Fiche du document numéro 32515

Num
32515
Date
Samedi 10 juin 2023
Amj
Taille
398925
Titre
Au Rwanda, « grande joie » et désir de justice après l’arrestation d’un génocidaire
Sous titre
Arrêté en Afrique du Sud, Fulgence Kayishema aurait joué un rôle clé dans le massacre de l’église de Nyange, en avril 1994. Les rescapés du génocide espèrent désormais le voir jugé sur place.
Nom cité
Nom cité
Lieu cité
Lieu cité
Lieu cité
Mot-clé
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Au mémorial de Nyange en hommage au génocide rwandais de 1994. (Michiel Robberecht/Libération)

Par Théo Englebert, envoyé spécial à Nyange (Rwanda).

«Le 9 avril 1994, j’ai croisé Fulgence Kayishema qui était avec trois personnes à côté de la paroisse. Elles avaient tué les vaches d’un Tutsi. Alors Kayishema leur a dit : “Vous avez abattu les vaches, mais il fallait abattre les gens !” Le lendemain matin, ils ont tué les propriétaires des vaches», raconte Venuste Murangwa, un rescapé du génocide des Tutsis, qui a causé la mort d’un million de personnes entre avril et juillet 1994 au Rwanda. «J’avais quatre enfants. Ils ont été attrapés le 13 avril, tués et jetés dans la rivière Nyabarongo. C’est Fulgence Kayishema qui organisait tout ça ici», accuse Venuste Murangwa.

Le 24 mai, l’ancien inspecteur de police judiciaire, Fulgence Kayishema, l’un des génocidaires les plus recherchés au monde, a été arrêté en Afrique du Sud au terme d’une cavale de plus de vingt ans. Le mécanisme résiduel du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) le recherchait depuis 2001 pour «génocide», «complicité de génocide», «complot en vue de commettre le génocide», «crimes contre l’humanité» et «extermination». Des crimes qu’il aurait commis à Nyange, une localité de la commune de Kivumu, dans l’ouest du pays.

Venuste Murangwa, un rescapé, le 6 juin à Nyange. Ses quatre enfants ont été tués lors du génocide. (Michiel Robberecht/Libération)

Dans ce village situé à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de Kigali, le douloureux souvenir de Fulgence Kayishema, appréhendé dans une ferme viticole de la région sud-africaine du Cap, où il vivait sous un faux nom, ne s’est pas effacé. «Kayishema était toujours en tenue militaire avec un fusil. Je le voyais circuler dans un camion à la rencontre des Tutsis en leur disant qu’il allait les emmener à l’église, soi-disant pour les cacher. Alors qu’en fait, il les rassemblait pour les tuer», se souvient Agnès Birabose, qui fut sa collègue de travail au tribunal.

«Le regarder en face»



Au creux d’une montagne, entre deux grands virages, Nyange est aujourd’hui surplombé par un mémorial, érigé là où se dressait autrefois l’église en question. Mi-avril 1994, les autorités locales ordonnaient de détruire au bulldozer cet édifice dans lequel s’étaient réfugiés 2 000 Tutsis – hommes, femmes, personnes âgées et enfants. Tous moururent ensevelis sous les décombres ou achevés par des miliciens.

S’ensuivit une traque méthodique des Tutsis restants qui furent systématiquement assassinés. «Le 6 mai, Fulgence Kayishema est venu chez nous. J’avais caché mon mari tutsi qui s’était échappé de l’église. Il l’a attrapé. J’ai essayé de demander pardon encore et encore, de lui rappeler que nous étions collègues… Il s’est exclamé : “Il faut d’abord tuer cette femme qui est dangereuse !” Mon mari a été tué le jour même et jeté dans des latrines», relate Agnès Birabose, qui ne devra sa vie sauve qu’à son identification par le régime de l’époque comme membre de l’ethnie hutu.

Agnès Birabose travaillait autrefois au tribunal avec Fulgence Kayishema. (Michiel Robberecht/Libération)

«C’était une grande joie pour nous d’apprendre son arrestation», affirme Venuste Murangwa. L’Afrique du Sud devrait extrader prochainement Fulgence Kayishema vers le Rwanda, où il comparaîtra devant les juridictions nationales auxquelles le TPIR a transféré son dossier. Pour la dizaine de rescapés et de témoins rencontrés sur place par Libération, juger Kayishema loin de Nyange n’aurait eu aucun sens. «Nous souhaitons qu’il soit amené ici et que l’on puisse le regarder en face», déclare Venuste Murangwa. «Beaucoup de gens auront le cœur apaisé s’il est jugé ici», abonde Agnès Birabose.

Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024