Fiche du document numéro 32076

Num
32076
Date
Jeudi 10 avril 2014
Amj
Taille
1347226
Titre
Rwanda - Opération Turquoise - entre mythes et réalités
Mot-clé
Type
Blog
Langue
FR
Citation
Values in action – Des valeurs en action

Rwanda – Opération Turquoise – entre mythes
et réalités 10 April 2014
20 ans après
les massacres
de 1994 alors
que
le
président
Kagamé
Mission RECO nord Rwanda 23 juin – droits réservés – reproduction interdite CH mettait
à
nouveau
en
cause le rôle de la France, un ancien officier a donné sur une radio du service public une version
étrange de l’opération Turquoise (23 juin-22 août 1994).
Conseiller à Paris puis chargé d’opérations spéciales à l’état-major de Turquoise au Rwanda,
les objectifs humanitaires de l’opération ont rapidement dépassé les préoccupations d’ordre
purement militaire, une tendance qui ne s’inversera que récemment dans les opérations en
Afghanistan et au Mali.
Mais notre mission initiale prendra une tournure inédite et complexe qui mettra à jour des lacunes
riche d’enseignements qui serviront dans d’autres opérations en Afrique, au Maghreb et dans les
Balkans. Il faut revenir un instant sur le contexte de l’opération Turquoise pour comprendre les
critiques dont elle sera ultérieurement l’objet, ses détracteurs n’ayant pas compris une rupture qui
les conduit à faire des amalgames invraisemblables, celle de la complicité d’officiers de l’opération
dans le génocide, une thèse inepte et monstrueuse.
Le contexte international de Turquoise
Un bref rappel du contexte international permet de comprendre les clefs de ce conflit régional, nos
objectifs et les conditions dans lesquelles nous interviendrons.
Turquoise est l’opération la plus visible et la plus emblématique de la France en 1994. Conduite
par des militaires sous l’œil des caméras, elle s’inscrit dans le cadre de luttes d’influences entre
grandes puissances dans la région des Grands Lacs, à la limite d’espaces anglophones et
francophones.
La France y dispose de deux alliés, les présidents Mobutu (Zaïre) et Habyarimana
(Rwanda) tandis que Londres et Washington misent sur l’axe Museveni (Ouganda) – Kagamé
pour préparer l’après Mobutu, condamné par la médecine. L’arrivée de Kagamé au pouvoir fait
redouter une implosion de l’est du Zaïre, lieu de profonds clivages ethniques et objet de tensions
récurrentes sur fond de déliquescence des autorités kinoises. Cet ex-petit voyou de la banlieue de
Kampala, complexé, cynique et manipulateur a été formé aux actions subversives et
psychologiques à Fort Bragg (USA). Chef des services de renseignement de l’armée ougandaise, il
sert trois objectifs : surveiller, infiltrer et éliminer les opposants au président Museveni, isoler le

Soudan islamiste en apportant pour le compte de Londres et de Washington un soutien
opérationnel aux rebelles du Sud-Soudan depuis le nord de l’Ouganda, préparer l’après Mobutu,
mourant.
Il ne cache pas vouloir créer une communauté tutsi avec le Burundi et reprendre au Sud-Kivu
zaïrois les districts de Goma, de Rutshuru et de Walikale qui appartenaient au Rwanda avant le
traité de Berlin de 1885. Dès sa prise de pouvoir, il armera les rebellions au Sud-Kivu qui seront
encadrées par des officiers de l’armée populaire rwandaise. Ces groupes rebelles pilleront les
richesses minières de la région pour alimenter l’appareil de propagande de Kigali, un réseau de
sympathisants actif à l’étranger et seront responsables de centaines de milliers de morts.
Londres
et
Washington
cherchent
à
empêcher
la
France
d’intervenir
au
Rwanda. Il faudra
deux mois pour Faux journalistes pistant le COS – droits réservés – reproduction interdite CH
avoir l’autorisation
d’une force placée
sous mandant de l’Onu et 800 000 morts… Comme nos forces spéciales, des unités SAS et de la
CIA sont impliqués dans les combats entre 1990 et 1994 et des groupes opérationnels marqueront
effectivement nos unités pendant toute l’opération Turquoise. En octobre 1993 je tenterai de faire
comprendre à mes homologues britanniques que nous n’étions pas dupes de leur engagement, pas
plus d’ailleurs qu’ils ne l’étaient du notre.
Le jour de l’attentat contre l’avion présidentiel, le Rwanda est engagé dans une phase de délicate
transition politique, sans doute trop rapide. Pour satisfaire aux exigences du discours de la Baule
(… Le vent de liberté qui a soufflé à l’Est devra inévitablement souffler un jour en direction du
Sud (…) Il n’y a pas de développement sans démocratie et il n’y a pas de démocratie sans
développement »), le président Habyarimana, d’ethnie Hutu est prié de partager le pouvoir avec
l’opposition Tutsi (10 % de la population). C’est l’esprit et la lettre de l’accord d’Arusha de 1993
que la France soutient diplomatiquement comme financièrement.
L’assassinat du président le 6 avril 1994 – sa dépouille transitera par Goma le 14 juillet –
intervient dans un climat de peur et de haine attisé par trois offensives du FPR depuis 1990 qui ont
donné lieu à des massacres dans les deux camps. Quelques semaines auparavant une campagne
d’élimination de personnalités proches du pouvoir, suivie d’une intense propagande médiatique
gouvernementale préparait la population à des événements que nous percevions de manière
diffuse comme inquiétants et potentiellement dramatiques.
L’attentat est la « divine surprise » qui sert directement les intérêts des extrémistes des deux
camps dès lors engagés dans une lutte à mort. Le FPR peut alors déclencher une quatrième
offensive, préparée depuis plusieurs semaines, pour prendre un pouvoir qu’il ne peut gagner par
les urnes. Les milices Hutu, encadrées par d’anciens officiers et gendarmes des FAR, commettront
alors des massacres dont nous ne savions pas s’ils avaient été planifiés ou non, à notre niveau.

Comme le soutien de Londres et de Washington au FPR, le soutien de Paris au régime rwandais
emprunte plusieurs canaux qui alimentent les suspicions et les fantasmes. Les extrémistes Hutu
nous accusent de ne pas nous engager davantage et les opposants dénoncent notre ingérence.
Turquoise sera clairement la face public de l’action de la France.
Le contexte national de Turquoise
Lorsque le président Habyarimana est assassiné, la France est en période de cohabitation avec les
échéances de la présidentielle de 1995 en perspective. Si divers plans d’intervention militaire sont
préparés, le premier ministre et son gouvernement exclut tout soutien au gouvernement
intérimaire considéré comme complice des massacres. Ce gouvernement est, en réalité,
impuissant car passé sous la coupe d’une junte militaire. La France décide une vraie rupture dans
son soutien au régime même si l’influence du président français persistera. L’opération Turquoise
n’aura pas vocation de soutenir les autorités provisoires rwandaises débordées et compromises.

Philippe Léotard – Ministre de la Défense et le CF Marin Gillier Cdt Trepel – juin 1994 – droits
réservés – reproduction interdite CH
Ma mission
A Paris, avec le lieutenant-colonel Michel P., je prépare les dossiers d’appréciation de situation
présentés en conseils de défense et nous travaillons sur les préparatifs d’une opération militaire en
liaison avec la cellule de crise du ministère des Affaires étrangères. Je suis plus particulièrement
chargé d’établir une cartographie, très approximative, des zones où nous pensons trouver des
Tutsi en danger.
Au Rwanda dans la nuit du 20 juin, j’assure à partir du 23 avec quatre officiers le commandement
et le contrôle des opérations de renseignement et d’extraction des personnes menacées par un
génocide évident en liaison avec le colonel Schill, notre interface à la cellule de coordination
humanitaire où siègent les ONG.
Notre mission est d’arrêter les massacres, d’exfiltrer autant de personnes menacées par le
génocide pour préparer le déploiement de casques bleus de l’ONU. Il n’est pas question
d’opérations offensives ni de reconquête même si des actions de force sont déclenchées pour
contenir les provocations du FPR qui testera en permanence notre détermination.
Ainsi le 17 juillet, lorsque le FPR pilonnera au mortier pendant 4 heures 1 000 000 de déplacés
fuyant les combats dans la région de Gisenyi, deux mirages F1 CT et CR stopperont les tirs qui
reprendront vers 20 heures avec moins de précision ayant délogé une équipe de guidage avancée
anglo-saxonne au sommet du mont Goma.

De même des forces aériennes et des blindés seront mis en alerte lorsque le COS se fera accrocher
par le FPR lors de l’exfiltration d’enfants et de blessés de l’hôpital de Butare, événements
vraisemblablement utilisés par cet officier pour inventer une mission offensive sur Kigali.
Formellement les plans d’opération de Turquoise comportent 4 phases et 4 lignes de défenses
successives : une phase 1, le 22 juin, de déploiement initial sur une ligne Nord / Sud allant de
Gisenyi à Bukavu avec 469 soldats. Une phase 2, le 4 juillet, avec une ligne de position maximale
avancée de Mukavira à Butare avec 2 255 soldats. Une phase 3 de retrait, le 7 juillet, correspondant
à notre position de départ avec 2 566 soldats (dont 508 étrangers majoritairement africains). Une
phase 4, le 22 aout de ligne de désengagement au Zaïre avec une force réduite à environ 600
soldats.
Avec des moyens limités, nous lançons dès le 24 juin les premières opérations de sauvetage
d’envergure. Mais la réalité du désastre est bien au-delà de nos estimations et dépasse nos
moyens. Submergés de demandes d’évacuations d’urgence dont beaucoup ne seront pas
autorisées par le commandement nous concentrons nos efforts initiaux sur la protection de 8.000
Tutsi à Cyangugu sur un millier de Tutsi au sud de Kibuye, les blessés de l’hôpital de Butare et
l’exfiltration de centaines d’enfants Tutsi cachés dans des monastères, des caves ou des faux
plafonds.

Détachement commandement des opérations spéciales Bisesero 30 juin 1994 – droits réservés –
reproduction interdite CH
Je tiens à jour les flux de déplacés, la situation sanitaire et alimentaire de centaines de milliers de
déplacés dans les camps de fortune pour que la BIOFORCE et les ONG endiguent les foyers
d’épidémies qui éclatent partout.
De fait si les massacres baissent d’intensité ou cessent partout où nous intervenons il faudra
arbitrer en permanence entre des choix opérationnels et humains difficiles.
Nos relations avec les milices, les Forces armées rwandaises et le gouvernement intérimaire.
Si la France a directement soutenu les forces armées rwandaises (FAR) jusqu’en novembre 1993,
celles-ci ne recevront aucune aide de Turquoise ce qu’elles nous reprocheront parfois avec
véhémence. Lors de la débâcle du 17-20 juillet dans la région de Goma, je serai pris à partie par
des éléments des FAR en débandade.
Sous embargo, et malgré des livraisons d’armes limitées, les forces armées rwandaises sont mal en
point. Des commandants de bataillons ont été abattus par des snipers et les soldats n’ont plus de
munitions d’appui (5,56 mm), les engagements avec le FPR sont donc limités. L’unique hélicoptère
canon est cloué au sol faute de pièces de rechange et ne dispose plus de roquettes de 68 mm que
pour une seule sortie aérienne. Le bataillon mécanisé n’a quasiment plus de carburant et la perte

de 8m3 d’essence et de stocks de nourriture début juillet sonne l’hallali. Malgré des commandes
d’armes à la Belgique, payées mais gelées, à l’Afrique du Sud, bloquées par Washington et
par Bruxelles, ainsi qu’à la Roumanie, les forces gouvernementales lâcheront prise après trois mois
de combats. Kigali tombera le 4 juillet à 0800 du matin.

Armes abandonnées par les Forces armées rwandaise poste frontière Zaïre – droits réservés –
reproduction interdite CH
Les FAR en déroute font peser une menace sur nos opérations. Elles sont donc désarmées dès
qu’elles transitent dans nos zones. Mais quelques bataillons profitent de la nuit et de la situation
de chaos pour entrer avec leurs armes au Zaïre. Ainsi au nord dans le sud le 17 juillet, après le
départ des autorités locales, 4 bataillons FAR passeront au Zaïre tandis que 6 autres seront
désarmés. Le 20 juillet une compagnie du 99ème bataillon FAR qui tentait de traverser la zone
humanitaire sûre (ZHS) est désarmée.
Nos relations avec les milices sont tendues sans concessions. Le 4 juillet matin, un groupe de
miliciens qui menaçait une vingtaine de Tutsi logés dans un hôtel de Gikongoro est interpellé par
deux groupes du COS tandis que les Tutsi sont conduits au camp de Murambi.
Le 7 juillet dans la province de Cyangugu nous intervenons à plusieurs occasions pour prévenir
des exactions de miliciens à proximité du camp de Nyarushishi. La tension monte
progressivement dans la partie Ouest de la province de Cyangugu où 276 détenus ont été libérés
par la gendarmerie rwandaise. L’afflux de blessés du front et de déplacés provoque l’amertume et
une déception marquée vis à vis de la France. A Gikongoro, le COS a interpellé 9 individus armés
et une camionnette volée dans une communauté religieuse.
Entre le 19 et le 23 juillet, le groupement Sierra (Sud) conduira des opérations de maintien de
l’ordre avec un détachement prévôtal métropolitain pour neutraliser des bandes armées dans la
région de Kamembe et de Cyimbogo.
Le 1° août la situation est considérée comme calme en limite de la ZHS alors que le FPR a renforcé
son dispositif au pourtour de la zone où il maintient 5 bataillons de combat. Le nombre des
incursions à nettement diminué, le mouvement se limitant à des raids pour récupérer de la
nourriture, à des réunions pour inciter les déplacés à rentrer chez eux et à des enlèvements ciblés
de notables. Les témoignages d’élimination de Hutu revenus en zone FPR se multipliant, le retour
des déplacés et des réfugiés est freiné.
Il n’y a plus d’unités constituées des FAR dans la ZHS et, aucun élément des FAR n’est instruit
par des forces françaises dans la région de Gisovu, comme nulle part ailleurs, contrairement à ce
que prétend “Radio Rwanda” qui émet depuis Kigali. Le 20 juillet, les 6 000 militaires qui ont fui

au Sud Kivu (Zaïre) sont regroupés dans un camp à 4 km de la frontière rwandaise puis acheminés
sur un deuxième camp situé à 20 km du Rwanda sous contrôle des forces de sécurité intérieures
(GACI).
Nous ramenons le calme dans la ZHS où les populations reprennent leurs activités. Les
interpellations et les arrestations de brigands rassurent les habitants et le problème de
l’incarcération des individus dangereux a été en partie réglé avec la réouverture de la prison de
Cyangugu.
Dans la province de Kibuye, les actes de pillages ont pratiquement disparu depuis la mise hors
d’état de nuire de deux bandes. Dans la province de Gikongoro, la population commence à se
sentir en sécurité et renseigne nos forces pour les aider à lutter contre les derniers brigands qui
sévissent dans la zone. Une bande, repérée aux lisières de la forêt de Nyungwe, dans la région de
Musebeya est ainsi activement recherchée par nos éléments.
Dans la province de Cyangugu, débordés, nous sommes aidés par des gendarmes rwandais
volontaires sélectionnés aussi rigoureusement que possible compte tenu de la situation. Les
exactions et les actes de pillage cessent alors dans la quasi totalité de la province : les ratissages
effectués dans la presqu’ile de Gafunzo et à Cyangugu ont permis d’appréhender plusieurs
déserteurs et bandits qui terrorisaient les habitants. Mais la vallée de la Ruzizi subie des raids de
bandes armées composées d’ex miliciens et de zaïrois qui franchissent de nuit la rivière pour piller
les maisons des localités frontalières. Nos patrouilles interceptent ou repoussent chaque jour des
tentatives d’incursions parfois après de brefs accrochages.

Armes abandonnées par les Forces armées rwandaises embarquées par la DSP zaïroise – droits
réservés – reproduction interdite CH
Les armes abandonnées par les FAR sont récupérées par les forces armées zaïroises (FAZ).
En sus de milliers d’armes légères, les zaïrois saisissent 30 camions, 5 hélicoptères (4 Gazelles, 1
Ecureuil) et un shelter radio.
Les armements lourds sont stockés dans le camp Catindo à Goma (7 AML 60, 8 AML 90, 5 VBL, 5
BM 21, 1 lance roquette monotube, 6 mortiers de 120, 6 canons de 105, 11 bitubes anti-aérien, 1
quadri tube anti-aérien).
Kinshasa s’engagera à restituer les armements au nouveau ministre de l’intérieur rwandais (FPR),
Seth Sendashonga, le 2 aout à l’hôtel Méridien de Gisenyi.
Consciente de la fragilité de la situation sécuritaire, la Gendarmerie zaïroise interdit le 25 juillet la
tenue à Goma d’une conférence de presse organisée par des personnalités rwandaises en exil. Elle
est inopportune alors que les premiers contacts s’établissent entre Kinshasa et Kigali et que les
rwandais présents au Zaïre n’ont pas le statut de réfugiés politiques.

Nous ne soutenons pas davantage le gouvernement intérimaire. Les ministres sont expulsés
de l’hôtel Méridien Izuba de Gisenyi et de la Zone humanitaire sûre (ZHS) leur présence étant
incompatible avec son statut de neutralité. La compagnie SHABAIR déposera à Kisangani le 26
juillet les ministres en exil abandonnés à leur sort.
Je n’ai jamais assisté à des paiements des forces armées rwandaises en déroute par des éléments
de Turquoise. Cette mission ne rentrait pas dans les attributions du 2° bureau et le gouvernement
intérimaire emportait d’ailleurs dans son exil le trésor de la banque du Rwanda. Son directeur
réglera les traitements de fonctionnaires civils et militaires du gouvernement intérimaire à l’hôtel
des Masques à Goma le 19 juillet et les FAR dans les camps zaïrois.

Partie de l’argent de la banque du Rwanda sous bâches et dans bus sous garde des Forces
armées rwandaises (FAR) réfugiées au Zaïre – droits réservés – reproduction interdite CH
Nos relations avec le FPR
Turquoise évite tout affrontement direct avec le FPR qui contourne ses zones pour mieux les
infiltrer. Il y aura en revanche six escarmouches meurtrières comme le 3 juillet vers 13 h : le COS
qui escortait des blessés de l’hôpital de Butare est pris à partie à 5 km à l’est de la ville. L’étatmajor maintenait des contacts avec les rebelles via la mission des Nations unies (MINUAR) et
une première rencontre directe avec le FPR aura lieu le 19 juillet à Rambura.
Le FPR compte alors environ 25 000 hommes dont dix mille soldats aguerris. Majoritairement
anglophones, légèrement armés, mobiles, endurants et courageux, ils opèrent par groupes de 3 à
10 hommes avec l’ordre d’avancer sous peine d’exécution.
A mesure que s’étend ses lignes de front, le FPR fait acheminer de la nourriture et des
munitions. Des conteneurs cadenassés franchissent quotidiennement la frontière ougandorwandaise à Kagitumba sous les yeux des soldats de l’ONU. D’autres convois transportent des
caisses métalliques recouvertes de bananes entre Kabale et Mulindi, la capitale rwandaise du FPR
d’où il achemine des ordres d’opération à bord d’ambulances, de véhicules d’ONG et de l’ONU.
Au plan diplomatique, le FPR lance un ultimatum au gouvernement intérimaire lui intimant
l’ordre d’arrêter les massacres et à la communauté internationale exigeant d’être reconnu comme
le seul interlocuteur dans la résolution de la crise.
La France qui cherche à obtenir un cessez-le-feu propose au Conseil de sécurité des Nations unies
l’adoption d’une résolution créant une zone humanitaire pour mettre les civils à l’abri des
massacres et des combats. Cette zone concerne les provinces de Cyangugu, Gikongoro et la partie

sud de la province de Kibuye (axe Gitarama – Kibuye inclus jusqu’au col de N’Daba). Paris précise
que si cette résolution n’est pas acceptée, il retirera ses troupes du Rwanda pour ne pas endosser
la responsabilité de nouveaux massacres. M. Boutros GHALI donnera son aval le 6 juillet.
Le 12 juillet Kagamé précise que si les FAR n’acceptent pas un cessez-le-feu unilatéral excluant
l’impunité pour les auteurs de génocide les combats continueraient quelles que soient les
conséquences humanitaires. Turquoise est un obstacle sur la route du pouvoir.
C’est dans ce contexte tendu que les provocations du FPR continuent. Le 17 juillet le mouvement
rebelle pilonne au mortier lourd une colonne d’1,5 million de déplacés de guerre dans la région de
Gisenyi. Le même jour à 18H20, un élément prend à partie nos éléments à Nyakabuye. A 22H50, le
FPR tire quatre obus de mortier sur nos positions, une section de mortiers lourds (SML) détruit la
position FPR par des coups au but. Au centre, le FPR consolide ses positions face à la ZHS. Le 20
juillet près de Gihanga plusieurs tentatives d’infiltrations sont déjouées vers 17 heures puis au
cours de la nuit en tirant des obus éclairants.
Dans les zones conquises le FPR se lance dans une intense campagne de propagande et de
manipulation à l’égard des Hutu. Au Sud-Est, les infiltrations se multiplient sur l’ensemble de
la ZHS provoquant la fuite des notables. Il tient des meetings en ZHS à Kibeho, Kirambi,
Kinyamakara, Gashyiensi, Cyarwa, Rukondo, Mweya, Gahunga, Kigohe pour expliquer que
seules les 500 personnes inscrites sur la liste des”criminels”seront poursuivies et punies, un
mensonge.
De fait nous recevons rapidement de nombreux témoignages de rescapés de massacres dans les
zones conquises qui sont interdites aux ONG et à l’ONU jusqu’au 26 juillet. Kagamé ne veut pas
de camps de réfugiés aux frontières pour éviter que les Hutu ne reviennent en force comme l’ont
fait les réfugiés Tutsi au début des années 1990. S’il favorise les retours de déplacés c’est pour trier
les éléments dangereux car il n’a pas l’intention d’intégrer durablement les plus modérés à la vie
politique.
Les Tutsi venus de l’étranger, notamment du Burundi, s’installeront sur les terres abandonnées et
les anciens propriétaires, quel que soit leur ethnie, ne pourront pas les récupérer, ni leurs biens
d’ailleurs. Tous les commerces et les hôtels passent aux mains de cadres du FPR.
Les itinéraires routiers de retour sont filtrés. Les réfugiés et déplacés sont conduits dans des camps
de triage à Kigali, à Kizi, Maraba, Bukeye, au stade Kavaya et dans la cathédrale de Nyondo,
notamment. Sectorisés par village d’origine, un responsable FPR local désigne alors les
génocidaires, ou les supposés tels, qui sont transférés puis exécutés à l’arme blanche, à la houe ou
à la mitrailleuse lourde comme dans l’église de Mushubati.
De fait des massacres sont rapportés partout, à Masango, Kanyanza, Nganzo, Kirangara, Kilinda,
Butare, Murambi, Gisovu, Nyabikenke, Muhando, Nyarusangue, Runga, Cyaratzi, Rukundo,
Shanga, Simbi, Rushikikiri, Runyinya, Kazizi, Muyira, Bwakira, Gikongoro, Maraba, Gahunga,
Gisovu, notamment.
Leçons pour l’avenir
L’opération Turquoise a permis d’aborder des aspects de gestion de crise inédits qui se
retrouveront dans toutes nos interventions futures. Les questions d’ordre humanitaire et l’impact
des radios locales ont immédiatement pris le pas sur les préoccupations d’ordre purement

militaire.
Notre action s’est déroulée dans un contexte sécuritaire très dégradé qui a nécessité le suivi des
activités des milices et l’actualisation quotidienne de la situation des personnes menacées. La mise
en place de détachements de liaison nous a permis de clarifier les intentions du FPR, de
manœuvrer en sûreté et de faciliter la prise en compte de la zone par les Nations-unies. La
présence d’officiers ayant déjà servi au sein des FAR, de l’ONU ou dans la région des Grands lacs
connaissant personnellement les interlocuteurs locaux a joué un rôle déterminant dans le succès
des opérations.
Par ailleurs le travail préalable d’évaluation de situation humanitaire a permis de sauver des
milliers de victimes d’une mort certaine. Il a également permis d’élargir notre champ d’expertise
et de travailler en bonne intelligence avec des ONG habituellement réticentes à travailler avec
nous. La décision de création de la zone humanitaire sûre (ZHS) pour contenir l’afflux de déplacés
au Zaïre en proie à de fortes tensions intérieures a conduit à réduire les tensions intérieurs au SudKivu et permis de répartir nos efforts en matière de renseignement sécuritaire pour neutraliser
les bandes armées.
Dans chaque secteur les individus,
groupes et bandes armées ont été
identifiés, les éléments les plus
dangereux étant désarmés, neutralisés,
emprisonnés ou expulsés vers le Zaïre
d’où ils conduiront d’ailleurs des raids
de pillages à l’intérieur du Rwanda.
Mais nous avons clairement sousestimé les menaces posées par les
radios FM vecteurs de haine et de
Tract ZHS distribué à la population – droits réservés CH propagande. De fait les Radios
gouvernementales “Rwanda” et radio
“Mille Collines” ont quitté Kigali le 1er
juillet pour cesser définitivement d’émettre les 13 et 19 juillet au Sud-Kivu avant que nous
puissions les brouiller.
Ces facteurs seront pris en compte dans d’autres guerres civiles où nous neutraliserons plus
rapidement les instigateurs de massacres et chercherons à limiter les flux migratoires gênants pour
nos opérations.
Épilogue
Le moment de sidération passé après l’assassinat du président, les services ne saisissent pas
immédiatement l’ampleur des massacres qui débutent dans la nuit du 6 au 7 avril. Il y a en a tant
eu dans le passé de part et d’autre que nous pensons qu’ils seront limités. Mais l’irréparable a été
commis; Les extrémistes opposés au processus de paix empêcheront désormais toute sortie
négociée de crise et une lutte à mort est engagée.
Dès octobre 1992 pourtant le premier ministre d’ouverture rwandais s’était plaint au président des
lenteurs des réformes et des obstructions de son entourage. Dès 1993 les milices hutu des partis
MRND et CDR s’agitaient. En janvier 1994 elles provoquaient la Mission des Nations unies au

Rwanda
(MINUAR) et les
bataillons
FPR
stationnés à Kigali.
Une fraction des
responsables
de
l’armée ne voulait Charniers Bisesero 30 juin 1994 – droits réservés – reproduction interdite CH
clairement pas la
paix alors que le
président redoutait sa mise en accusation internationale et voulait aboutir. Il devenait gênant pour
les Ultras du Hutu power autour de son épouse Agathe.
De son côté le major Kagamé avait l’intention de mettre en accusation le président Habyarimana
pour des massacres commis lors de précédentes offensives. Et nous avions acquis la certitude qu’il
prendrait le pouvoir par la force.
Les massacres lancés, la marge de manœuvre s’est considérablement rétrécie. Ne pas agir eut été
coupable. Intervenir directement dans les affaires intérieures du pays pour arrêter les tueries
devenait trop risqué et aurait été dénoncé par les mouvements pacifistes. Nous étions pris au
piège d’évènements dramatiques.
Nous n’avions pas anticipé l’ampleur de la catastrophe humanitaire qui suivrait l’effondrement
des forces armées rwandaises et n’étions ni préparés ni dimensionnés pour accueillir, nourrir et
soigner plus 1,5 million de déplacés en l’espace de quelques jours.
Aurions-nous dû abandonner le Rwanda dès la première offensive du FPR en 1990 ? Aurions-nous
du contraindre le président Habyarimana à faire accepter par son peuple un accord de partage du
pouvoir immédiat avec les Tutsi ? Aurions-nous dû intervenir massivement dès le 9 avril pour
arrêter le génocide, éliminer les ultras, repousser le FPR et dicter une nouvelle feuille de route
politique ? Toutes les options étaient sur la table et le gouvernement a tranché.
Nous ne ressusciterons malheureusement pas les centaines de milliers de victimes. On ne fait
jamais de politique étrangère et de sécurité avec de bons sentiments et la nature n’aime pas le vide.
La cohabitation politique au sommet de l’état n’a pas été heureuse. Nous aurions aimé n’avoir
qu’un interlocuteur sur ce dossier tandis que nos alliés, beaucoup plus pragmatiques,
façonnaient une réalité conforme à leurs intérêts.
La gestion et la résolution de crises aussi complexes ne fonctionnent pas avec des méthodes
classiques. Turquoise l’a démontré dans son domaine d’expertise et son périmètre d’action avec
des succès malgré le regret de n’avoir pu sauver autant de victimes assassinées par leurs
compatriotes dans l’indifférence générale, sauf la nôtre.

Goma PCIAT Turquoise – droits réservés – reproduction interdite CH

Goma déboisé par 1,5 million de déplacés de guerre – droits réservés – reproduction interdite CH

Goma 1,5 million de déplacés de guerre – droits réservés – reproduction interdite CH

Goma 1,5 million de déplacés de guerre arrivent de Ruhengeri – droits réservés – reproduction
interdite CH

Goma le FPR tire au mortier sur 1,5 million de déplacés – Nous ramassons les morts – droits
réservés – reproduction interdite CH

Petite frontière Goma le 17 juillet 1994 le FPR tire au mortier sur 1,5 million de déplacés – Nous
ramassons les cadavres – droits réservés – reproduction interdite CH

Forces armées rwandaises (FAR) en déroute au poste frontière Zaïre – droits réservés –
reproduction interdite CH

Forces armées rwandaises (FAR) en déroute au poste frontière Zaïre – droits réservés –
reproduction interdite CH

Forces armées rwandaises (FAR) en déroute au poste frontière Zaïre – droits réservés –
reproduction interdite CH

Forces armées rwandaises (FAR) en déroute au poste frontière Zaïre – droits réservés –
reproduction interdite CH

Armes abandonnées par les Forces armées rwandaises (FAR) en déroute au poste frontière Zaïre –
droits réservés – reproduction interdite CH

Armes abandonnées par les Forces armées rwandaises (FAR) récupérées par les Forces armées
zaïroises (FAZ) au poste frontière Zaïre – droits réservés – reproduction interdite CH

Armes abandonnées par les Forces armées rwandaises (FAR) transportées par les Forces armées
zaïroises (FAZ) au Zaïre – droits réservés – reproduction interdite CH

CF Marin Gillier Bisesero 30 juin 1994 – droits réservés CH – visages floutés pour raisons de
sécurité – reproduction interdite

COS Bisesero 30 juin 1994 – droits réservés – reproduction interdite CH

Détachement commandement des opérations spéciales Bisesero 30 juin 1994 – droits réservés –
reproduction interdite CH

Evacuations sanitaires blessés Tutsi Bisesero 30 juin 1994 – droits réservés – reproduction interdite
CH

Goma épidémie de choléra – Fosses communes – 2500 cadavres ce matin – droits réservés –
reproduction interdite CH

Arrestation de pillards – Turquoise – Rwanda – Juillet 1994 – zone Sierra

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