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La cour d’appel de Paris a débouté jeudi deux associations qui réclamaient des dommages et intérêts à la journaliste Natacha Polony pour contestation du génocide des Tutsi au Rwanda en 1994, une première en France.
« Aucune faute civile n’est caractérisée », a indiqué jeudi le président de la cour, confirmant le jugement de première instance, rendu le 20 mai 2022.
Le tribunal judiciaire avait alors également relaxé la journaliste des poursuites pénales à son encontre, une relaxe définitivement acquise, les parties civiles ne pouvant faire appel qu’à propos de leurs demandes de dommages et intérêts.
« Les propos poursuivis ne caractérisent pas une contestation du crime de génocide », a estimé la cour dans son arrêt, consulté par l’AFP.
La directrice de la rédaction de l’hebdomadaire Marianne, présente au délibéré, était mise en cause pour des propos tenus le 18 mars 2018 sur France Inter.
« Malheureusement, on est typiquement dans le genre de cas où on avait des salauds face à d’autres salauds (...), il n’y avait pas d’un côté les gentils et de l’autre les méchants dans cette histoire », avait-elle déclaré.
Ces propos avaient suscité un vif émoi et poussé l’association de soutien aux victimes du génocide rwandais Ibuka France à porter plainte avec constitution de partie civile, rejointe par le Mrap et l’Association communauté rwandaise de France. Seules les deux premières avaient fait appel.
Si les expressions utilisées « ne peuvent qu’être difficilement ressenties par les victimes du génocide, elles ne caractérisent nullement une volonté de banaliser de façon outrancière son existence », argumente la cour dans son arrêt.
Elle souligne que lors de l’émission, « Le Duel », Natacha Polony affirme à deux reprises la réalité du génocide et qu’elle n’est « pas en mesure de développer son argumentation et d’expliquer ses propos, ayant systématiquement été interrompue » par son interlocuteur, Raphaël Glucksmann, aujourd’hui député européen (Place Publique).
A l’audience, la journaliste avait expliqué que le terme « salauds » se référait aux dirigeants, non à la population, et aux « crimes du Front patriotique rwandais (FPR, majoritairement Tutsi) de Paul Kagame commis avant, pendant et après le génocide ».
« Je ne peux que me réjouir que la justice et le bon sens l’aient emporté », a réagi Natacha Polony auprès de l’AFP, estimant qu’« il y avait quelque chose d’absurde dans ce procès ».
La journaliste a aussi déploré « l’acharnement » des associations plaignantes à la poursuivre au nom d’un délit « extrêmement grave », y voyant « une façon de faire taire ceux qui veulent porter une critique argumentée de Paul Kagame », président du Rwanda depuis 23 ans.
Depuis 2017, la loi sur la liberté de la presse punit le fait de nier, minorer ou banaliser de façon outrancière tous les génocides reconnus par la France et pas seulement celui des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale.
Natacha Polony était la première à comparaître devant la justice française pour « contestation de l’existence de crime contre l’humanité » au Rwanda.
Le génocide au Rwanda a fait plus de 800.000 morts selon l’ONU, essentiellement des Tutsi exterminés entre avril et juillet 1994.