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Un procès en diffamation contre un espion très bavard, Maurice Dufresse, relance la polémique sur l'assassinat en 1988, demeuré impuni, de Dulcie September, représentante à Paris de l'African National Congress, le parti de Nelson Mandela. Maurice Dufresse, un ancien cadre de haut niveau de la DGSE, est poursuivi par Richard Rouget, alias Sanders. Rouget est un ancien mercenaire qui fut proche de Bob Denard et des réseaux suprématistes blancs sud-africains d'extrême droite. Dans son livre 25 ans dans les services secrets, publié, sous le pseudonyme Pierre Siramy, au printemps dernier, Maurice Dufresse -- auquel tout contact avec la presse est interdit en raison d'une autre procédure qui sera jugée ultérieurement -- accuse explicitement Richard Rouget d'assassinat. Le 29 mars 1988 à Paris, il aurait tué la Sud-Africaine Dulcie September. Sur la foi de propos qu'il prête à un agent de la DGSE dont il était l'officier traitant, il écrit à propos des accusations contre Rouget : « Cela semble limpide. Du béton. Le témoignage de ma source est de première main. »
Cette accusation pose deux problèmes d'importance. Le premier concerne le rôle de Rouget dans cette affaire, qui n'a jamais été précisément établi. La police française a travaillé sur cette hypothèse comme sur d'autres et n'est pas arrivée à des conclusions tangibles. Vingt-deux ans après les faits, Richard Rouget continue à se dire innocent de cet assassinat et poursuit Dufresse pour avoir écrit le contraire sans autre preuve que des déclarations rapportées d'une source qu'il décrit comme étant un certain « Claude M. » Que Dufresse a cité comme témoin à décharge dans son procès. C'est le second problème.
Un journaliste appointé par la DGSE
Car Claude M. existe bel et bien, et il s'est reconnu dans le livre de Dufresse-Siramy. Il s'appelle Claude Moniquet. Franco-belge, il fut longtemps journaliste à Paris, notamment à L'Express et au Quotidien de Paris. Enfin journaliste... seulement à mi-temps ! Car pour une bonne partie de son existence, il fut un agent de la DGSE. En carte, payé sur les fonds secrets, et fort actif durant des années. Notamment entre la France, l'Europe de l'Est et les Balkans. Profil pas si rare, venant enrichir une biographie nettement moins courante. Avant d'entamer cette double carrière, il fut durant les années 1970 un militant dur de l'extrême gauche radicale. Aujourd'hui "rangé des voitures", il anime une société prospère d'analyse stratégique et d'intelligence économique basée à Bruxelles, l' , qui travaille pour un grand nombre d'institutions étatiques et de grandes entreprises. Moniquet ne renie rien de son passé clandestin au service du drapeau français, dont ses confrères n'étaient généralement pas dupes. Il en est même très fier. Mais le fait que Siramy l'ait révélé publiquement dans son livre a constitué pour lui un choc terrible. Autrefois, il avait plutôt de la sympathie pour un personnage sans grand relief, sans doute, mais technicien compétent. À ses yeux aujourd'hui, Siramy appartient au monde des ténèbres : « Il a commis le crime absolu, trahir ses camarades et ses sources. » Moniquet est d'autant plus furieux qu'il affirme n'avoir jamais été en mesure de recueillir la moindre confidence de Richard Rouget sur la mort de Dulcie September, puisqu'il ne l'a jamais rencontré. De surcroît, il considère que l'assassinat est l'oeuvre des seuls Sud-Africains, qui s'en étaient déjà pris quelques jours plus tôt en Belgique à un autre militant de l'ANC, Godfrey Motsepe. Très bizarrement, Siramy a demandé à Moniquet de témoigner en sa faveur à son procès. Cette démarche saugrenue a incité Moniquet à fournir au contraire une attestation à... Richard Rouget !
Procès le 2 décembre
Dans ce document manuscrit daté du 15 octobre 2010 et titré "témoignage", que nous avons pu lire, Moniquet confirme « avoir été chargé de diverses missions de recherche suite à l'assassinat de Mme Dulcie September, et ce, pour le compte de la DGSE et sous l'autorité directe de M. Dufresse/Siramy (...). J'affirme sur l'honneur que le récit que M. Dufresse/Siramy fait de cette affaire est mensonger (...). Je ne connaissais M. Rouget que de vue, et je n'ai jamais parlé avec lui. Il ne m'a donc jamais déclaré qu'il aurait été l'assassin de Mme September ou qu'il aurait participé de quelque manière que ce soit à la conception, la planification et la réalisation de l'assassinat de Mme September. J'ajoute qu'aucune de mes sources n'a jamais prétendu que M. Rouget aurait tenu de tels propos devant elle. Tout ceci sort donc de l'imagination fertile de M. Dufresse/Siramy ». Accessoirement, Claude Moniquet -- qui traite le "cas" Dufresse -- conteste avoir été recruté par Dufresse, et travaillait pour la DGSE depuis plusieurs années lorsqu'il l'a rencontré.
Maurice Dufresse, alias Pierre Siramy, ne comparaîtra finalement pas le 16 novembre prochain, mais le 2 décembre, devant la 17e chambre du tribunal de grande instance de Paris. Ce délai "technique" est dû à une demande de report de l'audience présentée par l'avocat de l'éditeur Flammarion.