Fiche du document numéro 32468

Num
32468
Date
Jeudi 14 novembre 1996
Amj
Taille
17033
Titre
L'absurde référence ethnique
Nom cité
Lieu cité
Lieu cité
Mot-clé
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
LA querelle sur la nationalité n'est pas nouvelle au Zaïre ; elle couve comme une endémie et renaît périodiquement dans cet immense territoire qui n'a jamais réussi à devenir une nation. Périodiquement, l'utopique croyance en l'existence de l'homme autochtone, issu du sol, pousse à chasser le voisin comme un étranger usurpateur et dangereux. Les purifications ethniques du Kasaï comme celles du Shaba-Katanga, et même -- déjà ! -- du Kivu, sont dans toutes les mémoires. Elles sont antérieures au génocide rwandais et à l'afflux des réfugiés dans la région des Grands Lacs.

L'indifférence de Kinshasa aux massacres du Masisi, hier, et la guerre déclarée aujourd'hui, au Sud-Kivu, à des Zaïrois censés ne pas être autochtones illustrent la difficulté d'être Zaïrois dans un pays où cette identité demeure la plus fragile parmi une multiplicité d'autres.

En arrivant au Rwanda, l'étranger qui apprenait la langue et acceptait de partager le destin commun des Rwandais cessait d'être étranger et devenait Rwandais : un citoyen nommé Habyarimana, qui aura laissé une trace durable dans son pays, était un Rwandais de la première génération. En arrivant au Zaïre, au contraire, on ne cesse pas d'être étranger. Dans les années 80, on faisait observer à Mobutu qu'un décret ôtant la nationalité zaïroise aux Rwandais risquait un jour d'être utilisé contre lui-même.

Parmi les Zaïrois qui combattent aujourd'hui les Banyamulenges, il y en a dont l'arrivée au Zaïre est infiniment plus récente et qui feraient peut-être bien de réfléchir au malheur infligé à ces pauvres gens installés dans leurs montagnes depuis près de deux siècles.

L'afflux récent de réfugiés rwandais à qui le système Habyarimana aux abois avait présenté le retour de réfugiés tutsis comme une menace mortelle avant de les emmener en exil comme otages n'a pas arrangé les choses. A côté d'innocents non encore identifiés par la justice, cette masse comprend des tueurs dont l'ethnie est la référence suprême et le génocide, le remède à tous les maux.

Avec le massacre du Masisi et la chasse aux Banyamulenges, le Zaïre est ainsi devenu une étape d'un projet qui relie le génocide rwandais et la crise burundaise. Un projet explicite qui s'exprime aujourd'hui encore jusqu'à l'intérieur du Rwanda et dont le fondement est la croyance utopique en une région ethniquement purifiée où le paradis viendrait avec l'extermination du dernier Tutsi.

Pour endiguer ces pulsions suicidaires, la « communauté internationale » est -- hélas ! -- de peu de secours. D'abord parce qu'elle ne peut ou ne veut voir que la queue du cyclone : les masses de peuples déplacés, et ne montre qu'une indignation incohérente. Silencieuse sur les massacres du Masisi, elle réclamait de masser des troupes tout près des lieux de ces massacres pour préserver le Burundi d'un génocide éventuel. Incapable de séparer les bourreaux des innocents dans les camps de réfugiés rwandais, et même d'éloigner ces camps à la distance qu'elle a elle-même fixée, cette « communauté » déplore à peine les infiltrations en territoire rwandais à partir de ces camps et s'alarme bruyamment de l'accueil musclé que les infiltrés trouvent au Rwanda.

Réclamant sans cesse d'intervenir pour empêcher les catastrophes, elle évacue au plus vite dès que ces catastrophes éclatent. Ainsi, pour cette « communauté internationale », les Banyamulenges ne sont-ils déjà plus qu'un souvenir. Elle ne s'intéresse désormais qu'aux réfugiés fuyant leurs lieux de refuge.

Cette « communauté » n'est peut-être qu'un mirage. Il existe, par contre, des Etats bien réels qui affichent une ferme adhésion à une diplomatie préventive. Si elle a un sens, cette diplomatie devrait s'employer davantage à décourager ceux qui, dans la région, s'imaginent capables de détruire autrui sans encourir aucun dommage. Elle devrait prendre garde à ne jamais donner à penser qu'il peut y avoir quelque indulgence à l'égard du génocide. Elle devrait employer ses alliances, ses amitiés et ses ressources à la consolidation de l'identité citoyenne dans une région où la paix ne viendra que le jour où chacun aura dépassé sa référence « ethnique ».

Une citoyenneté qui n'est ni une donnée de la nature ni un droit lié à quelque chronologie incertaine des arrivées. Une citoyenneté qui est une volonté politique et qui peut seule fonder un Etat de droit.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024