Fiche du document numéro 32139

Num
32139
Date
Mardi 7 juillet 1998
Amj
Auteur
Taille
2651282
Titre
Audition de M. Yannick Gérard, ambassadeur en Ouganda (18 août 1990-6 août 1993)
Nom cité
Source
MIP
Fonds d'archives
MIP
Extrait de
MIP, Auditions
Type
Audition
Langue
FR
Citation
Audition de M. Yannick GÉRARD
Ambassadeur en Ouganda (18 août 1990-6 août 1993)
(séance du 7 juillet 1998)
Présidence de M. Paul Quilès, Président
Le Président Paul Quilès a accueilli M. Yannick Gérard,
Ambassadeur en Ouganda du 18 août 1990 au 6 août 1993. Il a rappelé qu’il
était en fonction à Kampala lorsque le FPR, basé en Ouganda, a lancé son
offensive le 1er octobre 1990 et qu’il a également suivi, entre 1990 et 1993,
l’évolution de la situation, caractérisée par des alternances de négociations,
de cessez-le-feu et de reprise de la guérilla. Il a participé à la tentative de
mise en place d’un dispositif d’observation militaire à la frontière entre
l’Ouganda et le Rwanda. Il était toujours en fonction lorsque le processus de
négociation des accords de paix d’Arusha s’est achevé en août 1993. Son
témoignage donnera la possibilité d’apprécier la position de l’Ouganda dans
le conflit rwandais et de mieux comprendre les relations qu’entretenaient les
autorités ougandaises avec le FPR.
M. Yannick Gérard a indiqué qu’il avait effectivement pris ses
fonctions en Ouganda environ six semaines avant l’invasion du Rwanda par
le FPR et qu’il les avait exercées jusqu’à deux ou trois jours après les
accords d’Arusha.
Il a précisé qu’en ce qui concernait l’action du FPR au Rwanda, le
secret devait être bien gardé car quasiment personne ne parlait de
l’éventualité d’une telle attaque à partir de l’Ouganda. Les forces ayant mené
cette attaque comptaient, au début, près de 4 000 à 5 000 hommes, dont la
quasi-totalité appartenait à l’armée ougandaise qu’ils avaient quittée avec
armes et bagages le 1er octobre pour entrer au Rwanda.
Il a estimé qu’il était difficile de mesurer avec exactitude le degré de
responsabilité personnelle de Museveni dans le déclenchement du conflit, et
que l’alternative suivante était envisageable, soit il ignorait les préparatifs
comme il a voulu le faire croire pendant un certain temps au monde entier,
soit il les a lui-même personnellement organisés. De ces deux thèses, la
première ne paraît guère plausible compte tenu des informations disponibles
concernant l’assistance, au moins logistique que la NRA (National Resistance
Army), a apportée par la suite aux rebelles et de l’appui diplomatique que
Museveni n’a pas ménagé au FPR pendant toutes ces années. Avec le recul
du temps et une meilleure connaissance de sa pensée et de sa façon d’agir,
notamment à propos du sud Soudan, la seconde hypothèse selon laquelle il
aurait lui-même organisé, orchestré l’offensive d’octobre 1990, ne paraît pas
invraisemblable, mais il est difficile de mesurer avec précision le degré de son
implication personnelle dans le déclenchement de cette offensive.
Pour mieux faire comprendre ce qui s’est effectivement passé,
M. Yannick Gérard a souligné l’étroitesse des liens personnels qui unissaient
Museveni aux Tutsis rwandais vivant en Ouganda. Ceux-ci provenaient de
deux vagues successives d’immigration. La première, qui remonte au début
du XXème siècle, était composée de Rwandais fuyant la colonisation belge
pour venir travailler dans les plantations britanniques dont le protectorat était
réputé moins oppressif. Elle résultait également des échanges de territoires
entre colonisateurs européens en 1910. La seconde vague d’immigration de
1959-60 avait été provoquée par la prise du pouvoir à Kigali par les Hutus et
ne concernait qu’une partie des émigrants qui s’étaient également réfugiés
dans divers pays voisins du Rwanda : Zaïre, Ouganda, Burundi, Tanzanie. En
1960, ces Tutsis rwandais installés en Ouganda étaient estimés à 75.000 par
le Haut Commissariat aux Réfugiés. En 1991, le recensement national officiel
évaluait leur nombre à 247.000. Il s’agissait de l’ensemble des réfugiés de
1959, de leurs familles et de leurs descendants qui ne possédaient pas la
nationalité ougandaise.
Ayant été plus ou moins persécutés par les régimes d’Amin Dada et
d’Obote, considérés comme des étrangers aux droits incertains, installés pour
la plupart dans le sud, dans l’ouest et dans le sud-ouest du pays, apparentés
ethniquement aux Bahima d’Ouganda, les enfants de réfugiés rwandais ont,
depuis le début de la lutte armée de Museveni contre le régime Obote, de
1980 à 1985, constitué une clientèle et un vivier de recrutement pour les
forces participant à cette lutte et ils ont permis à Museveni de parvenir au
pouvoir en janvier 1986. Au lendemain de la prise de Kampala et dans les
années qui ont suivi, les postes les plus importants de la défense ougandaise
et les principales fonctions de commandement au sein de l’armée ougandaise
ont été occupés par ces Tutsis. Fred Rwigyema, ordonnance de Museveni
pendant toutes les années de guérilla interne et vice-Ministre de la Défense,
est devenu le chef des rebelles lors de l’offensive d’octobre 1990 et a été tué
dans les tous premiers jours de cette offensive. Le Colonel Banyingana,
décédé au début de l’invasion, ancien chef des services médicaux de l’armée
ougandaise, était un autre de ces rebelles tutsis et le Major Kagame avait été
chef des services de renseignement de l’armée ougandaise. Les principaux
commandements régionaux, notamment dans le nord et le nord-est du pays
étaient entre les mains de ce que l’on appelait là-bas les Banyarwanda, les
Rwandais installés en Ouganda. Ceux-ci étaient souvent choisis pour suivre
des stages de formation complémentaire aux Etats-Unis.
M. Yannick Gérard a considéré que l’hypothèse d’un pacte conclu
pendant la période de guérilla avec Museveni au terme duquel, une fois la
victoire acquise et consolidée en Ouganda, celui-ci aiderait le FPR dans la
mesure de ses moyens à reconquérir le pouvoir au Rwanda, était tout à fait
probable. Tout indique que, dès le début de l’attaque, en octobre 1990,
Museveni savait qu’il ne pouvait pas, vis-à-vis de la communauté
internationale et de la population ougandaise, apporter une assistance
ouverte aux rebelles rwandais. La première réaction officielle du
gouvernement ougandais, le 2 octobre 1990, a d’ailleurs été de dire : « Nous
condamnons cette action qui a été menée à partir de notre territoire. » et
d’annoncer des mesures solennelles comme la fermeture de la frontière, la
prohibition de l’assistance aux rebelles et l’interdiction de leur retour en
Ouganda.
Le Président Museveni était en voyage à New York à l’assemblée
des Nations Unies au moment du déclenchement de l’offensive. Dès son
retour, le 10 octobre, il s’est employé à démontrer sur un plan diplomatique
la justesse de la cause des rebelles. Déjà en 1989, dans un entretien avec le
Président Habyarimana, il l’avait mis en garde contre le mécontentement des
réfugiés rwandais en Ouganda qui souhaitaient obtenir le droit de rentrer
dans leur pays. Il se défendait d’avoir été informé de leur projet d’attaque et
continuait donc officiellement à la condamner, tout en estimant que le
problème devait pouvoir trouver une solution négociée. Il affirmait que
l’Ouganda et l’armée ougandaise n’apportaient aucune assistance aux
rebelles, mais qu’il était possible qu’il y ait quelques complicités individuelles
la frontière n’étant pas imperméable. Il prétendait que l’Ouganda ne pouvait
pas être tenue pour responsable dans cette affaire, le pays n’étant pas en
mesure de retenir des gens qui voulaient rentrer chez eux. Enfin, il ajoutait
que la communauté internationale était la bienvenue pour déployer des
observateurs à la frontière si elle voulait s’assurer qu’aucune assistance
n’était prodiguée aux rebelles à partir de l’Ouganda.
Dans les nombreux entretiens diplomatiques confidentiels que la
représentation diplomatique française a eus avec lui de 1991 à 1993, le
Président Museveni a par la suite, reconnu qu’il conservait une influence sur
les principaux rebelles qui étaient partis d’Ouganda. Il admettait également,
surtout à partir de la constitution à Kigali d’un gouvernement de coalition en
avril 1992, que la France exerçait d’importantes pressions sur le Président
Habyarimana afin notamment d’encourager les autorités rwandaises à
négocier un règlement du conflit. Il continuait d’estimer que le Président
rwandais se comportait en chef de tribu et non pas en homme d’État. A
certains moments, il a critiqué les conséquences de la présence militaire
française au Rwanda qui, selon lui, retardait le règlement du conflit et
renforçait « l’intransigeance » du régime Habyarimana. Les informations qui
ont été recueillies au fil des mois par la diplomatie française attestent bien
qu’une aide, au moins logistique, a été apportée aux rebelles par l’armée
ougandaise. La lettre d’avril 1993 dans laquelle le Président du FPR reproche
au secrétaire général des Nations unies de vouloir couper les lignes
d’approvisionnement de ses forces en envisageant un déploiement
d’observateurs à la frontière ougandaise, confirme ce qui était depuis
longtemps une quasi-certitude.
M. Yannick Gérard a toutefois fait remarquer qu’en près de trois
ans d’appui ougandais aux rebelles, d’autres pays, tels que la Grande
Bretagne ou les Etats-Unis, semblaient ne pas avoir tenu beaucoup rigueur
au Président Museveni de cette politique. Tous ces pays, de même que
l’Allemagne ou les pays nordiques ont maintenu leur coopération avec
l’Ouganda comme si de rien n’était.
Il a noté que, même dans son pays, le Président Museveni n’avait
jamais cherché à transformer l’appui qu’il apportait aux rebelles en cause
nationale. L’assistance qu’il leur a prodiguée a toujours été clandestine. Cette
attitude trouvait sa justification dans le fait qu’en Ouganda l’ethnie bahima,
celle du Président Museveni et bien évidemment les Banyarwandas civils,
éprouvaient une réelle sympathie pour le FPR, que ne partageait pas la
vingtaine d’autres tribus composant la population. Au départ du FPR, le
sentiment de la majorité de la population ougandaise pourrait être résumé
dans la formule : « Bon débarras ! » La politique du Président Museveni
vis-à-vis du FPR provoquait plutôt de l’inquiétude, sans qu’elle n’ait jamais
été remise en cause publiquement. Il n’y a pas eu le débat au Parlement
ougandais sur cette question. L’inquiétude ressentie par les Ougandais du
nord portait sur les répercussions au plan international de cette politique.
D’une façon générale, le langage très clair que Museveni tenait devant les
diplomates au sujet du Sud-Soudan paraît assez bien transposable pour
définir son attitude à l’égard du conflit rwandais : il disait qu’il fallait
négocier et rechercher un règlement politique mais, à défaut d’obtenir
satisfaction dans le cadre des négociations, les armes auraient le dernier mot.
M. Yannick Gérard a ensuite évoqué les contacts qu’il avait eus
avec les représentants du FPR à Kampala. Pendant trois ans, il a saisi toutes
les occasions, notamment les demandes de visas, pour maintenir le contact
avec les représentants du FPR et certains d’entre eux étaient venus lui
expliquer leur cause dès octobre 1990, quelques jours après le début des
combats. Les initiatives de ces rencontres étaient partagées mais venaient
généralement de leur part lorsqu’ils avaient un message à faire passer. Il a
précisé qu’il n’avait pas rencontré les trois principaux dirigeants rebelles, tués
dès le début de la guerre, MM. Rwigyema, Banyingana et Bunyenyezi. Il a
indiqué avoir eu, en revanche, plusieurs entretiens avec le Major Kagame en
septembre 1991, en septembre 1992 et en juillet 1993, ainsi qu’avec le
Colonel Kanyarengwe qui était le Président du FPR, avec Pasteur
Bizimungu, Tito Rutaremara, boursier du gouvernement français pendant
huit ans et quelques autres comme Jacques Bihozagara, M. Patrick
Mazimpaka, ou Théogène Rudasingwa. Selon les circonstances, combats ou
négociations, ces contacts ont été plus ou moins faciles mais se sont toujours
déroulés dans la courtoisie. A partir du moment où les négociations d’Arusha
se sont vraiment nouées, de juillet 1992 jusqu’en 1993, ces contacts avec le
FPR se sont raréfiés.
De ces rencontres, M. Yannick Gérard a dit qu’il avait retiré, dès le
début du conflit, l’impression d’un groupe déterminé, composé de nombreux
éléments, intelligents, voire brillants pour certains d’entre eux. Il était clair
qu’ils disposaient d’un réseau de contacts que leur offrait la diaspora tutsie
un peu partout, aux Etats-Unis, en Belgique, au Zaïre, au Burundi, et que
cette diaspora était financièrement à l’aise. Le programme politique du FPR
tel qu’il a été présenté en octobre-novembre 1990 s’inspirait, jusqu’à la
caricature, de celui du NRM (National Resistance Movement), le mouvement
politique ougandais que Museveni avait lancé pendant sa guérilla dans les
années 1980. Il était clair aussi que les rebelles rwandais, lors de l’offensive
d’octobre, étaient partis avec la conviction qu’ils allaient pouvoir reproduire
au Rwanda ce qu’ils avaient fait en Ouganda avec Museveni.
Bien qu’ils aient affirmé au cours de ces trois années ne rien avoir
contre la France, ils indiquaient cependant qu’ils ne comprenaient pas ce qui
leur apparaissait comme un soutien au régime d’Habyarimana. Souvent, ils
espéraient qu’une fois la question réglée, la coopération entre la France et le
peuple rwandais réconcilié avec lui-même, pourrait reprendre et se
développer. A chacune de leurs rencontres, M. Yannick Gérard a précisé
qu’il avait toujours mis l’accent sur les efforts permanents développés par la
France à Kigali pour promouvoir le dialogue, l’ouverture et la réconciliation
nationale de tous les Rwandais, et souligné, en s’appuyant sur la Constitution
de 1991 ou le gouvernement de coalition de 1992, que ces efforts avaient
porté leurs fruits. Il expliquait que la France était disposée à soutenir tout
accord, tout compromis politique et pacifique qui résulterait des négociations
d’Arusha. D’ailleurs, au lendemain de ces accords, le FPR a remercié par
écrit la France des efforts qu’elle avait faits pour soutenir les négociations.
C’est sur cette note optimiste et confiante que son séjour en Ouganda s’est
achevé.
Le Président Paul Quilès a fait tout d’abord allusion à une
rencontre entre les Présidents rwandais et ougandais le 17 octobre 1990 au
cours de laquelle avaient été dégagés les principes d’un règlement portant
aussi bien sur le dialogue intérieur au Rwanda et les conditions d’un
cessez-le-feu, que sur la mise en place d’une conférence régionale ; il a
souhaité connaître la position réelle du Président Museveni par rapport à
l’ensemble de ces questions : souscrivait-il à ces principes de bonne foi,
était-il réellement disposé à favoriser leur application ? Rappelant que le
Président Museveni avait été Président en exercice de l’OUA, il a demandé
quel était son rôle en cette qualité et quelles avaient été les suites de sa
rencontre avec le Ministre de la Coopération, M. Jacques Pelletier, en
novembre 1990.
M. Yannick Gérard a indiqué, que s’agissant de la conférence du
17 octobre 1990 à Mwanza entre les Présidents Museveni et Habyarimana, il
croyait se souvenir qu’elle comprenait également des représentants de la
Tanzanie, du Burundi, du Zaïre et d’autres pays. Bien qu’il n’ait plus en tête
les principes résultant de cette rencontre, il a estimé que certains d’entre eux
impliquaient des changements dans la politique rwandaise, concernant
notamment le libre retour des réfugiés rwandais et la tenue d’une conférence
régionale dont il convenait de fixer la portée. Les années 1990 à 1992 ont été
marquées par une série de rencontres un peu comparables à cette conférence
de Mwanza auxquelles participaient notamment le FPR et le gouvernement
rwandais.
Le Président Museveni a manifestement adhéré à ce processus qui
allait dans le sens qu’il souhaitait, ce qui est de nature à expliquer l’absence
de réelle évolution jusqu’à ce que la négociation ne se noue véritablement.
Celle-ci débutera réellement à partir de juillet 1992, quelque temps après la
mise en place d’un gouvernement de coalition au Rwanda.
L’activité de l’OUA n’a pas été particulièrement marquée par la
présidence, de juin 1990 à juin 1991, de Museveni qui a adopté pendant cette
période un profil très bas. La question s’est posée d’éventuelles interférences
de l’attaque du FPR sur l’exercice de son mandat. Finalement, avec le recul
du temps, il apparaît qu’il n’y avait pas vraiment de relation significative à
établir entre les deux événements.
Il a ensuite précisé que M. Jean-Christophe Mitterrand
accompagnait M. Jacques Pelletier lors de sa visite à Kampala en novembre
1990. Au cours de leurs entretiens avec le Président Museveni, celui-ci a
développé les positions officielles selon lesquelles il ignorait les actions
entreprises par le FPR, en les nuançant toutefois par l’évocation du problème
du retour des réfugiés dont la solution découlait d’une évolution du régime
rwandais. Cette dernière préoccupation était aussi celle de la France qui
souhaitait notamment l’ouverture du régime d’Habyarimana à l’opposition.
D’autres visites ministérielles ont suivi celles du Ministre de la Coopération
et, en sa qualité d’ambassadeur, il a souvent eu pour instruction de rendre
visite au Président Museveni pour l’entretenir des positions françaises.
M. Pierre Brana a demandé si, au cours des rencontres avec les
diverses délégations du FPR, M. Yannick Gérard avait pu noter des nuances,
voire des divergences, dans le discours tenu, et si l’accord de sécurité
mutuelle signé entre l’Ouganda et le Rwanda correspondait à une volonté
réelle de l’Ouganda de stopper les infiltrations du FPR vers le Rwanda. Il a
également fait part de ses interrogations sur le sens qu’il fallait donner à la
participation, en qualité d’observateur, de l’Ouganda aux négociations
d’Arusha. Enfin, il a souhaité savoir si la concomitance de l’attaque du FPR
avec l’exercice de la présidence de l’OUA par Museveni pouvait être
interprétée comme marquant sa volonté de manifester son absence
d’implication dans le conflit, voire comme une tentative de freiner toute
initiative qu’aurait pu envisager l’organisation africaine.
M. Yannick Gérard a tout d’abord précisé qu’il existait des
variantes dans le discours de ses interlocuteurs, mais que celles-ci tenaient
plus à leur qualité et à leur place dans la hiérarchie interne du mouvement
FPR. Parce qu’il en était l’animateur, M .Paul Kagame pouvait se permettre
un langage plus souple, donnant parfois l’impression d’ouverture. Il avait une
plus grande latitude dans son expression que d’autres représentants du FPR à
des niveaux moins élevés ou appartenant à l’autre ethnie. Le ton du discours
a varié dans le temps, selon que l’on était dans une phase où les négociations
pouvaient donner l’impression de progresser, de bien évoluer ou dans une
phase de combats. Pendant toute cette période, l’alternance des situations
expliquait les variations de la tonalité du discours. Par contre, dans la
présentation par le FPR de la cause qu’il défendait, le discours fut toujours le
même. La doctrine n’a pas évolué au cours de ces trois années, comme si elle
avait été bien mise au point avant le début du conflit. De même, lorsque les
membres du FPR se défendaient d’appartenir à un mouvement ethnique,
leurs théories et leurs argumentations ne variaient presque pas.
Il a constaté que la présence à Kampala de membres du FPR n’était
a priori pas compatible avec la politique officielle du Gouvernement
ougandais, celui-ci ayant déclaré dès octobre 1990 qu’ils étaient des
déserteurs, devaient être considérés comme des traîtres et arrêtés s’ils
revenaient sur le territoire ougandais. Tel n’était manifestement pas le cas.
Qu’il y ait eu des tensions entre les uns et les autres, entre le pouvoir
ougandais et le mouvement FPR, cela n’a jamais vraiment transparu dans les
contacts qu’il a eus avec eux. Mais il est possible, même probable, qu’à
certains moments, en particulier en février 1993, lorsque le FPR a lancé une
offensive généralisée au Rwanda, le Président ougandais ait essayé de le
convaincre de ne pas pousser l’avantage trop loin, ne serait-ce qu’en termes
tactiques. Tel était, semble-t-il, sa position à l’époque malgré les inévitables
divergences d’approche tactique entre Museveni et les dirigeants du FPR
sans pour autant qu’il y ait eu de véritables tensions politiques.
M. Yannick Gérard a estimé que la signature de l’accord de
coopération mutuelle sur la surveillance de la frontière ougando-rwandaise
du 8 août 1991 constituait plus un signe donné à la communauté
internationale que la manifestation d’une volonté réelle de l’Ouganda. En
effet, il s’agissait plus d’un effet d’affichage dans la mesure où il était loisible
de revendiquer le déploiement d’observateurs à la frontière tout en sachant
que sa configuration sur 250 kilomètres dans une région montagneuse en
empêchait de facto la réalisation effective, d’autant plus que l’essentiel du
soutien ougandais au FPR se déroulait de nuit.
Il a ensuite considéré que la personnalité du Secrétaire d’Etat
ougandais, désigné comme observateur aux négociations d’Arusha pouvait
être un indice du rôle modérateur que l’Ouganda aurait pu jouer auprès du
FPR. Cette impression est étayée par le fait qu’il était de l’intérêt de
l’Ouganda d’afficher une telle attitude, mais aussi par la bonne connaissance
de la scène internationale qu’avait le Président Museveni et qui le poussait à
encourager le FPR à se montrer plus modéré.
Enfin, M. Yannick Gérard a estimé qu’il était difficile de répondre à
la question de savoir s’il existait un rapport entre l’exercice de la présidence
de l’OUA par Museveni et le début du conflit. Il n’a pas totalement exclu que
le Président Museveni ait pu envisager d’utiliser son mandat pour pouvoir se
disculper par la suite, mais il a souligné qu’il fallait toutefois garder présent à
l’esprit que l’OUA n’était pas une institution connue pour avoir des
interventions de poids. Le Président Museveni n’avait donc pas dû
s’inquiéter des réactions qu’aurait pu avoir l’OUA ou les appréhender outre
mesure.
M. Bernard Cazeneuve a souhaité savoir si le Président Museveni
aurait pu s’appuyer sur sa présidence de l’OUA pour encourager l’action du
FPR en l’assurant d’une neutralité bienveillante de l’organisation.
M. Yannick Gérard a tout d’abord rejeté cette hypothèse, estimant
que l’exercice de la présidence de l’OUA ne pouvait qu’inciter Museveni à
prendre un peu de recul ou à avoir une attitude relativement réservée par
rapport à cette affaire. Toutefois, il a considéré, au regard des actions
modestes de l’OUA sur la question, qu’aucune hypothèse n’était à exclure
tout en soulignant que cette circonstance n’avait sans doute pas dû être un
élément décisif dans l’engagement du FPR.
Rappelant qu’à la suite d’une réunion des Ministres des Affaires
étrangères du Rwanda et de l’Ouganda à Paris, le 14 août 1991, la France
s’était vu confier la mission de recueillir toute information sur les violations
du cessez-le-feu, le Président Paul Quilès a souhaité savoir si le travail de la
mission d’observation française dirigée par l’ambassadeur Gendreau qui a
procédé à une surveillance de la frontière rwando-ougandaise entre
novembre 1991 et mars 1992, avait été facilité par les autorités ougandaises
et si les forces françaises avaient été autorisées à franchir la frontière
ougandaise dans le cadre de cette mission.
M. Yannick Gérard a indiqué que la question du franchissement de
la frontière par les forces françaises du Rwanda ne s’était jamais posée. Il
s’agissait d’une mission temporaire dont l’objet était de recueillir des
informations lorsque l’un des deux gouvernements se plaignait d’agissements
de la part de son voisin sur son territoire. L’Ambassadeur Gendreau s’est
effectivement rendu sur le terrain, à plusieurs reprises, du côté rwandais et à
deux reprises, du côté ougandais dans le cadre d’échanges d’informations.
Le Président Paul Quilès a fait part de ses interrogations sur
l’intérêt d’une telle mission.
M. Yannick Gérard a précisé que la mission avait pour objet de
montrer tout l’intérêt que la France manifestait sur le sujet, d’illustrer sa
volonté, dans la continuation de la rencontre des ministres des Affaires
étrangères rwandais et ougandais, de jouer un rôle dans cette affaire, mais
que les travaux de la mission n’avaient vraisemblablement pas eu un impact
décisif sur l’évolution du conflit.
A M. Bernard Cazeneuve, qui relatait le contenu d’articles de
presse indiquant que certains militaires français avaient franchi la frontière,
dans le cadre d’opérations dites spéciales, pour des missions de
reconnaissance, M. Yannick Gérard a répondu qu’il n’avait jamais eu
d’échos particuliers sur de telles actions.
Le Président Paul Quilès a souligné qu’à la suite de la constitution
du premier gouvernement pluripartite au Rwanda en avril 1992, la France
avait demandé à l’Ouganda de faire pression sur le FPR pour qu’il abandonne
la lutte armée. Il a souhaité connaître quelles avaient été les réactions du
gouvernement ougandais à cette demande.
M. Yannick Gérard a rappelé que le mois d’avril 1992 avait
constitué un tournant pour l’action diplomatique française puisqu’elle a pu,
dès lors, arguer d’un résultat considérable dans les pressions qu’elle avait
exercées pour faire évoluer les positions rwandaises. Il n’a pas été en mesure
de préciser les propos qui lui ont été alors tenus mais a noté que quelques
mois plus tard, à partir de juin ou juillet, les négociations se sont engagées.
Le Ministre des Affaires étrangères rwandais, M .Ngulinzira, a engagé un
véritable dialogue, les premiers contacts ayant eu lieu à Kampala en juin
1992. S’il y a eu un début de réelle négociation, le FPR n’a toutefois pas
renoncé à la dimension militaire de son action.
M. Jacques Myard a demandé des précisions sur la lettre que le
FPR aurait adressé au gouvernement français en 1993.
M. Yannick Gérard a précisé qu’il avait fait allusion à une lettre de
remerciement, datée d’août ou septembre 1993, émanant soit de M. Paul
Kagame, soit du Colonel Kanyarengwe, Président du FPR, pour le rôle que
la France avait joué en encourageant les négociations d’Arusha.
Revenant sur les propos antérieurs de M. Yannick Gérard,
M. Jacques Myard a souhaité savoir si le sentiment de soulagement suscité
par le départ des Tutsis rwandais du territoire ougandais était largement
partagé et s’il était lié à des incidents entre les deux populations.
M. Yannick Gérard a indiqué que, contrairement à l’époque d’Idi
Amin Dada et d’Obote, il n’y avait pas d’incidents avec la population
d’origine rwandaise en 1990 mais que celle-ci était encore perçue comme
étrangère et donnait aux nationaux l’impression de réussir dans les affaires.
De même, les Tutsis rwandais étaient nombreux dans l’administration
ougandaise qui n’appliquait pas la règle de l’appartenance nationale pour ses
recrutements, d’où une certaine jalousie de la part de la population d’origine
ougandaise.

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