Fiche du document numéro 32492

Num
32492
Date
Mardi 6 juin 2023
Amj
Taille
473192
Titre
Rwanda : lentement, les filets de la justice se resserrent sur les derniers fugitifs du génocide
Sous titre
Vingt-neuf ans après le génocide de 1994, Fulgence Kayishema a été arrêté le 24 mai en Afrique du Sud. Il devrait être le quatrième fugitif de l’ex-tribunal de l’Onu pour le Rwanda à être renvoyé dans son pays pour y être jugé. Au fil des ans, quelques accusés réfugiés à l’étranger tombent encore dans les filets de la justice. Même si, aux yeux des autorités rwandaises, leur nombre est dérisoire.
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Type
Page web
Langue
FR
Citation
Fulgence Kayishema, l'un des derniers fugitifs inculpé par le Tribunal de l'Onu pour le Rwanda, vient d'être arrêté en Afrique du Sud après 22 ans de cavale. Le 26 mai, lors de sa comparution au tribunal du Cap, il brandit un livre intitulé 'Jesus first' (Jésus d'abord). © Rodger Bosch / AFP

Jeudi 22 mars 2012. Boubacar Jallow, procureur général du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), remet à son homologue rwandais, Martin Ngoga, deux CDs et des piles de documents au cours d’une petite cérémonie dans les bureaux du tribunal de l’Onu, à Arusha, au nord de la Tanzanie. Entre autres dossiers, celui de Fulgence Kayishema et son implication présumée dans le génocide perpétré en 1994 contre les Tutsis, est transmis à la justice rwandaise, qui doit garantir un procès équitable si jamais le fugitif est arrêté.

Pour arrêter Kayishema, il aura fallu encore onze années de traque. Le 24 mai 2023, il a finalement été retrouvé sous le faux nom de Donatien Nibashumba, dans une ferme viticole à Paarl, à 60 km au nord de la grande ville du Cap, en Afrique du Sud.

Inculpé en 2001 par le TPIR pour génocide, complicité de génocide, conspiration en vue de commettre un génocide et crimes contre l’humanité, Kayishema, ancien inspecteur de police judiciaire, est accusé d’avoir planifié et exécuté le massacre de plus de 2.000 réfugiés à l’église de Nyange, au nord du Rwanda. Avec la complicité de l’abbé Athanase Seromba, condamné en 2008 à la prison à vie par le TPIR, il aurait ordonné et supervisé la démolition de l’église, ensevelissant sous ses décombres ceux qui y avaient trouvé refuge.

Transfert prévu vers le rwanda



En 2012, près de vingt ans après sa création par le Conseil de sécurité de l’Onu, le TPIR organise sa fermeture. Kayishema fait partie des dossiers que le bureau du procureur du TPIR a décidé de donner au Rwanda. Depuis, le TPIR a été remplacé par le Mécanisme résiduel des tribunaux pénaux internationaux, dit le « Mécanisme ». Il n’est pas encore clair à ce jour si l’Afrique du Sud remettra Kayishema au Mécanisme ou directement au Rwanda, mais c’est bien dans ce pays qu’il est attendu pour être jugé. « Je pense que son transfert ne peut causer aucun problème », réagit le porte-parole du parquet rwandais, Faustin Nkusi, le lendemain de l’arrestation, « du moment qu’ils [le tribunal de l’Onu] nous ont déjà envoyé des suspects. »

Nkusi insiste : « Le principe est que Fulgence Kayishema devrait être envoyé au Rwanda pour y être jugé. » Il sera alors le quatrième suspect du TPIR à être transféré vers son pays d’origine, sur six désignés en 2012 par le procureur Jallow. Le pasteur Jean Uwinkindi (transféré le 19 avril 2012), l’ancien milicien Bernard Munyagishari (transféré le 24 juillet 2013) et l’ancien maire Ladislas Ntaganzwa (livré le 20 mars 2016) y ont tous été condamnés à la prison à vie.

Trois quarts des fugitifs en Afrique



La reconnaissance par la juridiction de l’Onu de la capacité des tribunaux rwandais à fournir des procès équitables et impartiaux a ouvert la voie à d’autres extraditions. A ce jour, sur les 1.148 inculpations et mandats d’arrêt internationaux émis par le Rwanda, 1.094 n’ont cependant pas encore été exécutés, selon Charity Wibabara, qui dirige l’unité chargée de la poursuite des fugitifs du génocide au sein du parquet général rwandais. « Jusqu’à présent », explique-t-elle, en marge de la 29ème commémoration du génocide, cette responsable qui a rang de procureure nationale, « 25 poursuites ont été engagées par des pays étrangers et 29 suspects de génocide ont été envoyés au Rwanda par extradition, transfert ou expulsion ».

L’Afrique abrite, à elle seule, plus des trois-quarts de ces fugitifs, dont la République démocratique du Congo (408) et l’Ouganda (277). Hors du continent, la France et la Belgique en hébergent respectivement 47 et 40, et 23 sont localisés aux États-Unis.

« Près de 30 ans plus tard, nous avons une longue liste de fugitifs toujours en fuite dans plusieurs pays du monde, et nous continuerons à travailler avec les États et institutions partenaires pour garantir qu'ils soient tenus responsables des crimes commis lors du génocide contre les Tutsi en 1994 », a déclaré le procureur général du Mécanisme, le Belge Serge Brammertz, au lendemain de l’arrestation de Kayishema, après des années de pression sur l’Afrique du Sud par ses services.

Le Mécanisme et les autorités rwandaises soulignent à l’unisson que, à l’instar des deux derniers suspects du TPIR arrêtés – Félicien Kabuga et Fulgence Kayishema – la plupart des fugitifs vivent sous une fausse identité et se fondent ainsi incognito dans la masse. Mais selon le parquet général du Rwanda, le problème commun à de nombreux pays africains est un manque de volonté politique.

Pourquoi la France et de la Belgique n’extradent-elles pas ?



La France et la Belgique – deux pays aux liens historiques étroits avec le Rwanda – sont en tête des pays occidentaux ayant sur leur sol le plus grand nombre de fugitifs. Ils sont aussi ceux qui en ont jugé le plus : six personnes jugées en France et neuf en Belgique. En plus du jugement de quelques accusés, les pays suivants de l’Union européenne – Suède (3 jugements), Pays-Bas (2 jugements), Norvège (1 jugement), Finlande (1 jugement), Allemagne (1 jugement) et Danemark (0 jugement) – en ont aussi extradé vers le Rwanda. Mais pourquoi la France et la Belgique n’extradent-elles pas vers le Rwanda ?

Dans des entretiens à Justice Info, Jean-Michel Swalens, chef de la coopération à l’ambassade de Belgique au Rwanda, et le colonel Laurent Lesaffre, attaché de sécurité intérieure à l’ambassade de France à Kigali, évoquent une raison « fondamentale » : ni la France ni la Belgique « ne peut extrader ses ressortissants » et les réfugiés rwandais ont souvent fini par acquérir la nationalité de leur pays d’accueil. A cela s’ajoute, en France, « un arrêt de la cour de cassation qui se base sur la non rétroactivité de la loi », explique Lesaffre. Autrement dit, la France « ne peut pas extrader un individu dans un pays où l’infraction n’était pas dans la loi au moment des faits ». Puisque le crime de génocide n’existait pas dans le droit rwandais en 1994, la France ne peut pas extrader un accusé de ce crime vers le Rwanda. « C’est une question de droit, on peut en penser ce qu’on veut mais c’est un droit fondamental qui est le nôtre et qui explique qu’on n’extrade pas », ajoute Lesaffre. Pour lui, cela n’a rien à voir avec les allégations selon lesquelles, affirment certains de leurs avocats, « si mon client est extradé au Rwanda, il n’aura pas un procès juste et équitable ».

Mieux vaut tard que jamais



Pour les deux diplomates, « le dossier commence à la date à laquelle la justice d’un pays a connaissance de la présence d’un présumé génocidaire sur son territoire. On ne peut pas le deviner », conviennent-ils. C’est à leurs yeux le centre du puzzle. Pour le cas précis de la France, précise Lesaffre, la plupart des enquêtes et des procès qui ont été ouverts l’ont été « sur la base d’informations et plaintes des parties civiles et d’organisations comme Survie, le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) et autres, ou des articles dans la presse comme Mediapart ». Swalens pointe également du doigt la coopération internationale. « Quand la coopération internationale est facile et parfaite, quand tout est aplani, alors tout s’accélère, même pour la justice. » Pour son homologue français, « ce qui est important, c’est que la justice se fasse et mieux vaut tard que jamais. Il est probable que l’on juge des présumés génocidaires rwandais pendant longtemps », affirme-t-il.

LA LISTE COMPLÈTE DES RWANDAIS EN FUITE, TRANSFÉRÉS OU JUGÉS À L’ÉTRANGER



4 AFFAIRES TRANSFÉRÉES DU TPIR

UWINKINDI Jean. Il a été arrêté le 30 juin 2010 en Ouganda et remis au TPIR à Arusha, en Tanzanie. Transféré au Rwanda le 19 avril 2012, il a été jugé par la Chambre de la Haute Cour pour les crimes internationaux (HCCIC) et condamné, le 30 décembre 2015, à la réclusion à perpétuité. Cette peine a été confirmée en appel le 24 décembre 2020.

MUNYAGISHARI Bernard. Il a été arrêté le 25 mai 2011 en République démocratique du Congo (RDC) et remis au TPIR d'où il a été transféré au Rwanda le 24 juillet 2013. Condamné par la HCCIC à la prison à perpétuité, sa peine a été confirmée en appel le 24 décembre 2020.

NTAGANZWA Ladislas. Il a été appréhendé à Kiyeye-Nyanzare, dans l'Est de la RDC, le 8 décembre 2015, avant d’être transféré au Rwanda par le TPIR le 20 mars 2016. Il a été jugé et condamné le 28 mai 2020 à la prison à vie par la HCICC, peine confirmée en appel le 3 mars 2023. Son recours en révision est devant la Cour suprême depuis le 31 mars 2023.

KAYISHEMA Fulgence. Appréhendé en Afrique du Sud le 23 mai 2023, en attente de remise à la juridiction de l’Onu ou au Rwanda directement.

5 EXTRADÉS VERS LE RWANDA

BANDORA Charles. Extradé par la Norvège le 10 mars 2013. Condamné le 15 mai 2015 par la HCICC à une peine de 30 ans de prison. Peine confirmée en appel avec une requalification du crime d’entente en « planification » du génocide.

MBARUSHIMANA Emmanuel. Extradé par le Danemark le 3 juillet 2014. Jugé et condamné à la réclusion à perpétuité le 28 décembre 2017, peine confirmée en appel.

MUGIMBA Jean Baptiste. Extradé par les Pays-Bas le 12 novembre 2016. Jugé et condamné à 25 ans de prison par la HCICC le 17 mars 2021. Appel est en cours.

IYAMUREMYE Jean-Claude. Extradé des Pays-Bas le 12 novembre 2016. Jugé et condamné à 25 ans de prison par la HCICC le 30 juin 2021. Appel en cours.

TWAGIRAMUNGU Jean. Extradé d'Allemagne le 18 août 2017. Jugé et condamné à 25 ans de réclusion par la HCICC le 16 mars 2023. Appel en cours.

10 EXPULSÉS VERS LE RWANDA

KAGABA Enos. Expulsé des Etats-Unis le 26 avril 2005 car il avait été jugé et condamné par la juridiction Gacaca de Gishyita, à Kibuye, en son absence. Au Rwanda, il a demandé la révision de son procès et son appel a été autorisé. Il a été reconnu coupable et condamné à la prison à vie le 6 octobre 2011.

MUDAHINYUKA Jean Marie Vianney, alias Zuzu. Expulsé des États-Unis le 28 janvier 2011, jugé par deux juridictions Gacaca distinctes : devant le tribunal Gacaca de Rwezamenyo, il a été condamné à une peine de prison à vie, et devant le tribunal Gacaca de Nyakabanda il a écopé d’une peine de 19 ans.

MUKESHIMANA Marie-Claire. Expulsée des Etats-Unis le 27 décembre 2011, elle avait été condamnée par contumace par la juridiction Gacaca du Secteur Mbazi à 19 ans d'emprisonnement. Elle a demandé une révision de son cas. Son dossier est devant le tribunal de grande instance de Ngoma, dans le district de Huye.

MUGESERA Léon. Expulsé du Canada le 24 janvier 2012, son procès a été traité en vertu de la loi sur le transfert (comme une affaire d'extradition) en raison de l'accord conclu entre le Rwanda et le Canada avant son expulsion. Il a été jugé par la HCICC et a été condamné le 15 avril 2016 à une peine d'emprisonnement à perpétuité. La peine a été confirmée en appel le 24 décembre 2020.

NKUNDABAZUNGU Augustin. Expulsé d'Ouganda après y avoir été arrêté le 4 août 2010, il a été jugé et condamné à la réclusion à perpétuité par le tribunal Gacaca de Kiziguro, dans le district de Gatsibo, dans la province orientale du pays.

KWITONDA Jean Pierre, alias Kapalata. Expulsé d’Ouganda en novembre 2010, il a été jugé et condamné par la juridiction Gacaca de Gikondo à la réclusion à perpétuité. Il a demandé une révision de son affaire et celle-ci est toujours en attente d'une décision.

BIRINDABAGABO Jean-Paul alias Bagabo Daniel. Expulsé d’Ouganda le 15 janvier 2015, il a été jugé par le Tribunal de grande instance de Ngoma le 25 mai 2017 qui l'a condamné à la prison à vie. Peine confirmée en appel.

MUNYANEZA Jean de Dieu, alias Mutzig. Expulsé des Pays-Bas le 21 mars 2015, il avait été condamné par contumace devant les gacaca. Sa cause est entendue par le Tribunal de grande instance de Huye (sud).

SEYOBOKA Jean-Claude. Expulsé du Canada le 18 novembre 2016, il a été jugé par un Tribunal militaire car il était soldat au moment des faits. Condamné à la prison à vie le 3 décembre 2021 par la Cour militaire.

MUNYAKAZI Léopold. Expulsé des États-Unis le 28 septembre 2016, il a été jugé par le Tribunal intermédiaire de Muhanga et condamné à la prison à vie. En appel, la HCICC l’a acquitté le 20 juillet 2018 de toutes les charges de génocide mais l’a condamné à 9 ans pour révisionnisme.

26 JUGÉS À L’ÉTRANGER

NIYONTEZE Fulgence. Condamné en Suisse à 14 ans de prison le 25 mai 2000.

HIGANIRO Alphonse. Jugé et condamné en Belgique à 20 ans de prison en 2001.

Sœur MUKANGANGO Consolata. Jugée et condamnée en Belgique à 15 ans d'emprisonnement en 2001.

Sœur MUKABUTERA Julienne, dite sœur KIZITO. Jugée et condamnée en Belgique à 12 ans d'emprisonnement en 2001.

NTEZIMANA Vincent. Jugé et condamné en Belgique à 12 ans de prison en 2001.

NZABONIMANA Etienne. Jugé et condamné en Belgique à 12 ans de prison en 2005.

NDASHYIKIRWA Samuel. Jugé et condamné en Belgique à 10 ans de prison en 2005.

NTUYAHAGA Bernard. Jugé et condamné en Belgique à 20 ans d'emprisonnement en 2007.

MUNYANEZA Désiré. Jugé et condamné au Canada à la prison à vie en 2009.

NKEZABERA Ephrem. Décédé en 2009, en Belgique, après avoir fait appel d'une peine d'emprisonnement de 30 ans.

NERETSE Fabien. Jugé et condamné à 25 ans de prison en Belgique, en décembre 2019.

BAZARAMBA François. Jugé et condamné en Finlande à la prison à vie en 2012.

BUGINGO Sadi. Jugé et condamné en Norvège à 21 ans de prison.

MUNGWARERE Jacques. Jugé et acquitté au Canada en 2013.

SIMBIKANGWA Pascal. Jugé et condamné en France à 24 ans de prison en 2014. Peine confirmée en appel.

MBANENANDE Stanislas. Condamné en Suède à la réclusion à perpétuité en 2014.

RWABUKOMBE Onesphore. Condamné à la prison à vie en Allemagne le 29 décembre 2015.

NTACYOBATABARA Yvonne. Condamnée à 6 ans et 8 mois de prison aux Pays-Bas en 2013.

MPAMBARA Joseph. Condamné à la prison à vie aux Pays-Bas en 2010, après appel.

BERINKINDI Claver. Condamné à la prison à vie en Suède le 15 février 2017, après appel.

NGENZI Octavien. Condamné en France à la réclusion à perpétuité le 6 juillet 2016. Peine confirmée en appel en juillet 2018.

BARAHIRA Tito. Condamné en France à la réclusion à perpétuité le 6 juillet 2016. Peine confirmée en appel en juillet 2018.

RUKERATABARO Theodore. Condamné en Suède à la réclusion à perpétuité le 27 juin 2018. Peine confirmée en appel le 22 avril 2019.

MUHAYIMANA Claude. Condamné en France à 14 ans de prison le 17 décembre 2021.

BUCYIBARUTA Laurent. Condamné en France à vingt ans de prison le 12 juillet 2022.

HATEGEKIMANA Philippe, alias Philippe Manier. Jugé en France depuis le 10 mai 2023.

3 FUGITIFS DONT LES DOSSIERS ONT ÉTÉ TRANSFÉRÉS PAR LE TPIR AU RWANDA

SIKUBWABO Charles

RYANDIKAYO Charles

NDIMBATI Aloys

Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024