont-ils pu être influencés par les autorités du pays ? «Les témoignages ont été remis au juge d’instruction, qui a fait sa propre enquête sur place», avait rétorqué lundi Alain Gauthier à la barre.

L’ex-gendarme conteste toutes ces accusations. Il aurait été à Kigali au moment du massacre de Nyabubare, dénonce «les incohérences» de certains témoignages. «La plupart de ces gens, je ne les connais pas», souligne-t-il encore mercredi dans une courte déclaration. «Le génocide des Tutsis est une réalité, mais je n’ai rien à me reprocher», poursuit-il, évoquant «sa détention difficile» et sa «vie ruinée». Avant d’annoncer qu’il ne s’exprimerait plus jusqu’à la fin du procès, prévu mercredi prochain. Excluant finalement son propre témoignage d’un procès qui tente de rassembler les pièces d’un puzzle vieux de près de trente ans. Celui d’un génocide s’est déroulé dans un petit pays d’Afrique, à plus de 9 000 km de cette cour d’assises plongée dans la torpeur d’un début d’été parisien.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024