Author-card of document number 31771

Num
31771
Date
Mercredi Avril 1998
Ymd
Size
1668565
Title
La Françafrique. Le plus long scandale de la République
Source
Type
Livre
Language
FR
Citation
LA FRANÇAFRIQUE
(1958 - 1998)

Le plus long scandale de la République

François-Xavier Verschave

Du même auteur

Libres leçons de Braudel, Syros, 1994.
L'aide publique au développement, Syros, 1994 (avec AnneSophie Boisgallais).
Complicité de génocide ?
Rwanda, La Découverte, 1994.

La politique de la France au

François-Xavier Verschave

La Françafrique
(1958 - 1998)

Le plus long scandale de la République

A Marie-Thérèse.
A Sharon et tous ceux qui, voulant « donner valeur de loi au
devoir de sauver les vivants », ont découvert l'abominable, mais
n'ont pas abdiqué.
A ceux qui, en Afrique, sont morts de cette Histoire : nous
leur devons au moins de chercher la vérité.

9

« Si je savais quelque chose qui fût utile à
ma patrie et qui fût préjudiciable au genre
humain, je la regarderais comme un crime ».
Montesquieu.

11

Au début des années quatre vingt-dix, un capitaine français
séjournant aux Comores où il avait été, à l'origine, détaché au
titre de la coopération militaire, fut effaré par les trucages
électoraux. Des Français étaient au coeur de la manipulation qui
avait permis l'élection du président Djohar.
Le capitaine rédigea un rapport. Il le remit à Jean-Michel
Belorgey, qui présidait alors la Commission des Affaires
culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale et,
surtout, l'intergroupe des parlementaires membres de la Ligue des
droits de l'homme. Le député avait quelques entrées à l'Élysée. Il
y transmit le rapport, en ajoutant le compte-rendu de son
entretien avec l'officier.
Quelques semaines plus tard, la famille du capitaine apprenait
son assassinat dans des conditions particulièrement sauvages,
qu'il est impossible de décrire ici sans ajou-ter à l'horreur du
crime. Elle n'a jamais pu obtenir le rapport d'autopsie, ni bien sûr
de suite judiciaire, que ce soit aux Comores ou en France.
Ce capitaine est mort d'avoir cru en la démocratie. Il a rejoint
celles et ceux qui ont appris, parfois dans leur chair, le prix du
plus long scandale de la République.

13

Emporté vers l'inimaginable...

14

15

1
Un avertissement dans le désert

Le journal télévisé berçait cette soirée d'hiver comme les autres,
ou presque. Nous sommes en 1993, à la fin du mois de janvier.
Geneviève Mol est aux manettes du « 20 heures » de France 2.
Elle a convaincu le présentateur-vedette, Bruno Masure, de
convier un personnage inconnu, et pour tout dire incongru. Jean
Carbonare veut évoquer un pays dont très peu de Français ont
entendu parler : le Rwanda.
Jean Carbonare est un résistant. Condamné à mort par les
Allemands à 17 ans, gracié in extremis, il s'est retrouvé dans les
commandos de prisonniers chargés de déblayer, sous la mitraille
et les bombes, les gares et autres installations stratégiques
pilonnées par l'aviation anglo-américaine. Il en a tiré une étrange
liberté, et une force d'action.
Avec sa femme Marguerite, il a parcouru l'Afrique, multipliant
les arbres 1. Acquis à la cause de l'indépendance algérienne, il fut
l'un des intermédiaires des premières négociations avec le FLN.
Après 1962, il a coopéré au développement du nouvel État avec
une association de solidarité protestante, la Cimade. Il a lancé
dans le Constantinois de

1

. Plus de cent millions en Algérie et au Sénégal, dans les périmètres de reboisement qu'il a
suscités.

16

vastes chantiers de reboisement contre l'avancée du désert. Jean
Carbonare a le don de mettre les gens en confiance et en mouvement. Il préfère le coup de pouce à la prise en charge. Il a compris, trente ans avant la Banque mondiale, qu'il fallait intégrer les
projets économiques dans une dynamique sociale. Après l'Algérie,
il a renouvelé sa démarche en Guinée, au Sénégal, au Bénin - avec
les maigres indemnités d'un militant associatif 2.
Au Sénégal, Jean Carbonare a travaillé de longues années avec
un médecin rwandais, Ezéchias Rwabuhihi. Celui-ci fait partie des
centaines de milliers d'exilés tutsis que la « révolution sociale » de
1959 et son cortège de massacres ont chassés du Rwanda. Il
explique à Jean Carbonare la situation de son pays. Un régime
racial a été installé par le colonisateur belge et les missionnaires,
effrayés des audaces indépendantistes et laïques de l'élite tutsie.
Les pogromes n'ont guère cessé depuis lors, durant trois
décennies. Le dictateur rwandais, Juvénal Habyarimana, a opposé
un refus systématique au retour des exilés. Ces derniers se sont
alors organisés en rébellion armée, le Front patriotique rwandais
(FPR), autour du noyau de combattants aguerris qui avaient aidé
l'Ougandais Yoweri Museveni à renverser le sinistre Idi Amin
Dada, puis son successeur Milton Obote.
En 1990, le régime du général Habyarimana est déjà mal en
point. Une famine sévit. Le clan de l'épouse du président, Agathe,
accapare les richesses du pays. Aux revendications tutsies s'ajoute
l'opposition des Rwandais du Sud, exaspérés par ce clan familial,
l'akazu, issu du Nord-Ouest. Le 1er octobre, le FPR engage la lutte
armée. Le pouvoir rwandais joue son va-tout : la carte ethnique. Il
lance la lutte finale des Hutus, « peuple majoritaire » authentique,
contre ces « étrangers » de Tutsis, ces « envahisseurs » qui, selon
la

2

. Heureusement pour sa famille de quatre enfants, Marguerite Carbonare n'a pas cessé
d'enseigner les mathématiques...

17

légende, auraient remonté le cours du Nil en des temps
immémoriaux 3. Le slogan « Hutu power ! » cristallise le racisme.
A cette époque, François Mitterrand est secondé à la « cellule
africaine » de l'Élysée par son fils Jean-Christophe. L'un et l'autre
ont noué d'étroites relations avec la famille Habyarimana (le père,
Juvénal, et le fils Jean-Pierre). Dès le 2 octobre 1990, le père
Habyarimana téléphone au fils Mitterrand pour appeler la France
à la rescousse. L'Élysée décide immédiatement d'envoyer plusieurs
centaines de parachutistes au Rwanda 4 : ils sont rapidement six
cents, parfois plus d'un millier - sans compter les instructeurs
militaires, un état-major de substitution, et une profusion d'agents
secrets.
Les régiments français d'intervention « outre-mer » (Légion et
Infanterie de marine) sont passés sans transition des
guerresd'Indochine et d'Algérie au maintien de l'ordre postcolonial. Leur histoire est parsemée d'épisodes guerriers presque
inconnus 5 : après 1962, seule émerge la superproduction La
Légion saute sur Kolwezi 6. En Algérie, l'armée

3

. Dominique Franche, dans Généalogie d'un génocide (Mille et une nuits, 1997), a
démonté la construction du mythe racial, à laquelle contribua voici un siècle la raciologie
européenne, française et allemande. Il a montré que les premiers Pères blancs évangélisateurs
du Rwanda avaient été formés par des manuels d'histoire qui faisaient une interprétation
raciale de la Révolution française : la revanche du peuple gaulois contre les nobles,
descendants des Francs, des « envahisseurs » renvoyés au-delà du Rhin, à Coblence... Cf.
aussi Claudine Vidal, Sociologie des passions, Karthala, Paris, 1991.
4
. Sur les motivations de cette décision, cf. François-Xavier Verschave, Complicité de
génocide ? La politique de la France au Rwanda, La Découverte, 1994, p. 10-19.
5
. Depuis les indépendances africaines, l'armée française a effectué une vingtaine
d'interventions d'envergure au sud du Sahara (cf. Observatoire permanent de la Coopération
française, Rapport 1995, Desclée de Brouwer, 1995, p. 123-124) - sans compter les
interventions clandestines.
6
. Sorti en 1981, le film s'inspire (très librement) de l'intervention des parachutistes français,
en 1978, sur la ville minière zaïroise de Kolwezi (Katanga-Shaba), conquise par une
rébellion « katangaise » venue de l'Angola. On imputa aux rebelles un massacre
d'Européens. Ceux-ci ont été en réalité assassinés par les troupes de Mobutu, qui voulait
hâter la décision, par le président Giscard d'Estaing, d'une intervention française salvatrice.
Cf. France-Zaïre-Congo, 1960-1997. Échec aux mercenaires, Agir ici et
Survie/L'Harmattan, 1997, p. 30-38.

18

française défendait « la France » contre « la guérilla
subversive ». Depuis, la Ve République demande à l'armée de
défendre « les intérêts français » et nos alliés contre une « guérilla
subversive » à l'échelle continentale - entretenue bien sûr par « les
ennemis de la France », États-Unis en tête. Au Rwanda, les
militaires français adoptent naturellement les préjugés en noir et
blanc des soldats et officiers auprès desquels ils combattent. Ils
diabolisent l'ennemi 7. Ils inventent le terme de « Khmers noirs »
pour désigner les rebelles du FPR.
Jean Carbonare a soixante-six ans, l'allure modeste et les
cheveux blancs. Il revient du Rwanda, où il a participé à une
Commission internationale d'enquête 8. Celle-ci a exhumé des
charniers et constaté de nombreux massacres de Tutsis - hommes,
femmes et enfants. Son rapport dénonce les tueries systématiques
organisées par la mouvance présidentielle, voire par l'entourage du
général Habyarimana. Un bref reportage précède l'interview de
Jean Carbonare sur le plateau de France 2. Il montre la
Commission d'enquête au travail, les charniers, le regard narquois
de certains villageois, l'air « étonné » d'un bourgmestre devant la
fosse commune mise à jour dans son propre jardin, les
parachutistes français qui, sur les routes du pays, « assurent un
semblant de calme ». L'interview commence.

7

. « Les militaires, reconnaît-on en haut lieu, ont fait du Rwanda une affaire personnelle ».
Citation d'un haut responsable - anonyme - par Patrick de Saint-Exupéry dans son enquête
La France lâchée par l'Afrique (Le Figaro du 22/06/94). Le 22 juin 1994, escortant deux
émissaires du FPR au ministère de la Défense, Gérard Prunier y croise de ces officiers
« faucons ». « Il fallut la présence d'un officier supérieur pour éviter une confrontation
physique » (Rwanda : le génocide, Dagorno, 1997, p. 344).
8
. La Commission internationale sur les violations des droits de l'homme au Rwanda a
séjourné au Rwanda du 7 au 21 janvier 1993. Elle était composée de quatre organisations
humanitaires : la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH), Africa Watch
(département de Human Rights Watch), le Centre international des droits de la personne et
du développement, et l'Union interafricaine des droits de l'homme. Elle a établi un rapport de
124 pages (mars 1993).

19

Bruno Masure : « [...] On vient de voir des images tout à
fait effrayantes, et vous avez d'autres témoignages à
donner sur ces violations des droits de l'homme assez
terribles ».
Jean Carbonare : « Oui. Ce qui nous a beaucoup frappés
au Rwanda, c'est à la fois l'ampleur de ces violations, la
systématisation, l'organisation même de ces massacres.
On a parlé d'affrontements ethniques, mais en réalité il
s'agit de beaucoup plus [...] : c'est une politique organisée
que nous avons pu vérifier [...]. On sent que, derrière tout
ça, il y a un mécanisme qui se met en route. On a parlé de
purification ethnique, de génocide, de crimes contre
l'humanité dans le rapport que notre Commission a établi,
et nous insistons beaucoup sur ces mots ».
Bruno Masure : « Alors, ce que vous dites, c'est qu'à la
différence de ce qui se passe actuellement dans l'exYougoslavie où on est un peu, malheureusement,
spectateurs, là nous pouvons avoir un rôle beaucoup plus
actif, nous pouvons agir sur l'événement ? ».
Jean Carbonare : « Oui. Deux choses m'ont frappé.
D'abord, l'implication du pouvoir [rwandais]. [...] Tous
les membres de la mission sont convaincus qu'il y a une
responsabilité très grande, jusqu'à un niveau élevé dans le
pouvoir. Notre pays, qui supporte militairement et financièrement ce système, a aussi une responsabilité ». Après
avoir cité le cas d'une femme qui a perdu ses quatre fils, il
poursuit : « Les femmes de la minorité tutsie voient leurs
maris, leurs frères, leurs pères tués. Elles sont ensuite
comme des bêtes, abandonnées, violées, maltraitées. [...]
J'insiste beaucoup, nous sommes

20

responsables. Vous aussi, Monsieur Masure, vous pouvez
faire quelque chose, vous devez faire quelque chose... ».
Jean Carbonare est très calme, sa voix est douce, mais elle se
tord soudain en un sanglot - comme si, quatorze mois à l'avance, il
pressentait ce qui allait advenir du Rwanda. Sur le plateau,
l'équipe du journal télévisé est saisie par cette charge d'émotion
tout à fait inhabituelle. L'interruption est très brève. Ce n'est pas
un épanchement. Jean Carbonare se reprend et achève sa phrase :
« ... pour que cette situation change, parce qu'on peut la
changer si on veut. On a trouvé des femmes terrées au
fond de la forêt depuis des semaines avec leurs enfants ».
Il poursuit, mais on entend les larmes remonter à fleur de
voix. « On peut faire quelque chose pour elles. Notre
gouvernement, en pesant sur les autorités de ce pays, qu'il
assiste militairement et financièrement, peut très
rapidement... En Yougoslavie, en Somalie, c'est un peu
différent, c'est une situation qui nous échappe. Mais là on
peut faire beaucoup. Nous-mêmes, et en entraînant aussi
nos partenaires de la Communauté européenne et du
monde occidental ».
Cette prophétie en direct n'aura pas de suite. Jean Carbonare
croyait encore qu'il était possible de convaincre l'exécutif français
de changer de politique au Rwanda. Il n'a pas tout dit ce soir-là.
Peut-être aurait-il dû déclarer tout cru devant les millions de
téléspectateurs de la chaîne publique ce qu'il confiera en août
1994 au Nouvel Observateur (après le génocide) :
« J'ai eu deux grands chocs dans ma vie. Le premier,
lorsque j'ai découvert qu'en Algérie on avait institutionnalisé la torture. Le deuxième, en janvier 1993, quand

21

j'ai vu des instructeurs français dans le camp militaire de
Bigogwe, situé entre Gisenyi et Ruhengeri. C'est là qu'on
amenait des civils par camions entiers. Ils étaient torturés
et tués, puis enterrés dans une fosse commune que nous
avons identifiée près du cimetière de Gisenyi 9».
Peut-être aussi la divulgation de cette découverte « scandaleuse », qu'il réservait en 1993 à ses interlocuteurs officiels,
n'aurait-elle rien changé. Il eût fallu que l'opinion publique se
montrât concernée... « On peut faire quelque chose, [...] beaucoup », avait supplié Jean Carbonare devant des millions de
témoins. Mais le « on » téléspectateur, attablé ou affalé dans un
fauteuil, pouvait-il, comme on l'y invitait, se sentir « responsable » ? Était-il prêt à comprendre que son pays allait se rendre
complice d'un génocide ? Qu'il suffirait peut-être de quelques
milliers de courriers indignés, relayés par la presse, pour enrayer
cet engrenage ? L'Élysée était affaibli, et on était à quelques
semaines des élections législatives.
Avec ses amis de l'association Survie et l'appui de Jean
Lacouture, Jean Carbonare va mener durant le premier semestre
1993 un intense travail de couloir, jusqu'à l'Élysée, pour aviser les
pouvoirs publics de ce qui se fomente dans ces marches de la
francophonie. Le « Monsieur Afrique » du président Mitterrand,
Bruno Delaye, est rencontré à plusieurs reprises. Jean Carbonare
lui apporte un document vidéo de six heures, comportant des
accusations et un témoignage 10 accablants à l'encontre de
« l'amiHabyarimana » : Bruno Delaye ne voudra pas le visionner.
La France, ou plutôt la

9

. Le Nouvel Observateur du 04/08/94.
. Ce témoignage d'un ancien responsable des « escadrons de la mort », Janvier Afrika, ne
sortira dans la presse qu'à la fin du génocide (Stephen Smith, Rwanda : un ancien des
escadrons de la mort accuse, in Libération du 21/06/94 et Mark Huband, in The Weekly
Mail and Guardian, repris par Courrier international du 30/06/94.
10

22

majorité de la quinzaine de lobbies ou réseaux qui entretiennent
ses relations africaines, continuera d'appuyer militairement,
politiquement et financièrement un régime en pleine dérive
génocidaire. Elle continuera surtout de le soutenir pendant et après
le génocide du printemps 1994, lorsque la frange la plus
extrémiste du Hutu power 11 aura clairement pris le pouvoir.

11

. Bien que le Rwanda ait été gouverné depuis 1960 par un pouvoir dictant la loi du
« peuple majoritaire » hutu, c'est seulement à partir de 1990 que le slogan « Hutu power ! »
(puis tout simplement « Power ! ») a enflammé les esprits. Il a rallié les adeptes d'un racisme
radical, puis éradicateur. Ce groupe d'extrémistes va phagocyter le régime Habyarimana, son
administration et son armée, puis le doter de milices - dont les trop célèbres Interahamwe.
Par Hutu power, nous désignons ce groupe politico-militaire dont l'idéologie raciste et
totalitaire a conduit au génocide, et l'ensemble de ceux qui continuent d'adhérer à cette
idéologie.

23

2
Les champs du déshonneur

La complicité française dans le génocide de 1994 ne fait pas de
doute, hors de l'Hexagone. En France, plusieurs années après, on
persiste à l'éluder. Concédons au ministre de la Coopération
Charles Josselin « que ce ne sont pas les Français qui tenaient
les machettes » 12. Cela n'exonère pas certains décideurs français
de leurs responsabilités 13. Que Goebbels ou Hitler n'aient pas
fermé eux-mêmes la porte des chambres à gaz ne suffit pas tout à
fait à les innocenter.
Certes, dans la région, la violence et le malheur ne se sont pas
arrêtés avec la fin du génocide d'avril-mai 1994 - un événement
qui ne pouvait qu'exacerber les passions. Huit cent mille tués en
un peu plus de sept semaines (un taux d'élimination quotidienne
cinq fois plus élevé qu'à Auschwitz) 14, cela signifie autant de
dégâts qu'un tapis de bombes atomiques. S'ajoutent aux morts les
millions de blessés et mutilés, physiques et psychiques. Mais cela
s'est passé en l'absence quasi-totale des caméras de télévision,
mobilisées

12

. Interview à Ouest-France du 17/10/97.
. Listées dans un avis de l'Observatoire permanent de la Coopération française (Rapport
1995, op. cit., p. 149-153).
14
. Chiffrage et comparaison établis par Gérard Prunier, in Rwanda : le génocide, Dagorno,
p. 312-317.
13

24

par le scrutin qui, en Afrique du Sud, signifiait la fin de
l'apartheid. Ce génocide reste inouï, au sens littéral. Ses rares
images ont été aussitôt effacées par la couverture médiatique sans
précédent de l'épidémie de choléra à Goma, en juillet 1994 : cette
fois, l'armée française omniprésente offrait aux journalistes du
monde entier une logistique impeccable, et les compliments de son
service de communication. Plus tard, la tragédie des réfugiés
hutus massacrés, épuisés ou affamés lors de la guerre du Zaïre
(1996-97) 15 a achevé de brouiller les discours.
Le génocide lui-même, le succès fulgurant d'une idéologie
raciste et de sa propagande, l'inoculation à des millions de gens
d'une mixture de haine, de peur et d'impunité, conservent quelque
chose d'incompréhensible, d'incroyable 16.

15

. Au moment où est écrit cet ouvrage, leur nombre reste l'objet d'une polémique.
L'obstruction apportée au travail de la Commission d'enquête des Nations unies confirme
l'importance des crimes de guerre et/ou contre l'humanité commis dans l'ex-Zaïre de
septembre 1996 à juin 1997, par massacre de civils ou obstruction à les secourir. Mais elle
empêche d'affiner l'évaluation du nombre des victimes et la détermination des responsabilités.
La coalition anti-mobutiste est la principale accusée.
L'évaluation chiffrée ne peut résulter pour le moment que de déductions - souvent biaisées
par les partisans de la thèse du « double génocide ». Pour ce « parti », animé par le noyau
dur des amis belges, français et catholiques du régime Habyarimana, il est capital
d'« équilibrer » les comptes : il faut qu'une horreur symétrique vienne relativiser l'oeuvre
d'extermination entreprise en 1994 contre les Tutsis du Rwanda (elle en élimina 85 %, cf.
Gérard Prunier, op. cit., p. 316).
Les estimations impartiales signalent 150 000 à 200 000 réfugiés civils hutus rwandais
disparus durant la guerre du Zaïre, presque tous morts, sans doute. Pour une large part, ces
morts ont été victimes de crimes de guerre, de vengeance indistincte ou de blocus. Ces
crimes, aussi inadmissibles soient-ils, et en certains endroits monstrueux, ne procèdent pas de
ce qui constitue un génocide : un plan systématique de destruction d'un groupe entier en
raison de son appartenance ethnique. Négliger de penser cette différence d'avec les
événements de 1994 conduit à un négationnisme insidieux, qui tend à banaliser le génocide.
16
. Parmi beaucoup d'autres, signalons quatre ouvrages essentiels pour la compréhension de
cette idéologie et de sa propagande : ceux de Dominique Franche et Claudine Vidal, cités
plus haut ; Les médias du génocide (Karthala, 1995), sous la direction de Jean-Pierre
Chrétien, et, du même auteur, Le défi de l'ethnisme (Karthala, 1997).

25

L'intelligence continue de ne pouvoir admettre ou supporter la
réalité du voisin-bourreau, la transformation d'un universitaire ou
d'un militant des droits de l'homme en organisateur de massacres,
l'implication des femmes et des enfants dans les tueries, les
surenchères sans limites dans la cruauté et la torture, le choix
fréquent d'une mort « à petit feu » 17.
Ceux qui se sont efforcés de regarder en face cette réalité en
ressortent brûlés. On peut donc comprendre qu'un instinct
élémentaire de conservation détourne l'attention. Chacun d'entre
nous préfère accueillir d'une oreille complaisante la désinformation qui rassure.
Le révisionnisme est consubstantiel au génocide. S'il trouve
audience au-delà du cercle des principaux coupables, c'est qu'il ne
sert pas seulement à occulter un crime immense : il entretient
l'illusion réconfortante que l'homme ne serait pas capable de
commettre le mal absolu.
En France, les deux motifs d'occultation-révision du génocide de
1994 se conjuguent : l'horreur et l'illusion. Le même phénomène
était depuis longtemps à l'oeuvre à propos des massacres
coloniaux et post-coloniaux. Il est porté cette fois à son
paroxysme.
La complicité dans l'horreur est le premier blocage. Les
responsables français ont adhéré sans recul ni remords aux
slogans ethnistes du génocide rwandais : le pouvoir absolu du
« peuple majoritaire », son droit illimité de » légitime défense »
contre une « ethnie » minoritaire dont une composante, exilée en
Ouganda, a poussé la félonie jusqu'à parler anglais ! Le

17

. La liste des ouvrages et rapports qui ont rendu compte du vécu de ce génocide est déjà
très longue. Rwanda : Death, despair, defiance, d'African Rights (Londres, deuxième
édition, 1995) reste l'ouvrage de référence, grâce à l'inépuisable énergie investigatrice de
Rakiya Omaar. En plus accessible et plus ramassé, on peut lire la description de Gérard
Prunier dans Rwanda : le génocide, op. cit., p. 284-312. Le phénomène du voisin-bourreau
a été approché par Claudine Vidal, Le génocide des Rwandais tutsi : cruauté délibérée et
logiques de haine, in De la violence, Séminaire de Françoise Héritier, Odile Jacob, 1996.

26

catalogue des connivences avec les responsables du génocide est
si épais - j'en donnerai un bref aperçu - qu'il marque notre pays au
fer rouge d'une complicité imprescriptible. Il n'est pas très
agréable de raviver la plaie.
La défense désespérée de nos illusions est le second rempart à
l'avancée de la vérité. Le génocide détruit une vision mythique de
l'Afrique. Nous acceptons volontiers de penser que les Africains
sont capables de massacrer, mais pas de concevoir et propager
une idéologie meurtrière sophistiquée, ni de planifier un génocide :
un tel raffinement dans le mal doit rester le privilège d'Européens
comme Hitler ou Staline. Surtout, nous ne pouvons pas imaginer
que nos hommes politiques si lyriques, si typiquement français, ou
nos officiers du 14 juillet, puissent en connaissance de cause
adhérer à de telles monstruosités ou les favoriser.
Effectivement, ce n'est pas si simple. Les Français ont les
dirigeants qu'ils élisent. Le Rwanda est l'accomplissement de notre
démission collective. Qui parmi nous, les citoyens ordinaires, a
cherché à savoir ce qui se passait là-bas ? Qui s'élève contre les
innombrables crimes économiques et politiques des relations
franco-africaines ? Chacun pressent qu'il y a beaucoup de
cadavres dans le placard. Mais, sur ces sujets refoulés, le signal
politique que nous émettons en direction de nos gouvernants reste
ambivalent. Il relève du flou cérébral, au mieux de la velléité...
A notre image, amplifiée et quelque peu déformée, nos
dirigeants ont fini par avoir une conscience à éclipses. Ils évitent
soigneusement d'examiner les conséquences de leurs actes. Ils
s'auto-intoxiquent d'un discours permanent sur la grandeur de
laFrance, « patrie des droits de l'homme », sur sa mission
universelle et son indépendance stratégique. Beaucoup vivent une
sorte de dédoublement (« l'Afrique, c'est autre chose »), qui les
autorise plus ou moins consciemment à

27

faire preuve, là-bas, d'une immoralité et d'un cynisme qu'ils ne
s'autoriseraient pas en Europe.
Les cas de cynisme endurci et assumé sont rares. Ceux qui en
font preuve, plus déterminés que d'autres, sont aussi plus
influents. Ils privilégient la manipulation des circuits
d'information, celle en particulier que produisent les services de
renseignement. Par là, ils orientent les décisions de la grande
majorité de leurs collègues, cyniques intermittents, opportunistes
ou vrais-faux naïfs, rêvant de passer entre les gouttes.
Ces subtils mécanismes d'auto-protection et cette lucidité à
géométrie variable permettent à la plupart des décideurs de nager
dans les eaux troubles du « responsable, pas coupable ». Le
peuple français s'accommode volontiers de cette disculpation.
L'ensemble tient, comme le mythe de l'innocence française dans la
déportation des Juifs sous Vichy 18, aussi longtemps qu'on parvient
à empêcher l'explicitation de la vérité et son déploiement dans
l'espace public, de l'école aux médias. On peut y réussir
longtemps (deux à trois décennies, pour Vichy), surtout si la
vérité est cruelle. Le mensonge endort, telle une drogue. Le demimensonge aussi, cette complaisance dans le non-savoir qui est
elle-même une complicité. Du coup, tout est permis, et le crime se
répète.
Sortir du mensonge est une aventure. C'est celle que je veux
raconter dans ce livre. C'est aussi une épreuve : on ne sort pas
indemne d'une exploration de l'action de la France en Afrique
depuis les « indépendances ». Mais forcer les portes de la vérité
est indispensable si l'on veut fonder, pour le XXI e siècle, une
relation juste et riche avec les peuples de tout un continent.
Pour ceux qui doutent encore de l'existence de ces champs du
déshonneur, on ne reprendra pas ici les démonstrations,

18

. Ou dans la torture d'État en Algérie, ou dans les massacres des harkis.

28

déjà faites ailleurs 19, de l'implication française dans le génocide
rwandais. On se contentera de rapporter quelques propos et
quelques faits.
Le 7 avril 1994, les extrémistes du Hutu power prennent le
pouvoir à Kigali, avec l'appui de la Garde présidentielle, des
milices, de la gendarmerie, formée par des Français, et d'une
partie des Forces armées rwandaises (FAR) 20. Le noyau dur de
l'organisation du génocide est un groupe d'officiers, dirigé par le
colonel Théoneste Bagosora 21. Le 12 avril, le général Augustin
Bizimungu, un extrémiste, évince le chef d'état-major modéré
Marcel Gatsinzi. Dès lors, depuis le sommet de la hiérarchie,
l'armée s'implique dans le génocide : elle couvre les massacres, et
vient en appoint des milices lorsqu'elles sont « débordées ». Le 19
mai 1994, six semaines après le début du génocide, Philippe
Jehanne, membre du cabinet du ministre de la Coopération Michel
Roussin, avoue à un visiteur 22 : « Nous livrons des munitions aux
FAR en passant par Goma. Mais bien sûr nous le démentirons si
vous le citez dans la presse ».

19

. Cf. François-Xavier Verschave, Complicité de génocide ?, op. cit. ; Rwanda : la France
choisit le camp du génocide, in Dossiers noirs n° 1 à 5, Agir ici et Survie/L'Harmattan,
1996 ; Mehdi Ba, Rwanda, 1994 : un génocide français, L'esprit frappeur, 1997. Au
moment où s'achève la rédaction de cet ouvrage, cent ans exactement après le J'accuse
d'Émile Zola, Patrick de Saint-Exupéry a publié dans Le Figaro une série de quatre articles
qui résument magistralement ces implications françaises (12-15/01/98).
20
. L'expansion considérable de tous ces corps armés depuis le début de la guerre contre le
FPR - de 5 000 à plus de 100 000 hommes au total, milices comprises - a été entièrement
supervisée par la France (stratégie, encadrement, instruction, équipement). Cf. Patrick de
Saint-Exupéry, articles cités.
21
. Premier Rwandais admis à l'École de guerre de Paris, il put s'y familiariser avec nombre
d'officiers français, et perfectionner ses talents d'organisateur.
22
. Gérard Prunier, Rwanda : le génocide, op. cit., p. 332, note 136. La plupart des membres
du cabinet de Michel Roussin, comme le ministre de la Coopération lui-même, étaient issus
de la DGSE, ou y étaient encore rattachés. Ce qui souligne la face clandestine de la politique
de ce Ministère, fort éloignée de ses objectifs avoués.

29

Dix jours plus tôt, le général Jean-Pierre Huchon, qui
commande alors depuis un an la coopération militaire francoafricaine, a reçu dans son bureau parisien l'un des principaux
responsables des FAR, le lieutenant-colonel Ephrem Rwabalinda.
Dans son compte-rendu 23, celui-ci résume ainsi les « Avis et
considérations du Général Huchon » :
« a. Il faut sans tarder fournir toutes les preuves prouvant la
légitimité de la guerre que mène le Rwanda de façon à retourner
l'opinion internationale en faveur du Rwanda et pouvoir
reprendre la coopération bilatérale. Entre-temps, la maison
militaire de coopération prépare les actions de secours à mener
à notre faveur.
Le téléphone sécurisé permettant au Général Bizimungu et au
Général Huchon de converser sans être écouté (cryptophonie)
par une tierce personne a été acheminé sur Kigali. Dix sept
petits postes à 7 fréquences chacun ont été également envoyés
pour faciliter les communications entre les Unités de la ville de
Kigali.
Ils sont en attente d'embarquement à Ostende. Il urge de
s'aménager une zone sous contrôle des FAR où les opérations
d'atterrissage peuvent se faire en toute sécurité. La piste de
Kamembe a été retenue convenable aux opérations à condition
de boucher les trous éventuels et d'écarter les espions qui
circulent aux alentours de cet aéroport.
b. Ne pas sous-estimer l'adversaire qui aujourd'hui dispose de
grands moyens. Tenir compte de ses alliés puissants.
c. Placer le contexte de cette guerre dans le temps. La guerre
sera longue.

23

. Document retrouvé par la journaliste belge Colette Braeckman, et publié par
l'Observatoire permanent de la Coopération française, Rapport 1995, op. cit., p. 177-179.

30

d. Lors des entretiens suivants au cours desquels j'ai insisté sur
les actions immédiates et à moyen terme, attendues de la
France, le général Huchon m'a clairement fait comprendre que
les militaires français ont les mains et les pieds liés pour faire
une intervention quelconque en notre faveur à cause de
l'opinion des médias que seul le FPR semble piloter. Si rien
n'est fait pour retourner l'image du pays à l'extérieur, les
responsables militaires et politiques du Rwanda seront tenus
responsables des massacres commis au Rwanda.
Il est revenu sur ce point plusieurs fois. Le gouvernement
Français, a-t-il conclu, n'acceptera pas d'être accusé de soutenir
les gens que l'opinion internationale condamne et qui ne se
défendent pas. Le combat des médias constitue une urgence. Il
conditionne d'autres opérations ultérieures [...] ».

Le général Huchon, à l'état-major de l'Élysée puis au ministère
de la Coopération, dirigea avec le général Christian Quesnot
l'engagement militaire de la France au Rwanda. Même s'il est
considéré comme l'un des partisans les plus engagés de la guerre
contre le FPR (1990-93), il est probable qu'il n'imaginait pas
l'horreur du génocide. Quand celui-ci advient, suivi jour par jour
par les services de renseignement français, il aurait pu avoir une
réaction de recul horrifié devant le crime inouï de ses « alliés » et
« frères d'armes ». Non. Il préfère s'inquiéter de leur mauvaise
presse. Les gros titres sur les massacres interdisent aux Français
d'aider trop ouvertement le camp du génocide à gagner la guerre.
Ils ne les empêchent pas de pourvoir abondamment, par des
canaux clandestins, à son approvisionnement en armes et
munitions 24.

24

. Du 19 avril au 18 juillet, le lieutenant-colonel rwandais Cyprien Kayumba, « contact »
du général Huchon, organise six livraisons d'armes pour un montant total de 5 464 395
dollars. Cf. Patrick de Saint-Exupéry, France-Rwanda : des silences d'État, in Le Figaro,
du 14/01/98.

31

Car, sur fond de négation du génocide, « la guerre sera
longue ». Ce propos prêté au général Huchon fait frémir. Dès
juillet 1994, lorsque le service d'information des armées, le
SIRPA, aura gagné avec l'opération Turquoise la bataille des
médias, l'armée française pourra favoriser le repli de tout
l'appareil du Hutu power. Elle collaborera avec Clément
Kayishema, le préfet-boucher de Kibuye, sous l'administration
duquel le génocide fit plus de 100 000 victimes. Elle transportera
dans ses hélicoptères le « cerveau » présumé du génocide, le
colonel Bagosora, et le chef des milices Interahamwe, JeanBaptiste Gatete 25. Etc.
L'opération Turquoise fut ainsi un formidable trompe-l'oeil.
L'alibi humanitaire ne trompait que les caméras complaisantes. Le
corps expéditionnaire français était équipé de véhicules blindés,
pour le combat. Il s'avéra souvent incapable de transporter et
sauver les survivants Tutsis qu'il découvrait : drôle d'opération
humanitaire ! Les organisateurs du génocide organisèrent un
accueil triomphal aux troupes françaises. Leur station de radio,
RTLM (« radio-machette »), avait même pensé aux détails.
Plusieurs jours avant l'arrivée des Français, elle diffusait des
messages du genre : « Vous, les filles hutu, lavez-vous et mettez
une belle robe pour accueillir nos alliés français. Toutes les
filles tutsi sont mortes, vous avez vos chances 26».
L'état-major n'était pas seul à favoriser l'accomplissement du
génocide. L'Élysée cautionnait l'engagement des militaires. Il
organisait aussi le soutien diplomatique (aux Nations unies
notamment) du « gouvernement provisoire » mis en place par le
Hutu power. Au cours de la troisième semaine d'avril, il parvint
avec Mobutu à torpiller une réunion des pays de la région, en
Tanzanie, pour réagir au

25

. Selon des officiels de l'ONU, cités par Human Rights Watch, Rwanda/Zaïre,
Réarmement dans l'impunité. Le soutien international aux perpétrateurs du génocide
rwandais, rapport d'enquête, mai 1995.
26
. Gérard Prunier, Rwanda : le génocide, op. cit., p. 347, note 21.

32

drame rwandais. Le 9 mai (le jour même où le général Huchon
recevait l'émissaire des FAR), Bruno Delaye, le Monsieur Afrique
de l'Élysée, confiait : « Nous ne voulons en aucun cas de ces
rencontres en Tanzanie. La prochaine doit avoir lieu à Kinshasa
[au Zaïre]. Nous ne pouvons laisser les pays anglophones [de
l'Est africain] décider du futur d'un pays francophone. Nous
voulons que Mobutu revienne au premier plan, il est
incontournable, et nous allons y parvenir avec cette histoire du
Rwanda 27». Le génocide comme marche-pied de la grande
géopolitique française ! Une réaction rapide des États de la région
aurait pu éviter des centaines de milliers de morts. Mais ces
suppliciés ne comptaient pas face au « futur » francophone du
Rwanda. « Peut-on sérieusement imaginer, s'insurge la
journaliste belge Colette Braeckman, que la défense de la
francophonie puisse coïncider avec la protection d'un régime
digne des nazis ? 28 ».
Le 27 avril, au milieu du génocide, Jean-Bosco Barayagziwa,
leader du parti extrémiste CDR - aiguillon du basculement d'une
part importante des élites rwandaises dans l'idéologie raciste du
Hutu power -, était reçu officiellement à l'Élysée, à Matignon et
au Quai d'Orsay, par François Mitterrand, Édouard Balladur et
Alain Juppé 29. Pourquoi s'en offusquer ? « Dans ces pays-là, un
génocide, c'est pas trop important », confiera le Président à des
proches, durant l'été 1994 30.
Un an plus tard, le ministre de la Justice belge a rédigé une lettre
« indignée » à son collègue français Jacques Toubon à propos des
fréquents séjours en France du colonel Bagosora 31 - accusé d'être,
en quelque sorte, le Hitler du

27

. Ibidem, p. 333, note 139.
. Le Soir (Bruxelles), repris par Courrier international du 30/06/94.
. Gérard Prunier, Rwanda : le génocide, op. cit., p. 331.
30
. D'après Patrick de Saint-Exupéry, France-Rwanda : un génocide sans importance..., in
Le Figaro du 12/01/98.
31
. Cf. François Janne d'Othée, Rwanda : tensions franco-belges, in La Croix du 13/07/95,
et De Standaard du 11/07/95.
28
29

33

génocide rwandais. En 1997, l'avocat Éric Gillet, coordonnateur
pour le Rwanda et le Burundi à la Fédération internationale des
Droits de l'homme, constatait que, pour les coupables présumés
du génocide, « le havre le plus sûr reste la France. Une personne
arrêtée peut être libérée sous les prétextes juridiques les plus
invraisemblables 32». Quant aux responsables du génocide, comme
le général Augustin Bizimungu, ils viennent « pour consultation ».
Leurs troupes demeurent si utiles aux grandes manoeuvres francoafricaines ! Durant l'été 1997, elles ont aidé le général Denis
Sassou Nguesso, un grand ami de Jacques Chirac, à reconquérir
le Congo et son pétrole 33...
Au bout de cette logique, on trouve une réunion
interministérielle, mi-juillet 1996, à l'hôtel Matignon. Il s'agit de
décider la position de la France sur la création d'une Cour
criminelle internationale (CCI) permanente, capable de juger les
crimes de génocide et contre l'humanité. C'est le grand enjeu
juridique de cette fin de siècle, le premier pas vers un minimum de
prévention des forfaits les plus abominables. Certes, la
pénalisation ne suffit pas (on l'a vu au Cambodge, en Bosnie et au
Rwanda), mais au moins elle désigne le mal. Dans son livre
L'État criminel 34, Yves Ternon a raconté ce qui s'est réellement
passé à Genève en 1948, lors de la discussion des conventions sur
la prévention et la répression des crimes de génocide et descrimes
contre l'humanité : les États ont demandé à leurs représentants de
trouver les discrètes dispositions qui rendraient ces conventions
inapplicables. Saisies à propos de crimes commis au Rwanda et
en Bosnie,

32

. Interview à La Libre Belgique, 07/08/97.
. Cf. Patrick de Saint-Exupéry, France-Rwanda : le temps de l'hypocrisie, in Le Figaro
du 15/01/98.
34
. Seuil, 1995.
33

34

les juridictions françaises ont, à plusieurs reprises, confirmé
cette inapplicabilité... 35.
Ces failles tragiques avaient conduit les esprits lucides à mener
campagne pour la création d'une CCI. Jusqu'à l'été 1996, la
France ne s'opposait pas vraiment à cette avancée institutionnelle.
Certains la stimulaient : Louis Joinet, Robert Badinter, quelques
diplomates. Mais, à la réunion de Matignon, le ministère de la
Défense a fait valoir qu'une telle institution pourrait mettre en
cause des officiers français pour leur rôle au Rwanda 36. L'armée a
imposé un revirement 37, qui s'est confirmé en août : à l'ONU, la
France a pris la tête de l'obstruction à la CCI, aux côtés de pays
comme l'Irak, l'Iran, la Libye, la Birmanie,... au grand scandale de
ses partenaires de l'Union européenne 38. Ainsi, la « marge de
manoeuvre » passée et future de certains galonnés en Afrique,
couverts par

35

. Certes, pour ces deux pays, il a été institué entre-temps des tribunaux pénaux
internationaux ad hoc. Mais bien tardivement. Pour le Rwanda en particulier, on s'est efforcé
d'assurer la précarité de l'organisation et des moyens du Tribunal. Et les lois d'application
françaises sont dotées d'un subtil mécanisme d'incompétence : il faut que les coupables
présumés soient « trouvés » en France (et pas seulement « présents »), c'est-à-dire que les
pouvoirs publics ordonnent de les chercher...
36
. L'armée reste la grande muette sur les génocides, in L'Événement du Jeudi du
25/07/96.
37
. Le général Olivier Rochereau, directeur de l'Administration générale au ministère de la
Défense, a eu cet aveu admirable dans la revue Défense Relations internationales (n° 207) :
« La création d'une justice pénale internationale est un noble objectif. Mais en l'état, les
projets avancés ne semblent compatibles, ni avec les intérêts des États les plus actifs dans
la mise en oeuvre du droit humanitaire, ni avec la protection juridique de leurs
ressortissants, ni même avec le simple réalisme politique ». Il faudrait en déduire, entre
autres, que l'activisme humanitaire de la France est incompatible avec la sanction des crimes
contre l'humanité...
38
. Cf. Afsané Bassir Pour, A l'ONU, la France s'oppose à la création d'une Cour
criminelle internationale, in Le Monde du 06/09/96 ; Michel Forst, Du "Jamais plus" au...
"Encore un peu", in La Chronique d'Amnesty d'octobre 1996. Les délégués français
demandaient par exemple de subordonner la saisine de la CCI à l'accord de l'État dont ressort
le coupable présumé, de celui dont ressort la victime, de celui où s'est passé le crime, et du
Conseil de sécurité de l'ONU. On ne pourrait juger que les régimes vaincus et dépourvus de
tout parrain parmi les membres permanents du Conseil de sécurité.

35

leurs mentors politiques, privera nos enfants d'une protection
minimale contre le retour de l'abomination. Au même moment,
Jacques Chirac, entouré de lycéens, allait à Auschwitz célébrer
« le devoir de mémoire qui s'impose au monde. Et l'espérance
que jamais, plus jamais, nulle part, ne s'accomplisse une telle
horreur ».
Prenons-le au mot, et allumons la lumière...

36

3
Objections à l'inhumanité

C'est une histoire à la fois personnelle et collective qui m'a
conduit à entreprendre ce livre, comme on ouvre un chantier. J'y
suis témoin et rouage, artisan et outil 39. Retracer brièvement cette
histoire m'a paru indispensable, comme voie d'accès et mode
d'emploi 40: allumer la lumière est un faire plutôt qu'un résultat, cet
ouvrage n'est pas l'interrupteur qui déclenche l'éclairage électrique.
J'en reviens au génocide. Difficile d'y échapper, en ce XX ème
siècle. Ce n'est pas la découverte de la Shoah qui m'a le plus
bouleversé. C'est de n'avoir connu son existence qu'à vingt ans,
trois ans après le baccalauréat, et presque par hasard. Je lisais
beaucoup, j'aimais l'histoire, j'entamais ma quatrième année
d'études supérieures, et pourtant personne

39

. Le rappel de la dimension collective de cette histoire me donne l'occassion de remercier
tous ceux qui m'ont aidé à réaliser cet ouvrage, en particulier Marcel Anoma, Mehdi Ba,
Laurent Beccaria, Michel Bruneau, Monique Chajmowiecz, Sharon Courtoux, Bruce Clarke,
Nadine Dauch-Bono, Olivier Herviaux, Fidelia Ibekwe, Bruno Jaffré, Pierre Kaldor, Claude
Meillassoux, Jean Merckaert, Eric SanJuan, Paul Sankara, Godwin Tété et Daniel Um
Nyobe.
Nombreux sont ceux qui, en France, ont commencé bien avant moi à dénoncer la politique
africaine de la France. Je pense en particulier au Cédétim, à Frères des Hommes, à la revue
Libé-Afrique.
40
. Aiguillage pour le lecteur pressé : celui qui veut aller directement aux ressorts financiers
cachés de l'« entreprise » franco-africaine passe au chapitre suivant, qui peut être également
sauté par ceux qu'intéresse seulement l'aspect criminogène de cette entreprise. Mais le cash est
l'un des mobiles majeurs des crimes franco-africains.

37

ne m'avait jamais parlé de l'extermination des Juifs. Je l'ai
apprise un soir de 1965, lors d'une émission de télévision. Ainsi,
quinze années d'enseignement, depuis l'école primaire, avaient pu
omettre l'information majeure de ce siècle : l'homme est capable de
l'inhumanité absolue. Je découvrais que l'on ne vous apprend pas
toujours l'essentiel, et que l'on occulte volontiers le pire.
Je reçus donc, simultanément, la mauvaise nouvelle et l'intuition
des conditions de son renouvellement : la chape de silence, les
ruses infinies de l'esquive et de l'indifférence, le réseau des petites
et grandes lâchetés. Ils autorisent l'abomination, puis l'enrobent, la
masquent et l'escamotent. Ma vie en était changée, je découvrais
l'obligation de l'engagement politique : aucune main invisible, nulle
autorité bienveillante n'étaient là pour nous dispenser de repérer,
puis de refuser et déjouer les connivences diffuses avec
l'extermination, ce dérapage absolu, toujours possible.
Dans le même moment, j'ai compris qu'un semblable tissu de
complicités empêchait de désigner l'horreur du présent :
l'acceptation de l'extrême misère qui entraînait, à l'époque, la mort
quotidienne de quarante mille enfants, par malnutrition ou défaut
d'accès aux soins élémentaires. Le voile d'impuissance qui habillait
en fatalité ce produit de l'indifférence et de l'iniquité, je le sentais
voisin de celui qui fit accepter au peuple allemand, puis à la
France pétainiste, la soumission ordinaire au projet d'extermination
des Juifs. J'entrepris des études d'économie pour tenter de
comprendre les causes de la misère.
Muni cinq ans plus tard de cette « compétence », je partis faire
mon service national dans le cadre de la coopération, en Algérie,
sur la piste du « développement ». Un hasard à vrai dire : je devais
rejoindre un poste en Tunisie, mais un retournement diplomatique
avait conduit le Quai d'Orsay à dépêcher soudain à Alger un fort
contingent de coopérants français. Ce

38

furent deux années de travail intense, d'expérimentation, de
découverte des rouages économiques et politiques 41.
Pourtant, un doute s'insinuait dans mon esprit quant à la
pertinence des modes de pensée économique que l'on m'avait
enseignés - la thèse libérale et son antithèse marxiste. Localement,
des conseillers étrangers en proposaient une variante planifiée,
dirigée par un État jacobin mâtiné de soviétisme. Ces conseils
rencontraient la pente naturelle de ceux qui, aux commandes de
l'Algérie, avaient remplacé les Français. Les Algériens eurent donc
droit à un pays tenu par l'armée et la Sécurité militaire, puis à la
nationalisation de leur économie : les coopératives de transport de
voyageurs, par exemple, bien que très performantes, furent
remplacées en 1972 par la bureaucratique SNTV. La manne
pétrolière fut investie dans la théorie fumante des « industries
industrialisantes » : l'Algérie se faisait livrer de gigantesques unités
sidérurgiques ou pétrochimiques clefs en mains, censées diffuser
leur technologie et leur richesse sur un environnement économique
maltraité. C'est bien sûr le contraire qui s'est produit. La majorité
des coopérants français dénigraient à longueur de soirées les
fonctionnaires ou salariés algériens qui « sabotaient » ces beaux
jouets neufs et modernes. Il était pourtant perceptible que la
population algérienne entretenait

41

. Je tombais, à la Direction des Transports terrestres, sur un duo peu banal. Le directeur,
Djelloul Benelhadj, était l'un des rares énarques algériens, tôt passé du côté de la rébellion.
Son conseiller pied-noir, Jacques Lengrand, avait combattu le FLN chez les parachutistes.
Héritier de l'une des principales entreprises de transport de voyageurs du pays (les Autocars
blidéens), il fut évidemment dépossédé de ce patrimoine en 1962, au moment de
l'indépendance. Mais il rencontra en cette occasion le haut fonctionnaire algérien, et
sympathisa avec lui. Ensemble, ils se promirent de reconstruire les transports du pays.
Imbu du bien commun, Benelhadj était aussi un négociateur hors pair - déjouant en grand
artiste les manoeuvres d'une corruption déjà grandissante. Lengrand connaissait par coeur les
rouages de la profession, et les fragilités du système de transport. En huit ans, les deux amis
avaient beaucoup reconstruit, mais il restait énormément à faire. J'y investis avec passion mes
« compétences » fraîchement acquises.

39

une sorte de résistance face au parachutage d'un modèle
inassimilable, culturellement et structurellement, tant il occultait
les nécessités de l'enracinement, de l'appropriation, d'une réédification économique, politique et sociale.
Devenu sceptique sur l'exportation des modèles de
développement, j'en vins, rentré en France, à reprendre la pratique
économique par la base, en quête d'autres rationalités 42. Je
n'acceptais pas, pour les avoir rencontrés, l'enfermement asilaire de
ceux que la rationalité ordinaire a blessés 43. Je participais en 1976
à la création d'un atelier de menuiserie-ébénisterie composé pour
moitié de sortants d'hôpitaux psychiatriques. Je fus durant cinq ans
le responsable de cette entreprise assez originale, dont l'aventure se
poursuit encore vingt ans après.
Qu'est-ce qui liait le rejet du génocide, de l'extrême misère, et de
la proscription de l'aliéné ? Ce refus procède d'une conviction et
d'une expérience : j'y retrouve toujours des existences humaines
défigurées, mes semblables. Ils me disent : « Je n'ai pas mérité
cela. Ce que j'aime au monde, ce que je voudrais aimer, ne peut
pas me faire cela ». Et comme on aime peu ou prou les mêmes
choses, les mêmes paysages, les mêmes chants, les mêmes
enfances... Reste-t-on humain si l'on ne cherche plus à endiguer
l'inhumanité ? Il m'a toujours semblé préférable de colmater au
plus vite les petites fuites

42

. Deux ouvrages, entre autres, ont favorisé cette remise en question : Maurice Godelier,
Rationalité et irrationalité en économie, Maspéro, 1969 ; Cornélius Castoriadis,
L'institution imaginaire de la société, Seuil, 1975.
43
. Exposé par Michel Foucault, Histoire de la folie à l'âge classique, Gallimard, 1976. Cf.
aussi Christian Delacampagne, Figures de l'oppression, PUF, 1977. La recherche de
Fernand Deligny fut pour moi déterminante (cf. Nous et l'innocent, Maspéro, 1975). Malgré
(ou à cause de) ses défauts, le film de Milos Forman Vol au-dessus d'un nid de coucous est
une remarquable initiation à la trop fréquente incommunication des regards, du « soignant »
et du « soigné ». Le livre de Ken Kesey dont ce film est inspiré (LGF, 1977) est encore
meilleur.

40

ou les brèches plutôt que d'attendre d'être submergé, obligé alors
à un héroïsme et un déchirement dont peu d'hommes et de femmes
sont capables. Mais nous sommes tous saisis par cette sorte
d'« incapacité anthropologique à anticiper les conséquences d'un
manque d'engagement 44».
La relégation de la folie causait en moi une peur panique. Elle a
cessé à la première minute de l'année que j'ai passée à travailler,
comme garçon de salle, dans une clinique psychiatrique : j'y ai
rencontré des êtres humains, d'autant plus disposés à communiquer
que je n'étais pas soignant. Plus tard, j'ai eu l'occasion d'échanger
de longs moments avec un homme légèrement plus âgé que moi,
dont les « rechutes » se faisaient de plus en plus sévères. Il me
racontait ses cauchemars, dans un contexte dont je ne découvrirai
l'horreur que bien plus tard 45. Il avait fait partie des troupes
coloniales au Cameroun autour de 1960. Il me parlait de
massacres. Il voyait partout des croix noires...
On est peu de chose pour retenir ces vies à la dérive. Mais en se
coalisant, on arrive parfois à enrayer le cours de la fatalité. Un
simple repas partagé est une victoire. Le compagnonnage durant
une journée de pose de portes ou de fenêtres est un cran d'arrêt à la
violence.
Une raboteuse de 925 kg, tombée sur moi lors de son
déchargement, avait eu la gentillesse de ne point trop m'amocher.
Je pouvais encore servir. Il se trouve que la crise économique, le
chômage et l'exclusion gagnaient les agglomérations. Une banlieue
lyonnaise s'attacha mes services, début 1982. J'y suis encore
attaché, seize ans plus tard.
Entre-temps, Survie m'a croisé.

44

. Selon l'expression de la syndicaliste belge Renate Langewiesche, in Réarticuler le
développement : un partenariat contractuel (Actes d'un Colloque organisé par le Forum
Européen pour un Contrat de génération Nord-Sud), GRESEA, Bruxelles, 1992, p. 71.
45
. Voir plus loin le chapitre Massacres en pays bamiléké, p. 91.

41

Fin 1983, je tombe sur une pleine page de publicité dans Le
Monde, qui présente les objectifs d'une « campagne Survie »
contre l'extermination par la faim, lancée en 1981 par le manifesteappel de 54 prix Nobel. Quelque chose m'attire d'emblée : il s'agit
d'une démarche profondément politique. Les prix Nobel demandent
de donner « valeur de loi au devoir de sauver les vivants ». De
fait, dans plusieurs pays d'Europe (en Italie, en Belgique, en
France), des campagnes de citoyens Survie cherchent à obtenir une
loi qui transforme en un dispositif durable et efficace tant les
générosités passagères des individus que l'aide publique au
développement, trop souvent dévoyée. Vaincre la faim, rappellentils, est un objectif politique, atteignable si nos représentants
décident d'en prendre les moyens. Un objectif ni plus ni moins
utopique, en somme, que l'abolition de l'esclavage, l'école gratuite
ou la sécurité sociale.
Cette approche, dans le droit fil de ce qui m'a mis en route en
1965, me plaît. J'écris à l'adresse parisienne de Survie, en
demandant quelques précisions. Débordé, le responsable de la
campagne, Jean Fabre, met six mois à me répondre - le 6 juin
1984. Il m'invite à participer le 23 juin aux « Assises de la survie
et du développement », convoquées par plus de six mille maires de
France. Elles se tiennent à Paris, salle Wagram. Nous discutons à
la sortie. Je suis convaincu. Je repars pour un tour.
J'imagine que cet engagement sera assez bref : le mouvement
Survie a obtenu en Belgique 46 et il va bientôt obtenir en Italie 47 le
vote de lois exceptionnelles de lutte contre la faim,

46

. En 1983, après l'engagement d'un grand nombre de bourgmestres et une grève de la faim
initiée spontanément par un aveugle, au coeur de Bruxelles, les deux assemblées belges votent
à l'unanimité une loi de Survie (10 milliards de FB, soit 1,6 milliards de FF) pour des actions
de développement intégré dans l'Est africain.
47
. En 1985, au terme de 4 années d'actions non-violentes (jeûnes, marches,... ), le Parlement
italien vote une loi de Survie consacrant 9 milliards de FF à un programme d'action de 18
mois dans les pays les plus atteints par la faim et la désertification.

42

pour un total de 10,6 milliards de francs. Avec bientôt cent
vingt-six prix Nobel et l'appui de six mille maires couvrant tout
l'éventail politique (à l'exception du Front national) 48, on devrait
pouvoir obtenir rapidement en France une décision d'envergure.
Dès le 12 juillet 1984, le président Mitterrand reçoit à l'Élysée le
prix Nobel Louis Néel, Jean Fabre et une délégation de maires. Il
demande au ministre de la Coopération Christian Nucci d'assister à
l'entretien, et il lui remet le dossier... Nucci, que Mitterrand a
substitué au réformateur Jean-Pierre Cot, sera bientôt rendu
célèbre par l'affaire du Carrefour du développement 49. C'est un
homme avenant, plus habile au carrefour des intrigues et des
affaires que dans la mobilisation pour le développement. Nous ne
le savons pas encore.
Je m'implique fortement dans la campagne Survie en France, et
j'apprends son histoire. En 1981, trois hommes, aux parcours très
différents, s'étaient retrouvés dans une chambre d'hôtel : le prix
Nobel de la Paix argentin Adolfo Perez Esquivel ; Jean Fabre, un
ingénieur français qu'un parcours peu orthodoxe a mené de
l'insoumission à la promotion des communautés paysannes en
Amérique latine ; et le fondateur du Parti Radical italien, Marco
Panella. Tous trois

48

. Ce sera la règle de nos actions. Nous constaterons à chaque interpellation du monde
politique que l'appel aux valeurs humaines fondamentales apporte un soutien quasiproportionnel dans chaque parti - de même qu'un lot d'opposants sceptiques ou cyniques
(surtout dans les partis de gouvernement). Quant aux élus du Front national, nous déciderons
de ne pas les solliciter en dépit de leur investiture par le suffrage populaire. Ce fut
probablement le débat interne le plus important des premières années de Survie. Je n'étais pas
le seul à lier refus de la faim et refus du génocide : nous ne pouvions envisager de traiter avec
ceux dont le flirt avec le négationnisme et le racisme constitue le fonds de commerce.
49
. Cette association, financée avec l'argent de la coopération, s'avéra être le support du
détournement de plusieurs dizaines de millions de francs. Peu de gens savent ou se
souviennent que l'une des finalités premières de ce Carrefour avait été de procurer un hôtel
particulier à sa présidente, une amie de Christian Nucci et du président Mitterrand.
L'exemplaire carrière de la dame inspira à Françoise Chandernagor son best-seller La sans
pareille.

43

partagent la même indignation : on vient d'organiser une année
internationale de l'enfance, et 40 000 enfants continuent de mourir
chaque jour faute de nourriture ou de soins élémentaires ; pour
l'essentiel, les réactions se partagent entre l'indifférence, les beaux
discours et la seule charité. Or, ils en sont persuadés, les réponses
charitables sont dramatiquement insuffisantes. Il s'agit d'une
bataille politique : réveiller la résistance des citoyens à la négation
des valeurs les plus élémentaires, susciter un sursaut contre
l'accoutumance à ce qu'ils qualifient d'« holocauste », par nonassistance massive à populations en danger.
Ils décident alors de proposer aux prix Nobel qu'ils connaissent
un « Manifeste-appel contre l'extermination par la faim », qui
puisse devenir la charte d'une campagne internationale de citoyens.
Ceux-ci interpelleront leurs institutions pour que les choses
changent, aux niveaux où elles doivent être changées et avec les
moyens de l'action collective : « Il faut que tous et chacun
donnent valeur de loi au devoir de sauver les vivants, et de ne
pas exterminer, que ce soit même par inertie, par omission ou
par indifférence ».
Ce manifeste est rapidement co-signé par cinquante-trois prix
Nobel. Pour le promouvoir, une association internationale est
constituée à Bruxelles, Food and Disarmament International
(FDI) 50. La campagne Survie est lancée en Belgique et en Italie où
elle rassemble des dizaines de milliers de personnes. En France,
elle commence en 1983 dans la ville savoyarde de Cognin, chez le
maire Jean Fressoz 51. La mobilisation des maires en faveur d'une
« loi pour la survie et le dével
oppement » devait culminer avec les Assises du 23 juin 1984,
salle Wagram. Mais, dans les médias, celles-ci sont occultées par
50

. Jean Fabre a été le premier secrétaire général de FDI. Emma Bonino (futur commissaire
européen) l'a remplacé en 1985, et il est devenu président. Les succès politiques des
campagnes Survie en Belgique et en Italie ont été suivis d'une démobilisation militante en ces
pays, l'Espagne prenant en partie le relais. Mais FDI n'a pu trouver les ressources pour
maintenir une coordination internationale. Une nouvelle approche européenne des objectifs
politiques initiaux a été entreprise par le Forum européen pour un Contrat de génération
Nord-Sud, présidé par Pierre Galand (ancien président du Comité de liaison des ONG
européennes).
51
. Qui deviendra par la suite un pionnier de la coopération décentralisée, impliquant
l'ensemble du département de la Savoie.

44

le rassemblement à Paris, ce même dimanche, d'un million de
défenseurs de l'école libre. François Mitterrand n'aura pas de mal à
oublier sa rencontre du 12 juillet avec Jean Fabre. Christian Nucci
a bien d'autres priorités.
La campagne Survie en France s'organise en association
autonome. Membre du bureau constitutif, j'en suis le trésorier avant de devenir, au fil des ans, le secrétaire général ou le
président 52. Des fonctions non rémunérées, qui représenteront vite
plus d'un plein temps - à côté duquel je devrais conserver un mitemps professionnel... Fin 1984, je ne le sais pas. Nous croyons
obtenir bientôt une victoire politique en France : demander qu'une
partie des 40 milliards de l'aide publique française au
développement serve efficacement à lutter contre la faim et ses
causes, voilà qui semble relever du simple bon sens. Nous voulons
tellement obtenir une réponse rapide à une situation insupportable
que notre campagne s'appelle Survie 84 - avant de devenir Survie
85, Survie 86, etc. Ce n'est qu'en 1989 que nous ôterons le
millésime, conscients que la durée serait nécessaire face à des
résistances insoupçonnées.
Nous décidons de repartir par une série d'Assises régionales pour
la survie et le développement à Lyon, Marseille, Pontivy

52

. Isabelle Dubard et Odile Delorme m'ont précédé à la présidence de l'association Survie,
que j'ai exercée en 1987-88. Jean Carbonare, dont il a été question au chapitre précédent, a
été président de Survie de 1988 à 1995 - avant que je ne lui succède. J'étais durant cette
période secrétaire général (bénévole) de l'association, remplacé depuis par Michel Bruneau.
Déléguée du président, Sharon Courtoux anime depuis l'origine le siège parisien (57 avenue
du Maine, 75014-Paris).

45

et Toulouse, rassemblant presque à chaque fois un millier de
personnes, dont plusieurs centaines de représentants des
communes. Nombre d'entre elles prennent des délibérations
engageant un millième ou un centième de leur budget pour des
projets de lutte contre la faim. Ces Assises accélèrent l'essor de la
coopération décentralisée, avec l'appui technique du Programme
Solidarité-Eau que lance alors la ministre de l'Environnement
Huguette Bouchardeau.
8 550 maires et 60 % des parlementaires sont signataires d'un
appel au président de la République, lui demandant de « faire de
la lutte contre les causes de la famine une priorité nationale ». A
partir du 13 septembre 1985, plusieurs centaines d'entre eux se
mettent en marche, littéralement. Deux cents participent, sur une
distance plus ou moins longue, à une « Marche des maires » vers
Paris. Ils marchent sur trois parcours distincts, depuis les AlpesMaritimes, la Savoie et le Gers. Dominique Baudis, Jean-Pierre
Cot et Alain Carignon font un bout d'étape. De simples citoyens
aussi. Plus de cinq cents maires se rendent sur les parcours, ou
aux rencontres du soir. Trois édiles ont décidé de faire à pied le
trajet intégral, près de 600 km, depuis leurs bourgs d'élection :
Bernard Jorcin, Bernard Tenet et Albert Duvillard, maires de
Lanslebourg en Savoie, Communay et Toussieu dans le Rhône.
Jean-Pierre Ginet et Jean Tourres, maires de La Biolle (Savoie) et
Beaumont-en-Diois (Drôme), en font presque autant.
Je me souviendrai toujours du départ de Toussieu, le 28
septembre 1985. Albert Duvillard avait rassemblé les enfants de
l'école primaire. Il leur a expliqué qu'il partait vers Paris
demander des moyens pour lutter contre la faim, comme ces mères
du Sahel qui chaque jour s'en vont chercher de l'eau,
accomplissant parfois plus de 20 kilomètres aller-retour. Puis il
est parti. Derrière lui, tous les enfants ont marché jusqu'au village
suivant. Si François Mitterrand avait

46

vu ces images, lui qui a toujours été sensible aux liens profonds
entre un élu et la population, il aurait peut-être compris l'énorme
gisement de solidarité qui n'aspirait qu'à trouver un cadre. Mais il
ne les a pas vues, se laissant dominer par les seuls rapports de
forces militaires ou économiques, et flatter par les réjouissances
que lui mitonnaient ses pairs africains.
Les médias nationaux ont boudé jusqu'à l'arrivée cette
mobilisation inédite de la « France profonde », largement couverte
par la presse régionale. Nous étions trois, pourtant, à nous battre
jour et nuit pour faire passer l'information aux journalistes de la
presse écrite et audiovisuelle 53. Il n'y aurait, nous répétait-on, que
deux opportunités d'en parler : si un maire marcheur se faisait
écraser, ou si nous pouvions faire marcher Gérard Depardieu.
Albert Duvillard avait décidé de partir bien que son père fut très
malade. Ce père est mort durant la marche. Son fils est revenu
pour l'enterrement, puis a choisi de reprendre la route.
Dans un articulet, Le Figaro, confondant les chiffres, signalait
que plus de 8 000 maires étaient en marche ! Tout était dit :
même si les maires de presque un quart des communes de France
avaient marché contre la faim, la France jacobine n'aurait pas
bronché. Le 20 octobre, les maires marcheurs arrivent à Paris,
accompagnés de parlementaires et de personnalités. Les médias
nationaux signalent la fin de cette protestation, au sens fort - après
l'avoir pendant cinq semaines privée de tout écho. Le lendemain,
une délégation est reçue en aumône par le Secrétaire général
adjoint de l'Élysée.
Depuis juin 1984, la démarche s'est approfondie, enracinée,
mais il est clair que l'Élysée bloque. Nous découvrons que le

53

. Le service politique nous renvoyait au service économique (le développement... ), qui
nous renvoyait au service société, et ainsi de suite. On ne voulait pas de cette (dé)marche
inclassable.

47

poids des élus locaux est quasi-nul auprès des décideurs et médias
parisiens. Nous choisissons de passer par la représentation
nationale.
Mais ça coince aussi à l'Assemblée, où le groupe socialiste est
majoritaire jusqu'en 1986. Le petit noyau des « spécialistes » de la
coopération, emmené par André Bellon et Alain Vivien, y déploie
une indéfectible obstruction. Nous dérangeons ces vestales du
domaine réservé élyséen, en quête d'un maroquin ministériel 54.
André Bellon, rapporteur du budget de la Coopération, professait
un grand souci pour les drames du tiers-monde, mais taxait
d'irréalisme nos propositions. Je lui demandai un jour : « Si une
enveloppe budgétaire supplémentaire était votée pour lutter
contre l'extrême misère, comment l'utiliseriez-vous ? ». Il ne
savait pas. Le « spécialiste de la coopération » n'y avait jamais
réfléchi, par un mélange de fatalisme, de superficialité et
d'autocensure. Alain Vivien, lui, considérait comme une atteinte
insupportable à la sérénité de l'élu républicain le fait que des
citoyens suggèrent un meilleur usage des crédits de la nation. Pour
le repos de tels élus, il faudrait constamment afficher le panneau
« Prière de ne pas déranger » à l'entrée de la Chambre des
députés...
Dans leur opposition à toute remobilisation de l'aide publique au
développement (APD) vers le refus de l'extrême misère, ces
députés avaient l'aval de plusieurs leaders du monde des ONG les organisations non-gouvernementales d'urgence ou de
développement 55. Les associations d'aide d'urgence, alors en plein
boom, ne s'intéressaient guère au développement, et leur « morale
de l'extrême urgence » était

54

. Le second obtiendra un poste de Secrétaire d'État en 1988. Le premier n'aura rien.
. Mais la plupart de ces ONG soutenaient officiellement les objectifs de la campagne
Survie, et leurs militants s'associaient fréquemment à ses actions de mobilisation.
55

48

plutôt anti-politique 56. Or la démarche de Survie était
profondément politique. D'autre part, les dirigeants des ONG
n'avaient pas forcément envie de changer la dimension de leurs
actions, de sortir d'une logique de micro-projets pour relever des
défis plus vastes.
Tout n'était pas faux dans leurs objections. L'exigence éthique
posée par Survie, d'une action efficace et résolue contre les
tragédies de l'extrême misère, ne réglait pas vraiment la question
des méthodes. Les succès politiques obtenus en Belgique et en
Italie, avec la mobilisation de moyens considérables, ne
garantissaient pas forcément leur bon usage. Ainsi en Italie, mise
en coupe réglée par le pentapartitisme (le partage de l'État entre
les cinq partis au pouvoir), les possibilités de dévoiement n'étaient
pas illusoires. La coopération avec la Somalie avait échu au Parti
socialiste de Bettino Craxi : la corruption massive qui s'y insinua
n'est pas étrangère à l'effondrement ultérieur de l'État somalien.
Autrement dit, il ne suffirait pas d'emporter une victoire de
principe, à la Pyrrhus : il faudrait ensuite occuper le terrain, c'està-dire assurer, parmi les experts, les fonctionnaires et les
personnalités de référence du milieu non-gouvernemental, un
consensus suffisamment large sur la meilleure façon d'appliquer
une loi nouvelle. Nous entreprenons en 1987 de bâtir un tel
consensus, et y parvenons dix-huit mois plus tard, autour d'un
projet de « Contrat de génération, fondé sur le partenariat » 57.
Entre-temps, la mobilisation n'avait pas cessé. Elle s'adressait
non plus aux maires, mais aux parlementaires. En 1987, une
56

. Cela a beaucoup évolué. Les tragédies du Rwanda et du Zaïre ont accéléré certaines
remises en question.
57
. Avec l'appui de Susan George, Henri Rouillé d'Orfeuil, Michel Griffon et Bernard
Husson, nous avons réuni à la Fondation pour le progrès de l'homme un groupe de travail
méthodologique d'une vingtaine d'experts, responsables et praticiens de la coopération,
recouvrant l'éventail des actions pour le développement. Il s'agissait de répondre à la question
suivante : si, pour lutter contre l'extrême pauvreté, l'on obtenait de nouveaux moyens (fixés
par hypothèse à un millième du Produit intérieur brut français, 6 milliards de F/an), quelle
serait la meilleure manière d'utiliser cet argent ? dans quel cadre institutionnel, avec quels
acteurs, selon quelles procédures et quels circuits ?
Douze réunions plus tard, le groupe avait élaboré, et adopté unanimement, un dispositif
permettant d'accroître fortement la mobilisation des acteurs non-étatiques de l'aide au
développement - les mieux à même d'appuyer la sortie de l'ornière des populations les plus
démunies - dans une ou plusieurs régions en grande difficulté. Un projet destiné à s'insérer
ensuite dans un programme européen plus vaste.

49

majorité de députés et 103 sénateurs s'étaient engagés à voter une
« loi pour la survie et le développement ». Mais le président du
groupe socialiste, Pierre Joxe, sermonne celles de ses ouailles qui
veulent en faire davantage : rabrouée, Huguette Bouchardeau sort
d'une réunion en claquant la porte. Au gouvernement, le ministre
de la Coopération Michel Aurillac, branché via les Clubs 89 sur
les réseaux gaullistes franco-africains, verrouille le statu quo et
protège les rentes de l'aide publique au développement. Au
ministère de l'Intérieur, Charles Pasqua donne un coup
d'accélérateur à la constitution de son propre réseau.
L'incrimination de Christian Nucci à propos du Carrefour du
développement est une utile diversion.
Début 1988, les prix Nobel viennent à Paris. Plus de vingt
d'entre eux enregistrent le manifeste-appel contre la faim 58. Le
film de cet appel passe sur TF1, à 7 sur 7 - sans commentaire.
Avec ces prix Nobel, Survie allume 40 000 bougies dans les
jardins du Palais Royal, pour rappeler que 40 000 enfants sont à
sauver chaque jour : l'image fait le tour des télévisions... qui se
gardent bien d'explorer son contenu. Le 22 avril, juste avant
l'élection présidentielle, cette opération est relayée dans 200 villes
et villages de France. Avec les principales autorités morales et
religieuses, et la quasi-totalité des associations de lutte contre la
misère dans le tiers et le quart monde, Survie demande pour le
septennat à venir une double priorité de solidarité, « ici et làbas » 59: une loi contre la grande pauvreté en France, une loi pour
la survie et le développement dans les pays les plus pauvres.
Malgré le fort renouvellement de l'Assemblée, 353 députés se
sont désormais engagés à voter une telle loi. Le député socialiste
Jean-Michel Belorgey, président de la Commission des Affaires
sociales, entreprend immédiatement de préparer et faire voter une
loi contre la grande pauvreté en France, instituant le Revenu
minimum d'insertion (RMI).
58

. Magnifiquement filmé par Just Jaeckin - sorti du registre d'Emmanuelle.
. Expression inventée dans les années soixante-dix par les militants de l'alphabétisation
dans les foyers d'immigrés.
59

50

Au printemps 1989, quatre autres députés rejoignent le député
PS dans son grand bureau. Ils sont issus des quatre autres groupes
de l'Assemblée : Jean-Pierre Delalande pour le RPR, Jean-Paul
Fuchs pour l'UDC, Denis Jacquat pour l'UDF et Théo VialMassat pour le PC. En deux séances, ils rédigent sans difficulté
une proposition de loi commune correspondant aux demandes de
Survie : un millième des ressources françaises (6 milliards de
francs par an) seront affectés au développement de base des
régions les plus vulnérables, selon un mécanisme institutionnel et
contractuel nouveau qui permette la participation prépondérante
de la société civile. Le 26 mai à 11 heures, les quatre députés
conviés chez Belorgey s'en vont en choeur déposer leurs
propositions, quasiment identiques, au Bureau de l'Assemblée 60.
Jean-Michel Belorgey en est empêché par le groupe PS. La garde
rapprochée de l'Élysée s'y est renforcée de Jeanny Lorgeoux,
cheville ouvrière du réseau franco-africain de Jean-Christophe
Mitterrand. C'est cet ami de Mobutu, entre autres, qui expose
désormais le point de vue du groupe PS lors du vote du budget de
la Coopération... Les députés socialistes qui veulent signer la
proposition de loi Belorgey sont menacés d'exclusion.
Le groupe d'experts constitué en 1987 par Survie s'élargit à une
quinzaine de pays d'Europe. Il travaille avec des représentants du
tiers-monde et d'organisations internationales (PNUD, UNESCO,
UNICEF, CEE, Conseil de l'Europe, OCDE,... ). Ses 60 membres
posent, après une série de rencontres, les bases d'un « Contrat de
génération » entre l'Europe et les Pays les moins avancés (les
PMA). Le groupe des experts français édite ses travaux sous le
titre Nord-Sud : de l'aide au contrat 61.
Survie continue de mobiliser les parlementaires et un large
éventail de personnalités 62. Ils sont nombreux à se rassembler, le 6
juin 1990, 201 ans après le Serment du Jeu de paume, pour prêter
60

. Voir Annexe 1. La seule différence entre les propositions est le dernier article, purement
anecdotique, « le gage ». Selon la Constitution, les députés n'ont pas le droit de déposer une
proposition qui augmenterait sans contrepartie les dépenses publiques. Pour la forme, ils
proposent donc une recette - sachant fort bien que si la proposition est inscrite à l'ordre du
jour par le gouvernement, celui-ci reprend la main sans être tenu par cette contrainte. Le
« gage » fictif est l'occasion d'afficher une philosophie fiscale...
61
. Sous le pseudonyme collectif de Claude Marchant. Syros, 1992.

51

le « Serment de l'Arche » : ne pas se séparer jusqu'au vote de la
loi. 53 parlementaires se sont déplacés jusqu'à l'Arche. A son
pied, 35 000 fleurs 63 composent la superbe affiche proposée par
Folon en cette occasion. Les télévisions boycottent... et pas
seulement parce que Mandela est de passage à Paris. Les actions
non-violentes, belles ou endeuillées, se succèdent. Mais les deux
citadelles aveugles qui commandent l'aide publique au
développement française, Bercy et la cellule africaine de l'Élysée,
résistent.
Cependant, un inlassable travail de conviction militante auprès
des députés porte ses fruits. En octobre 1991, ils sont désormais
une majorité à avoir signé les propositions de loi Delalande,
Fuchs, Jacquat et Vial-Massat, auxquelles s'ajoutent celles du
non-inscrit Jean-Marie Daillet et de trois « résistants »
socialistes : Jean-Michel Belorgey, Marie-Noëlle Lienemann et
Jean-Pierre Luppi. Avec le renouvellement de l'Assemblée en mars
1993, ils seront bientôt 73 % de signataires, plus le Premier
Ministre, les ministres de l'Économie, des Affaires Étrangères et
de la Coopération : du jamais vu sous la Ve République 64!
Comme s'exclame Brigitte Fossey lors d'un de nos
rassemblements : « Si nous n'arrivons pas à faire passer cette
loi, tous partis réunis, nous ne sommes pas dignes des enfants
que nous avons mis au monde ».
Un dimanche matin 65, je regarde Télé-Foot sur TF1. L'invité est
Raymond Domenech, ancien joueur international, entraîneur de
62

. Citons, entre autres, Suzanne Flon, Brigitte Fossey, Jean Lacouture, Maxime Le
Forestier, Christian Marin, Claude Piéplu, Catherine Ribeiro, Carole Bouquet, Albert
Jacquard, le cardinal-archevêque de Lyon Albert Decourtray, le président de la Fédération
protestante Jacques Stewart, le Grand rabbin de France Joseph Sitruk, le Recteur de la
Grande mosquée de Paris Cheikh Haddam.
63
. La symbolique est la même que lors des 40 000 bougies au Palais Royal. Mais le symbole
est tellement fort (le nombre des enfants de moins de cinq ans qui meurent chaque jour faute
de soins « ordinaires » ou de nourriture adaptée) que nous avons jugé préférable de nous en
tenir à un chiffre plus conforme aux statistiques de 1990, traduisant d'ailleurs les
améliorations apportées par l'extension de la vaccination et l'élévation du niveau de vie d'une
partie de la population asiatique. Cette amélioration s'est poursuivie (sauf en Afrique), et
certaines statistiques de mortalité ont été révisées à la baisse. En 1997, le chiffre de 25 000
décès évitables chaque jour apparaît plus probable.
64
. L'histoire du recueil de ces signatures est un vrai roman-feuilleton.
65
. Le 10 janvier 1993.

52

Lyon. Il raconte un rêve : « Nous, footballeurs, ne sommes pas
que des machines à taper dans un ballon. Nous sommes des
êtres humains, avec nos passions et nos convictions. Je rêve que,
lors d'une finale de Coupe du Monde, les joueurs s'arrêtent cinq
minutes pour dire au milliard de téléspectateurs qui les
regardent : "Nous vous donnons de la joie, mais nous aimerions
que vous vous mobilisiez aussi pour qu'il n'y ait plus tant
d'enfants victimes de la faim" ».

53

Depuis l'enfance, j'adore le football. Et cela faisait un certain
temps que je tournais autour du même rêve. Je vais voir Raymond
Domenech. Nous entreprenons de convaincre le milieu du football
professionnel, pour qu'il nous aide à obtenir le vote de la loi.
Après tout, les footballeurs sont de très gros contribuables, ils
font partie d'un milieu très international, ils ont souvent de jeunes
enfants : comment peuvent-ils admettre que 99 % de l'aide
publique au développement serve à tout autre chose qu'à lutter
contre la pauvreté ? Raymond Domenech a beaucoup d'amis, les
choses avancent vite : Laurent Blanc, Jean-Philippe Durand, Luis
Fernandez, Rémy Garde, Fabien Piveteau, Ricardo, Alain Roche,
Jean Tigana, etc., se mettent de la partie. Nous faisons le tour de
France des stades et des entraîneurs. Bientôt, 419 joueurs,
entraîneurs et cadres de Première et Deuxième divisions ont signé
l'appel suivant :
« Nous, footballeurs français, nous associons à la majorité de
députés de toutes tendances, d'accord pour mettre à l'ordre du
jour de l'Assemblée Nationale une proposition de loi qui
affectera 7 Milliards par an aux projets prioritaires de
développement humain menés avec les populations les plus
vulnérables ».

Nous décidons de tenter le banco : l'autorisation de la Ligue
nationale de football pour, qu'un soir de championnat, l'ensemble
des 42 équipes de Première et Deuxième divisions, sur 21 stades,
demandent la mise à l'ordre du jour de la « loi Survie ». Le
directeur de la Ligue, Régis Pukan, accepte. Ce sera le samedi 20
novembre 1993. Je ne me sens plus de joie, j'ai l'impression
d'avoir marqué un but décisif. La campagne que nous allons
mener avec les 600 footballeurs professionnels évoluant en France
s'intitulera d'ailleurs « Un but : le développement ». Comment
l'inertie du pouvoir résisterait-elle à un tel potentiel médiatique ?

54

Tous les militants de Survie à travers la France se découvrent
spécialistes du football, vont rencontrer les présidents de club, les
entraîneurs, les joueurs, les journalistes sportifs. Les 42 équipes
acceptent, l'une après l'autre, de participer à une cérémonie
symbolique d'avant-match : tous les joueurs signeront un ballon
marqué « Loi Survie ». Puis une délégation portera les ballons au
Premier ministre. Certaines équipes font davantage, telle celle de
Nice, entraînée par Albert Émon, qui porte un brassard « loi
Survie » durant tout le match, télévisé. Des joueurs s'expriment
dans la presse locale... Mais deux des manitous du football font
barrage : Michel Denisot à Canal +, et Jacques Vendroux sur
France-Inter, animateur par ailleurs d'une institution-pivot, le
Variétés-Club de France. Le 20 novembre, la couverture
médiatique est assez limitée.
Le 22 novembre matin, d'abondantes chutes de neige bloquent
une partie de la délégation des joueurs. Ils sont 11 finalement
parvenus à Paris, prêts à se rendre à Matignon, porteurs de la
plupart des 42 ballons « Loi Survie » 66. Ils passent rencontrer à
l'Assemblée nationale les députés promoteurs de la loi, pendant
que nous essayons en vain d'avoir confirmation du rendez-vous
chez le Premier ministre. La confirmation ne vient pas. Édouard
Balladur est pourtant signataire de la proposition de loi, tout
comme Jacques Chirac.
La délégation se rend quand même à Matignon, avec les ballons.
Elle est suivie par les caméras de France 2. Rue de Varenne, les
CRS nous arrêtent, dix bonnes minutes. Nous sommes finalement
reçus par le conseiller diplomatique du Premier ministre, Philippe
Baudillon, qui témoigne d'un intérêt de façade et abreuve les
footballeurs de pieuses paroles -

66

. Les capitaines de Nantes, Sochaux, Dunkerque, Gueugnon et Nice (David Marraud,
Faruk Hadzibegic, Philippe Sirvent, Jean Acedo et René Marsiglia), Pascal Braud (Laval),
Régis Garrault (Le Mans), Jean-Claude Pagal et Stéphane Pounewatchy (Martigues), Fabien
Piveteau et Joël Tiehi (Le Havre).

55

toujours sous l'oeil des caméras. Le reportage, censuré, ne passera
jamais à l'antenne...
Nous fîmes encore quelques barouds d'honneur. En mai 1994
par exemple, 96 députés envoyèrent au Premier ministre des clefs
« Loi Survie », gravées à leur nom - signifiant leur impatience de
tourner enfin la clef du vote électronique en faveur de cette loi
archi-majoritaire... Mais le gouvernement n'inscrira jamais cette
proposition de loi à l'ordre du jour. On aura su étouffer la
demande élémentaire des sportifs les plus réputés. Le génocide du
Rwanda était en marche et, si j'ose dire, le pouvoir exécutif avait
d'autres chats à fouetter.
Quant à nous, cet échec confirmait ce que nous ressentions de
plus en plus fortement depuis deux ans : les centres du pouvoir ne
veulent pas toucher à l'aide publique au développement parce
qu'ils en profitent ; la coopération est un sous-système des
relations franco-africaines, qui sentent de plus en plus mauvais.
Un système « confusionnel », confus et fusionnel, que nous
commençons d'appeler la Françafrique 67.
A partir de la mi-juin, nous défilons tous les jours sur
l'esplanade des Invalides avec des panneaux d'homme-sandwich :
« Rwanda, j'ai honte... de la politique africaine de la France ».
Dans les cars militaires qui passent par là, un certain nombre de
soldats applaudissent.

67

. Le terme va s'enrichir au fil de cet ouvrage. Pour une définition précise, voir p. xx.

56

4
Aidons-nous les uns les autres

« Tout le monde sait que les partis politiques sont financés
par des détournements de trafics via l'Afrique. L'Afrique sert à
blanchir l'argent des partis politiques. C'est scandaleux parce
que, en pervertissant les élites, on fiche en l'air le
développement de l'Afrique. Je maintiens que la transparence
des circulations de l'argent est un minimum. Le Président y est
totalement et farouchement opposé 68». Ainsi vidait son sac, à la
fin de l'été 1993, l'écrivain-diplomate Érik Orsenna, longtemps
« porte-plume » de François Mitterrand. Avec le Secrétaire
général de l'Élysée Jean-Louis Bianco, il avait concocté, en 1990,
le fameux discours de La Baule. Ebranlé par la chute du mur de
Berlin, Mitterrand se montrait favorable à la démocratisation en
Afrique. Une ouverture sans lendemain. Ce type de blocage, et
ses motivations souterraines, ont fortement contribué à la rupture
entre le Président et son « nègre » primé au Goncourt - co-auteur
de Besoin d'Afrique avec Éric Fottorino 69.
Avec ce dernier, journaliste au Monde, expert des circuits
économiques africains, je participai quelques années plus tôt

68

. Interview à Télérama du 08/09/93.
. Et Christophe Guillemin. Fayard, 1992.

69

57

à un débat télévisé sur la coopération. J'y indiquai que, selon nos
calculs d'alors, moins de 5 % de l'aide publique au développement
(APD) servait à lutter contre la pauvreté. « Vous pourriez dire
0 % », répartit Fottorino, m'incitant à creuser davantage.
Survie a connu, de 1983 à 1997, l'évolution inverse de beaucoup
d'associations : partis d'une démarche consensuelle, nous avons
cheminé, de 1992 à 1994, vers une stratégie de rupture. Cela a
commencé par la prise de conscience du rôle central joué, dans les
relations franco-africaines, par les mécanismes de corruption.
Nous connaissions certes l'existence de ces mécanismes, mais nous
n'avions pas compris d'emblée à quel point ils déterminaient le
choix des pays (ou plutôt des dirigeants) à « aider », le choix des
circuits de distribution de l'aide, du type de projets à financer, des
intermédiaires qui les proposaient et des entreprises qui les
réaliseraient.
Nous pensions qu'il était possible d'instaurer, par la « loi
Survie », une coopération pour le développement des populations
les plus vulnérables. Selon une stratégie explicite, avec des
méthodes éprouvées, elle engagerait un septième de l'APD. Elle
aurait, nous l'espérions, un effet d'exemplarité. Sans doute cet
espoir était-il, pour d'autres, une crainte. Comme l'écrit Sylvie
Brunel dans un livre au titre explicite, Le gaspillage de l'aide,
« tout se passe comme si l'argent de l'aide publique était trop
utile à la Realpolitik pour servir à lutter contre la pauvreté 70».
Certains de nos interlocuteurs politiques avaient bien compris
l'enjeu : mobiliser de nombreux intervenants « naïfs » dans une
coopération enfin conforme à ses objectifs affichés, finirait par
montrer à ces citoyens-contribuables l'usage qui est fait de leurs
impôts, plus précisément de la « part du pauvre », l'APD. On nous
laissait de plus en plus

70

. Le Seuil, 1993.

58

nettement entendre, ainsi qu'aux parlementaires signataires de la
proposition de loi « Survie », que celle-ci était irréaliste : elle
dérangerait l'opacité instituée, elle gênerait des intérêts depuis
longtemps établis, des connexions politico-affairistes déguisées en
« intérêt de la France ». A certains députés, on demandait avec
quel argent le parti financerait leur prochaine campagne. Ceux qui
poussaient trop loin l'ingratitude méritaient-ils vraiment d'être
réinvestis ?
Il nous fallait y voir plus clair, tandis que s'approchaient les
législatives de 1993. Durant l'été 1992, j'entreprenais la première
d'une série de plongées, assez peu ragoûtantes, dans les cloaques
franco-africains. Notre objectif de recherche se limitait encore, à
cette époque, aux dévoiements de la coopération et à l'économie de
la corruption. Je pus assez vite explorer les rares écrits qui en
traitaient, à commencer par l'ouvrage de Pierre Péan, L'argent
noir 71. Cette prospection contribua à argumenter une campagne de
cartes postales, Échanges Nord-Sud : avec ou sans corruption ? 72,
menée conjointement avec une association civique amie, Agir ici.
En croisant ce travail avec une étude fouillée sur l'APD réalisée
par Marie-Christine Delpal à la demande des ONG 73, nous pûmes
éditer fin 1992 une plaquette de choc, Question(s) à 40 milliards :
tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur

71

. Fayard, 1988. Après Affaires africaines, Fayard, 1985.
Cf. aussi Jacques Adda et Marie-Claude Smouts, La France face au Sud. Le miroir brisé,
Karthala, 1989 ;
Jean-François Bayart, L'État en Afrique. La politique du ventre, Fayard, 1989 ;
Éric Chambaud, Comment on aide l'Afrique. L'exemple de la Caisse Centrale de
Coopération Économique, Le Débat, Gallimard, 01/92 ;
Jacques Derogy et Jean-Marie Pontaut, Enquête sur un carrefour dangereux, Fayard, 1987 ;
Jean-Jacques Gabas, L'aide contre le développement, Économica, 1989 ;
Susan George, L'effet Boomerang. Choc en retour de la dette du tiers-monde, La
Découverte, 1992 ;
Antoine Glaser et Stephen Smith, Ces messieurs Afrique, tome 1, Calmann-Lévy, 1992.
72
. Une plaquette d'information sous ce titre a été publiée par Agir ici (14 passage Dubail,
75010-Paris).
73
. L'Aide Publique au Développement. Évolution budgétaire de 1988 à 1991, CLOSI,
1992.

59

l'Aide Publique au Développement sans jamais oser le
demander 74. Un résumé fut adressé à tous les candidats aux
législatives, et la plaquette elle-même à tous les députés élus ou
réélus - y compris ceux qui n'auraient jamais osé nous la
demander.
Les mécanismes de dévoiement de l'aide ne sont pas l'objet de ce
livre, mais plutôt les crimes politiques du système de relations
franco-africaines mis en place par Jacques Foccart au moment des
« indépendances » : des crimes qui ont éliminé ceux qui se
mettaient ou se trouvaient en travers. Cependant, il n'est pas
possible de comprendre la cruauté de ce système sans percevoir ses
logiques financières : on risquerait autrement de croire qu'elle
procède d'une méchanceté « gratuite », qui ne peut animer aussi
longuement des rapports internationaux. C'est pourquoi, avant
d'entrer dans le vif du sujet, j'ose demander encore un peu de
patience au lecteur : il faut faire un détour par l'« argent noir » des
« valises à billets ».
Dans le labyrinthe de l'APD, à l'opacité soigneusement entretenue, nous repérions trois grands postes de « coulage » : les
aides hors-projet, les aides-projet sous forme de grands contrats, la
stimulation et le traitement de la dette. Ces trois postes
représentent la majeure partie de l'APD bilatérale (entre l'État
français et un État du tiers-monde) 75. Le reste est constitué pour
l'essentiel par la coopération culturelle, scientifique et technique c'est-à-dire des coopérants, chargés de mission, conseillers et
chercheurs à l'utilité variable, parfois remarquable, parfois résiduelle. Cette coopération-là est en

74

. Enrichie par les ouvrages publiés en 1993 (notamment Sylvie Brunel, Le gaspillage de
l'aide publique, Seuil ; Philippe Madelin, L'or des dictatures, Fayard ; Jean-Louis Rocca, La
corruption, Syros) et la contribution d'Anne-Sophie Boisgallais, cette plaquette est devenue
un livre : L'aide publique au développement, Syros, 1994.
75
. De 40,6 milliards de francs en 1992 (0,57 % du PIB), l'APD française hors DOM-TOM
est passée à 36 milliards en 1997 (0,44 % du PIB). Dans le même temps, l'APD bilatérale est
passée de 29,3 à moins de 25 milliards.

60

voie de réduction rapide, car elle se substituait généralement à
des compétences locales qui désormais, avec le chômage croissant
des diplômés, surabondent souvent. Ce ne sont pas en tout cas ces
dépenses qui sont au coeur des détournements. L'aide multilatérale,
celle qui passe par l'Union européenne, la Banque mondiale,
l'UNICEF, etc., est également d'une utilité très contrastée. Certes,
elle n'échappe pas aux dévoiements et aux pots-de-vin, mais ceuxci ne relèvent pas directement d'un système organisé et protégé par
le pouvoir français.
Ce n'est pas le cas de l'aide hors-projet, affublée parfois de noms
savants : aide à l'ajustement structurel, aide à la balance des
paiements, etc. La réalité est plus crue. Dans les jeux d'impunité
et d'irresponsabilité qui permettent l'accaparement des milliards de
l'APD, on va du plus simple au plus compliqué : du jeu
élémentaire à deux acteurs, aux jeux à trois, quatre, cinq, six
acteurs, ou davantage. Les deux acteurs de base sont le décideur
politique français et son « ami » du tiers-monde, un chef d'État le
plus souvent. Les aides hors-projet, réservées aux pays africains
de la zone franc, peuvent se contenter de ces deux acteurs, et elles
s'en sont longtemps contentées. Le terme « acteur » inclut, bien
entendu, l'entourage agréé.
Prenons le dictateur très riche d'un pays pauvre ou très pauvre,
comme le fut par exemple Moussa Traoré au Mali. Personne ne
s'étonne que le pays n'arrive ni à boucler son budget, ni à régler ses
dettes - d'autant moins que l'État est pillé par le clan au pouvoir.
En temps ordinaire, le chef d'État africain tire la sonnette à Paris ;
pour se faire mieux entendre, il ajoute parfois quelque chantage,
dont les moyens ne manquent pas 76. Mais il n'est pas besoin
d'insister beaucoup, car

76

. Preuves compromettantes des partages de gâteau précédents, ou de contributions variées
aux campagnes électorales du « parent » français. Cassettes vidéos témoignant d'ébats torrides
ou de postures délicates, montrant des remises de diamants ou d'autres cadeaux précieux. Un
conseiller ministériel très bien placé me signalait le cas de l'assassinat d'un ressortissant
français, avec le message à la clé : « Si l'aide n'est pas versée, il y en aura un autre ». On
verse.

61

la suite est bien connue : sitôt la somme versée, une grande
partie ou même la totalité remplit des valises de billets CFA,
emmenées par avion à Genève ou dans une autre place financière ;
les billets neufs sont convertis en francs français, le magot est
partagé avec le décideur politique parisien et s'en va dans des
coffres sûrs ou des paradis fiscaux. On notera deux conditions
décisives : la convertibilité du franc CFA ; les failles ou les
béances de la comptabilité publique des États destinataires (ce
n'est pas difficile à entretenir).
Si s'approche une échéance électorale française, il n'est plus
guère besoin pour le partenaire africain de tirer la sonnette : Paris
devancera ses appels. On a pu constater une forte augmentation
des aides hors-projets dans l'année précédant de telles échéances.
Les remontées de cash irriguent tous les partis dits » de
gouvernement ». Le mécanisme ne concerne pas que les dictatures
affichées. Les démocraties de façade, verrouillées par la fraude
électorale, ne sont pas en reste. Un haut fonctionnaire du Trésor
français, situé à un poste-clef, me citait le Sénégal comme
l'exemple caricatural de l'engloutissement des flux d'aide financière
- avec un degré rare de sophistication, et toutes les bénédictions
présidentielles requises 77.
Si le pays est riche en matières premières, comme le pétrole, on
passe au jeu à trois acteurs. Le Cameroun offre un exemple
édifiant. Comme le Gabon ou le Congo-Brazzaville, c'est un pays
cogéré par Elf 78: selon Loïk Le Floch-Prigent, ex-PDG de la
compagnie pétrolière, l'actuel président camerounais Paul Biya n'a
77

. Les présidents sénégalais et français suivaient de près (mais n'interrompaient pas, donc
agréaient) le manège des « valises à billets » : « Rattaché à la présidence [sénégalaise], un
cadre de la Banque de France informait non seulement Abdou Diouf, mais le Trésor
français et même la cellule africaine de l'Élysée des principaux "porteurs de valises"
bourrées de CFA, qui étaient souvent dans l'orbite de l'establishment politicoéconomique » (Antoine Glaser et Stephen Smith, Les « nouveaux Blancs » aux commandes
de l'Afrique, in Libération du 01/02/94).
78
. En 1992, la multinationale française produisait 77 % du pétrole camerounais. Bien que la
production baisse, Elf gère encore plus de 5 % des liquidités du pays (cf. France-Cameroun.
Croisement dangereux, Agir ici et Survie/L'Harmattan, 1996, p. 34-35). Longtemps
ambassadeur de France à Yaoundé, Yvon Omnès y assurait ostensiblement l'interface entre le
régime Biya et l'entreprise pétrolière (cf.Jean-François Médard, in Agir ici et Survie,
L'Afrique à Biarritz, Mise en examen de la politique française, Karthala, 1995, p. 19).

62

pris le pouvoir « qu'avec le soutien d'Elf 79». Dans un tel cas de
figure, l'argent de l'APD sert surtout à graisser les circuits de
répartition des revenus pétroliers entre les clans politiques du
village franco-africain. Pivot de ce dispatching, Elf garde quand
même de quoi prospérer. « L'argent du pétrole est là, il y en a
pour tout le monde », résume Le Floch-Prigent 80.
Jusqu'en 1993, les royalties de l'or noir n'étaient pas versées au
Trésor public de Yaoundé 81. Le pouvoir souhaitait « ne pas
habituer les Camerounais à la facilité ». L'argent était mis de côté
à l'étranger, sur des comptes en devises : il fallait, disait-on,
« garder une réserve pour les temps difficiles ». Ces temps sont
arrivés, point de trace d'une réserve. Son irréprochable gardien, le
président Biya, conserve la haute main sur la partie camerounaise
de la chaîne pétrolière, sous le sceau « Confidentiel Défense » 82...

79

. « Confession » de Loïk Le Floch-Prigent : manuscrit de 10 pages rédigé par l'ex-PDG d'Elf
peu avant son incarcération le 5 juillet 1996, publié par L'Express du 12/12/96.
80
. Ibidem. Le Floch-Prigent précise ses accusations : sous la présidence de Mitterrand, « le
système Elf Afrique [est resté] managé par André Tarallo (PDG d'Elf-Gabon), en liaison
avec les milieux gaullistes [...]. Les deux têtes de pont étaient Jacques Chirac et Charles
Pasqua. [...] Tarallo est [...] en liaison quotidienne à l'Élysée avec Guy Penne [...] qui est
le Foccart de Mitterrand, tout en maintenant des liens permanents avec Foccart, Wibaux,
etc. ».
81
. Financièrement ruiné, le Cameroun a dû alors engager des négociations avec le FMI et la
Banque mondiale, qui essayent, avec beaucoup de difficulté, de faire rentrer ces royalties
dans la comptabilité officielle.
82
. D'après Antoine Glaser, La roue de la fortune, in Histoires de développement, décembre
1993.

63

Ainsi amputé d'une part essentielle de ses recettes, le budget
camerounais est, on le devine, constamment dans l'impasse :
fournisseurs et fonctionnaires ne sont plus payés. Quant à l'État,
incapable de régler les échéances les plus pressantes de sa dette
internationale, il se retrouve en cessation de paiements. Il se
produit dès lors un miracle, dont la répétition ne doit rien à la
Providence : à chaque fois, les décideurs politiques parisiens
finissent par allonger une aide hors-projet de 500 ou 600 millions
de francs, destinée à régler les soldes de l'armée, la paye de la
police, quelques gros créanciers privés (généralement français... ),
ou une ardoise urgentissime de la Banque mondiale, menaçant
d'embolie financière un partenaire si attachant. En 1991-92, le
Cameroun a reçu quelque 3 milliards de francs d'APD française
bilatérale : il en était, sur ces deux années, le deuxième pays
bénéficiaire, juste derrière la Côte d'Ivoire ; il n'était que le dixième
en 1986-87, lorsque la machine ne s'était pas encore emballée 83.
A Matignon, on m'expliquait que payer des policiers ou des
soldats à la place d'un État défaillant, c'était un usage judicieux de
l'aide au développement : s'ils ne l'étaient pas, ils rançonneraient la
population, qui pourrait encore moins se développer ! Le
problème, c'est que ce genre de raisonnement se mord la queue :
l'aide hors-projet débloquée dans l'urgence ne sert que
marginalement à régler les soldes ou les salaires, une fois qu'elle a
nourri des appétits de plus en plus voraces ; et l'exemple du
sommet, insatiable, ne cesse d'étendre les pratiques de racket et de
corruption jusqu'au plus petit détenteur de pouvoir. En réalité, le
triangle Biya-Elf-APD s'apparente au triangle des Bermudes. Ces
dévoiements

83

. Comité d'aide au développement (CAD) de l'OCDE, Série des examens en matière de
coopération pour le développement. France, 1994. Tableau reproduit par Philippe
Marchesin, in Rapport 1995 de l'Observatoire permanent de la coopération française (OPCF),
Desclée de Brouwer, p. 51.

64

répétitifs de l'aide n'ont que deux explications possibles : ou ceux
qui, à Paris, décident de les réitérer ont perdu le sens commun, ou
l'argent remis au loto camerounais n'est pas perdu pour tout le
monde. Le triangle se boucle à Genève, Luxembourg, ou dans les
îles Caïman... 84.
Il existe un triangle similaire, plus discret encore, avec le régime
Eyadéma et les phosphates togolais : un temps, il passait par la
société Fertilizer Corporation, à Panama, avec des escales en
Suisse (47 comptes bancaires) et à Paris, au siège de l'Office des
phosphates togolais ; en 1985, on estimait à une trentaine de
milliards de francs la cagnotte cumulée par ce loto. Déjà très
endetté, le Togo était un favori de l'aide tricolore 85.
Les contraintes budgétaires françaises limitent désormais ces
loteries non aléatoires. A Bercy, le ministère des Finances pousse à
ce que les crédits hors-projet passent par la Banque mondiale ou
l'Union européenne (accords de Lomé). La France leur verse
désormais des contributions importantes d'APD. Mais Paris fait du
coup de fortes pressions pour que ces institutions aillent abonder
les si juteux circuits camerounais ou ivoirien. Elles finissent
toujours par passer les compromis nécessaires et fermer les yeux
sur le détournement de leurs crédits, pour des raisons tenant à leurs
logiques internes et à la nécessité de « faire du chiffre » 86.
Même le Gabon, ce richissime protectorat pétrolier d'un million
d'habitants (dont une moitié de travailleurs étrangers), bénéficie
d'une importante « aide au développement » française. Certes, une
grande partie de la population vit dans une grande pauvreté, sans
par exemple d'accès aux soins ou à l'éducation. Mais c'est parce
que le président Omar Bongo,

84

. Cf. Dossiers noirs n° 1 à 5, Agir ici et Survie/L'Harmattan, p. 110.
. Cf. Assor-Eyadéma, les fossoyeurs du Togo, in Black du 15/09/85.
86
. Quitte à falsifier les statistiques. Cf. Jean-François Bayart, Stephen Ellis et Béatrice Hibou,
La criminalisation de l'État en Afrique, Complexe (Bruxelles), 1997, p. 134-135 et 150151.
85

65

après s'être considérablement servi lui-même, arrose tous azimuts
ses nombreux amis de la politique ou des affaires, africains et
français. Ces derniers se bousculent à l'hôtel Crillon, lors des
fréquents séjours parisiens du munificent Omar. Moyennant quoi,
le Gabon était en 1994, par habitant, le premier bénéficiaire de
l'APD française - sept fois plus que le Niger, dix fois plus que le
Burkina 87!
On ne peut, après cela, qu'accorder quelque crédit à la boutade
de José Artur : « L'aide au développement consiste à prendre
l'argent des pauvres des pays riches pour le donner au riches des
pays pauvres ». Il conviendrait d'ajouter : « ... parce que ces
riches des pays pauvres en rendent une bonne part aux riches des
pays riches, qui organisent l'opération ». Ni par pure bêtise, ni
par excès de philanthropie. Comme le résument deux journalistes
très informés, Antoine Glaser et Stephen Smith :
« Les flots d'argent qui se déversaient dans les sables d'une
Afrique nominalement indépendante, loin d'assécher l'ancienne
métropole, l'irriguaient, voire arrosaient du "beau monde". Une
bonne partie des quartiers chics de Paris vivaient alors sur le
miracle des liquidités remontant, parfois souterrainement, aux
sources. [...] Pour les happy few, le taux de retour de l'aide au
développement "tartinée" sur la rente, déjà bien onctueuse, du
pétrole et des produits tropicaux, était mirifique. A la limite de
l'écoeurement 88».

Les jackpots élémentaires mais trop voyants de l'aide hors projet
côtoient le jeu plus classique, mais combien profitable, de l'aideprojet. Ce jeu nécessite au moins trois acteurs : il faut ajouter, aux
décideurs politiques français et africains, l'entreprise française
bénéficiaire de la commande 89, un projet d'« aide » sous forme de
87

. Cf. OPCF, Rapport 1997, Karthala, p. 26.
. L'Afrique sans Africains, Stock, 1994, p. 157-158.
89
. On passe à quatre, cinq, six acteurs ou davantage en augmentant le nombre des
intermédiaires, en recourant aux fausses concurrences, en dérivant les circuits financiers par
des paradis fiscaux et/ou des banques véreuses. C'est de toute façon de manière très
schématique que nous avons réduit à un seul acteur chacun des deux pôles de décision
politique, français et africain : il faut en réalité « désintéresser » beaucoup de décideurs ou de
curieux.
88

66

fournitures ou de grand contrat d'équipement. Comme dans tous
les systèmes de tiers-payant (ici, le contribuable français), les
parties concernées par une grosse dépense ont d'autant moins envie
de modérer la marge qu'ils se partagent qu'est plus faible ou plus
rare le contrôle de leur probité. Or, en matière d'APD, il est
quasiment inexistant. Jusqu'en 1996, la Cour des comptes s'est
bien gardée d'y mettre son nez. Le Parlement, qui ne discute
vraiment que de moins d'un septième des crédits de l'APD 90, se
garde bien de surveiller de trop près sa mise en oeuvre. En 1993,
par exemple, il a délégué pour le représenter auprès de la Caisse
française de développement (CFD), principal opérateur de l'APD,
un observateur hautement qualifié : Gaston Flosse, le magnat
tahitien, célèbre pour sa conception très personnelle de l'intérêt
public. Son suppléant à la CFD : Jean-Pierre Thomas, trésorier du
Parti républicain... dont on ne cesse de découvrir les comptes
luxembourgeois, suisses, panaméens, etc., gavés aux commissions
sur marchés publics. Quant au contrôle gabonais, togolais, ivoirien
ou zaïrois de l'exécution des projets octroyés aux Bongo,
Eyadéma, Houphouët, Mobutu,... ce n'est même pas un voeu
pieux. Même chose pour les contrats consentis à la junte
algérienne.
A partir du moment où le « bénéficiaire » d'un projet d'« aide » a
pour logique quasi-exclusive celle du bakchich

90

. Ceux du ministère de la Coopération. Le reste des crédits est noyé dans les budgets d'une
dizaine d'autres ministères (pour l'essentiel en celui, léonin, du ministère des Finances - à
peine débattu).

67

escompté, le fournisseur se soucie beaucoup moins du prix, de la
qualité et de l'utilité de ce qu'il fournit 91. Quant au décideur
parisien, qui agrée le projet et déclenche le paiement, il a d'autant
moins de raisons de se montrer intransigeant que lui-même ou son
entourage auront été copieusement « désintéressés ». Ainsi, il n'est
pas rare que la surfacturation d'un projet en double le coût.
Parfois, le projet n'a pas plus de réalité que certains cheptels de
vaches corses subventionnés par l'Europe, et le bénéfice est de
100 %. Ou encore, le projet est recommencé ou « complété »
quatre ou cinq fois. De toute façon, dans le cadre de l'amitié
francophone, il n'a fait l'objet ni de mise en concurrence, ni d'étude
d'impact, encore moins de l'équivalent d'une enquête d'utilité
publique. D'où ces innombrables « éléphants blancs », ces projets
ruineux, inadaptés, inachevés, ou délabrés faute de capacité de
maintenance.
Il n'étonne personne que l'on construise un hôpital, un institut
technologique ou une Cité de l'information dont le coût d'entretien
excède le budget de la Santé, de l'Éducation ou de la
Communication du pays, une université inaccessible aux étudiants,
un central téléphonique sans réseau, etc. Il ne choque personne
qu'avec l'argent de l'APD on offre un Mystère 20 au richissime
Bongo, puis que l'on rénove luxueusement son DC 8 personnel,
qu'on achète un autre Mystère 20 au président centrafricain
Kolingba 92 ou, pour quelque 100 millions de francs, un Falcon 50
au général Habyarimana 93

91

. Il est seulement un peu plus attentif aux apparences quand le projet vise à gratifier de
quelque réalisation voyante, dans leur village natal, d'influents personnages africains.
92
. Cf. Anne-Sophie Boisgallais et François-Xavier Verschave, L'aide publique au
développement, Syros, 1994, p. 12.
93
. Selon Jeune Afrique du 04/08/94. C'est François Mitterrand qui, en 1990, malgré l'avis
défavorable de son ministre de l'Économie et des Finances Pierre Bérégovoy, décida
d'accorder ce cadeau. Cf. François-Xavier Verschave, Complicité de génocide ?, op. cit.,
p. 49.

68

- l'équivalent du budget annuel de la coopération civile francorwandaise (avant 1994). Avec le retard qui facilite la prescription
des détournements, ressortent des listes d'éléphants blancs. Antoine
Glaser et Stephen Smith racontent ainsi l'université Bouygues à
Yamoussoukro, la cimenterie de l'Ouest africain à Lomé, la
raffinerie du Togo, le projet d'usine de pâte à papier au Congo,
celui des six complexes sucriers ivoiriens (on s'est rarement autant
« sucré »), la shopping-list gabonaise 94, à laquelle a aussi
contribué le Conseil général des Hauts-de-Seine, à l'initiative de
son président Charles Pasqua 95.
Depuis le bref retour de ce dernier au ministère de l'Intérieur
(1993-95), les armes et équipements des forces de sécurité
intérieure peuvent bénéficier des crédits du Fonds d'aide et de
coopération (FAC), comptés en APD. Au nom du renforcement de
l'État de droit... Fréquemment d'occasion, voire déclassées, ces
« marchandises » sont le support de prodigieuses commissions. Et
elles sont trop souvent utilisées à des exactions ou des tortures, par
des régimes dédaigneux des droits de l'homme. En 1991, l'Union
européenne a fixé un « code de bonne conduite » des clients
potentiels. 50 des 76 pays acheteurs de matériels français n'y
satisfont pas 96.
Certains s'étonneront que des ventes soient comptées en aide au
développement. Celle-ci n'est pas composée que de dons. Même en
ce cas on procède à des achats, par des canaux variés et peu
concurrentiels. Mais bien souvent, l'aide prend la forme d'un prêt
« bonifié ». Plus exactement, on compte en

94

. L'Afrique sans Africains, Stock, 1994, p. 163-170.
. Cf. la vaste enquête d'Éric Fottorino, Charles Pasqua l'Africain, in Le Monde des 3 et 4
mars 1995.
96
. Cf. la campagne d'Agir ici et d'Amnesty sur ces ventes de matériels de sécurité, Imposons
nos critères (novembre 1997).
95

69

APD « l'élément-don » du prêt, c'est-à-dire l'avantage total
consenti en termes de réduction d'intérêts, de différé de remboursement, etc. Une telle aide n'est une bonne affaire qu'en
apparence. Sa proposition pousse à l'acte d'achat, un peu comme
un promoteur douteux vend à crédit une villa clefs en mains à un
ménage peu fortuné : il fait du chiffre d'affaires, et il sait qu'il se
rattrapera sur l'hypothèque lorsque le ménage croulera sous les
dettes.
Dans le contexte que nous avons décrit plus haut à propos de
l'aide-projets, on conçoit que le taux de rentabilité des acquisitions
réalisées avec les prêts bonifiés est voisin de zéro. Ce n'est donc
pas avec cette rentabilité que le pays « bénéficiaire » pourra payer
les intérêts, même réduits, et encore moins rembourser le capital.
On se paye donc sur les rentes, quand il y en a : pétrole,
phosphates, bois, cacao, café, etc. Le Congo-Brazzaville a ainsi
pré-vendu son pétrole pour de nombreuses années. Bientôt, les
rentes n'y suffisent plus - d'autant que ceux qui en profitent
cherchent à écouler les productions sur les marchés parallèles.
Ainsi disparaissaient l'or, les diamants ou le cobalt zaïrois. Un
pays aussi potentiellement riche que la Côte d'Ivoire est étranglé
par une dette extérieure égale à deux ans de travail de toute sa
population - deux fois son PIB ! La révolte gronde, la vache à lait
est coincée. Entre alors en scène un nouveau volet de l'APD,
gratiné, l'« allègement » de la dette.
Avant que les taux d'endettement de nombreux pays d'Afrique ne
deviennent aussi catastrophiques, les prêts bonifiés consentis au
titre de l'APD bénéficiaient, comme en d'autres régions du tiersmonde, de la garantie de la Coface, l'assurance du commerce
extérieur. Cet organisme bénéficie lui-même, pour ses opérations
avec les pays « à risques », de la garantie de l'État français. C'est
donc le contribuable français qui, par dizaines de milliards,
s'ajoutant à l'APD, a été convié à éponger les naufrages financiers
de nombreux grands

70

contrats aidés : de 1981 à 1994, le déficit global de la Coface à la
charge de l'État s'élève à plus de 100 milliards, et le coût
budgétaire (intérêts inclus) à 172 milliards 97. Un autre Crédit
Lyonnais !
Mais cela ne suffit pas. La plupart des pays « du champ » de la
coopération française, ceux que notre pays a abondamment
« aidés » depuis un tiers de siècle, sont désormais surendettés et
comptent parmi les plus pauvres de la planète. Les prêts qui leur
sont consentis ne relèvent donc plus de la Coface. Il faut cependant
traiter la dette, c'est-à-dire, selon que les cas sont plus ou moins
désespérés, procéder à des annulations partielles ou à des
rééchelonnements. Cela semble partir d'un bon sentiment, et
répondre en partie à l'exigence « tiers-mondiste » d'une annulation
du fardeau de la dette.
Mais il faut y regarder de plus près. Parmi les plus ardents
défenseurs d'une remise globale de la dette, il y a tous ceux qui ont
détourné les sommes prêtées (plus de 50 % en moyenne) et qui
n'ont surtout pas envie d'un audit de l'utilisation des crédits. Plutôt
que de répondre de l'endettement sur leurs fortunes personnelles,
parfois gigantesques - comme celles des Houphouët-Boigny ou
Mobutu ont approché ou atteint la dizaine de milliards de dollars -,
ils préfèrent qu'on tourne la page. Une discrète amnistie, autorisant
de nouvelles aventures...
L'hypocrisie s'installe aussi dans le calcul de l'aide au
développement : l'ensemble des opérations de traitement de la dette
sont comptées en APD ! Mais c'est de l'argent qui ne quitte pas
Paris, et ne sert donc en rien au développement : simplement,
Bercy règle chaque année aux créanciers, principalement la Caisse
française de développement, les

97

. Cf. Agir ici, COFACE, le coût de l'opacité, 09/95, et notamment le tableau établi par le
sénateur Claude Belot, p. 30.

71

échéances annulées. Il y en a au moins jusqu'en 2018, et pour
plusieurs milliards de francs par an 98: l'APD est en quelque sorte
hypothéquée pour 20 ans par ces remboursements programmés.
Drôle de façon de remettre la dette : le coût de la remise est imputé
fictivement au bénéficiaire, et on lui rappellera ce cadeau chaque
année.
Par ailleurs, ces opérations de réduction de la dette sont encore
l'occasion de multiples dévoiements ou corruptions. Il y a toutes
les spéculations, parfois très informées, sur la dépréciation de la
dette : on rachète pour presque rien une créance sur un débiteur
pas ou peu solvable, et tout d'un coup cette créance reprend de la
valeur, directement ou indirectement, grâce à une opération de
consolidation ou d'apurement décidée au Club de Paris ou au Club
de Londres - les consortiums de créanciers publics ou privés. Ou
bien une remise spécifique, ponctuelle, est accordée par Paris à un
pays africain, à condition de servir au règlement immédiat d'un
créancier français privé - un marchand d'avions ou d'armes, une
banque, un exportateur agricole. On imagine que le bénéficiaire
hexagonal d'une telle initiative n'a pas été pingre... Même chose
pour les groupes français qui pourraient bénéficier d'un concept
admirable : la transformation de la dette en participations dans les
services publics africains privatisables (eau, électricité, téléphone,
etc.).
L'État africain insolvable joue lui-même de son insolvabilité, qui
n'est jamais totale, puisqu'on lui accorde régulièrement des
bouffées d'oxygène financier : il rembourse qui il veut, quand il
veut, moyennant chaque fois un bakchich. On peut ainsi bâtir des
fortunes sur la décrépitude d'un système, d'un État, d'un pays - le
Zaïre, le Cameroun, le Congo-Brazzaville, ou Madagascar, par
exemple. Les entourages de l'Élysée ne sont pas forcément les
moins initiés.

98

. 7 milliards en 1994 et 1995, 6 milliards en 1996.

72

On en viendrait à oublier que tout cela correspond à la
malnutrition de millions d'enfants, à l'impossibilité d'acheter des
médicaments, à la ruine des hôpitaux et du système d'éducation.
Nous le comprenions de mieux en mieux, au fil de nos
investigations, ce système d'aide publique au développement
fonctionnait plutôt comme une « aide secrète au contredéveloppement », en déresponsabilisant et corrompant les autorités
des pays « aidés », en camouflant le bradage des matières
premières, en alourdissant un fardeau financier non justifié.
Nous avions même compris, un beau jour, que l'APD n'existait
pas : personne ne la conçoit, ne l'organise ou la supervise. Ce qu'on
appelle APD est seulement un chiffre établi après coup par nos
comptables publics. Ils y intègrent l'ensemble des dépenses
relatives aux relations avec un quelconque pays du « Sud » (y
compris la Corée du Sud ou Israël... ). Ils se demandent seulement
si l'étiquette « développement » qu'on pourrait accoler à ces
dépenses n'est pas tellement aberrante qu'elles seraient rejetées par
le jury - le Comité d'aide au développement de l'OCDE. Inutile de
le préciser, les administrations qui ont ordonné ces dépenses n'ont,
très généralement, jamais songé à inscrire leur action dans une
stratégie de développement. Comme tous les pays industrialisés
pratiquent le même habillage, le jury est très coulant : on y discute
par exemple de la recevabilité de la remise des dettes liées à des
achats d'armes. Certes, les bonifications sur achats d'armes ne sont
pas comptées en APD, mais les emprunts correspondants
contribuent à étrangler les nations acheteuses. Alors, certains États
vendeurs argumentent qu'effacer de telles dettes, c'est une façon
d'aider les pays débiteurs. Lesquels, soulagés, pourront signer de
nouveaux contrats d'armements, archi-commissionnés...
Quant au montant des sommes qui peuvent être considérées
comme servant à lutter contre la pauvreté, nous en arrivions à une
estimation un peu supérieure au 0 % provocateur d'Éric Fottorino :
entre 1 à 3 % de l'APD, selon les critères utilisés, soit un somme
comprise entre 0,4 et 1,2 milliards de francs. Un alibi ?

73

Nous mesurions l'étendue de la corruption qui gangrène le
système français de coopération. Mais l'aide n'est pas seulement
gaspillée : elle conforte le pouvoir de clans dictatoriaux, totalitaires
ou pseudo-démocratiques, tout en discréditant l'État, le bien
commun, le service public. En France, elle finance largement les
écuries politiques, en direct ou par le biais des rentes diverses - du
pétrole, d'autres matières premières, des importations, etc. Nous
découvrons que ces milliards dévoyés se mêlent aux flots de la
corruption hexagonale : l'argent razzié sur les HLM d'Ile-deFrance, par exemple 99, rejoint d'étranges trafics ivoiriens (armes et
bananes 100). Tout cela a stimulé chez les ténors de la classe
politique des besoins colossaux. La noria des valises a généré une
main d'oeuvre occasionnelle ou spécialisée 101.
Mais tous les élus ne suivent pas, ni toute la haute fonction
publique. Nous observons un clivage entre ceux, majoritaires, qui
n'aiment pas ce système, sans avoir nécessairement le courage de
se battre contre lui, et les quelques caciques qui ne veulent pas y
toucher, parce qu'eux-mêmes ou leur courant politique en
bénéficient.

99

. Cf. les deux enquêtes d'Alain Guédé et Hervé Liffran, La Razzia et Péril sur la Chiraquie,
Stock 1995 et 1996.
100
. Entre autres. Via un colonel à la retraite de la DGSE, Jean-Pierre Soizeau, dit Yanni, très
introduit dans le clan Houphouët. Cf. Dossiers noirs n° 1 à 5, op. cit., p. 122-123.
101
. Cf. Antoine Glaser et Stephen Smith, Ces messieurs Afrique, tome 2, Calmann-Lévy,
1997, p. 119-120 et note 14, p. 270. Sur les risques du métier, cf. Alain Guédé et Hervé
Liffran, La Razzia, Stock, 1995, p. 27-28.

74

Fin 1993, Survie décide d'accentuer ce clivage. En même temps
que nous fourbissons nos Questions à 40 milliards, nous lançons
une lettre d'information mensuelle, Billets d'Afrique et d'ailleurs, à
destination du monde politique et diplomatique, d'environ 500
journalistes spécialisés, en France et dans le monde, des experts et
responsables d'ONG. Le titre est ambigu, mais non le reste. En
haut à gauche, un porteur de valise s'éloigne à pas de loup... En
sous-titre : Informations et avis de recherche sur les milliards de
l'aide publique au développement. Peu à peu, ce bulletin
deviendra une référence, à l'étranger surtout. En France, il est très
lu, malgré sa présentation austère. Tout le microcosme concerné
est donc au courant des informations, parfois explosives, qu'il
expose - jamais contredites ou attaquées. Des convictions se
forgent, mais la plupart des journalistes français, sauf une dizaine,
se gardent bien de manier de tels bâtons de dynamite. Leurs
patrons préfèrent, eux, rester à distance.
Car ce n'est pas seulement de détournements qu'il s'agira, mais
bientôt d'implications dans des circuits de criminalisation
économique. L'Afrique, en effet, est « la dernière région du
monde dominée par des transactions en cash sans pour autant
être coupée du système financier international, grâce notamment
à la convertibilité du franc CFA. Dépourvue de vraies
institutions bancaires, privée de procédures fiables de
certification des comptes des entreprises, l'Afrique noire » s'offre
comme « une voie royale du recyclage de l'argent mal acquis 102».
Notre action au grand jour pour faire parvenir à destination une
partie des 40 milliards de l'APD aura progressivement rencontré
les réseaux et circuits qui, dans l'ombre, dénaturent cette générosité
collective des Français et maintiennent

102

. Jean-François Bayart, L'Afrique en voie de malversation, in Croissance de janvier 1996.
L'argument est développé dans l'ouvrage qu'il a écrit avec Stephen Ellis et Béatrice Hibou, La
criminalisation de l'État en Afrique, Complexe (Bruxelles), 1997.

75

les relations franco-africaines hors la loi. Jusque dans une
confusion criminelle : la criminalité économique débouche sur le
crime politique. Au printemps 1994, la complicité de la France
avec le Hutu power nous ancrera dans cette conviction : sans un
minimum d'assainissement politique du terrain franco-africain, il
n'est pas envisageable de refonder une coopération crédible.

76

5
1994, « l'horreur qui nous pend au visage 103»

Le 7 avril 1994, nous apprenons l'attentat qui a abattu l'avion
du président rwandais Juvénal Habyarimana. Peu après nous
arrivent les nouvelles des premiers massacres. Nous sommes un
moment stupéfaits par leur déchaînement, et par la réaction des
autorités françaises : elles se contentent en apparence de sauver
les Français ou autres Européens ; elles exfiltrent à Paris une
partie du clan Habyarimana et 34 Rwandais inconnus, sous
couvert de l'évacuation d'un orphelinat 104. Certains reportages
nous éclairent cependant, dans la presse écrite 105. Un génocide est
en cours, exécuté par une armée et des milices équipées et
entraînées par la France. Loin de se reprendre, celle-ci ne cessera,
pendant et après ces massacres inouïs, d'apporter son soutien au
camp du génocide.

103

. Expression de François Mitterrand à propos des 200 000 premiers morts au Rwanda,
interview du 10/05/94 sur TF1 et France 2. La veille, le général Huchon, très proche de
François Mitterrand, a eu avec l'émissaire du Hutu power Ephrem Rwabalinda l'entretien
complice que nous avons évoqué plus haut, p. 29.
104
. Cf. François-Xavier Verschave, Complicité de génocide ?, op. cit., p. 112-113, et
Dossiers noirs n° 1 à 5, op. cit. p. 32-38.
105
. Ceux par exemple de Jean Chatain dans L'Humanité, Alain Frilet dans Libération,
Renaud Girard dans Le Figaro, Colette Braeckman dans Le Soir de Bruxelles et MarieFrance Cros dans La Libre Belgique.

77

Il ne faut pas compter sur la télévision. Au départ, on l'a vu, ses
moyens sont en Afrique du Sud pour filmer la fin de l'apartheid.
Une forte autocensure s'exercera ensuite, et même une censure. La
consigne : on ne montre que les réfugiés hutus, pas les massacres.
L'Élysée est très vigilant. Comme on dit dans les rédactions, il ne
faut pas tacher le futur mausolée de Mitterrand (envisagé alors
près d'Alésia).
Comment arrêter les massacres ? Le 19 avril, nous lançons avec
d'autres ONG un Comité Solidarités Rwanda-Grands Lacs. A
partir de Montpellier, des chercheurs du CIRAD (Coopération
internationale en recherche agronomique pour le développement)
mobilisent toute la communauté scientifique. Nous proposons un
appel aux parlementaires, demandant avec insistance une
intervention de la communauté internationale ; demandant aussi
« que les injonctions les plus fermes puissent être adressées aux
instances politiques et militaires rwandaises ». Les
parlementaires sont peu nombreux à réagir 106. Beaucoup de nos
relations politiques sont hésitantes. Elles nous écoutent exposer la
tragédie, opinent du chef, puis, lorsque nous nous apprêtons à
repartir, avouent leur blocage mental : « Vous avez probablement
raison... Mais on ne va quand même pas se laisser marcher sur
les pieds par les Anglo-Saxons ! ».
La France reste scotchée au Hutu power. Nous continuons de
participer à la mobilisation des ONG françaises, mais celle-ci est
rapidement aimantée vers les urgences humanitaires, au détriment
de l'urgence politique. Début juin, le mal est déjà presque
entièrement accompli, le mal absolu.
Nous voulons réagir vivement à l'attitude de la France. Nous
lançons une campagne de cartes postales à destination du
Président. Nous multiplions tracts et courriers, jusqu'à faire

106

. Les députés Jean-Pierre Abelin, Richard Cazenave, Georges Colombier, Georges Hage,
Michel Hannoun, Didier Migaud, Adrien Zeller ; les sénateurs Lucien Neuwirth et Franck
Sérusclat ; le député européen Francis Wurtz ; l'ancien ministre Bernard Stasi.

78

rendre l'âme à notre photocopieur. Je veux engager une grève de la
faim contre la prolongation intolérable de cette politique francoafricaine - « le plus long scandale de la République », vient
d'écrire Jacques Julliard 107. C'est un choix personnel, mais je suis
minoritaire à Survie sur cette façon de réagir. Après de difficiles
débats, nous optons pour une marche quotidienne aux Invalides,
chaque après-midi, jusqu'au 14 juillet. Elle n'empêchera pas la
nébuleuse opération Turquoise.
Un Observatoire permanent de la Coopération française (OPCF)
venait de se constituer au début de 1994, réunissant une
quarantaine d'experts, d'africanistes et de responsables d'ONG. Il
me demande de rédiger un rapport sur la politique de la France au
Rwanda. J'y passe le milieu de l'été, muni d'une documentation
déjà abondante. Le rapport, qui a la taille d'un livre, est diffusé
sous forme de polycopié. Le milieu africaniste me fait passer le
message : « Ce rapport sauve l'honneur des africanistes ».
J'apprécie le compliment. Mais, n'étant pas des leurs, j'eusse
préféré que, montant plus hardiment au créneau, les africanistes le
sauvent eux-mêmes. La Découverte me propose de faire de ce
rapport un ouvrage destiné au grand public. Retravaillé, il sort de
l'imprimerie juste avant le Sommet franco-africain de Biarritz,
début novembre 1994 : Complicité de génocide ? La politique
de la France au Rwanda. Le point d'interrogation est une
prudence de l'éditeur. Je le juge pour ma part superflu.
Il m'a fallu ajouter un chapitre au rapport initial. Car au long de
cet été 1994, il s'est avéré que les horreurs franco-rwandaises
n'avaient rien d'accidentel. Loin de tirer les leçons du carnage
rwandais, les brillants concepteurs de la politique franco-africaine
ont, en toute hâte, revisité leur discipline de prédilection : la
« géopolitique » 108. S'inquiétant du « vide » causé par l'effondrement du clan Habyarimana, ils ont multiplié les sollicitations
107

. A qui je dois donc le sous-titre de cet ouvrage. Morts et morts, in Le Nouvel
Observateur du 05/05/94.
108
. Sur le statut bien peu scientifique de cette discipline, à l'histoire chargée de relents
nationalistes et de rhétoriques criminelles, cf. Claude Raffestin, Dario Lopreno et Yvan
Pasteur, Géopolitique et histoire, Payot, Lausanne, 1995.

79

envers le maréchal zaïrois Mobutu, le priant de prendre le relais et
« d'étendre son ombre protectrice et pacificatrice sur la région
des Grands Lacs 109». Celui qui ruinait consciencieusement le
Zaïre depuis plusieurs décennies et l'enfonçait dans le chaos, celui
qui autorisait les massacres de descendants de Kasaïens au
Katanga et de rwandophones au Kivu, redevenait le meilleur
champion du combat francophone contre le président ougandais
Museveni, qualifié d'« anglo-saxon ». Il fallait montrer à tous les
régimes autoritaires africains protégés par des accords de défense
avec la France que la garantie de cette dernière ne s'arrêtait pas à
une bavure, fût-elle dantesque.
Simultanément, notre pays vendait aux intégristes soudanais le
même paquet de « services militaires » qu'à l'ancien régime
rwandais, pour permettre à Khartoum de mieux exterminer la
résistance sudiste... adossée à l'Ouganda. Et l'on ébauchait une
alliance franco-zaïro-soudanaise contre le « diable » ougandais et
ses « suppôts », rwandais ou sud-soudanais...
En juin 1994, vers la fin du génocide, le président de la
République François Mitterrand, chef des armées, imposa le
passage de l'opération Turquoise par le seul Zaïre. Mobutu
redevenait incontournable. On pouvait louer son « rôle stabilisateur dans la région » et sa « fidélité francophone ». Tout cela
en connivence avec Jacques Foccart, le revenant gaulliste. Et en
parfaite intelligence avec Charles Pasqua. Derrière les oppositions
de façade, ce dernier a une conception très mitterrandienne des
relations franco-africaines ; il y

109

. Comme le résume ironiquement Jean-François Bayart (interview à La Croix du
21/05/94).

80

ajoute un sens des réseaux 110 à faire pâlir Foccart. Depuis sa
réinstallation au ministère de l'Intérieur, il militait pour la
réhabilitation de Mobutu.
Le maréchal mérite bien de Turquoise. Il laisse s'installer sur le
territoire zaïrois une impressionnante logistique française, puis
compose avec l'exode de plus d'un million de réfugiés, provoqué
par son allié le Hutu power. Celui-ci parvient à transférer au
Zaïre 20 000 tonnes de café, et les stocke dans des magasins
appartenant à la famille Mobutu : un pactole, estimé à cinquante
millions de dollars 111. Peu importe que la Garde présidentielle et
l'armée zaïroises continuent leurs divagations anarchiques 112 ou
que Mobutu soutienne la perpétuation de l'effroyable guerre civile
angolaise : il sera invité au sommet franco-africain de Biarritz.
Entre-temps, la logistique française a pu prendre ses marques et
ses aises au Zaïre. Et l'on a préparé la prise en tenailles de
l'Ouganda et de ses alliés (le Front patriotique rwandais et la
SPLA du Soudanais John Garang) entre le Zaïre et le Soudan. La
réelle collaboration entre les services spéciaux de ces deux pays 113
coïncide avec l'aboutissement d'un spectaculaire rapprochement
franco-soudanais, piloté par Charles Pasqua.
Le ministre de l'Intérieur n'a pas hésité à « couvrir » l'échange
du terroriste amorti Carlos, établi à Khartoum, contre un appui
aux opérations de « nettoyage ethnique » du régime soudanais 114.
Qu'un ministre de l'Intérieur ait pu mener, à
110

. Cf. Patrice Piquard, Les hommes de Monsieur Charles, in L'Événement du Jeudi du
25/08/94.
111
. D'après Jean-Philippe Caudron, Qui sont les vainqueurs de Kigali, in La Vie du
28/07/94.
112
. Cf. par exemple L'armée tue ! Rapport sur les assassinats commis par l'armée au
Zaïre durant le 1er semestre 1994, AZADHO, Kinshasa, 08/94.
113
. Cf. Mobutu-Museveni : guerre secrète, in Jeune Afrique du 04/08/94.
114
. Pour les paragraphes suivants, traitant de la livraison de Carlos, cf. François-Xavier
Verschave, Complicité de génocide ?, op. cit., p. 163-166 ; René Backmann, De quel prix
la France a "payé" Carlos aux Soudanais ?, in Le Nouvel Observateur du 18/08/94 ;
Jacques Julliard, Soudan : le marché de la honte, in Le Nouvel Observateur du 01/09/94 ;
Simon Malley, Les entretiens secrets Tourabi-Pasqua à Paris, in Le Nouvel Afrique Asie,
09/94 ; Patrice Piquard, Les hommes de Monsieur Charles, in L'Événement du Jeudi du
25/08/94 ; Stephen Smith, Quand Pasqua prend la voie soudanaise et Le ministre de
l'Intérieur nie tout marchandage avec Khartoum, in Libération des 16 et 17/08/94.

81

l'aide de ses réseaux personnels, sa propre politique africaine et
arabe, nous en disait long sur le démembrement de la politique
franco-africaine. Et la révélation des tractations qui permirent la
capture de Carlos achevait de nous ouvrir les yeux sur
l'avilissement de cette politique.
Jean-Charles Marchiani, l'homme à tout faire du réseau Pasqua,
a ravivé les contacts avec son « conscrit » le colonel Jean-Claude
Mantion. Durant treize ans, cet officier de la DGSE, ancien
mentor du président centrafricain Kolingba, avait gouverné de fait
le Centrafrique, plaque tournante des évolutions de l'armée
française sur le continent. Son activité et son influence
rayonnaient jusqu'à la Mer rouge. Il accepte d'apporter son savoirfaire aux intrigues pasquaïennes.
De Bangui, il avait déjà resserré les liens avec les » services »
soudanais, via son ami de longue date El Fatih Irwa, haut
conseiller pour la sécurité du régime de Khartoum. Celui-ci
deviendra le pivot des contacts franco-soudanais. Les deux amis
proposeront à leurs mandants, sur un plateau, un deal en or : un
booster pour la popularité de Charles Pasqua, contre la résolution
d'une série de « difficultés » du régime soudanais. L'affaire est
scellée lors d'une rencontre secrète à Paris, fin juillet. Hassan elTourabi, « guide » d'une militaro-théocratie qui ne se cache pas
d'entraîner de nombreux groupes terroristes, est reçu par le
ministre français de l'Intérieur qui, en 1986, se faisait fort de
« terroriser les terroristes ». Avec le succès que l'on sait.

82

A Khartoum, rappelons-le, l'alliance de l'armée et des islamistes
conjugue les méfaits d'un intégrisme agressif et d'un racisme de
fait. Ses tenants prétendent imposer à tous leur conception de
l'Islam, leur Charia, pratiquée par les populations de langue arabe
de la vallée du Nil : non seulement aux populations chrétiennes et
animistes du Sud-Soudan, mais à l'ensemble de la mosaïque
ethnique qui constitue la périphérie soudanaise 115. Plusieurs
régions (dont les monts Nouba) et plusieurs ethnies (dont les
Dinkas) ont été victimes - sous l'effet conjoint de la guerre civile,
de la famine et de l'éviction - de destructions massives, à caractère
parfois génocidaire. C'est le cas dans les monts Nouba. Au SudSoudan, le régime mène une atroce « guerre sainte », qui a fait
plus d'un million de victimes.
Partisan de solutions radicales, le totalitarisme de Khartoum
accumulait pourtant les problèmes. Le pays traversait une crise
politique, sociale et économique. Placé sur la liste noire des pays
soutenant le terrorisme, il était boycotté par la plupart des
investisseurs privés ou institutionnels. Qu'à cela ne tienne. La
France, promettent les négociateurs, se placera à l'avant-garde
d'une campagne de réhabilitation, en direction de l'Union
européenne et des États-Unis. Elle influencera dans le même sens
la Banque Mondiale et le FMI. Elle conseillera également à la
banque Lazard d'accorder un prêt de plusieurs dizaines de millions
de dollars pour permettre au Soudan de payer les intérêts de sa
dette internationale.
Quant aux échéances de la dette soudanaise envers la France,
elles seraient, pour l'essentiel, passées sur le compte pertes et
profits de l'aide publique au développement (APD).

115

. Le bulletin mensuel Vigilance Soudan, édité par le Comité de vigilance pour les droits
de l'Homme et les libertés au Soudan, fournit une information régulière sur les pratiques de
ce régime.

83

Une deuxième louche d'APD pourrait bonifier des prêts à moyen
et court termes. La Coface enfin, autre vache à lait, garantirait
une série d'investissements français au Soudan.
Deuxième problème, la rébellion sud-soudanaise. Pour la
prendre à revers, on laissera aux troupes islamistes un droit de
passage en Centrafrique, l'ancien fief du colonel Mantion. En gage
de bonne volonté, les services secrets français fournissent
d'ailleurs des photos du satellite Spot identifiant les positions des
« rebelles ». « C'est vrai que nous avons remis ces photos aux
Soudanais », avoue-t-on à Paris. « Cependant, nous croyions
qu'il n'étaient pas capables de les exploiter, ce qui suppose des
connaissances techniques assez poussées. Mais, en fait, ils se
sont dépannés avec l'aide de leurs amis irakiens »...
Question armes, Jean-Charles Marchiani est l'homme de la
situation. Ancien de la division armement de Thomson, le marché
et ses filières n'ont guère de secrets pour lui. Il a carte blanche
pour répondre aux besoins des Soudanais, à condition de ne pas
mouiller la place Beauvau. Cela ne ferait d'ailleurs que renforcer
un appui « de routine » aux campagnes militaires islamistes : la
fourniture, à des conditions très avantageuses, de munitions et
pièces de rechange pour les armes françaises de l'armée
soudanaise (automitrailleuses AML 90, canons de 155,
hélicoptères Puma).
Question « ressources humaines », les autorités françaises
accepteraient d'accueillir un groupe d'officiers, de militaires et de
policiers soudanais, pour les entraîner à la lutte anti-guérilla. A
Khartoum, la France formera et équipera la « Gestapo »
soudanaise 116.
Pour faire bonne mesure, la chaîne d'État France 2 passera au
Journal télévisé - après un très long entretien avec la présidente de
SOS Attentats, au sujet de l'arrestation de Carlos -

116

. Cf. Stephen Smith, La France aux petits soins pour la junte islamiste au Soudan, in
Libération du 12/01/95.

84

un reportage « publicitaire » sur le Soudan, au terme duquel le
Français moyen conviendra volontiers qu'il est urgent de déverser
la manne de l'APD sur un pays si méritant.
Contre la livraison du Sud-Soudan au régime de Khartoum, la
France a obtenu celle de Carlos. Plus « trente deniers » : la vente
de 3 Airbus, qui a généré de copieuses commissions à Paris, ainsi
que des promesses de pétrole pour Total, et de grands travaux
pour l'entreprise GTM.
L'éditorialiste du Nouvel Observateur Jacques Julliard est l'un
des rares à s'indigner de ce « marché de la honte ». Et cette
indignation rejoint bien la nôtre, à l'époque :
« S'il s'avérait que, pour des raisons électorales, Charles
Pasqua avait troqué la livraison par le Soudan d'un assassin
vieillissant contre la promesse de la complaisance, voire de la
complicité française dans la guerre que mène le criminel régime
islamiste de Khartoum contre les populations chrétiennes ou
animistes du sud-Soudan, alors il faudrait dénoncer l'un des
forfaits les plus abominables d'une diplomatie sans scrupules et
sans honneur. Quoi, cette trop longue indulgence [...] témoignée
à des dictateurs sanglants comme Milosevic en Serbie, Mobutu
au Zaïre, Habyarimana au Rwanda ne suffit donc pas ? Faut-il
vraiment que nous nous engagions maintenant dans le soutien,
que dis-je, la réhabilitation d'un des pires régimes d'une Afrique
toute poisseuse de sang [...] ? Avant d'aider l'islam le plus
intolérant à massacrer quelques-uns des plus nobles peuples de
la terre, pensez-y dimanche à la messe, M. Balladur 117».

« M. Balladur » laisse agir MM. Pasqua et Mitterrand, qui
invitent MM. Tourabi, Mobutu, et quelques autres, sans parler des
visites clandestines des chefs militaires du Hutu power. Il est loin
le temps où M. Fabius s'offusquait de la réception du général
Jaruzelski. Les ignominies franco-africaines ne sont ni confessées,
ni réfléchies. Elles relèvent de l'impensé.
117

. Soudan : le marché de la honte, in Le Nouvel Observateur du 01/09/94.

85

Pour tenter de les en sortir, nous décidons d'organiser avec Agir
ici, lors du Sommet de Biarritz, une « Mise en examen de la politique africaine de la France ». Tout y passe, des dévoiements de
l'aide aux errements soudanais, togolais, zaïrois et rwandais, avec
une longue série de témoins 118. Le modeste hôtel-restaurant Le
Dahu, où est organisée cette mise en examen, ne désemplit pas.
Nombre de journalistes trouvent là une information moins verrouillée que celle du Sommet officiel, tout proche. Les organisateurs décident de lancer le chantier des Dossiers noirs de la politique africaine de la France, dont les cinq premiers seront envoyés
aux candidats à l'élection présidentielle (sauf Jean-Marie Le Pen).
Mais cela ne change rien au fond du problème. D'une part, trop
d'argent est en jeu, trop de leaders politiques sont perfusés par la
« pompe A'fric ». La première valise à billets a le goût âcre de la
première cigarette... et puis on reste fumeur. D'autre part, les
mondes politique et militaire français communient dans un étrange
ressentiment séculaire contre les « visées anglo-saxonnes » en
Afrique. La genèse et les avatars de ce « syndrome de Fachoda »,
qui fait du régime de Khartoum, de Mobutu et du Hutu power nos
« alliés naturels », composent à eux seuls un tableau clinique
stupéfiant.
Peu après l'élection de Jacques Chirac, Foccart impose ses
façons de voir - contre Alain Juppé 119. En 1996, l'armée et la

118

. Jean-François Médard, Sylvie Brunel, Huda Abdul Raouf, Yahia Ahmed, Jean Degli,
Francis Viotay, Colette Braeckman, Jean-Claude Willame, Peter Rosenblum, Muamba
Bapuwa, Jean-François Ploquin, Jean-Pierre Chrétien, Éric Gillet, Yvonne Galinier, Rony
Brauman, Alison Des Forges et Françoise Bouchet-Saulnier. Cf. Agir ici et Survie, L'Afrique
à Biarritz, Karthala, 1995.
119
. Cf. Jacques Chirac et la Françafrique. Retour à la case Foccart ?, Agir ici et
Survie/L'Harmattan, 1995.

86

coopération françaises co-organisent une énorme fraude électorale
au Tchad. Puis Paris absout une escroquerie plus grande encore au
Niger 120, et verrouille la dictature de Paul Biya au Cameroun : il
s'agit, n'est-ce pas, d'accompagner ces pays francophones vers la
démocratie... L'ancien patron de la DGSE, Claude Silberzahn,
nous a d'ailleurs prévenus : « Dans plusieurs pays africains, les
services spéciaux français protègent les hommes au pouvoir dont
certains, c'est vrai, sont parfois des dictateurs : mais c'est en
faveur de ce que j'appelle [...] "la politique du moindre pire" ».
Mobutu est-il menacé ? Le conseiller élyséen Fernand Wibaux
et le factotum de Charles Pasqua, Jean-Charles Marchiani, vont
recruter des mercenaires parmi les miliciens de Karadzic,
responsables du massacre de Srebrenica...
Comment est-on tombé si bas ? Qui décide de tout cela ? Ou
plutôt n'en décide pas, dans un système franco-africain décérébré
où une quinzaine de réseaux et lobbies entrechoquent leurs
stratégies en un chaos ravageur. Il s'agit en réalité de la dérive d'un
système, le foccartisme, mis en place dès 1958 par le plus proche
collaborateur du général De Gaulle. Les pays francophones au sud
du Sahara ont été, à leur indépendance, emmaillotés dans un
ensemble d'accords de « coopération » politique, militaire et
financière qui les ont placés sous tutelle. Des « amis » de la France
ont été mis à leur tête, les autres ont été éliminés. Les » amis » ont
été conviés à s'enrichir, et à enrichir leurs parrains français : un
système corrupteur dans tous les sens du terme, c'est-à-dire
destructeur de tout projet politique et de l'État. Ce dernier a donc
évolué vers la criminalisation et le clanisme, avec le risque
d'incendies ethniques.

120

. Cf. Tchad, Niger. Escroqueries à la démocratie, Agir ici et Survie/L'Harmattan, 1996.

87

On pourrait penser qu'après tant d'échecs et d'infamies, puis la
mort de son fondateur, le foccartisme serait remisé. Mais
l'africaniste français le plus réputé, Jean-François Bayart, nous
enlève nos illusions :
« La classe politique française, toutes familles politiques
confondues, paraît tenir pour légitime le foccartisme comme
conception des relations franco-africaines donnant la primauté
à la politique des réseaux et à la confusion entre l'action
paradiplomatique et les affaires privées. Il est improbable que
la France renonce au foccartisme, pourtant responsable du
fiasco de la politique africaine de notre pays. Tous les partis
continuent d'y trouver leur compte, notamment en matière de
financement des campagnes électorales 121».

De plus, comme Bob Denard son corsaire, Jacques Foccart a
pris en vieillissant une figure de papa gâteau, de « petit père des
peuples africains », encensé à ses funérailles par une grande
partie des « responsables » français.
Alors, plutôt qu'une critique historique ou géopolitique assez
lointaine et trop peu évocatrice, il vaut mieux révéler la vraie
logique du foccartisme à travers ses effets : des crimes, certains
énormes, la plupart occultés ou méconnus, ont ponctué depuis
quarante ans l'histoire de l'Afrique foccartisée, celle des anciennes
colonies françaises et de leurs voisins convoités. Nombre de ses
hommes ou mouvements politiques les plus prometteurs ont été
exécutés, exterminés, justement parce qu'ils promettaient un
avenir autre que la soumission. D'abominables guerres civiles ont
été allumées, exacerbées ou prolongées pour élargir le pré carré
francophone au détriment des Anglo-Saxons. La bannière
humanitaire a été utilisée pour couvrir des trafics d'armes l'entachant désormais de soupçon.
Criminelle Françafrique...

121

. Interview au Monde du 29/04/97.

Criminelle Françafrique.

91

1.
Massacres en pays bamiléké
« Ils ont massacré de 300 à 400 000 personnes. Un vrai
génocide. Ils ont pratiquement anéanti la race. Sagaies contre
armes automatiques. Les Bamilékés n'avaient aucune chance.
[...] Les villages avaient été rasés, un peu comme Attila »,
témoigne le pilote d'hélicoptère Max Bardet 122. J'appris avec ces
phrases le massacre littéralement inouï d'une population
camerounaise au tournant des années soixante. Je m'attachai à en
savoir davantage. Ce ne fut pas facile, tant la terreur, là-bas,
produit encore son effet. Ce n'est pas terminé 123.
En 1938, de jeunes Camerounais formés à l'école française
créent la Jeucafra, Jeunesse camerounaise française 124. Parmi eux,
un certain Ruben Um Nyobé, commis-greffier au tribunal de
Yaoundé. Nettement pro-français, ce mouvement se pique au jeu
de la conférence de Brazzaville où, en 1944, le général De Gaulle
avait annoncé des libertés politiques nouvelles pour les peuples de
l'Empire colonial 125.
Au même moment débouche le mouvement de syndicalisation
suscité par des salariés français expatriés, travaillant dans
l'enseignement et les chemins de fer 126. Ce mouvement est proche
de la CGT française, à laquelle adhéraient la plupart de ses
initiateurs. Il aboutit en décembre 1944 à la création de l'Union
des syndicats confédérés du Cameroun (USCC). Ruben Um
Nyobé s'y inscrit, avec plusieurs de ses amis.
122

. Max Bardet et Nina Thellier, O.K. Cargo !, Grasset, 1988.
. Le chiffre même annoncé par Max Bardet demeure hypothétique tant que les survivants,
avec l'appui d'historiens camerounais et étrangers, se sentiront interdits d'évoquer l'horreur.
Ce sentiment, qui dure depuis plus d'un tiers de siècle, témoigne à lui seul de l'ampleur du
massacre.
124
. Pour la genèse du nationalisme camerounais, cf. Dieudonné Oyono, Avec ou sans la
France ? La politique africaine du Cameroun depuis 1960, L'Harmattan, 1990, p. 20-33.
125
. Il ne pouvait, à peine d'être débordé par les ambitions de ses alliés américain et
soviétique, leur laisser le monopole du discours de libération.
126
. Donnat, Jacquot, Lalaurie, Soulier.
123

92

L'injustice sociale et politique est alors criante. Les colonies ont
connu l'« effort de guerre », l'austérité et une forte hausse des
prix. A la Libération, les salaires des fonctionnaires de nationalité
française sont augmentés, ceux des camerounais restent bloqués :
la ségrégation continue ! Anticipant sur les libertés promises, la
Jeucafra exige l'impossible : la liberté de parole et de presse, la
participation des autochtones à la gestion des affaires publiques,
etc. Comme en Algérie, au Sénégal, ou plus tard à Madagascar,
le refus est brutal : lors d'une grève le 27 septembre 1945, une
bande de colons armés tirent sur une manifestation d'Africains. Il
y a au minimum soixante morts 127. Ainsi restauré, l'« ordre »
colonial engendre des frustrations considérables.
En mars 1947, la Jeucafra se fond dans un front anticolonialiste, le Racam (Rassemblement camerounais), qui
réclame carrément la création d'un État camerounais. Après la
guerre 1914-18, le Kamerun détenu par l'Allemagne vaincue
s'était vu placé par la Société des nations sous un double
mandat : la tutelle de la France, pour la majeure partie du
territoire, et celle de la Grande-Bretagne, pour la

127

. Cf. Yves Benot, Massacres coloniaux, La Découverte, 1994, p. 78-79.

93

région Ouest limitrophe du Nigeria. Le Racam demande tout
simplement la fin des mandats tutélaires, en application de la
charte des Nations unies, et la réunification du Kamerun. On
l'interdit au bout de deux mois.
Ce n'est que partie remise. Avec les mêmes revendications,
Ruben Um Nyobé fonde le 10 avril 1948 l'Union des populations
du Cameroun (UPC). Celle-ci adhère bientôt au Rassemblement
démocratique africain (RDA), créé par l'Ivoirien HouphouëtBoigny. Pour l'administration coloniale, pas de doute : non
seulement la revendication d'indépendance sent le soufre, mais les
fréquentations cégétistes d'Um Nyobé et l'adhésion de l'UPC au
RDA portent la marque du complot communiste international.
Certes, les députés du RDA à Paris se sont apparentés un temps
au groupe communiste, avant d'être récupérés par le parti
charnière de François Mitterrand, l'UDSR. Mais quand on voit
l'évolution ultérieure d'Houphouët 128... Un multimilliardaire, pas
vraiment rouge !
L'amalgame indépendantisme-communisme, plus ou moins
délibéré, parfois machiavélique, fera des ravages. Bien qu'Um
Nyobé ait toujours nié la filiation communiste de l'UPC 129, le
dynamisme de ce parti naissant lui vaudra très vite d'être la cible
d'une croisade - pour la « défense du monde libre », contre
le » péril rouge ». C'est la politique sans nuances du Hautcommissaire du Cameroun, André Soucadaux (1949-54). En
face, Ruben Um Nyobé tient des propos qui font songer à son
contemporain Mandela - ce Mandela qu'il aurait pu être :
« Les colonialistes ne veulent pas admettre qu'un Noir soit
l'égal d'un Blanc. Cette conception se manifeste dans le

128

. Cette évolution conduira évidemment l'UPC à quitter le RDA.
. Cf. Dieudonné Oyono, op. cit., p. 22, note 27.

129

95

domaine social, dans l'échelle des salaires, dans le traitement
médical, dans le logement, dans la justice et hélas, à l'Église.
Quelle est alors l'âme éprise de liberté qui resterait insensible
devant ce fait révoltant d'un étranger qui traite les enfants de la
terre comme des hommes de seconde zone ? La doctrine
coloniale n'a jamais cessé de proclamer que le Blanc est un être
supérieur et que le Noir, spécialement, ne possède que des
capacités limitées [...]. Une telle façon de ne rien faire pour
modérer, sauf cas exceptionnel, la discrimination raciale fait
beaucoup pour renforcer notre méfiance et notre
combativité 130».

Un discours tellement vrai qu'il fait « exploser le conflit entre
le système colonial et la condition faite au peuple camerounais 131», observe le politologue Achille Mbembe. L'UPC attire
la population pauvre des grandes villes, Douala en particulier.
Elle convainc aussi une partie des élites. Elle s'implante
progressivement à travers tout le Cameroun, mais connaît deux
zones de prédilection.
Le pays bassa, dont est originaire Um Nyobé, est resté très
marqué par la pratique du travail forcé, auquel eut recours la
puissance coloniale pour la construction du chemin de fer et
d'autres infrastructures : le discours de l'enfant du pays est
ressenti comme une libération.
Mais c'est en pays bamiléké que l'UPC connaît l'essor le plus
considérable. Sa vitalité est un exutoire à de vives tensions
sociales. Dans cette région montagneuse, un système coutumier
rigide et une forte poussée démographique réduisent l'accès aux
terres cultivables. D'où une forte émigration, vers le port de
Douala notamment. Couplée à un

130

. Ruben Um Nyobé, Le problème national camerounais (discours rassemblés par
Achille Mbembé), L'Harmattan, 1984, p. 23.
131
. Introduction à Ruben Um Nyobé, op. cit., p. 49.

96

remarquable esprit d'entreprise, cette expansion a tôt accrédité
l'idée d'un impérialisme bamiléké - un préjugé que ne manquera
pas d'exploiter le parti colonial. Un administrateur français, le
chef de région Hubert, préconise « la meilleure action que nous
puissions avoir » : « susciter des oppositions africaines et
rendre la vie impossible aux meneurs upécistes 132». De fait, la
réaction à l'UPC ne tarde pas à s'organiser.
Dès la fin des années quarante, Jacques Foccart tisse en
Afrique ses réseaux gaullistes, si conservateurs qu'ils en agacent
le général De Gaulle lui-même, pourtant très attaché à l'Empire
français. Au Cameroun, le parti gaulliste, le RPF (Rassemblement du peuple français), ne jure que par la répression 133. Il est
en concurrence avec la coalition au pouvoir à Paris, la
« troisième force » ni communiste, ni gaulliste. Mais celle-ci est
tout aussi hostile que le RPF aux revendications de l'UPC.
Le Haut-commissaire Soucadaux introduit les socialistes de la
SFIO, tandis que Louis-Paul Aujoulat, secrétaire d'État à la
France d'Outre-Mer, missionne les démocrate-chrétiens du MRP.
Les deux partis suscitent ensemble un « Bloc des démocrates
camerounais ». Ils l'arriment aux structures coutumières
conservatrices, aux régions (le Nord, le Centre) ou aux ethnies
(les Doualas par exemple) sensibles à l'épouvantail bamiléké 134.
Le corps électoral étant très restreint et la fraude systématique, le
« Bloc » devance l'UPC aux élections de 1951 et 1952.

132

. Cité par Daniel Tessue, Polémique autour du problème bamiléké, dans l'hebdomadaire
camerounais La Nouvelle Expression, 11/07/95.
133
. Cf. Pierre Péan, L'homme de l'ombre, Fayard, 1990, p. 199-200.
134
. Contre l'ANC de Mandela, le régime d'apartheid sud-africain dressera de même
l'Inkatha du chef zoulou Buthelezi - futur adhérent à... la filiale africaine de l'Internationale
démocrate-chrétienne.

97

Ce résultat inique a pour effet de dégoûter de la voie électorale
le parti d'Um Nyobé. Ce qui lui vaut un grief supplémentaire : le
refus de la démocratie ! Le 13 juillet 1955, le Haut-commissaire
Roland Pré, successeur de Soucadaux, décrète l'interdiction de
l'UPC sur l'ensemble du territoire. Il lance un mandat d'arrêt
contre Um Nyobé, pour atteinte à la sûreté de l'État. Une seule
issue est laissée aux indépendantistes : le maquis.
En 1957, le nouveau Haut-commissaire Pierre Messmer, tout
en réaffirmant « le maintien de la tutelle confiée à la France »,
tente une médiation via un prélat camerounais : Mgr Thomas
Mongo rencontre Um Nyobé. La négociation tourne court.
L'UPC, ancrée dans le mouvement mondial de refus du
colonialisme, n'est pas prête à céder sur l'essentiel :
l'indépendance. La position de l'Église catholique n'a pas facilité
la tâche du médiateur : elle est vivement hostile à l'UPC, dont le
leader est de surcroît un fidèle protestant. Dans une « lettre
commune 135», les évêques du Cameroun avaient mis en garde
leurs ouailles contre ce parti, en raison « de son attitude
malveillante à l'égard de la Mission catholique et de ses liens
avec le communisme athée condamné par le Souverain
Pontife ». Ancien séminariste, le Premier ministre et leader du
Bloc des démocrates, André-Marie Mbida, dénonce la « clique
de menteurs et de démagogues 136» de l'UPC. A la même époque,
on observe une attitude tout à fait similaire de l'Église au
Rwanda, face aux partisans de l'indépendance.
Sous la direction du très foccartien Maurice Delauney 137, que
nous retrouverons à maintes reprises, les troupes françaises
durcissent la guerre contre les maquisards. Commandés par le
colonel Jean-Marie Lamberton et le capitaine Georges Maîtrier,
une vingtaine de pelotons de gendarmerie mobile mènent sans
états d'âme la chasse aux upécistes 138. Une offensive ciblée,
menée par une troupe coloniale franco-tchado-camerounaise,
135

. D'avril 1955. Citée par Dieudonné Oyono, op. cit., p. 30, note 44.
. Discours du 9 novembre 1957. Ibidem, p. 31.
137
. Futur maire de Cannes.
138
. Cf. Pierre Péan, op. cit., p. 316.
136

98

permet d'atteindre Ruben Um Nyobé dans son repaire et de
l'abattre, le 13 septembre 1957. Certains prétendent qu'il a été
livré par son conseiller Théodore Mayi Matip : celui-ci, disparu
du maquis au moment de l'attaque, n'a ressurgi qu'à la fin des
hostilités, avant de rallier le régime mis en place par Paris et
d'être pendant vingt-cinq ans l'un des piliers du parti unique 139.
Changement de tactique au début de 1958, avant même le
retour de De Gaulle au pouvoir. Le gouvernement français,
empêtré en Algérie, veut couper l'herbe sous les pieds de l'UPC.
L'indépendance du Cameroun est annoncée pour le 1er janvier
1960. « Une indépendance fictive », répète à trois reprises le
ministre de l'Outre-mer Jacquet au Premier ministre camerounais
Mbida 140. Celui-ci, trop clairement pro-français, est remplacé par
Ahmadou Ahidjo. Il s'agit d'un homme sûr, en faveur duquel le
pouvoir colonial mettait depuis longtemps « des paquets de
bulletins dans l'urne » 141. Le 10 mai 1958, le nouveau chef du
gouvernement de Yaoundé expose son programme : « C'est avec
la France que, une fois émancipé, le Cameroun souhaite
librement lier son destin pour voguer de concert sur les mers
souvent houleuses du monde d'aujourd'hui 142».
Du Foccart avant la lettre ? Plutôt du Foccart dans le texte.
Depuis 1947, Jacques Foccart s'occupe des affaires francoafricaines au RPF. Il a déjà tissé sa toile en Afrique, la
quadrillant de sections du parti gaulliste. Il recourt « à divers
stratagèmes propres aux organisations et sociétés secrètes :
formation de réseaux de renseignement, [...] enquête sur les
opinions politiques des administrateurs et fonctionnaires
coloniaux, [...] tentatives de "noyautage" des milieux d'affaires
139

. Cf. Suzanne Kala-Lobe et Jean-Claude Abena, Sans eux, pas d'unité ?, in Jeune
Afrique Économie, 02/92. Daniel Um Nyobé, fils de Ruben, m'a fourni aussi de précieuses
indications. Le journal d'Um Nyobé est consigné dans les archives de l'armée française. Ne
serait-il pas temps de rendre plus accessible ce document essentiel de l'histoire du
Cameroun ?
140
. Déclaration en date du 27/02/58. Citée par Dieudonné Oyono, op. cit., p. 37.
141
. Selon l'ambassadeur Guy Georgy, qui commanda la région Nord du Cameroun de 1951
à 1955.
142
. Discours du 10 mai 1958. Ibidem, p. 31.

99

français installés en Afrique 143». Foccart noue des rapports
personnels très étroits avec certains cadres africains 144. Élu en
1950 à l'Assemblée de l'Union française, il en préside la
commission de Politique générale, s'imposant comme le pivot de
ce Parlement consultatif. Il a si vite étendu l'emprise de ses
réseaux que le 24 janvier 1951, au moment de rendre compte de
son dernier périple africain, le ministre de la France d'Outre-mer
François Mitterrand s'exclame en plein Conseil : « Je ne devrais
pas dire que j'ai fait un tour dans l'Union française, mais bien
plutôt dans l'Union gaulliste » 145.
Membre de la même Assemblée, Ahmadou Ahidjo a été
remarqué par Foccart 146. C'est devenu l'un de ses points

143

. Robert Bourgi, Le général de Gaulle et l'Afrique noire, 1940-1969, Université de
Paris I, thèse de doctorat d'État en sciences politiques, 1978, p. 50. L'auteur n'est pas un
quelconque calomniateur : c'est le fils d'un très grand ami de Foccart, et il deviendra son
homme de confiance.
144
. Cf. Bernard K. Yao, Jacques Foccart : homme d'influence, acteur incontournable de
la politique africaine de la France, in Revue juridique et politique, 01/96, p. 69.
145
. Le trait n'est pas certain : il est rapporté par... Jacques Foccart, dans sa Lettre à l'Union
française hebdomadaire (25/01/51). Cf. Pierre Péan, L'homme de l'ombre, op. cit., p. 188.
146
. Foccart parle, I, p. 87-89 et 95.

100

d'appui en Afrique, son favori pour le Cameroun. A l'Assemblée
de l'Union, on traite longuement du destin spécifique des pays
sous mandat des Nations unies, le Togo et le Cameroun. Le 10
mai 1958, le discours d'Ahidjo est donc très « informé ».
Trois jours plus tard éclate à Alger le complot du 13 mai qui, à
Paris, ramène De Gaulle au pouvoir. De son propre aveu, Foccart
a été « l'homme-orchestre » de ce complot multiforme, et il a
gagné la partie 147. Dans le sillage du général, il met aussitôt la
main sur les affaires franco-africaines.
L'UPC n'est pas d'accord avec le « destin lié » que propose
Ahidjo dans son discours-programme, elle ne se sent pas invitée à
un « concert » ultra-marin avec la puissance coloniale. Félix
Moumié, un médecin, succède à Um Nyobé assassiné. Implanté
jusque là en pays bassa, le maquis upéciste gagne les montagnes
du pays bamiléké et forme l'Armée de libération nationale
kamerunaise (ALNK), sous le commandement de Martin Singap.
Aux Nations unies, l'UPC est soutenue par une majorité d'États
africains et asiatiques.
Pour la combattre, le Cameroun dévolu à l'ami Ahidjo se
réfugie à peine indépendant dans les jupes de la France. Ahidjo
s'attribue les pleins pouvoirs, mais en remet aussitôt l'essentiel à
la métropole. Il signe des accords de défense, en partie placés
sous le sceau du secret, et des accords d'assistance militaire.
Dans leur article 1er, ces derniers confient officiellement à des
personnels français le soin de « procéder à l'organisation, à
l'encadrement et à l'instruction des forces armées
camerounaises 148». Telles sont les clauses avouées. Les clauses
secrètes permettaient une ingérence plus massive encore : tout
simplement des interventions militaires directes.

147

. Cf. Pierre Péan, op. cit., p. 224-234.
. Cité par Dieudonné Oyono, op. cit., p. 42.

148

101

Contre ce qu'il appelle les « bandes rebelles 149», Jacques
Foccart suit au jour le jour l'évolution de la situation : il est le
premier destinataire du rapport quotidien du Sdece (Service de
documentation extérieure et de contre-espionnage, principal
service secret français, rebaptisé DGSE 150 en 1982) ; à partir de
1960, son ami le colonel Maurice Robert crée le service Afrique
du Sdece, étroitement et exclusivement rattaché à Foccart 151. Il est
nécessaire, pour la suite de cette histoire, de garder en mémoire
cette constante : jusqu'en 1974, depuis l'Élysée et ses bureaux
annexes, Foccart tient pratiquement tous les fils, officiels ou
cachés, des relations franco-africaines ; sous Giscard et
Mitterrand, l'écheveau sera devenu tel et les relais africains si bien
rodés que l'influence officieuse restera déterminante.
Aussitôt né, le Sdece-Afrique enfante et instruit une filiale
camerounaise, le Sédoc 152: sous la direction de Jean Fochivé, elle
sera vite réputée pour sa sinistre « efficacité ». On y torture à tour
de bras. Côté police, un redoutable professionnel français,
Georges Conan, démontre ses talents - dont celui de multiplier les
aveux et dénonciations. Pour les affaires militaires, deux
conseillers viennent encadrer le président Ahidjo : le colonel
Noiret et le capitaine Leroy 153. L'ancien ministre des Armées
Pierre Guillaumat confirme : « Foccart a joué un rôle
déterminant dans cette affaire. Il a maté la révolte des
Bamilékés avec Ahidjo et les services spéciaux 154». Au passage,
on notera la présentation ethnique d'une révolte politique...
Foccart expédie au Cameroun une véritable armée : cinq
bataillons, un escadron blindé, des chasseurs bombardiers T 26. A
sa tête, un vétéran des guerres d'Indochine et d'Algérie, le général
149

. Foccart parle, I, p. 206.
. Direction générale de la sécurité extérieure.
. Et comme si cela ne suffisait pas, il double ce service par un réseau d'honorables
correspondants, « Jimbo », animé par Marcel Chaumien. Cf. Pierre Péan, op. cit., p. 290 et
292.
152
. Plus précisément le SDESC, Service de documentation et d'études de la sécurité
camerounaise, qui deviendra ensuite le DIRDOC. Cf. Roger Faligot et Pascal Krop, La
piscine, Seuil, 1985, p. 236.
153
. Cf. Foccart parle, I, p. 208 ; Roger Faligot et Pascal Krop, op. cit., p. 236 ; Pierre Péan,
op. cit., p. 316 ; Pascal Krop, Le génocide franco-africain, JC Lattès, 1994, p. 33.
154
. Cité par Pierre Péan, op. cit., p. 284.
150
151

102

Max Briand, surnommé « le Viking ». Sa réputation le précède :
en Extrême-Orient, ce colosse blond a commandé durant deux ans
le 22e RIC - les casseurs de Viets 155. Georges Chaffard décrit ainsi
l'arrivée de Briand en pays bamiléké : « Douze fois, le convoi de
véhicules doit s'arrêter, et l'escorte mettre pied à terre pour
dégager la route. Ce sont de véritables grappes humaines, sans
armes, mais hostiles, qui barrent le passage et s'agrippent aux
voitures. Rarement insurrection a été aussi populaire 156».
Le général Briand se pose en rouleau-compresseur et le colonel
Lamberton en stratège. L'objectif, éradiquer l'UPC, est poursuivi
selon une double approche : d'un côté, les camps de regroupement,
sous l'autorité de « capitas » (une variété de kapos) ; de l'autre, la
politique de la terre brûlée. La lutte anti-guérilla menée par les
commandos coloniaux 157 est d'une brutalité inouïe. Vagues
d'hélicoptères, napalm : c'est une préfiguration de la guerre du
Vietnam que se jouent les vétérans d'Indochine. Leur rage est
d'autant plus grande que les maquisards, opérant presque à mains
nues - mais sur plusieurs fronts - remportent des succès ponctuels.
Charles Van de Lanoitte, qui fut de longues années
correspondant de Reuter à Douala, parle de 40 000 morts

155

. Roger Faligot et Pascal Krop, op. cit., p. 238.
. Les Carnets de la décolonisation. Cité par Pierre Péan, op. cit., p. 285.
157
. Commandés par des Français et composés de « tirailleurs » de diverses nationalités - dont
des Tchadiens et, bien sûr, une proportion grandissante de Camerounais.
156

103

en pays bassa, en 1960-61 : 156 Oradour, autant de villages
totalement détruits avec ceux qui n'avaient pu les fuir 158.
Le journaliste décrit aussi « le régime effroyable des camps de
tortures et d'extermination » dont il a été « le témoin horrifié » :
« Quelques exemples de tortures :
LA BALANÇOIRE : les patients, tous menottés les mains derrière
le dos et entièrement nus, dans une pièce à peine éclairée, sont
tout à tour attachés, la tête en bas, par les deux gros orteils, avec
des fils de fer qu'on serre avec des tenailles, et les cuisses
largement écartées. On imprime alors un long mouvement de
balançoire, sur une trajectoire de 8 à 10 mètres. A chaque bout,
un policier ou un militaire, muni de la longue chicotte rigide
d'un mètre, frappe, d'abord les fesses, puis le ventre, visant
spécialement les parties sexuelles, puis le visage, la bouche, les
yeux. [...] Le sang gicle jusque sur les murs et se répand de tous
côtés. Si l'homme est évanoui, on le ranime avec un seau d'eau
en plein visage. [...] L'homme est mourant quand on le détache.
Et l'on passe au suivant...
Vers trois heures du matin, un camion militaire emmène au
cimetière les cadavres. [...] Une équipe de prisonniers les
enterre, nus et sanglants, dans un grand trou. [...] Si un des
malheureux respire encore, on l'enterre vivant...
LE BAC EN CIMENT : les prisonniers, nus, sont enchaînés
accroupis dans des bacs en ciment avec de l'eau glacée
jusqu'aux narines, pendant des jours et des jours. [...] Un
système perfectionné de fils électriques permet de faire passer
des décharges de courant dans l'eau des bacs. [...] Un certain
nombre de fois dans la nuit, un des geôliers,

158

. Lettre ouverte à Georges Pompidou, citée par Mongo Beti, Main basse sur le
Cameroun, Maspero, 1972. Jusqu'à aujourd'hui, il a été impossible (à ma connaissance) de
procéder à un décompte quelque peu précis du nombre des victimes de l'éradication de l'UPC
en pays bamiléké.

104

"pour s'amuser", met le contact. On entend alors des hurlements
de damnés, qui glacent de terreur les habitants loin à la ronde.
Les malheureux, dans leurs bacs de ciment, DEVIENNENT FOUS !...
Oui j'affirme que cela se passe depuis des années, notamment
au camp de torture et d'extermination de Manengouba
(Nkongsamba) ».

Le fil conducteur est évident : l'Indochine, l'Algérie, le
Cameroun... jusqu'à ces camps de torture au Rwanda d'avant le
génocide, que décrit Jean Carbonare. L'impunité encourage la
reconduction.
Pendant ce temps, les « services » camerounais et français font
des ravages dans les milieux upécistes. Le Sédoc se charge du tout
venant : il fait arrêter des milliers de « suspects », et les conduit
dans les camps ci-dessus évoqués... Au Sdece reviennent les têtes
pensantes : le 15 octobre 1960, à Genève, l'un des ses agents
empoisonne au thallium le chef de l'UPC Félix Moumié.
Constantin Melnik, responsable des Services secrets auprès du
Premier ministre Michel Debré, explique qu'une telle opération
« Homo » (comme homicide) ne pouvait être déclenchée que par
l'Elysée, c'est-à-dire au moins par Jacques Foccart 159.
C'est à un ami sexagénaire, le Franco-suisse William Bechtel,
alias « Grand Bill », que Foccart confie l'opération. William et
Jacques se retrouvent régulièrement à Cercottes sur le terrain
d'entraînement des réservistes du Sdece. Bechtel est un
anticommuniste de choc, ancien commando d'Indochine et chargé
du maintien de l'ordre chez Simca,

159

. La mort était leur mission, Plon, 1996, p. 199-200. Melnik lui-même n'a pas d'état
d'âme : les « Sékou Touré, Moumié ou Lumumba [...] lui paraissaient des petits Lénine ou
de minuscules Hitler » (p. 200).

105

contre la CGT. On imagine les arguments que Foccart a trouvés
pour le convaincre, du genre « l'UPC égale le Vietminh ».
Se faisant passer pour un journaliste suisse, Bechtel approche
Moumié au Ghana, sympathise avec lui, puis le retrouve lors d'un
déplacement à Genève. Il le convie à dîner au restaurant Le plat
d'argent, la veille du jour où le chef de l'UPC doit reprendre
l'avion pour l'Afrique : c'est là-bas que la cible est censée mourir,
loin de toute police scientifique et de la presse occidentale.
Comme Moumié ne boit pas le pastis empoisonné, Bechtel verse
du thallium dans un verre de vin. Mais, assoiffé par la discussion
qui suit le repas, Moumié finit par avaler le pastis d'un trait. La
double dose accélère l'effet du poison. Vers la fin de la nuit, le
leader camerounais se fait transporter à l'hôpital, où il meurt dans
d'atroces souffrances, non sans avoir diagnostiqué son propre
empoisonnement et l'avoir dit au personnel soignant.
Son assassin se réfugie sur la Côte d'Azur, dans une villa louée
par le Sdece. Durant quinze ans, il échappera au mandat d'arrêt
international tardivement lancé par la Suisse. Arrêté à Bruxelles
en 1975, extradé, il sera acquitté en 1980. Au bénéfice du doute...
et des extraordinaires pressions exercées par l'Élysée 160. En 1995,
Foccart n'avait toujours aucun regret de l'élimination de Moumié :
« Je ne crois pas que cela ait été une erreur 161».
Le chef de l'UPC n'a pu préparer sa succession. Une direction
bicéphale se met en place : Abel Kingue en exil (au Ghana),
Ernest Ouandié dans le maquis. Les combats, et les massacres de
villageois par les troupes franco-camerounaises, durent jusqu'en
1963. Ouandié conserve un noyau de maquisards jusqu'en août
1970. Il est trahi à son tour lors d'un déplacement organisé par
l'évêque de Nkongsamba en personne, Mgr Albert Ndongmo, qui
l'a transporté dans sa 404 Peugeot 162. Arrêté, il est fusillé sur la
place publique de Bafoussam en janvier 1971. La guérilla d'une
160

. Cf. Pierre Péan, op. cit., p. 286-287 et 290 ; Constantin Melnik, op. cit., p. 197-202 ;
Roger Faligot et Pascal Krop, op. cit., p. 239-246.
161
. Réponse à une question de Pierre Péan, in Jeune Afrique du 16/02/95.
162
. Cf. Adolphe Makembe Tollo, L'aile armée de l'UPC, in Jeune Afrique Économie,
02/92. L'auteur était encore dans le maquis à cette époque. Il laisse entendre que Mgr
Ndongmo, qui passait pour un sympathisant de l'UPC, aurait lui-même trahi Ouandié.

106

autre branche de l'UPC, installée dans les forêts du Sud-Est
camerounais à partir du Congo voisin, n'a pas eu meilleur sort :
elle a été décimée en 1966, son leader Afana Osendé a été
décapité, et sa tête ramenée à Yaoundé 163.
Côté français, le colonel Lamberton concevait cette guerre civile
comme une façon de résoudre le « problème bamiléké » 164. A la
lumière de ce qui s'est passé au Rwanda de 1959 à 1994, il n'est
vraiment pas inutile de relire ce qu'écrivait de ce « problème », en
1960, l'officier français qui fut chargé de le « traiter » :
« Le Cameroun s'engage sur les chemins de l'indépendance
avec, dans sa chaussure, un caillou bien gênant. Ce caillou, c'est
la présence d'une minorité ethnique : les Bamiléké, en proie à
des convulsions dont l'origine ni les causes ne sont claires pour
personne. [...] Qu'un groupe de populations nègres réunisse tant
de facteurs de puissance et de cohésion n'est pas si banal en
Afrique Centrale [...]. L'histoire obscure des Bamiléké n'aurait
d'autre intérêt qu'anecdotique si elle ne montrait à quel point ce
peuple est étranger au Cameroun 165».

163

. Cf. Abel Eyinga, L'UPC : une révolution manquée ?, Éd. Chaka, p. 137-138. Osendé
était docteur en économie, spécialiste du développement.
164
. Cf. France-Cameroun, Croisement dangereux, Agir ici et Survie/L'Harmattan, 1996,
p. 78-79.
165
. Jean-Marie Lamberton, Les Bamilékés dans le Cameroun d'aujourd'hui, in Revue de
Défense Nationale, Paris, mars 1960. Cité par : Collectif "Changer le Cameroun", Le
Cameroun éclaté ? Anthologie commentée des revendications ethniques, Éditions C3,
Yaoundé, p. 53-57.

107

Cela ressemble furieusement à la construction raciste de la
menace tutsie ! Il n'est pas question de laisser les « Camerounais
authentiques » (les non-Bamilékés) se charger seuls de soumettre
ces « étrangers » conscients et solidaires :
« Sans doute le Cameroun est-il désormais libre de suivre une
politique à sa guise et les problèmes Bamiléké sont du ressort de
son gouvernement. Mais la France ne saurait s'en désintéresser :
ne s'est-elle pas engagée à guider les premiers pas du jeune État
et ces problèmes, ne les lui a-t-elle pas légués non résolus ? 166».

Mais le pompier de ce problème incandescent n'est-il pas aussi
le pyromane ? Selon le philosophe camerounais Sindjoun Pokam,
« c'est la France qui produit, crée, invente le problème bamiléké
et l'impose à notre conscience historique. Derrière le problème
bamiléké, il y a en vérité le problème français qui s'exprime sous
les espèces du conflit entre les intérêts de l'État français et ceux
du peuple camerounais 167». De la même manière, il y avait le
problème belge derrière le problème hutu-tutsi : les querelles
Flamands-Wallons, entre autres, ainsi que des enjeux financiers et
religieux.
C'est en tout cas le moment de rappeler la maxime du plus
célèbre des colonisateurs français, le maréchal Lyautey : « S'il y a
des moeurs et des coutumes à respecter, il y a aussi des haines
et des rivalités qu'il faut démêler et utiliser à notre profit, en
opposant les unes aux autres, en nous appuyant sur les unes
pour mieux vaincre les autres 168».

166

. Ibidem, p. 54.
. Cité par Daniel Tessue, Polémique autour du problème bamiléké, in La Nouvelle
Expression, 11/07/95.
168
. In Daniel Tessue, art. cité.
167

108

Depuis 1984, je compte parmi les Français plutôt bien informés
sur l'Afrique. C'est seulement en 1993 que j'ai pris connaissance
des massacres français au Cameroun 169. Pourtant, ce crime de
guerre à relents racistes, si ample et si prolongé, est proche du
crime contre l'humanité. Décrire et faire connaître ce premier
grand crime foccartien est indispensable à l'intégrité d'une
mémoire française. Comprendre pourquoi la presse n'en a rien dit,
et comment il a pu être si longtemps ignoré, ne serait pas sans
enseignements sur les contraintes et tentations des correspondants
français en Afrique. L'étude reste à faire...
Les massacres commis par l'armée française ont aussi bénéficié,
il faut le reconnaître, d'une conjoncture médiatique très propice :
de 1960 à la fin de 1962, l'attention de l'opinion hexagonale est
captivée par l'issue mouvementée du conflit algérien. La proximité
d'un drame qui concerne un million de nationaux, les Pieds-noirs,
occulte les cris d'horreur qui s'échappent difficilement d'une
Afrique équatoriale à faible immigration française. En métropole,
l'opinion n'a d'ailleurs jamais eu qu'un infime écho des massacres
coloniaux. Depuis la Libération, leurs auteurs poursuivaient leur
besogne en toute quiétude : Sétif, Hanoï, Madagascar... 170

169

. Je n'avais évidemment pas lu tous les ouvrages spécialisés - une vie n'y suffirait pas. Les
signaux qui auraient pu me conduire, par exemple, aux travaux pionniers d'Achille Mbembe
sur le sujet demeuraient rares ou faibles.
170
. Cf. l'ouvrage pionnier d'Yves Benot, Massacres coloniaux, La Découverte, 1994.

109

2.
Trop indépendant Olympio

Le 27 avril 1960, le Togo accède à l'indépendance. Cette
ancienne colonie allemande, sous mandat français depuis quatre
décennies, est un pays tout en longueur, dix fois moins vaste que
la France. Très ouvert sur l'extérieur, il l'est aussi au débat
politique. Ses habitants ont obtenu que soit organisé en 1958,
sous supervision des Nations unies, un scrutin incontestable,
largement remporté par l'Union nationale togolaise. Le chef de ce
parti, Sylvanus Olympio, est un cadre international de très haut
niveau 171. C'est aussi un militant chevronné de l'émancipation
africaine. A cinquante-huit ans, il touche au but de son existence.
A pied ou en vélo, une foule nombreuse est descendue à Lomé,
la capitale. Le chef du nouvel État s'adresse à elle :
« Une émotion intense nous étreint. Des années durant nous
l'avons voulu, de toute notre volonté, de toutes nos forces.
Aucun sacrifice ne nous a paru trop grand pour y parvenir.
Nous l'avons attendu avec impatience, dans la fièvre et dans
l'espoir. Et voilà que notre rêve devient réalité : notre Togo va
jouir de son indépendance. [...]

171

. Bardé de diplômes, polyglotte, il fut directeur d'Unilever pour le Togo dès 1936, à 34
ans. A l'époque, la promotion de cadres indigènes était rarissime.

111

Il n'y a place dans notre coeur pour aucune haine, aucun
ressentiment. [...] Nous n'éprouvons que de la reconnaissance
envers les puissances qui ont administré nos affaires.
Reconnaissance envers l'Allemagne [...]. Reconnaissance
envers la France qui n'a pas failli à ses traditions de libéralisme
et de générosité. [...] Jamais le Togo ne fut confondu avec
aucun pays voisin et notre personnalité fut toujours respectée.
[...] La France a eu à coeur d'investir de très importants
capitaux pour assurer notre développement économique et
social. [...] Elle nous a donné les moyens de préparer notre
indépendance. [...] ».

Mille jours n'ont pas passé, ce samedi 12 janvier 1963. Parlant
six langues, Olympio est un chef d'État de stature internationale.
Sexagénaire, indépendantiste de longue date, il acquiert l'influence d'un sage et peut prétendre, au même titre qu'Houphouët, au
rôle de juge de paix régional. Diplômé de la prestigieuse London
School of Economics, il travaille sans relâche au développement
de son pays. L'exportation de phosphates, de toute première
qualité, alimente les caisses de l'État. On vit en démocratie au
Togo, ce qui est rare et va le rester. Le Président n'éprouve pas le
besoin d'une protection particulière. La France ne veille-t-elle pas
aux humeurs des minuscules forces de sécurité togolaises, qu'elle
a formées et qu'elle encadre ?
Il est près de minuit à Lomé. Au premier étage de sa villa
proche de l'Océan, gardée seulement par deux policiers, le
Président dort du sommeil du juste 172. Toute la journée, il a

172

. Le récit suivant s'inspire de deux enquêtes. L'une a été réalisée par le magazine Black,
15/05 et 15/06/85, sur la base des témoignages, entre autres, de Dina Olympio et de
l'ambassadeur des États-Unis Léon B. Poullada, complétés par les archives du Département
d'État américain, accessibles depuis 1983 (on attend celles du Quai d'Orsay... ). L'autre a été
effectuée par le journaliste Christian Casteran.
La relation des événements fournie par Ibrahima Baba Kaké dans un ouvrage paru à Dakar
en 1992, reprise par Pascal Krop (Le génocide franco-africain, JC Lattès, 1994, p. 113117) ne diverge que sur quelques points de détail.

112

travaillé au projet de Charte de l'Organisation de l'unité africaine
(OUA), dont la rédaction lui a été confiée. Dina, la femme de
Sylvanus, est réveillée. Elle a entendu des bruits bizarres devant
l'entrée de la villa. Une altercation monte. Soudain, des coups de
feu éclatent. Réveillé à son tour, Sylvanus Olympio se lève. Il
allume la lumière et regarde vers la rue. Des balles le visent. Vite,
il éteint. Lui et sa femme s'aplatissent.
Quand la fusillade cesse, au bout d'une dizaine de minutes, le
Président enfile un short kaki, une chemisette et des sandales
légères. Il demande à son épouse de l'attendre et descend au rezde-chaussée. Il cherche à sortir par la salle à manger, mais la
porte est bloquée de l'extérieur. Il passe par une fenêtre, traverse
le jardin et franchit le mur de la propriété voisine - qui se trouve
être l'ambassade des États-Unis. Le centre de la cour est un
parking. Olympio se cache dans une vieille Buick.
Pendant ce temps, la dizaine d'assaillants cherche à défoncer la
porte principale de la villa. Ils y parviennent et, vers 1 heure du
matin, six d'entre eux investissent la maison. Manifestement, ces
hommes en tenue de combat sont des militaires. Ils repoussent
contre un mur Dina, ses enfants et les domestiques, fouillent la
maison, mitraillent les placards, s'acharnent sur la bibliothèque.
A leurs questions, Dina Olympio ne peut répondre que la vérité :
elle ne sait pas où est passé son mari. Le chef du groupe décroche
alors le téléphone : « Allô ! Monsieur Mazoyer ? Nous sommes
chez lui ! Il a disparu ». Henri Mazoyer est l'ambassadeur de
France à Lomé...
Au bout d'une demi-heure, les assaillants repartent avec l'argent
et les bijoux qu'ils ont trouvés. Il est 1 h 30 environ. Le téléphone
sonne peu après au domicile privé de l'ambassadeur américain
Léon Poullada. C'est Henri Mazoyer, son homologue français. Il
annonce un putsch et signale à son

113

confrère que le président Olympio se trouve sans doute dans
l'enceinte de son ambassade. Ce qui signifie que le pâté de
maisons est cerné (il ne comporte que la villa d'Olympio et
l'ambassade US) et que l'ambassadeur Mazoyer est
admirablement renseigné sur cette petite portion du territoire
togolais.
Le chef du commando qui pourchasse Olympio est un certain
Étienne Gnassingbe Eyadéma. Sergent de l'armée française, âgé
d'environ vingt-sept ans, il vient d'être démobilisé au terme de la
guerre d'Algérie. Ils sont un certain nombre dans son cas, à
traîner leur désoeuvrement au pays natal. Une milice idéale. Un
autre ancien d'Algérie, l'adjudant Emmanuel Bodjollé, a recruté
une fine équipe dans la région de Kara, au Nord du Togo. Chef
apparent des opérations putschistes, il est basé à Lomé, au camp
militaire de Tokoin. C'est le point de ralliement des insurgés, à
cinq kilomètres environ de la villa présidentielle. Un second
commando, dirigé par le sergent Robert Adewi, a réussi à arrêter
la quasi-totalité des ministres et les a conduits au camp Tokoin.
Étienne Eyadéma, lui, rentre bredouille. Bodjollé le renvoie vers
la villa d'Olympio, avec mission de procéder à une fouille plus
minutieuse. En vain.
La gendarmerie du Togo est commandée par un officier
français, le commandant Georges Maîtrier - que l'on a vu plus
haut « nettoyant » le pays bamiléké. Il est aussi, choisi par
l'Élysée, le conseiller militaire du président de la jeune
République togolaise. Il appartient au Sdece, comme son adjoint
le capitaine Henri Bescond 173. On avertit le lieutenant de
gendarmerie Bodjona des menaces qui pèsent sur le président
Olympio. A 3 heures du matin, cet officier togolais s'en va, avec
quelques hommes, demander armes et munitions à Georges
Maîtrier. Après un temps de réflexion, le

173

. Selon Pascal Krop, op. cit., p. 112.

114

commandant leur remet des fusils-mitrailleurs et un carton de
munitions. Les gendarmes filent en jeep vers la villa d'Olympio.
Arrivés sur les lieux, ils veulent charger leurs armes : les munitions
ne correspondent pas. Le sergent Eyadéma leur propose de se joindre
aux putschistes. Les gendarmes refusent, et retournent vers
Maîtrier : introuvable.
De son côté, Eyadéma n'arrive à rien. Il fait plusieurs allersretours à Tokoin. Les mutins s'inquiètent. Léon Poullada aussi,
depuis l'étrange coup de fil de son confrère Mazoyer. Il quitte son
domicile et va jusqu'à son ambassade, à trois kilomètres de là. Il y
arrive vers 5 heures, et doit longuement négocier pour que les
insurgés le laissent entrer. Sitôt franchi le portail, il emprunte une
lampe-tempête au veilleur de nuit et inspecte la cour. Vers le
parking, il entend l'appel chuchoté d'Olympio. Il s'approche. Le
président togolais lui résume ce qu'il sait des événements. Léon
Poullada veut l'abriter dans les bureaux de l'ambassade, mais le
personnel n'est pas arrivé, et lui-même n'a pas pris les clefs.
Il retourne à son domicile, non sans avoir été interpellé par les
mutins à sa sortie de l'ambassade. Chez lui, il appelle son collègue
Mazoyer. Il lui raconte innocemment ce qu'il a vu et entendu. Henri
Mazoyer lui déconseille vivement d'accorder l'asile au président
Olympio et l'invite à ne pas se mêler d'une affaire purement
togolaise. Léon Poullada réveille alors par téléphone son vice-consul
Richard Storch, qui habite juste en face du portail de l'ambassade. Il
lui demande de veiller au grain.
En échec, les putschistes sont réunis chez le sergent Robert Adewi,
prêts à laisser tomber. Vers 6 heures, ils voient arriver un émissaire
du commandant Maîtrier. Informé par l'ambassadeur Mazoyer, ce
dernier leur fait savoir où est Olympio, et leur demande d'« achever
le travail commencé », au risque sinon d'être exécutés. Les plus
« mouillés », dont Eyadéma, Bodjollé et Adewi, décident alors de
repartir vers l'ambassade des États-Unis.

115

Entre-temps, deux députés du Nord-Togo, Moussa Kona et
Jules Moustapha, sont allés porter à Dina Olympio un message
des insurgés : ils exigent la démission du chef de l'État. La femme
du Président ne sait toujours pas où est son mari. Instinctivement,
elle regarde par une fenêtre donnant sur l'ambassade voisine. Le
jour se lève. Elle aperçoit Sylvanus, qui, de la Buick, lui fait
signe de venir. Et puis des militaires qui escaladent le mur
d'enceinte. Elle s'empresse d'aller mettre un pagne pour sortir.
Le sergent Eyadéma a raconté la suite à deux journalistes, le
surlendemain : Chauvel, du Figaro et Pendergast, de TimeLife 174. « A l'aube, nous sommes allés vers le parking de
l'ambassade américaine. L'homme, tout sali, était blotti sous le
volant d'une Plymouth de l'ambassade, garée là. On lui a dit :
"Nous t'avons repéré, sors de là !". Olympio a répliqué :
"D'accord, j'arrive. Où m'emmenez-vous ?". "Au camp militaire", avons-nous répondu. Il est descendu de la voiture et a
marché vers le portail de l'ambassade. Là, il s'est arrêté [réalisant sans doute que, s'il continuait, il perdait toute protection
diplomatique], et nous a dit qu'il ne voulait pas aller plus loin.
Je décidai : c'est un homme important, et il pourrait y avoir des
manifestations de foule s'il restait ici. Aussi, je l'ai descendu ».
En face, le vice-consul américain de faction « n'a pas bien
vu » : prenant l'homme en short et chemise pour un aide-cuisinier,
il dit être allé se restaurer à la cuisine. C'est à ce moment que les
coups de feu ont éclaté 175.
Eyadéma abrège probablement l'histoire. Il n'était pas encore là
quand quatre soldats sont allés déloger Olympio et l'ont conduit
au portail : ne sachant pas conduire, il avait dû chercher un
véhicule et son chauffeur qui le ramènent du camp Tokoin vers le
quartier présidentiel. Sortis de la cour de l'ambassade, ses
comparses sont perplexes : ils ont laissé repartir leur jeep ; eux
aussi, il leur manque un véhicule pour emmener leur prisonnier
174

. Télégramme du Département d'État américain en date du 17/01/63, reproduit par Black
du 15/05/85.
175
. Mémorandum du vice-consul Richard L. Storch en date du 15/01/63, reproduit par
Black du 15/05/85.

116

au camp Tokoin. Ils hèlent une Volkswagen de passage, croyant
avoir à faire à un Européen. C'est en réalité un métis togolais,
Yves Brenner, rédacteur en chef de Togo Presse. Il leur répond
en éwé (la langue du Sud). S'apercevant de leur méprise, les
insurgés le chassent.
Survient le sergent Eyadéma, en jeep. « Qu'attendez-vous ? »,
demande-t-il aux soldats. « La jeep ». « Pour quoi faire ?
Descends-le ! », crie-t-il au soldat Kara. Celui-ci tire aux pieds
d'Olympio. Furieux, Eyadéma lui arrache son arme et tire trois
balles, à la poitrine et l'abdomen du Président, qui s'écroule.
Encore vivant, il se tord de douleur. Alors, Eyadéma sort son
poignard et lui coupe les veines. Pour finir, il lui taillade la cuisse
gauche avec la baïonnette. « C'est comme ça que je faisais en
Algérie, pour m'assurer que mes victimes étaient bien mortes »,
conclut-il en souriant, avant de rembarquer dans la jeep avec ses
complices. Il est 7 h 15. A son bulletin de 6 heures, France Inter
avait déjà annoncé la mort de Sylvanus Olympio...
Dina Olympio surgit au coin de la rue : « [Je] trouvai mon
mari gisant au sol, criblé de balles et mutilé à coups de
baïonnette. Me voyant arriver, les militaires se sauvèrent. Une
Française qui avait suivi la scène vint me raccompagner à mon
domicile. Ainsi mourut mon mari. Jusqu'à l'ultime instant de
son existence, il n'a jamais fait preuve de violence ; c'est ainsi
que je l'ai vu mourir en homme digne et courageux, rendant son
dernier soupir pour un pays dont il avait toujours été fier et
qu'il aimait de toute la force de son âme 176».

176

. Propos cité par Ibrahima Baba Kaké, repris par Pascal Krop, op. cit., p. 114.

117

Ce meurtre fondateur, le premier d'un chef d'État de l'exEmpire français 177, fera du sergent Eyadéma l'indéboulonnable
Président-dictateur-général de son pays, après quelques
péripéties. Mais aussi un maréchal en Françafrique - la nébuleuse
des réseaux franco-africains. Avant de chercher à comprendre le
pourquoi de ce crime, essayons d'en cerner les acteurs.
Le commandant Maîtrier est au coeur du complot. Chef de la
Gendarmerie nationale et conseiller du Président pour les affaires
de sécurité, il tient en main la force publique, dans le cadre de la
coopération militaire franco-togolaise. Son contrat arrivait à
terme en 1962. Sylvanus Olympio ne voulait pas prolonger sa
mission, qu'il ne jugeait pas indispensable. Avec le recul, il avait
raison : la Présidence était plutôt mal conseillée en matière de
sécurité, et le lieutenant Bodjona aurait bien mieux commandé la
gendarmerie... Puisque le pays « aidé » participe au coût de
l'assistance technique, on peut dire que le Togo n'en a pas eu pour
son argent ! Mais, en 1962, l'ambassadeur Henri Mazoyer a mis
le paquet : il a fait convaincre Olympio de garder encore un peu
Maîtrier.
Ce dernier ne cessait de gonfler un problème social, la difficile
réinsertion des sous-officiers rentrés de la guerre d'Algérie.
Démobilisés de l'armée française avec un modeste pécule, vite
flambé, ces demi-soldes réclamaient leur enrôlement dans les
forces de sécurité togolaises. Olympio trouvait que l'effectif de
ces forces, trois cents hommes, était suffisant : ce n'était pas pour
lui un poste de dépense prioritaire. Sans jamais laisser les
protestataires exposer directement leurs requêtes au Président,
Georges Maîtrier les montait contre Olympio - cet « intellectuel »
qui, répétait-il, les traitait de « mercenaires ». Maîtrier dressait la
meute, caressant

177

. Si l'on excepte l'accident suspect du centrafricain Barthélémy Boganda.

118

dans le sens du poil un ressentiment ethnique latent : la plupart
des sous-officiers démobilisés, à commencer par Eyadéma, étaient
originaires du Nord du pays, tandis que les élites du Sud, plus
nombreuses, occupaient la majorité des postes de responsabilité.
Olympio, d'origine sudiste et de mère nordiste, s'appliquait
toutefois à brider le régionalisme.
En novembre 1962, l'opposant Antoine Méatchi, réfugié au
Ghana, avait préparé un coup d'État avec le sergent Robert Adewi
- l'un des mutins du 12 janvier 1963. Dénoncé au ministre de
l'Intérieur Théophile Mally, Adewi fut arrêté. Ses collègues
nordistes manifestèrent violemment. Le ministre Mally libéra
Adewi... à qui Maîtrier s'empressa de confier les clés du magasin
d'armes ! Les mutins n'avaient qu'à se servir.
Leur chef, l'adjudant Emmanuel Bodjollé, fait porter le 12
janvier après-midi un pli non cacheté à Maîtrier. En l'absence du
commandant, son cuisinier, le gendarme Lollé, ouvre l'enveloppe :
« Ce soir, nous passerons à l'action ». Il court porter le message
au ministre de l'Intérieur. Théophile Mally photocopie la note,
puis demande au gendarme de remettre le tout à son patron,
comme si de rien n'était. Le ministre n'alertera personne. Mais le
gendarme sera, le soir même, emprisonné par Maîtrier... Olympio
n'avait aucune chance d'en réchapper.
Dans la nuit du crime, le commandant Maîtrier fait la navette
entre Lomé et Kpémé, siège de la Compagnie togolaise des mines
du Bénin, le monopole des phosphates. Un autre opposant,
Nicolas Grunitzky, en principe réfugié au Dahomey, est aperçu
cette nuit-là à Kpémé. Beau-frère d'Olympio, mais néanmoins son
ennemi, Grunitzky avait été dans les années cinquante, à
l'Assemblée de l'Union française, un autre des poulains de
Foccart. C'est avec lui et pour lui que Foccart avait préparé
l'« indépendance » du Togo 178. Grunitzky avait naturellement
étrenné le fauteuil de Premier ministre, avant d'en être éjecté en
1958 par le triomphe électoral du parti d'Olympio. Au grand dam
de Foccart, De Gaulle... et Mitterrand. Le triomphe était tel que la
178

. Foccart parle, I, p. 97.

119

puissance coloniale fut contrainte de s'incliner, remisant l'astuce
médiocre qu'elle avait concoctée : l'inéligibilité d'Olympio, à la
suite d'une amende fiscale.
Après l'assassinat de son rival, Grunitzky se laisse porter à la
Présidence par ceux qu'il appelle dans sa déclaration « nos amis
qui sont les promoteurs du coup d'Etat » : une désignation en
forme d'aveu 179! Nommé vice-Président, Antoine Méatchi obtient
aussi sa récompense 180. Jusqu'au banco d'Eyadéma...
Beaucoup plus tard, lorsqu'il se sera brouillé avec son complice
Étienne, Robert Adewi racontera la transaction initiale : après la
réunion qui prépara le coup d'État, Maîtrier aurait pris à part
Eyadéma ; il lui aurait demandé d'abattre Olympio, pour 300 000
francs CFA (6 000 francs français).
Ni Maîtrier, ni l'ambassadeur Mazoyer ne sont par hasard en
poste à Lomé : Foccart avait voix prépondérante dans le choix du
personnel de décision à affecter en Afrique 181. Il n'est pas pensable
que Maîtrier ne l'ait pas fait informer du coup d'État qui se
tramait : la carrière du commandant en eût été brisée, alors qu'elle
va s'accélérer. D'autre part, Foccart donnait pour consigne, en cas
d'urgence, de le déranger à toute heure de la nuit. Si la prise au
piège d'Olympio avait été une surprise, il n'est pas concevable que
Mazoyer n'ait pas téléphoné à Monsieur Afrique, avant ou juste
après son appel à l'ambassadeur Poullada - soit quatre heures au
moins

179

. Rediffusée sur RFI le 25/01/98.
. Précaire. Il mourra en prison en 1984, probablement de « diète noire » (la privation de
toute boisson et nourriture).
181
. Cf. Bernard K. Yao, Jacques Foccart : homme d'influence, acteur incontournable de
la politique africaine de la France, in Revue juridique et politique, 01/96, p. 63.
180

120

avant le meurtre. Visiblement, le représentant officiel de l'exmétropole n'a pas eu consigne de réagir. Ou il n'a pas eu besoin de
solliciter de nouvelles instructions.
Le 13 janvier au matin, Maîtrier est à l'ambassade de France,
auprès de Mazoyer. Survient l'ambassadeur américain Poullada,
qui a trouvé le corps d'Olympio devant son portail. Il suggère à
Maîtrier de mettre en mouvement l'armée togolaise. Le
commandant répond que l'armée n'aime pas assez Olympio...
Les liens entre l'armée française et les armées africaines qu'elle
a formées, entraînées, équipées, encadrées, sont d'une force
considérable. Il est utile de le savoir. C'était encore plus manifeste
en 1963. Aussi, quand le commandant Maîtrier déclare que
l'armée togolaise n'aime pas Olympio, il pourrait aussi bien dire :
l'armée française. Celle d'alors, du moins, qui sort à peine des
guerres d'Indochine et d'Algérie, qui massacre au Cameroun Maîtrier en sait quelque chose. Olympio a fréquenté l'Université.
Il pense. Une certaine armée française préfère Eyadéma, renvoyé
de l'école primaire à 16 ans pour « fainéantise et voyoucratie »
après avoir triplé, en vain, le cours élémentaire première année 182.
De la bonne matière première pour les guerres coloniales, où on
l'enverra : l'Indochine puis l'Algérie.
Pour cette armée française en panne de décolonisation, le choix
entre Eyadéma et Olympio relevait de l'évidence. Jacques Foccart,
lui, avait avec Grunitzky des relations « cordiales » : « ses deux
filles venaient souvent chez moi à Luzarches », confie-t-il.
Olympio, par contre, « n'était pas de nos amis 183». En 1963, dans
le contexte des ajustements néocoloniaux, de telles appréciations
valent abandon aux fauves.

182

. Cf. Eyadéma : biographie non officielle !, in Black du 15/06/85.
. Foccart parle, I, p. 102 et 268-269.

183

121

Peut-être Foccart n'a-t-il pas voulu la mort d'Olympio, mais
seulement son renversement. L'allégation d'Adewi sur le « prix du
sang » promis à Eyadéma par Maîtrier ne vaut pas certitude. Si
elle est vraie, Maîtrier pourrait avoir, par vengeance, outrepassé
les ordres de Paris. Elle peut être fausse. Dans les deux cas,
Eyadéma semble avoir eu l'éclair d'intuition qui a fait sa carrière :
tenir la France par un crime dont elle serait complice. L'éclair des
balles. Cela expliquerait, s'il est exact, le propos que lui aurait
lancé De Gaulle lors de leur première rencontre à l'Élysée, en
septembre 1967 : « Vous avez tué Olympio ; vous avez eu tort 184».
Il n'empêche : dès le 10 juillet 1963, l'Élysée s'est lié par un
accord secret de défense à une armée togolaise dont Eyadéma est
devenu l'homme fort. Il commande en effet une nouvelle
compagnie d'infanterie, regroupant les anciens de la guerre
d'Algérie...
Le trop faible et trop civil Grunitzky ne fait pas le poids. Début
1967, Eyadéma décide de le renverser, avec le feu vert de Paris. Il
choisit pour ce faire la date du 13 janvier, anniversaire de
l'assassinat d'Olympio. Tout va baigner avec ce chef d'État
galonné, « parce que joue en permanence, chez l'ancien sousofficier de l'armée française, une profonde francophilie, un
patriotisme français, pourrait-on dire 185», s'extasie Jacques
Foccart. Mais les patriotes togolais ? les citoyens français que
n'honorent pas une francophilie assassine ?
Foccart jugeait Olympio » orgueilleux ». C'est tout simplement
que le président togolais voulait promouvoir une dynamique
africaine plutôt que néocoloniale. Écoutons la suite de son
discours inaugural d'avril 1960 :

184

. Foccart parle, I, p. 272. Il n'est pas impossible que, comme cela lui arrive souvent,
Foccart réécrive les passages trop sombres de l'Histoire.
185
. Foccart parle, II, p. 152.

122

« L'idée de l'Unité africaine a fait du chemin [...]. Il est temps
qu'une proposition concrète et pratique soit présentée dans le
domaine de la coopération économique. C'est par la coopération
économique que nous pourrons [...] contribuer [...] au bien-être
des habitants de l'Afrique occidentale. [...]
Pour des raisons peut-être faciles à comprendre, les puissances
administrantes et européennes de l'Afrique occidentale ont peu
fait dans le passé pour promouvoir une politique de coopération
entre leurs différents territoires. [...] La responsabilité de cette
tâche audacieuse doit désormais incomber aux Africains euxmêmes. [...] Vive le Togo indépendant !».

Olympio voulait une vraie indépendance. En s'appuyant sur
l'Allemagne, la Grande-Bretagne et plusieurs pays africains, il
voulait desserrer le carcan franco-togolais. Il préparait, crime
inexpiable, le lancement d'une monnaie qui lui aurait permis de
sortir de la zone franc. Une monnaie qui, espérait-il, serait gagée
sur le deutschmark 186! Il avait retardé l'inauguration du Centre
culturel français, de telle sorte qu'elle fut précédée par celle du
Goethe Institut. Il ne reniait pas sa vieille amitié envers Sékou
Touré, l'homme à qui jamais l'on ne pardonna d'avoir refusé la
« Communauté », lors du référendum de 1958 187. Il militait pour
une union régionale africaine avec le Dahomey (futur Bénin) et...
le Nigeria, ce géant régional devenu, nous le verrons, l'ennemi
numéro un de la stratégie foccartienne.
Trente-cinq ans après le putsch meurtrier de 1963, Étienne
Gnassingbe Eyadéma est toujours le dictateur du Togo. Le

186

. Cf. Pascal Krop, Le génocide franco-africain, JC Lattès, 1994, p. 111.
. Le leader guinéen n'avait pas encore sombré dans la paranoïa sécuritaire où l'ont poussé
les innombrables agressions des services secrets français. Sur ces attaques bien réelles, cf.
Roger Faligot et Pascal Krop, La piscine, Seuil, 1985, p. 245-249.
187

123

13 janvier, anniversaire conjoint de l'assassinat d'Olympio et du
coup d'État de 1967, est « sa » fête nationale, régulièrement
honorée par les plus hautes personnalités françaises. François
Mitterrand s'y est abaissé en 1983, lors du vingtième anniversaire
de la mort d'Olympio : le Président français, ex-ministre
anglophobe de la France d'Outre-mer, continuait encore de
reprocher à Olympio d'avoir été trop proche des Anglo-Saxons...
Eyadéma n'a pas manqué d'exploiter cette visite hautement
symbolique : « On ne pouvait mieux reconnaître la légitimité de
la politique conduite depuis cette date 188» - le 13 janvier 1963.
La longévité politique d'Eyadéma se nourrit ainsi des secrets
partagés avec les plus hauts responsables civils et militaires
parisiens. L'assassinat d'Olympio est le premier d'une longue
série de méfaits occultes, ponctuée par le pillage des phosphates
et le manège des valises à billets.
Économiquement et politiquement, le Togo est un protectorat
sinistré 189. Eyadéma a pris Mobutu pour modèle 190. En 1987, la
gestion de l'Office togolais des phosphates, qui commercialise la
richesse la plus monnayable du pays, a été rendue plus opaque
par la mise en réseau d'une vingtaine de sociétés-écrans,
domiciliées à Jersey, au Panama, au Liberia, en Suisse... 191. Les
finances de l'État, les entreprises publiques et le secteur privé dit
« moderne » sont presque exclusivement entre les mains du clan
présidentiel, centré sur le village d'origine, Pya, et l'ethnie
Kabiyé. Malgré une forte dose d'« aide » extérieure (21 % du
Produit national brut en 1995) le pays est surendetté. Les grands
projets tels que la Cimenterie de l'Ouest africain (Cimao) ou la
« raffinerie » nationale n'ont jamais marché. La Cimao est la plus

188

. In Jean-Louis Remilleux, Gnassingbe Eyadéma : ce que je sais du Togo, Michel
Lafon, 1993.
189
. Cf. Dossiers noirs n° 1 à 5, Agir ici et Survie/L'Harmattan, p. 93-100 et L'Afrique à
Biarritz. Mise en examen de la politique africaine de la France, Agir ici et
Survie/Karthala, 1995, p. 65-77.
190
. Cf. Stephen Ellis, Rumour and power in Togo, in Africa, 63 (4), 1993, p. 464 et 473.
191
. Cf. La Tribune des démocrates (Togo) du 29/11/94 (qui fournit l'organigramme de ces
sociétés).

124

magistrale ardoise de la Caisse française de développement 192. Où
sont les milliards envolés ?
Lomé est une étape très prisée des dirigeants politiques français
en période pré-électorale. L'ancien ministre de l'Intérieur Charles
Pasqua est le plus assidu. En raison d'un contexte particulier,
évoqué plus haut, la quasi-totalité du cadeautage franco-africain
ne laisse pas de traces. D'autant plus remarquable est cette
commission de 10 % accordée à l'association pasquaïenne
Demain la France sur un contrat de communication de
4 800 000 francs, décroché auprès de la présidence togolaise par
l'agence BK2F d'Alexis Beresnikoff 193.
Sylvanus Olympio ne voulait pas d'armée ? Le Togo paye la
garde prétorienne d'Eyadéma : quatorze mille hommes en armes,
provenant à 80 % de la région du chef de l'État et commandés par
des membres de sa famille. Cette armée, qui a brisé par la terreur
la revendication démocratique 194, est équipée par la France,
encadrée par une soixantaine d'instructeurs et de conseillers
militaires français 195.
Le dictateur togolais est parvenu à se faire « réélire » le 25 août
1993 sans trop d'embarras. Son rival le plus dangereux n'était
autre que Gilchrist Olympio, le fils de Sylvanus. Les éminents
juristes français dont Eyadéma cultive l'amitié, à commencer par
le professeur Charles Debbasch et l'avocat Jacques Vergès, ont
trouvé des astuces de procédure pour

192

. Antoine Glaser et Stephen Smith, L'Afrique sans Africains, Stock, 1994, p. 164-165.
. Cf. Antoine Glaser et Stephen Smith, Ces messieurs Afrique, tome 2, Calmann-Lévy,
1997, p. 157-162.
194
. L'Afrique à Biarritz, op. cit., p. 68-71.
195
. Cf. Le général Eyadéma, l'ami retrouvé, in La Croix du 13/09/94.
193

125

écarter ce rival : son dossier médical de candidat, par exemple,
avait été établi non à Lomé, mais à Paris. Effectivement, Gilchrist
Olympio avait été soigné au Val-de-Grâce. Il avait été blessé en
1992 lors de l'agression de son petit convoi électoral, en tournée
dans le fief du général Eyadéma. L'attaque fit plusieurs morts.
Selon des témoignages dignes de foi, elle était commandée par... le
capitaine Ernest Gnassingbe, le propre fils de l'ex-sergent
Eyadéma 196.
Le jugement de Jacques Foccart sur son protégé et la manière
dont il réécrit l'histoire du Togo, en 1995, n'en ont que plus de sel :
« [J'ai] beaucoup d'amitié, d'affection et d'admiration à l'égard
du général Eyadéma. [...] La junte militaire qui a éliminé son
prédécesseur Sylvanus Olympio, pour conduire Grunitzky au
pouvoir, lui a ensuite fait confiance pour conduire le pays, dans
l'ordre et la tolérance. Le général Eyadéma a, dès lors,
administré le Togo avec un sens remarquable de l'organisation
qui lui a valu, après les péripéties de la démocratisation, la
reconnaissance internationale 197».

Les parents de manifestants massacrés, les journalistes
emprisonnés et les centaines de milliers d'exilés apprécieront. Plus
fort encore, Foccart fait parler De Gaulle :
« Les liens que le Général De Gaulle avait établis avec le
Général Eyadéma dépassaient de beaucoup l'aspect purement
politique. Il faut dire que dès cette époque la gestion rigoureuse
appliquée à la direction du pays, son ouverture d'esprit au niveau
panafricain et le fait qu'il ait permis au Togo, petit pays sans
grands moyens, de devenir la Suisse de l'Afrique faisaient du
Président Eyadéma un modèle.

196

. D'après Jean-François Bayart, Le piège togolais, in La Croix du 07/09/93.
. Interview à Jeune Afrique du 11/05/95.

197

126

D'autre part, l'attachement profond qu'il manifestait à l'égard
de la France, l'ardeur et la conviction qu'il mettait au
développement de son pays étaient des éléments auxquels le
Général De Gaulle était sensible, ce qui avait tissé au fil des ans
un mode relationnel, une estime mutuelle. On peut aller jusqu'à
dire, un lien filial de coeur et d'esprit 198».

Commanditaire du sergent-boucher de 1963, via Georges
Maîtrier, Jacques Foccart publie ce propos édifiant dans une
revue, Lumières noires, financée par la belle-famille de Baby Doc
Duvalier. Souvent, les sbires foccartiens n'ont pas grand-chose à
envier aux tontons-macoutes haïtiens. Nous n'avons pas fini de
nous en apercevoir.

198

. Interview à Lumières noires magazine du 15/01/97.

127

3.
Parrain Félix et le dauphin Albert

Les formidables fortunes de Félix Houphouët-Boigny et d'AlbertBernard Bongo sont connues. Leur rôle d'agent d'influence
également. Avec eux, Abidjan et Libreville sont devenus des
tourniquets de valises à billets. S'y installent aussi parfois des
norias de colis d'armements - lors des complots ou conflits contre
la Guinée, le Nigeria, le Liberia, le Congo, etc., quand ce n'est pas
le Moyen-Orient. Ce que l'on sait moins, et qui mérite un détour,
c'est à quel prix furent imposés, en Côte d'Ivoire et au Gabon, ces
parrains inexpugnables.
C'est en 1950 que l'Ivoirien Félix Houphouët a changé de
camp 199, un retournement auquel oeuvra particulièrement François
Mitterrand, ministre de la France d'Outre-mer. On négligera le
suffixe Boigny, à peu près aussi décisif que le d'Estaing de
Giscard. Le jeune Félix est né autour de 1900. Il a étudié et
brièvement exercé la médecine. Héritier d'une chefferie
traditionnelle et d'un vaste domaine agricole à Yamoussoukro, il
s'est affirmé peu à peu comme le leader des

199

. Cf. l'intervention de Marcel Amondji au colloque Sortir du mépris : l'Afrique s'exprime,
organisé par Agir ici et Survie (Lyon, 27/06/96). Manuscrit. Cf. aussi Foccart parle, I,
p. 100.

128

planteurs ivoiriens. En 1944, il accède à la tête de leur syndicat.
En 1946, il fonde et préside le Rassemblement démocratique
africain (RDA), parti précurseur de l'anti-colonialisme panafricain.
Il est élu à la Chambre des députés, à Paris, où il obtient l'abolition
du travail forcé. Beau début !
Mais la répression déclenchée en 1949-50 par le gouverneur
Péchoux va changer la donne. De nombreux militants du Parti
démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI), la section ivoirienne du
RDA, sont emprisonnés et condamnés. Le sénateur Victor BiakaBoda, de l'aile intransigeante du PDCI, est torturé et assassiné par
des supplétifs syriens de l'armée coloniale, le 28 janvier 1950. Il a
été trahi par ceux qui, dans son parti, prônent la collaboration avec
le colonisateur 200.
Leader déjà célèbre du RDA panafricain, chef d'un PDCI honni
par les colons, Houphouët a peur pour sa vie 201. Ses intérêts de
gros planteur l'éloignent des révoltes urbaines. Une plainte pour
détournement de mineure (une de ces très jeunes filles françaises
qu'il affectionne) est étouffée 202. Parce qu'il se sent menacé, parce
qu'il est tenu, parce que c'est son avantage, et parce qu'il sera pris
au piège de son nouveau discours francophile, Houphouët devient
l'homme des Français. Ce n'est pas seulement qu'il sert leurs
intérêts, et les siens au passage. Son ascension politique, de 1952
au tournant de l'indépendance, ira de pair avec un consentement :
être exclusivement entouré de conseillers politiques, financiers et
militaires français. Parmi eux, Guy Nairay et Alain Belkiri seront
les plus constants.
Le premier, un Guadeloupéen, a commencé sa carrière en Côte
d'Ivoire au début des années cinquante, comme commandant de
cercle à Gagnoa. Dès 1956, trois ans avant qu'Houphouët ne
200

. Cf. Devalois Biaka, Côte d'Ivoire. La « disparition » du patriote Victor Biaka-Boda,
L'Harmattan, 1993, p. 27-29 ; Claude Gérard, Les pionniers de l'indépendance, Éd. Intercontinents, 1975, p. 134-138.
201
. Jacques Baulin souligne cette composante du retournement d'Houphouët, in La politique
intérieure d'Houphouët-Boigny, Eurafor-Press, 1982, p. 63-64. Pour Devalois Biaka, op.
cit., Houphouët et la direction du PDCI-RDA ont délibérément sacrifié le sénateur, en gage de
réconciliation avec le pouvoir colonial.
202
. Témoignage d'une personne qui a bien connu Houphouët, à l'époque, et qui tient ce fait
non anecdotique de deux sources indépendantes.

129

devienne Premier ministre, Paris suggère au leader ivoirien de faire
de Guy Nairay son directeur de cabinet. L'ancien administrateur
colonial est resté à ce poste jusqu'au décès d'Houphouët en 1993 et même au-delà, auprès du successeur Konan Bédié ! C'est
également en 1956 qu'Alain Belkiri a été nommé par la France
Secrétaire général du gouvernement d'Abidjan. Nonobstant
l'indépendance, il est demeuré la cheville ouvrière de l'exécutif
ivoirien 203.
Côté militaire, notons seulement cette observation d'un futur
directeur du Sdece, Pierre Marion : « notre chef de poste [à
Abidjan] sert de conseiller [à Houphouët] pour les questions de
renseignements 204». Cela se passe en 1981, plus de vingt ans après
l'« Indépendance » ! « En Côte d'Ivoire, note un observateur
pointu 205, il n'y a de pouvoir que de la "Présidence" ; mais
Houphouët est le seul citoyen ivoirien qui en fasse partie ».
Il s'est laissé littéralement circonvenir. De 1958 jusqu'à l'ultime
maladie, en 1993, il va garder un contact téléphonique quasiquotidien avec Jacques Foccart, devenu un ami très proche. De son
côté, Foccart était, « aussi souvent que nécessaire, en relation
avec Guy Nairay », et voyait « fréquemment aussi Alain
Belkiri [...], qui veillait à l'application des décisions 206». Ce lien
avec Paris, ou plutôt ce câble, aura tenu quarante ans,
surplombant au passage l'indépendance formelle de 1960 207.

203

. Cf. Marcel Amondji, intervention citée.
. La mission impossible, Calmann-Lévy, 1991, p. 94.
205
. Marcel Amondji, La Côte d'Ivoire en crise, in La Pensée n° 279, p. 41.
206
. Foccart parle, I, p. 224.
207
. Cf. Marcel Amondji, intervention citée.
204

130

Houphouët ne voulait pas de cette indépendance. Il reprocha
amèrement à De Gaulle de l'avoir imposée, d'avoir abandonné le
projet d'une Communauté francophone sous hégémonie française
officielle. Mais, avait compris le Général, un tel Empire new look
serait intenable, du moins en gestion directe. Houphouët ne s'y est
jamais fait : « J'ai attendu en vain sur le parvis de l'église, avec
mon bouquet de fleurs fanées à la main 208».
Faute de mariage, va pour le concubinage ! Les accords de
coopération signés dès 1961 reprenaient de fait l'essentiel des
dispositions financières et militaires prévues par la Communauté.
Dans ce cadre, Houphouët « oubliera très vite sa déception pour
prendre en main la défense des intérêts de la France en
Afrique 209». Cela supposait l'assainissement de leur base
ivoirienne. Toute concurrence politique intérieure est
impitoyablement éliminée, démantelée à coups de faux complots.
En 1959, le complot dit « du chat noir », où le fétichisme à tête
de chat se mêle à des intrigues matrimoniales, reste anecdotique.
Suit en 1961, avec la complicité de Foccart, une série
d'arrestations d'étudiants ivoiriens à Paris. Ces coups d'essai
débouchent en 1963 sur le « complot des jeunes » et le « complot
des anciens » : on l'aura deviné, ces deux assignations successives
permettent de ratisser large. La quasi-totalité des hommes
politiques mêlés à la lutte anticoloniale et aux débats qui
entourèrent l'indépendance sont arrêtés. Les anciens de la
Fédération des étudiants d'Afrique noire en France, la légendaire
FEANF, sont particulièrement visés, tout comme les étudiants qui
ont créé ou animent sa résurgence ivoirienne.

208

. In L'Express du 14/10/85. Cette déception est exprimée dans Fraternité (Abidjan) du
03/06/60.
209
. Pierre Nandjui, Houphouët-Boigny. L'homme de la France en Afrique, L'Harmattan,
p. 130.

131

Le docteur Houphouët assiste personnellement à la torture de
ses principaux rivaux ou opposants potentiels : flagellation au
nerf de boeuf, à la lanière tressée, au fouet de liane, à la matraque
plombée ; cataplasmes de piment pilé sur les plaies, ou onguents
de même composition dans les orifices naturels ; chantage sur les
proches. Les uns sont disqualifiés par l'aveu de crimes
imaginaires, les autres vont croupir trois ou quatre ans en
prison 210. Quelques-uns, comme Ernest Boka, périssent sous la
torture, ou de mauvais traitements. C'est peu, diront certains, par
rapport aux crimes commis en d'autres pays. Mais l'opposition
est brisée. Toute résistance, au pillage intérieur comme à
l'aventurisme extérieur, est découragée pour plusieurs décennies.
Dès lors, la richesse d'Houphouët ne va cesser d'enfler,
surpassant longtemps la plus grosse fortune française 211. Elle a
été évaluée à 60 milliards de francs français : plus que le produit
national brut ivoirien. Même si ce chiffre est surestimé, plusieurs
indices étayent son ordre de grandeur - à commencer par
l'ampleur des cagnottes concédées aux courtisans. Houphouët a
mobilisé sans peine, « sur sa cassette personnelle », le milliard
de francs qu'a coûté la basilique de Yamoussoukro. A la fin de sa
vie, il détenait d'innombrables intérêts et propriétés en Côte
d'Ivoire, en France et en Suisse. Une voie d'accumulation parmi
bien d'autres : Houphouët produisait plus de 30 000 tonnes
d'ananas par an, un tiers de la production ivoirienne, avec des
ouvriers payés par le budget de l'État 212 !

210

. Cf. Samba Diarra, Les faux complots d'Houphouët-Boigny : fracture dans le destin
d'une nation (1959-1970), Karthala, 1997.
211
. Celle de Liliane Bettencourt, principale actionnaire de L'Oréal, évoluant selon les cours
de la Bourse entre 15 et 55 milliards de francs français.
212
. D'après Philippe Madelin, L'or des dictatures, Fayard, 1993.

132

Au terme de cette présidence avisée, la riche Côte d'Ivoire a
réussi à battre le record mondial de l'endettement : 240 % de sa
production annuelle en 1993, dans un pays rongé par la
corruption. Tel est le legs du « vieux sage » à son pays. « Quel
est l'homme sérieux dans le monde qui ne place pas une partie
de ses biens en Suisse ? » lança-t-il un jour à des enseignants en
grève...
Je ne m'étendrai pas sur la dilapidation des exceptionnelles
richesses du Gabon, oeuvre conjointe d'Omar Bongo et de ses
nombreux amis français : il y faudrait plusieurs ouvrages. Les
juges Éva Joly et Laurence Vichnievsky, aidées par le procureur
de Genève Bernard Bertossa, sont en train d'ailleurs d'en écrire
quelques chapitres. Avec Affaires africaines 213, Pierre Péan fut un
pionnier en la matière. Plus tard, dans L'homme de l'ombre, il a
raconté un épisode-clef de l'accession au pouvoir de Bongo l'événement qui, dit-il, l'a décidé à se dresser contre le système
Foccart. Il s'agit encore d'un assassinat, tellement significatif qu'il
n'es pas possible, ici, de ne pas en faire mémoire.
Un tiers de siècle de régime policier et corrompu ne permet plus
de l'imaginer, mais les quelque 500 000 Gabonais avaient goûté
jusqu'en 1965 un début de démocratie : d'authentiques
mouvements politiques s'étaient formés, parvenant à se faire
entendre lors des campagnes électorales et à obtenir des élus. Bien
sûr, la fraude électorale « orientait » les scrutins, de telle sorte que
l'homme au pouvoir soit d'abord l'élu de Paris : depuis
l'indépendance, c'était Léon M'Ba.
Ce Président se rend tellement insupportable qu'il est écarté par
l'armée gabonaise le 18 février 1964, sans un coup de feu. Les
officiers gabonais, formés à Saint-Cyr, confient le pouvoir au
principal opposant civil, Jean-Hilaire Aubame.

213

. Fayard, 1983.

133

Aussitôt, celui-ci s'emploie à rassurer l'ambassadeur de France : le
nouveau régime n'a pas la moindre hostilité envers l'ancienne
métropole.
Mais où va-t-on si les Gabonais, ou d'autres Africains du pré
carré francophone, se mettent à désavouer le Président que leur a
choisi la France ? Foccart en convainc De Gaulle : c'est un crime
de lèse-Empire. Il faut envoyer l'armée française restaurer Léon
M'Ba. Après quelques cafouillages, deux régiments de
parachutistes débarquent à Libreville le 19 février : le 7e RPIMA
basé à Dakar, et les paras de Bouar, en Centrafrique. Ils cernent le
camp militaire de Lalala, où est retranchée la petite armée
gabonaise. Maurice Robert, le chef du Sdece-Afrique, mène les
opérations pour Jacques Foccart. Il ordonne d'en finir dans la
journée.
Un des officiers français chargés de la besogne est l'ami de
promotion d'un lieutenant gabonais assiégé. Il interpelle son
collègue :
- Rends-toi, nous te traiterons en officier.
- Non, vous humiliez le peuple gabonais, je ne me rendrai pas !
- Je t'ai en ligne de mire, je vais te tuer si tu ne viens pas...
- Tue-moi, je préfère la mort à la honte.
- C'est idiot...
Comme une quinzaine de ses hommes, l'officier gabonais est
abattu 214.
Léon M'Ba est rétabli. On fabrique a posteriori les fausses
demandes d'intervention qui « justifient » l'ingérence française.
Mais le ressentiment populaire reste vif. Il faut « normaliser » et
quadriller le Gabon. Les opposants sont emprisonnés, les libertés
étouffées. Le gratin foccartien vient prendre en mains ce pays de
cocagne. Ex-baroudeur du Sdece, Bob Maloubier est chargé de
monter une Garde présidentielle, cofinancée par Elf. On ressort le
trio de choc, révélé lors de la sanglante répression camerounaise :
Maurice Delauney devient ambassadeur à Libreville ; Georges
214

. Dialogue reproduit par Pierre Péan, op. cit., p. 308, d'après un témoignage recueilli le
lendemain.

134

Conan monte une police politique qui organise la délation entre
Gabonais 215; Georges Maîtrier est chargé de commander et instruire
la gendarmerie locale. Un an après l'assassinat d'Olympio, il a
encore pris du galon : il est lieutenant-colonel. L'action du trio
punitif n'est pas laissée au hasard : « J'allais régulièrement
prendre les instructions de Jacques Foccart qui suivait de très
près l'évolution de la situation au Gabon », précise Delauney 216.
Le Gabon est incontestablement devenu un « Foccartland ».
Léon M'Ba, cependant, est vraiment trop impopulaire, et il est
atteint d'un cancer. Il faut le remplacer. Foccart opte pour le
directeur du cabinet présidentiel, Albert-Bernard Bongo, ancien
sous-officier de l'armée française. C'est le bon profil pour
gouverner une néocolonie, on l'a vu avec Eyadéma. Le colonel
Maurice Robert est déjà son ami. Et André Tarallo, qui va
s'affirmer comme le futur grand manitou financier d'Elf, a pu
jauger son ouverture aux circuits extra-gabonais.
Quelques scrutins truqués plus tard, Bongo se retrouve viceprésident, investi de tous les pouvoirs. Il devient Président fin 1967,
à la mort de Léon M'Ba. Il instaure un parti unique, le PDG : Parti
démocratique gabonais (sic). Trente ans plus tard, « légitimé » par
une démocratisation trafiquée 217,

215

. Vingt ans plus tard, continuant de diriger la police gabonaise, il a été mis en cause dans
l'assassinat d'un entrepreneur français, Robert Gracia. Cf. Pascal Krop, op. cit., p. 154-157.
216
. Cf. Pierre Péan, op. cit., p. 314-316.
217
. Sur la fraude électorale au Gabon, avec l'appui des meilleurs spécialistes français
(pasquaïens, notamment), cf. Dossiers noirs n° 1 à 5, op. cit., p. 289, et Éric Fottorino,
Charles Pasqua l'Africain, in Le Monde du 03/03/95.

135

le PDG Bongo de l'entreprise France-Gabon est toujours en place.
Fortune faite. Sous un parapluie militaro-policier français.
Omar Bongo est peut-être l'auteur de la définition la plus
explicite du clientélisme néocolonial : « L'Afrique sans la France,
c'est une voiture sans chauffeur. La France sans l'Afrique, c'est
une voiture sans carburant 218». Pour la France, le moteur gabonais
est une merveille géopolitique, à double injection : pétrole et
uranium. La politique d'indépendance atomique du général De
Gaulle passait par l'organisation d'une filière ultra-protégée
d'approvisionnement en uranium. Pierre Guillaumat fonda le CEA
(Commissariat à l'énergie atomique) et présida Elf-Aquitaine. Le
haut-commissaire à l'énergie atomique de Giscard, Michel
Pecqueur, devint président d'Elf sous le premier septennat de
Mitterrand, avant d'atterrir dans le nucléaire gabonais : la
présidence de la Compagnie des mines d'uranium de Franceville. La
surveillance de cet ensemble ultra-sensible était assurée par la
Comilog, en principe vouée à l'exploitation des mines de
manganèse. Dirigée par Delauney, homme lige de Foccart, cette
société aux « pertes » vertigineuses 219 a su accueillir JeanChristophe Mitterrand au sein de son conseil d'administration...
Bongo a joué un rôle décisif dans les négociations franco-arabes
sur le pétrole. Adhérant à l'OPEP, l'organisation des pays
exportateurs de pétrole, il s'est converti dans le même mouvement à
l'Islam, avec la bénédiction de Foccart. Roland Dumas a jumelé son
fief de Sarlat avec Franceville, la ville natale de son ami Omar - qui
paie généreusement ses conseils 220. Dans le grand marchandage
franco-iranien de « l'affaire des otages du Liban », Libreville a
discrètement accueilli les négociations entre Charles Pasqua et
Gorbanifar, l'homme de l'Irangate. Foccart, Pasqua, Dumas, Jean218

. Interview à Libération du 18/09/96.
. En 1995, les commissaires aux comptes ont refusé de certifier les bilans à cause d'un
« trou » inexpliqué d'environ 400 millions de F (cf. La note du manganèse, in La Lettre du
Continent du 08/06/95).
220
. C'est par un « contrat de conseil » que Roland Dumas justifie un virement d'environ 3,5
millions de F en provenance du Gabon, découvert sur ses comptes par la juge Joly (cf. LouisMarie Horeau, Pendant ce temps-là Dumas refait ses comptes, in Le Canard enchaîné du
04/02/98).
219

136

Christophe Mitterrand, Elf, le nucléaire, le pétrole,... : comme la
suite de Bongo à l'hôtel Crillon 221, la corne d'abondance gabonaise
est un aimant surpuissant.
C'est aussi une sorte de Superphénix des relations francoafricaines, un surgénérateur tous comptes faits ruineux pour
l'intérêt de la France, mais pas pour tout le monde. On tente d'y
bétonner de lourds secrets d'État, y compris nucléaires 222, en
s'inquiétant de la sismicité de l'ex-Zaïre tout proche. On est débordé
par ces déchets à vie longue, que confinent de plus en plus mal les
banques suisses ou l'assassinat de quelques gêneurs. Malgré toute
l'énergie qui s'y brasse, le coeur en fusion ne parvient pas à brûler
toutes les traces des entreprises les plus déraisonnables, ou les plus
déshonorantes, basées ou échafaudées à l'abri de la forteresse
gabonaise - avec souvent le parrainage d'Houphouët. Ainsi la
guerre du Biafra.

221

. Où ont été reçus par exemple, fin octobre 1996, Roland Dumas, Lionel Jospin, Laurent
Fabius, Michel Rocard, Charles Pasqua et son homme d'affaires libanais Hassan Hejeij, André
Tarallo, Philippe Séguin, Jean-Louis Debré, Jean Arthuis, Michel Roussin, Fernand Wibaux
(bras droit de Foccart), Alain Juppé, Dominique de Villepin, Jacques Toubon, Hervé Bourges
et le directeur de la rédaction du Figaro Franz-Olivier Giesbert. Entre autres. Cf. Bongo, en
cohabitation, in La Lettre du continent du 07/11/96.
222
. Cf. par exemple le livre de Dominique Lorentz, Une guerre (Éd. des Arènes, 1997), à
propos de l'attentat contre l'avion de Michel Baroin en février 1987 ou des livraisons
d'uranium enrichi à l'Iran. On remarquera aussi que le soir de son « suicide » à l'Élysée, le 7
avril 1994 (moins de 24 heures après l'attentat contre l'avion d'Habyarimana et le début du
génocide rwandais), François de Grossouvre avait rendez-vous avec l'éminence gabonaise
Georges Rawiri, qui présida à la construction du chemin de fer transgabonais - gigantesque
trompe l'oeil stratégico-financier.

137

4.
Biafra pétrolo-humanitaire

En 1967, le Nigeria entrait dans une terrible tragédie. La
décolonisation avait laissé une Fédération précaire, composée de
trois régions et d'une multiplicité de peuples. Depuis un an, les
luttes de pouvoir dégénéraient en pogroms interethniques.
Certains leaders Ibos, emmenés par le lieutenant-colonel
Odumegu Emeka Ojukwu, décidèrent la sécession du Sud-Est,
leur région d'origine, sous le nom de « Biafra ». Ils la décidèrent,
admet l'un des principaux collaborateurs d'Ojukwu, contre la
volonté de la majorité des habitants de cette région, « y compris
les Ibos » : la population en aurait « rejeté complètement l'idée
si elle avait été consultée librement 223». Mais la sécession avait
une forte odeur pétrolière : le « Biafra » était la principale zone
de production du Nigeria - alors sixième producteur mondial,
avant l'Algérie et la Libye.
Le tandem franco-ivoirien Foccart-Houphouët 224 sauta sur ce
qui lui parut une magnifique opportunité : on pouvait à la fois
diviser le Nigeria, géant anglophone toisant des voisins

223

. N.U. Akpon, The Struggle for Secession, 1966-70, 1972, p. 180.
. On peut objecter que l'expression « tandem » fait trop d'honneur à Houphouët, s'agissant
plutôt d'une relation de clientèle. Mais, lorsque le flux de services échangés atteint un
certain niveau qualitatif et quantitatif, le client devient si précieux, si commode, si fin
conseiller qu'il se hisse à la co-décision.
224

138

139

francophones dix fois moins peuplés 225, et damer le pion aux
majors pétrolières anglo-saxonnes en ouvrant un boulevard à une
nouvelle venue : Elf, filiale pétrolière des services secrets
foccartisés.
En 1965, De Gaulle avait chargé son ancien ministre des
Armées Pierre Guillaumat de créer une compagnie pétrolière, Elf.
L'entreprise est conçue en fait comme un service secret moderne, à
vocation économico-politique et, à l'occasion, crypto-militaire.
Guillaumat est l'homme de la situation : durant la guerre 1939-45,
il fut un des fondateurs de la Direction générale des services
spéciaux (DGSS) 226. Selon Loïk Le Floch-Prigent, l'un de ses
successeurs à la tête de l'entreprise pétrolière, Guillaumat « truffe
Elf d'anciens des services [de renseignement], et il ne se passe
rien dans les pays pétroliers, en particulier en Afrique, dont
l'origine ne soit pas Elf [...]. Foccart y installe ses anciens. C'est
[...] devenu une habitude, une sorte de loi non-écrite, qu'Elf soit
une agence de renseignement, avec un certain nombre de
véritables spécialistes qui sont en prise directe avec les
services 227».
A Abidjan, lesdits services sont sur le pied de guerre. Dès 1963,
Jacques Foccart a fait détacher auprès du cabinet d'Houphouët le
lieutenant-colonel Raymond Bichelot. Ce pionnier du « Service
Action » du Sdece a pour mission de « suivre de près l'évolution
politique du continent africain 228». Un analyste plutôt musclé.
Dès lors, le vibrionnant et exalté Jean Mauricheau-Beaupré 229,
homme-orchestre des « opérations spéciales » foccartiennes, va
avoir portes ouvertes à la présidence ivoirienne. De Paris, Foccart
225

. A lui seul, le Nigeria comptait en 1960 autant d'habitants (plus de 42 millions) que les
15 pays nouvellement indépendants de l'Afrique subsaharienne ex-française, y compris
Madagascar.
226
. Cf. Hervé Gattegno, L'étrange interpénétration des services d'Elf et de la France, in
Le Monde de 28/09/97.
227
. La « confession » de Loïk Le Floch-Prigent, in L'Express du 12/12/96.
228
. Pierre Nandjui, Houphouët-Boigny. L'homme de la France en Afrique, L'Harmattan,
1995, p. 130.
229
. Cet ancien membre du Sdece fut journaliste à Paris-Match, puis rédacteur en chef du
Courrier de la colère, le brûlot de Michel Debré contre la IVe République.

140

a lui-même des contacts directs avec les dirigeants du Biafra en
voie de sécession 230.
Houphouët, on l'a vu, s'est enrôlé dans la défense des intérêts de
la France en Afrique. Il en convient avec Foccart, cette défense
exige la balkanisation du continent 231. Elle s'oppose aux ambitions
panafricaines d'un Kwame Nkrumah, le charismatique leader
ghanéen. Oublié l'objectif du RDA, le Rassemblement
démocratique africain, fondé deux décennies plus tôt par
Houphouët ! Un journaliste guinéen épingle plaisamment ce
ralliement à la stratégie foccartienne : « Houphouët-Boigny a raté
le train de l'Histoire. En définitive, il n'aura pris qu'un faux
car 232».
La scission du Nigeria sert ces perspectives. « Même sans
parler en termes militaires, que pèserait une poussière d'États
francophones devant ces deux puissances ?», le Nigeria et le
Ghana, s'interroge le gaulliste Yves Guena 233. Jacques Foccart est
aussi clair : « de mon point de vue, le Nigeria était un pays
démesuré par rapport à ceux que nous connaissions bien et qui
faisait planer sur ceux-ci une ombre inquiétante 234». Pour De
Gaulle lui-même, « le morcellement du Nigeria est souhaitable 235». Par sa taille, ce pays est forcément suspect d'impérialisme envers une Afrique francophone balkanisée - une
balkanisation délibérée, qui relègue cette Afrique sous la houlette
de l'Empire français. Le Nigeria, de surcroît, avait poussé
l'insolence jusqu'à rompre les relations diplomatiques avec Paris
pour protester contre les essais atomiques français au Sahara.
Impardonnable ! A la première occasion, donc, l'Empire contreattaque... Pour compléter l'ambiance, on peut noter que la
230

. Foccart parle, I, p. 344.
. Un tiers de siècle plus tard, Foccart assume encore explicitement cet objectif (Foccart
parle, I, p. 119-120 et 190-192).
232
. Agence guinéenne de presse, 19/03/66. Cité par Jacques Baulin, La politique africaine
d'Houphouët-Boigny, Eurafor-Press, 1980, p. 62.
233
. Historique de la communauté, Fayard, 1962, p. 34.
234
. Foccart parle, I, p. 341.
235
. Selon un propos que lui attribue Foccart au tout début du conflit (Foccart parle, I,
p. 342).
231

141

sécession du Biafra est proclamée onze jours après le veto
gaullien à l'entrée de la Grande-Bretagne dans la Communauté
européenne.
L'aubaine biafraise suscite en fait une véritable « ligue latine »
contre les Anglo-Saxons. Les visées françaises sont en effet
soutenues par le Portugal de Salazar, qui conservait son empire
africain contre l'avis américain, et par l'Espagne de Franco, qui
possédait encore la Guinée équatoriale. C'est de la partie insulaire
de cette colonie, Fernando Po 236, que partira vers le Biafra une
grande part des approvisionnements en armes. Grâce aux
excellents contacts de Mauricheau-Beaupré, le régime d'apartheid
sud-africain et le pouvoir blanc rhodésien s'allient à cette coalition
archéo-impérialiste du Sud-Ouest européen 237.
Alors que la sécession, proclamée le 27 mai 1967, était en passe
d'être réduite par le gouvernement nigérian 238, les mercenaires, les
armes et les fonds secrets franco-africains ont prolongé durant 30
mois une effroyable guerre civile, qui fit deux à trois millions de
morts.
Sur la suggestion d'Houphouët, De Gaulle demande à Elf, qui
obtempère, de verser au leader sécessionniste Ojukwu les
redevances dues au Nigeria pour le pétrole extrait en zone
biafraise. De Gaulle sait bien que cet argent va servir à

236

. Devenue Bioko.
. Cf. Le Nouvel Observateur du 19/01/70. Parmi les soutiens du Biafra, on compte
encore la Chine, l'Allemagne et, un temps, les Pays-Bas.
238
. Les troupes nigérianes s'emparent le 4 octobre de la capitale du Biafra, Enugu.
237

142

acheter des armes. Plus encore, il donne carte blanche à Foccart
pour qu'il « aide la Côte d'Ivoire à aider le Biafra » 239. Avec quel
argent ? « Pour l'essentiel, en tout cas, cela venait des caisses de
l'État. Plusieurs ministères ont été mis à contribution 240».
Houphouët y va aussi de sa « cassette personnelle », insondable. Il
garantit plusieurs emprunts contractés par les Biafrais pour des
achats d'armes 241. Le Gabon fait de même. Et Lagos distribue aux
correspondants de la presse étrangère les photocopies d'une
convention signée entre le Biafra et la banque parisienne
Rothschild, celle dont le Premier ministre Georges Pompidou fut
Directeur général jusqu'en 1962 : la banque obtient l'exclusivité
des droits d'extraction « de différents minerais solides, liquides et
gazeux », contre versement immédiat de 6 millions de livres.
Éventée, la transaction n'aura pas de suite 242.
Dès août 1967, Le Canard enchaîné 243 signale la présence au
Biafra de « conseillers » européens « qui ressemblent à s'y
méprendre à des barbouzes français dépendant de Jacques
Foccart, secrétaire général à la Communauté et à l'Élysée ». Le
Canard n'a pas tort. On retrouve le colonel Roger Faulques, cet
ancien officier du 11e Choc (le service Action du Sdece) qui, avec
l'aval foccartien, avait commandé sept ans plus tôt les « affreux »
du Congo. Aux côtés du leader de la sécession katangaise Moïse
Tshombe, ces anciens militaires français, à peine sortis des guerres
d'Indochine et d'Algérie, avaient constitué l'ossature de la
239

. Cf. Foccart parle, I, p. 343.
. Foccart parle, I, p. 347.
241
. Cf. N.U. Akpon, The Struggle for Secession, op. cit., p. 179-180.
242
. Cf. L. Adele Jinadu, Ethnicity, external intervention and local conflicts : the case of the
Nigerian civil war, in Research in race and ethnic relations, vol. 7, 1994, p. 219-220, et
Jacques Baulin, op. cit., p. 96. Lors du déclenchement de la guerre du Biafra, le Français
Jacques Batmanian (alias Baulin) était conseiller d'Houphouët. Grâce à un accès direct aux
archives ivoiriennes, il put dès 1973 rédiger une thèse (non diffusée) sur La politique
africaine d'Houphouët-Boigny, fondée sur une masse considérable de documents. Sous le
pseudonyme de Jacques Baulin, il publia en 1980 un condensé de cette thèse. Pour ceux qui
n'ont connu la guerre du Biafra qu'à travers la télévision française, la lecture du chapitre
consacré à cette tragédie est décapante. On y a puisé une partie des éléments d'information qui
étayent les pages qui suivent.
Jacques Batmanian s'est brouillé avec Houphouët à cause du Biafra. On conviendra, au terme
de ce chapitre, qu'il y avait de quoi. Dès lors, Foccart en voudra beaucoup à ce Français qu'il
qualifiera d'« aigri » (Foccart parle, II, p. 130 et 134).
243
. 23/08/67.
240

143

« gendarmerie katangaise » 244. Un cas de figure assez voisin de
celui du Biafra : la France aidait une riche province minière à se
détacher d'une ex-colonie vaste et fragile, émancipée par une
métropole européenne concurrente. Roger Faulques, qui n'avait
encore que le grade de commandant, dirigeait les opérations
militaires des sécessionnistes katangais contre les forces de l'ONU.
Selon Le Monde 245, il « s'était rendu tristement célèbre par son
rôle lors des interrogatoires qui ont eu lieu à la villa Susini
pendant la guerre d'Algérie » 246.
Un autre ancien mercenaire du Congo, le très médiatique Bob
Denard, s'agite autour du Biafra. Blessé, il ne participe pas aux
combats, mais il veille au recrutement et à la logistique. Il va
s'affirmer comme le chef d'une milice foccartisante, pour trois
décennies.
A Abidjan, Jean Mauricheau-Beaupré, secondé par Philippe
Lettéron, dispose de moyens très importants. Il coordonne sous le
nom de « Monsieur Jean », ou « Mathurin », l'ensemble des opérations d'aide française au Biafra. C'est à lui qu'en réfère Roger
Delouette, alias Delore. Cet ingénieur agronome, envoyé en mission en Côte d'Ivoire, est chargé fin 1969 d'y contrôler secrètement
les transports d'armes vers le Biafra. Le 5 avril 1971, il sera arrêté
aux États-Unis en possession de 44 kilos d'héroïne et d'un carnet
d'adresses instructif 247. Les liens entre les trafics d'armes ou de
drogue et les services secrets sont un grand classique 248.
244

. Cf. Roger Trinquier et Jacques Duchemin, Notre guerre au Katanga, témoignages
présentés par J. Le Bailly, La Pensée moderne, 1963 ; France-Zaïre-Congo, 1960-1997.
Échec aux mercenaires, Agir ici et Survie/L'Harmattan, 1997, p. 22.
245
. Du 31/07/60.
246
. Cf. La Question d'Henri Alleg, Éditions de Minuit, p. 97-100 et le roman de Lucien
Bodard La chasse à l'ours, Grasset, 1995, p. 217.
247
. Selon L'Express du 13/12/71.
248
. Le Rapport de la Commission d'enquête sur les activités du S.A.C. (Service d'action
civique) du 18/06/82 évoque « des imbrications SAC-Sdece dans les firmes d'import-export
et dans le trafic de drogue ». Durant la guerre d'Indochine, le Sdece organisa un considérable
trafic d'opium (cf. Roger Faligot et Pascal Krop, La piscine, Seuil, 1985, p. 122-124). Le
Maroc des années soixante fut la plaque tournante d'opérations similaires. Selon Ali
Bourequat, un Franco-Marocain qui fut prisonnier d'Hassan II à Tazmamart, et Jacqueline
Hémard, épouse d'un héritier du groupe Pernod-Ricard, ces opérations au Maroc auraient
impliqué le roi, le groupe en question, et son représentant d'alors, Charles Pasqua. Craignant
pour leur vie, Ali Bourequat et Jacqueline Hémard ont obtenu l'asile politique aux États-Unis
(cf. L'homme qui en savait trop, in Maintenant du 20/03/96). Un rare exploit pour des
Français !

144

L'éminence foccartienne Maurice Delauney a été, on l'a dit,
nommée au poste stratégique d'ambassadeur à Libreville. Il y
coordonne la stratégie pro-biafraise, assisté de Jean-Claude
Brouillet, patron de la compagnie d'aviation Transgabon et chef
d'antenne du Sdece. Delauney, Mauricheau, Lettéron et Denard
sortent à peine d'opérations de déstabilisation au Katanga et au
Kivu, contre un Mobutu jugé trop proche des Américains. « Tout
s'imbrique », admet Foccart 249, presque dépassé par l'incroyable
activisme de ses disciples. Le 27 octobre 1967, Delauney adresse
au lieutenant-colonel Ojukwu une lettre qui lui recommande « le
colonel Fournier et ses trois collaborateurs 250», tous appartenant
au Sdece.
Les livraisons d'armes massives ont déjà commencé - dès les
premiers succès de l'armée fédérale du Nigeria. Le 13 juillet 1967,
selon le mercenaire Rolf Steiner 251, un « premier avion français
chargé de munitions » atterrit à Uli, au Biafra, « venant du
Gabon ». L'ambassade américaine à Lagos signale la fourniture
par l'armée française d'un bombardier B26, « illégalement
acheminé à Enugu, capitale du Biafra, par un équipage
français 252».
A partir d'août 1968, des dizaines d'avions déversent sans arrêt
des tonnes de matériel militaire sur les deux aérodromes - deux
morceaux de route droite - que les Biafrais peuvent encore utiliser.
L'avance fédérale est stoppée brutalement. A Lagos, on manifeste
contre la France. Mille tonnes d'armes et de munitions sont livrées
en deux mois 253! Libreville, Abidjan et Fernando Po sont les points
de départ d'un véritable pont aérien. Ce que confirme Ojukwu : il y
a « plus d'avions atterrissant au Biafra que sur n'importe quel
aérodrome d'Afrique à l'exception de celui de Johannesburg ».
249

. Foccart parle, I, p. 311-312.
. Cf. Jacques Baulin, op. cit., p. 97. Le Canard enchaîné a publié un fac similé de cette
lettre. Le colonel Paul Fournier sera inculpé avec Roger Delouette dans l'affaire de drogue
évoquée plus haut. Cf. Roger Faligot et Pascal Krop, La piscine, Seuil, 1985, p. 313-314.
251
. Carton rouge, Robert Laffont, 1976. Rolf Steiner a connu le colonel Faulques en
Indochine et en Algérie, dans l'OAS. Cf. Roger Faligot et Pascal Krop, op. cit., p. 262.
252
. Communiqué cité par Le Monde du 17/07/67.
253
. D'après Claude Brovelli et Jean Wolf, La guerre des rapaces, Albin Michel, p. 182 et
258. The Guardian parle de 30 tonnes par jour. Les citations de ce paragraphe et du suivant
sont extraites de Jacques Baulin, op. cit., p. 107.
250

145

Une dépêche d'Associated Press précise : « Chaque nuit, des
pilotes mercenaires transportent de Libreville au Biafra une
vingtaine de tonnes d'armes et de munitions de fabrication
française et allemande. [...] Les avions sont pilotés par des
équipages français et l'entretien est aussi assuré par des
Français 254».
Le journaliste Michel Honorin a suivi des mercenaires au Biafra.
Il achève de tirer le portrait d'une France semi-officielle surprise en
plein délit de trafic d'armes. « De trois à six avions [arrivent]
chaque soir au Biafra. [...] Une partie des caisses, embarquées
au Gabon, portent encore le drapeau tricolore et
l'immatriculation du ministère français de la Guerre ou celle du
contingent français en Côte d'Ivoire 255».
Il ne s'agit pas que d'armes légères. La France fournit à l'armée
biafraise 20 automitrailleuses et 16 hélicoptères 256. En 1969, le
pilote suédois Carl-Gustav von Rosen, qui mène des attaques
aériennes pour le compte des sécessionnistes, ne cache pas la
provenance de son escadrille : il dispose, indique-t-il au Monde 257,
de cinq avions Saab « équipés pour le combat, sur une base
aérienne militaire proche de Paris ».
Cet afflux d'armes, cette noria d'avions-cargos et cet appui
aérien installèrent durablement la guerre civile, décuplant le
nombre des victimes. Le soutien diplomatique apporté au Biafra
par le général De Gaulle en personne contribua à faire échouer les
négociations de paix d'Addis-Abeba, durant l'été 1968 : adossée à
ce personnage prestigieux, l'intransigeance biafraise écarta, selon
le New York Times, « la dernière chance de mettre un terme à un
sanglant jeu militaire qui pourrait être un suicide pour les
Biafrais 258». En 1969 encore, alors que Foccart, conscient de
l'impasse, songeait à une relance des négociations, De Gaulle
estimait « que le moment n'était pas venu, qu'il fallait aider les
254

. 16/10/67.
. Jeune Afrique, 23/12/68.
. D'après Jean-Louis Clergerie, La crise du Biafra, Presses universitaires de France, 1994,
p. 162.
257
. 29/05/69.
258
. Cité par Jacques Baulin, op. cit., p. 109.
255
256

146

Biafrais à marquer des points sur le terrain, en sorte qu'ils
puissent négocier en meilleure position 259».
L'appui diplomatique n'est qu'un élément, et pas le plus
important, d'une campagne terriblement moderne, et à bien des
égards prophétique, visant à capter la sympathie

259

. Foccart parle, I, p. 348.

147

internationale. D'un côté, la misère de plus en plus tragique causée
par la prolongation de la guerre civile suscitait un sursaut de
générosité incontestable - celui des premiers French doctors, qui
deviendront Médecins sans frontières -, de l'autre, une formidable
intoxication médiatique et l'utilisation intensive du camouflage
humanitaire aidaient à prolonger la guerre... Ralph Uwechue,
délégué du Biafra à Paris, parlait clairement d'une « conquête de
l'opinion publique » française.
L'action psychologique fut conçue et menée, magistralement, par
la société Markpress, basée à Genève 260. En 17 mois (de février
1968 à juin 1969), cette agence de publicité lança une série
d'actions de presse dont l'édition abrégée comprend, en deux
volumes, quelque 500 pages de textes, d'articles et de
communiqués. Cette propagande permit aux thèses biafraises de
tenir le haut du pavé, étouffant les arguments de Lagos. Le thème
le plus martelé fut celui du « génocide » par la faim.
Pour y couper court, le gouvernement nigérian accepte, dès
septembre 1968, qu'une équipe internationale de quatre
observateurs, des officiers supérieurs canadien, suédois, polonais
et anglais, vienne enquêter sur ces accusations. A l'unanimité, la
commission conclut que « le terme de génocide est injustifié ». En
France, personne ne la croira 261. Personne ne signalera le traitement
correct des prisonniers de guerre biafrais, ni des groupes Ibos
vivant dans les zones reconquises par l'armée fédérale 262.

260

. Sur ce sujet, cf. Jacques Baulin, op. cit., p. 110-113.
. Pas plus que le représentant à Lagos du Secrétaire général de l'ONU U Thant, affirmant
n'avoir trouvé aucun cas de génocide « à l'exception peut-être de l'incident d'Ogikwi ».
262
. Cf. L. Adele Jinadu, Ethnicity..., art. cité, p. 225-226, qui démonte l'argument du
génocide.
261

148

On ne voit plus, dans les médias, qu'une litanie de visages
décharnés, les films et photos d'enfants biafrais à l'agonie. Engagé
dans le camp sécessionniste, le mercenaire Rolf Steiner explique,
méprisant, le pourquoi de ce matraquage : « La stupide sensibilité
blanche, écrit-il, ne réagissait en définitive qu'aux malheurs
atteignant les jolis petits minois ». Certes, la famine sévit
réellement en zone rebelle. Mais Ojukwu, jusqu'au-boutiste, en a
fait un enjeu nationaliste. Il refuse le couloir terrestre de
ravitaillement proposé par le gouvernement de Lagos, car
« accepter des secours ayant transité à travers le territoire
fédéral équivaudrait [pour les Biafrais] à reconnaître qu'ils sont
effectivement encerclés et qu'ils ne doivent leur survie qu'à la
mansuétude des fédéraux 263».
Traité d'affameur, pilonné par les médias, le gouvernement
fédéral se résigne à la création d'un pont aérien diurne. Il accepte
toutes les garanties militaires exigées à ce sujet par les Biafrais,
atteste le Premier ministre canadien Pierre-Elliott Trudeau. Mais
Ojukwu rejette finalement cette offre fédérale : si elle avait été
acceptée, le monde entier aurait compris que les vols nocturnes
servaient au seul ravitaillement en armes et munitions...
La propagande développe aussi l'image d'une guerre de religion :
une marée de musulmans s'apprêterait à exterminer 14 millions de
chrétiens biafrais. On oublie que, sur quinze membres du Conseil
exécutif fédéral de Lagos, neuf sont chrétiens, et que le clivage de
départ ressortait plus d'une exacerbation ethnique que du fanatisme
religieux ; après la capitulation du Biafra, l'amnistie aussitôt
proclamée par Lagos viendra contredire les prédictions de
« génocide » encore répétées par Ojukwu depuis son premier exil
ivoirien.
Chevaliers blancs des chrétiens affamés, les mercenaires sont
pleinement réhabilités. Leur chef, Bob Denard, retrouve

263

. Fraternité-Matin, 23/07/68.

149

une virginité perdue au service de Mobutu : elle resservira dans de
futures aventures foccartiennes. La presse célèbre les exploits de
ces baroudeurs, encadrant un peuple de résistants héroïques 264.
C'est tout juste si elle ne leur confère pas l'aura des volontaires
des Brigades internationales, trente ans plus tôt - bien que Franco
fasse partie de la coalition pro-biafraise.
Même chose pour les héroïques pilotes d'avions-cargos,
commandés par le capitaine rhodésien Jack Malloch. MauricheauBeaupré est au mieux avec la Rhodésie de Ian Smith, attardée
dans l'apartheid et membre de la coalition pro-biafraise. Après la
fin du conflit, la logistique foccartienne basée au Gabon renverra
l'ascenseur : elle fera son beurre d'un contournement intensif du
blocus de la Rhodésie 265.
En France, une grande campagne de collecte de fonds est lancée
avec l'appui de la télévision publique, l'ORTF, et du
gouvernement. Le présentateur sollicité reçoit 30 000 francs
« pour galvaniser la générosité des Français en faveur du
Biafra 266». Mais l'urgence humanitaire couvre le trafic d'armes.
Significativement, à Paris, le Conseil des ministres du 12 juin
1968 a décidé simultanément l'embargo sur les armes et
l'intensification de l'aide humanitaire. Le commandant Bachman,
un officier suisse, déclare tranquillement à la Feuille d'Avis de
Lausanne « être parti pour le Biafra sous le pavillon de la
Croix-Rouge » et y avoir livré des armes. Livraisons de vivres et
de matériel de guerre sont intimement mêlées sous ce pavillon
protecteur, et très rémunérateur (plus de 30 000 dollars par mois
pour un chef de bord 267) : on fournit « pétoires et munitions en
caisses de babyfood et lait concentré de la Croix-Rouge »,
264

. On ne veut pas savoir que « certaines unités biafraises étaient chargées de découvrir
et d'exécuter immédiatement les hommes qui tentaient de se soustraire au service dans
les forces armées » (AFP, 16/01/70).
265
. Cf. Pierre Péan, op. cit. p. 446-448.
266
. L'Express du 17/04/72.
267
. En plus de son salaire de 3 000 dollars par mois, un pilote « de la Croix-rouge » touchait
plus de 750 dollars pour chaque atterrissage en territoire biafrais - deux par nuit, en général
(Bernard Ullmann pour l'AFP, 21/01/70). La croix rouge peinte sur le fuselage limitait
pourtant les risques...

150

raconte le docteur Ducroquet, un Foccartien de Libreville 268.
L'opération est facilitée par une coïncidence : le délégué de la
Croix-Rouge dans la capitale gabonaise n'est autre... que l'attaché
militaire français, le colonel Merle 269.
Même l'Agence France-Presse l'admet, les avions-cargos
chargés d'armes « atterrissent de nuit sur l'aérodrome d'Uli plus
ou moins sous la protection des avions d'aide humanitaire 270».
Ce qui n'empêche pas ces derniers de se voir imposer des « droits
d'atterrissage », qui serviront à acheter des armes... 271
Laissons Jacques Foccart résumer la méthode employée, avec le
détachement de l'âge et d'une insensibilité raffinée :

« Les journalistes ont découvert la grande misère des Biafrais.
C'est un bon sujet. L'opinion s'émeut et le public en demande
plus. Nous facilitions bien entendu le transport des reporters et
des équipes de télévision par des avions militaires jusqu'à
Libreville et, de là, par les réseaux qui desservent le Biafra 272».

Tout rapprochement avec la « couverture « d'événements
survenus un quart de siècle plus tard, du côté de Goma, au début
de l'été 1994, ne saurait procéder que d'esprits mal pensants. En
1994, le convoyage passera plutôt par Bangui, les médias seront
dirigés vers les colonnes de réfugiés hutus

268

. Propos rapporté par Bob Maloubier, Plonge dans l'or noir, espion !, Robert Laffont,
1986.
269
. Cf. Roger Faligot et Pascal Krop, op. cit., p. 263-264.
270
. 13/07/69.
271
. Cf. L. Adele Jinadu, Ethnicity..., article cité, p. 223.
272
. Foccart parle, I, p. 346.

151

affluant vers les militaires français, au Kivu. Et l'émotion de
l'opinion face à l'épidémie de choléra enfouira l'horreur du
génocide. En Afrique, la France des « coups tordus » sait
admirablement mêler les logistiques de la guerre et de la
compassion. Cela ne date pas d'hier (le Rwanda) : dès le Biafra,
berceau de la révolte humanitaire française, nous avons été
manipulés dans les grandes largeurs 273. S'en souvenir fait partie du
devoir de mémoire.
L'engagement français au Biafra est également révélateur des
mécanismes de décision franco-africains. De Gaulle dit à Foccart
que le morcellement du Nigeria est souhaitable, il manifeste à
l'occasion sa sympathie pour la cause biafraise, il n'ignore pas ce
que fait son Monsieur Afrique. Mais il n'insiste sans doute pas
davantage. Il a de plus en plus de soucis franco-français qui, en
1969, le conduiront à la démission. « S'il m'arrivait de penser un
peu différemment » du général De Gaulle, admet Foccart,
« j'allais alors dans le sens qui me paraissait meilleur. Si le
résultat était mauvais, je me faisais rappeler à l'ordre. S'il était
bon... je n'en entendais plus parler ». Quant au spécialiste
foccartien de l'action clandestine, Jean Mauricheau-Beaupré, « il
me gagnait à la main. Il en faisait plus que ce qui était prévu ».
Et le colonel Maurice Robert, chef très foccartien des opérations
du Sdece en Afrique, officier traitant de Bob Denard ? « Il ne me
disait peut-être pas tout 274» ! II n'empêche : de l'Élysée aux
barbouzes de Mauricheau, la chaîne de décision ne sera jamais
désavouée, ni rompue. Maurice Robert a été promu chef du
service de renseignements d'Elf, et Bob Denard n'a fait un peu de
prison, pour la forme, qu'en 1996.
Au Biafra, l'orchestration est plus foccartienne que gaulliste,
disons même houphouéto-foccartienne. Houphouët est surnommé

273

. Signalons que le leader « charismatique » biafrais, Emeka Ojukwu, continue en 1998
son combat « pour la liberté » : il est l'un des dirigeants de l'UNCP (United Nigeria Congress
Party), qui soutient la dictature du général Abacha.
274
. Réponses à des questions de Pierre Péan, in Jeune Afrique du 16/02/95.

152

« B.B. » (Big Brother) par les leaders biafrais 275. Il se montrera
encore plus acharné qu'eux, présentant le gouvernement nigérian
comme un suppôt du communisme et de l'islamisme réunis... 276.
Selon le chargé d'affaires du Biafra à Paris, Ralph Uwechue, c'est
le duo Houphouët-Foccart qui a convaincu, voire « contraint », le
général De Gaulle de soutenir le Biafra, en misant sur son
anglophobie bien connue 277.
Ce feu vert élyséen a été obtenu contre la conviction du Premier
ministre Maurice Couve de Murville, « littéralement horrifié », et
contre l'avis des diplomates du Quai d'Orsay, « qui n'apprécient
pas ce qui leur apparaît comme une politique aventureuse
décidée en dehors d'eux », assène Foccart 278. En voulant
souligner, comme de coutume, la pusillanimité des tenants d'une
politique étrangère traditionnelle, l'« homme de l'ombre » montre
en fait les risques considérables engendrés par sa politique
sauvage, incontrôlée, livrée à l'arbitraire des coups de tête, des
coups de coeur et autres coups de sang - les siens et ceux de ses
amis chefs d'État. Sans parler des bavures de son réseau.
De Gaulle a besoin de Foccart. Non seulement il le garde, dans
une très grande proximité, mais il ne cesse de le promouvoir.
Donc il assume les bavures. En France, maître Jacques n'est
jamais à court de financements discrets ; il dispose d'une batterie
de moyens de pression capable de faire

275

. Il considérait comme un traître le général biafrais Effiong qui annonça à la radio la
défaite sécessionniste le 12 janvier 1990. Cf. N.U. Akpon, The Struggle for Secession, op.
cit., p. 177.
276
. Idem, p. 179.
277
. D'après Jacques Baulin, op. cit., p. 99-100.
278
. Foccart parle, I, p. 344. Par la suite, Couve de Murville « freinera autant qu'il
pourra » l'aide militaire. Ibidem, p. 345.

153

rentrer dans le rang les « compagnons » récalcitrants, ou de
tempérer certains opposants. Avec lui l'ordre règne, les
« godillots » sont lustrés et alignés : le général ne peut rêver d'une
plus parfaite ordonnance !
Mais il y a un mobile plus essentiel à leur complicité. En plein
accord avec les barons du gaullisme, le fondateur de la V e
République mène une stratégie difficile d'affirmation de
l'indépendance nationale contre les États-Unis et leur allié
britannique. C'est l'époque de la bombe atomique, du nucléaire
civil, de la sortie de l'OTAN, du « Non » à l'entrée de la GrandeBretagne dans l'Europe, etc. Dans ce combat, l'Afrique est perçue
comme une ressource stratégique décisive et un vaste champ de
manoeuvres. Certes, la guerre froide avec Moscou n'est pas
terminée, mais il est clair qu'au sud du Sahara, l'hostilité aux
Anglo-Saxons est plus obsédante que le péril rouge 279. Elle
surdétermine des choix déjà graissés par les intérêts néocoloniaux.
L'affirmation de l'indépendance française n'est bien sûr pas
condamnable en soi. On peut même soutenir qu'elle concourt à
relativiser les hégémonies, donc à accroître les marges de liberté
dans le monde. Ce qui n'est pas acceptable, parmi les moyens
employés, c'est l'instrumentalisation de l'Afrique, son enrôlement
obligatoire dans cette querelle en un moment de fragile émergence.
De Gaulle a choisi de sacrifier les indépendances africaines pour
conforter celle de la France. Il a chargé Foccart d'exécuter ce
sacrifice, par tous moyens. Faut-il encore que les Africains leur
disent merci ?

279

. Lorsque des leaders marxistes ou déclarés tels sont écartés ou éliminés, ils le sont d'abord
pour leur ferveur indépendantiste, qui menace d'amputer le pré-carré. Ce fut le cas de Ruben
Um Nyobé, d'Outel Bono et de Thomas Sankara (cf. chapitres suivants), tous trois plus
militants qu'idéologues. Au Congo, au Bénin ou à Madagascar, les « purs et durs » Nguesso,
Kerekou ou Ratsiraka ont connu de plus longues carrières...

154

155

5.
Intraitable Docteur Bono 280

Décembre 1961. Alors que le Tchad entre cahin-caha dans
l'« indépendance », l'étudiant tchadien Outel Bono 281 achève une
thèse de médecine à Toulouse. Il a épousé une Française, Nadine
Dauch, originaire de Castelsarrasin.
Durant ses longues et brillantes études toulousaines, Outel
Bono a été un militant remarqué de la FEANF, où fermente un
anti-colonialisme panafricain. Il est devenu le responsable
« presse » de la Fédération. Il a lui-même créé et animé, de 1954
à 1959, un mensuel, L'Étudiant tchadien. Il y critiquait sans
ménagement le processus de transition qui allait escamoter
l'indépendance de son pays. Gabriel Lisette, un Noir antillais,
préside à cette transition. C'est un homme d'Houphouët 282. Il
laisse au premier « chef d'Etat » tchadien, François Tombalbaye,
un protectorat ficelé par les projets foccartiens de Communauté
franco-africaine, bientôt

280

. Ce chapitre doit beaucoup à une série d'entretiens avec Nadine Dauch-Bono et l'avocat
d'Outel Bono, Me Pierre Kaldor. Il s'appuie également sur les pièces du dossier judiciaire,
dont l'arrêt de la Cour d'appel confirmant le « non-lieu » (16/12/82) et celui de la Cour de
cassation (06/12/83).
281
. Un Tounia originaire de Kotega, au sud de Sarh.
282
. Il avait fondé le Parti progressiste tchadien (PPT-RDA), filiale du RDA d'Houphouët. Il
le présida jusqu'à son éviction en septembre 1960 par François Tombalbaye, son successeur
à la tête du gouvernement.

156

rhabillés en accords léonins de « coopération ». Bono, l'étudiant
journaliste, n'hésite pas à faire connaître en France le massacre
des cultivateurs de coton de Bebalem. Ni à fournir par écrit, en
1961, quelques pistes d'action et de réflexion politiques à un
groupe d'étudiants - les Mahamat Abba, Adoum Moussa,
Miskine,... 283 - qui songent à créer au Tchad un mouvement
d'opposition à Tombalbaye.
Ni le Président tchadien, ni ses protecteurs français n'ont envie
que rentre au Tchad ce médecin aux argumentations politiques si
affûtées. D'autant que le couple Bono ne cache pas sa sensibilité
communiste : Outel Bono a milité de 1959 à 1962 au Parti
africain de l'indépendance (PAI), apparenté au Parti communiste
français - auquel adhère sa femme. Des anti-colonialistes
communistes, par ces temps de guerre froide, c'est le diable en
Foccartland ! Pourtant, Outel Bono est et va rester très proche,
admiratif même, d'une certaine France, celle enracinée dans le
siècle des Lumières et la Révolution de 1789. Pas celle,
précisément, de l'Empire français et de ses avatars.
Les Bono arrivent au Tchad en septembre 1962 : elle comme
professeur de français, lui pour y soigner, en tant que médecinchef de l'hôpital de la capitale Fort-Lamy (qui ne s'appelle pas
encore N'Djamena). Curieusement en effet, celui que l'on présente
comme un idéologue veut d'abord et essentiellement soigner.
Voilà qui est suspect, tant pour Tombalbaye, qui préférerait
neutraliser cette forte personnalité en la dotant d'un portefeuille
ministériel, que pour la camarilla de « conseillers » français,
civils et militaires, qui contrôle la présidence.

283

. Dont plusieurs, par la suite, contribueront à l'émergence du Frolinat (Front de libération
nationale du Tchad).

157

On décide de tester la souplesse d'échine d'Outel Bono et de
quelques jeunes diplômés rentrés au pays : Adoum Hel Bongo,
Abba Siddick, Jacques Baroum, Daouda Konate. Dès février
1963, Tombalbaye demande à ce groupe de proposer un plan de
réformes pour le parti unique, le PPT (Parti progressiste tchadien),
déjà mal en point. Mais la sève que le groupe de travail propose
d'y instiller provoque une allergie immédiate. Tombalbaye
s'emporte, il invective le porte-parole du groupe, Outel Bono, qui
ne transige pas sur l'exigence démocratique. Discussions
houleuses, claquements de portes. Le groupe se dissout. Outel
Bono retourne à ses malades. Mais il ne se passe pas un mois
avant que ne lui soit facturée son inflexible liberté.
En mars 1963, un commissaire de police (français !) vient avec
un détachement tchadien arrêter Outel Bono à son domicile. Un
autre commissaire français, « Pierre », conseiller technique au
ministère tchadien de l'Intérieur, pointe son nez. L'interpellé est
accusé de complot contre la sécurité extérieure de l'État et de
tentative d'assassinat du chef de l'État. C'est l'époque de pseudocomplots similaires en Côte d'Ivoire, où le président Houphouët est
également cerné de conseillers français. Un bon moyen de « faire le
ménage ». Le commissaire Pierre a alourdi le dossier d'accusation :
il a falsifié et post-daté (en 1963) les courriers qu'Outel Bono avait
adressés en 1961 à de jeunes militants 284. Jugé par une « Cour de
sûreté de l'État », le médecin est condamné à mort en juillet
1963 285. Me Pierre Kaldor, son avocat français 286, a été arrêté au
domicile des Bono par trois gendarmes français et interdit de
plaider par un décret de circonstance, excluant opportunément tout
défenseur « étranger ». Telle se maintient la présence française :
une police inique, la force sans le droit.
284

. On peut se demander si ce « Pierre » n'est pas le fondateur du célèbre SAC (Service
d'action civique), devenu sympathisant de l'OAS, et dont Jacques Foccart dit qu'il l'a « aidé à
trouver un emploi au Tchad » (Foccart parle, I, p. 135).
285
. Son cas a été joint au pseudo-complot nordiste et musulman des amis politiques de
ministre Abbo Nassour. Celui-ci est également condamné à mort. Cf. Ngardjéli Yorongar,
Servir l'Afrique et non se servir, manuscrit, 1990, p. 16-17.
286
. Me Kaldor défendait depuis 1950 (procès d'Abidjan) les victimes des répressions
coloniales. Il était aussi l'avocat de la FEANF.

158

L'ambassadeur de France Millet, qui n'adhère pas à ces
procédés, est muté 287. Une campagne de soutien en France, animée
par Pierre Kaldor, relayée par L'Humanité, l'Association
internationale des juristes démocrates et le Secours populaire,
obtient la commutation de la peine capitale en prison à vie.
Tuberculeux depuis un stage de phtisiologie en Tunisie, Outel
Bono subit des conditions de détention très dures. Puis il est
emprisonné à Baïbokoum, près du Centrafrique. Quant à sa femme
Nadine, elle est déclarée persona non grata et renvoyée en France
avec ses enfants.
Outel Bono était le seul médecin tchadien en exercice, et il avait
eu le temps de se faire aimer de la population de Fort-Lamy. Parmi
bien d'autres sources de récrimination, l'embastillement du Docteur
contribue à détériorer l'image de Tombalbaye dans son propre
pays. A l'étranger, Nadine Bono le marque à la culotte (ou au
boubou) : elle écrit aux présidents de tous les pays où il se déplace
pour attirer leur attention sur le sort du détenu d'opinion...
Lassé, Tombalbaye décide en 1965 d'expédier Outel Bono à
Abéché, au Nord du pays, en semi-liberté. Nadine est autorisée à le
rejoindre. Le pouvoir franco-tchadien fait étroitement surveiller le
médecin. Il espère le prendre en flagrant délit de contacts avec la
rébellion du Frolinat, menée par Abba Siddick, qui combat dans le
désert nord-tchadien. Mais Outel Bono reprend la seule activité
qu'il ait connue en son pays, dans ses périodes de liberté : soigner.

287

. Foccart parle, I, p. 477.

159

Au bout d'un an, les Bono sont autorisés à revenir à Fort-Lamy.
Tombalbaye propose de nouveau à Outel Bono de devenir
ministre. Nouveau refus. Le médecin veut continuer de soigner la
population. A la fin de 1968, il finit par accepter le poste de
Directeur de la Santé.
Moins de six mois passent. En avril 1969, un groupe d'anciens
militants étudiants de la FEANF a l'audace d'organiser une
conférence sur la culture du coton - le pivot de l'économie
néocoloniale dans le sud du pays. Cette culture de rente est
entièrement contrôlée par la Cotontchad, filiale d'une société
française, la CFDT (Compagnie française du textile). La
rémunération des paysans producteurs est évidemment très faible.
Outel Bono est invité à s'exprimer. On imagine qu'il ne bénit pas
cette forme d'exploitation, au sens littéral. Il déplore la stagnation
du prix d'achat du coton. Le lendemain soir, Bono et les
organisateurs de la conférence sont arrêtés, pour offense au chef de
l'État. Il faut dire que l'atmosphère politique est électrique : on est
à un mois de l'élection présidentielle, et certains voudraient pousser
Outel Bono, déjà très populaire, à se présenter. On le condamne à
cinq ans de prison pour lui en ôter toute envie.
Mais cette fois la réaction des habitants de Fort-Lamy est plus
vive. Après une série de manifestations, Outel Bono est libéré en
août 1969. Il reprend son poste de Directeur de la Santé. En un
peu moins de trois ans, il aura le « malheur » de trop bien réussir :
il multiplie les dispensaires à travers le pays, il parvient à enrayer
une épidémie de choléra. Son aura est au zénith, tandis que celle de
Tombalbaye continue de plonger.
Le colonel Camille Gourvenec, qui est depuis 1966 le conseiller
très spécial de Tombalbaye (après un passage par la guerre
d'Algérie), ne sait comment remonter la pente. Ce FrancoTonkinois, marié à un professeur d'anglais, fait la pluie et le beau
temps à Fort-Lamy. Il commande la Garde

160

nationale. Surtout, il dirige le CCER (Centre de coordination et
d'exploitation des renseignements), une officine de services secrets
et de basses oeuvres policières, où l'on torture volontiers. Une sorte
d'équivalent tchadien du Sédoc camerounais. Il y est secondé par le
capitaine Pierre Galopin qui sera plus tard exécuté par le rebelle
Hissène Habré, et par le gendarme Gélinon. Au titre de la
coopération militaire franco-tchadienne.
A partir de 1968, Gourvenec peut compter sur un ambassadeur
de France très aligné, Fernand Wibaux, qui deviendra plus tard le
bras droit de Foccart et son représentant à l'Élysée sous Chirac 288.
Début 1972, Wibaux semble avoir été chargé par Foccart de faire
un nouveau test de malléabilité d'Outel Bono. L'ambassadeur
reçoit à dîner les couples Bono et Djonouma - le mari, Adoum, est
Directeur de l'Office national du développement rural. Après le
repas, les messieurs s'isolent. Le test ne sera pas concluant...
Lorsque survient en mai 1972 une vague d'arrestations
d'opposants (Antoine Bangui, Aziz Sabith,... ), Outel Bono a la
chance de se trouver à l'étranger, pour une conférence. Il enchaîne
en juin avec un congé familial. On lui fait alors comprendre que sa
vie ne vaudrait pas cher s'il rentrait chez lui. Pour se donner le
temps d'aviser, il accepte un stage à la Salpêtrière, dans le service
du professeur Gentilini - tandis que sa femme retourne au Tchad, à
la fin de l'été, effectuer en tant qu'enseignante une nouvelle année
scolaire.
Le Tchad, cependant, s'enfonce (déjà) dans la crise politique et
financière. L'ombrageux Tombalbaye se sent sur la sellette. Il tente
un rétablissement dans le style « authenticité » qui, à l'époque,
réussit si bien à Mobutu. Début 1973, il engage une

288

. Il y parrainera notamment le recrutement de mercenaires serbes, bosno-serbes et
d'extrême-droite pour la défense (désespérée) du régime de Mobutu en 1996-97.

161

campagne anti-française et anti-foccartienne. Il annonce son retrait
de l'Organisation commune africaine et malgache (OCAM), la
bergerie du pré carré francophone. L'hebdomadaire officieux Le
Canard déchaîné se déchaîne contre un certain « Doppélé au cou
pelé 289» (Foccart, déjà, n'a plus guère de cheveux au revers du
crâne), rendu responsable de tous les malheurs du Tchad.
Tombalbaye flirte avec la Libye. Il dénonce en termes à peine
voilés les accords militaires franco-tchadiens, et va même jusqu'à
révéler quelques grosses ficelles foccartiennes 290.
Jusqu'à un certain degré, les foucades nationalistes font partie
des postures politiques tolérées chez les « chefs d'État » subdélégués à la gestion du pré carré : il faut bien qu'ils manifestent de
temps à autre leur indépendance. Mais là, on se demande à Paris si
Tombalbaye ne largue pas les amarres : le très branché Jeune
Afrique balancera bientôt un retentissant article, « Tchad-France.
Lâchages ». Autrement dit, la succession est ouverte.
En février 1973, Djiguimbaye, Directeur de la Banque de
développement du Tchad (après avoir été ministre du Plan),
propose à Outel Bono de construire, en concertation avec plusieurs
figures politiques tchadiennes - Adoum Hel Bongo, Saleh
Kebzaboh, Julien Maraby, l'ambassadeur Toura Ngaba,... -, une
alternative politique au régime discrédité de Tombalbaye : le
« Mouvement démocratique de rénovation tchadienne » (MDRT).
Djiguimbaye, franc-maçon affilié à la Grande Loge nationale
française (GLNF), profite d'un voyage à Paris pour présenter à
Outel Bono son « frère » Henri

289

. Doppélé est le charognard d'un conte de René Maran, Bacouya le cynocéphale, très
connu en Afrique centrale.
290
. Entre autres, les fortes pressions de Foccart pour que le Tchad reconnaisse le Biafra
sécessionniste, et la demande d'une mise à disposition de la région de Haraze Mangaigne pour
l'entraînement de mercenaires destinés à favoriser la sécession du Sud-Soudan (cf. Jeune
Afrique, 28/07/73).

162

Bayonne, commandant retraité de l'armée de l'air - qui manifeste
aussitôt une étonnante sympathie pour le projet politique du
MDRT. Plus étonnant, Outel Bono accueille sans méfiance
l'empressement de ce grand costaud, proche de la soixantaine, qui
a bourlingué en Afrique et ne cache pas ses liens avec le président
centrafricain Bokassa.
Il est difficile d'imaginer que Bono ne l'ait pas compris, Bayonne
est en réalité un officier des services secrets : il y a rang de
colonel, après une longue carrière commencée à Londres, dans le
BCRA (Bureau central de renseignement et d'action) gaulliste, et
poursuivie sous différentes couvertures, dont celle d'intermédiaire
en affaires et spécialiste en gisements de diamants ; bref, une
trajectoire typiquement foccartienne. Bono présume sans doute
que l'affabilité de Bayonne témoigne d'un feu vert ou orange de la
cellule africaine de l'Élysée, excédée par la versatilité et
l'inefficacité de Tombalbaye. Ou il estime que sa cuillère est plus
longue que celle du diable.
En juin 1973, secondé par son ami le plus proche, Julien
Maraby, Outel Bono s'attelle à la rédaction du manifeste qui doit
acter la naissance de leur mouvement, le MDRT. A Fort-Lamy,
Fernand Wibaux avertit Nadine Bono qu'il ne faut plus songer à
revenir au Tchad après les vacances scolaires. Elle rejoint Outel à
Paris le 16, et commence de taper à la machine le manuscrit du
manifeste. Le 17, les Bono sont invités pour un goûter chez les
Bayonne, à L'Isle-Adam 291. On devise en buvant de l'orangeade et
dégustant un clafoutis. Nouvelle invitation à L'Isle-Adam le 5
juillet. Comme le temps presse, Nadine Bono tape quelques
feuillets supplémentaires sur la vieille machine à écrire des
Bayonne. Les manifestes sont ensuite imprimés, et le stock

291

. Dont le maire était Michel Poniatowski, qui deviendra un an plus tard ministre de
l'Intérieur. L'Isle-Adam a comme autre particularité de jouxter l'aérodrome de PersanBeaumont, où vient s'entraîner le service Action du Sdece (Foccart parle, I, p. 352).

163

déposé dans la villa de L'Isle Adam, nettement plus spacieuse que
l'étroit appartement parisien des Bono, 39 rue Sedaine.
Le 28 juillet, dans l'article « Lâchages » évoqué plus haut,
Jeune Afrique s'intéresse au « Dr Outel Bono, l'une des
personnalités marquantes de l'intelligentsia tchadienne ».
Présenté comme le leader d'une « troisième force » entre le régime
Tombalbaye et la rébellion du Frolinat, il serait en passe, selon
« des rumeurs », de créer « un nouveau mouvement politique ».
L'hebdomadaire observe que cette troisième force « gagne peu à
peu la sympathie des étudiants ». Il cite la déclaration que vient
de lui faire Outel Bono : « Il est temps de [...] prendre des
mesures qui s'imposent dans l'intérêt de notre pays en
danger » 292. Puisque les passerelles entre Jeune Afrique et Jacques
Foccart sont désormais étalées au grand jour 293, on peut supposer
que l'article du 28 juillet ne doit rien au hasard. A l'Élysée, le
joueur d'échecs avançait encore la pièce Bono, pour la jouer ou la
sacrifier.
Début août, Nadine part une dizaine de jours en vacances avec
les trois enfants, à Marennes. Outel y fait un ou deux allersretours, mais reste le plus souvent à Paris. Il y reste encore
lorsque Nadine part à Castelsarrasin préparer la rentrée scolaire
des enfants. Il veut faire passer au Tchad, par petits paquets, des
exemplaires du manifeste. Bayonne s'oppose à cette idée, mais
Bono passe outre. Les premiers exemplaires parviennent à Fort-

292

. Il est à signaler que Saleh Kebzaboh, l'un des membres du groupe fondateur du MDRT
autour d'Outel Bono, était journaliste à Jeune Afrique. Plus tard, il fondera le périodique très
critique N'Djamena Hebdo, avant de devenir ministre d'Idriss Déby (1995).
293
. Béchir Ben Yahmed, le patron de Jeune Afrique est devenu l'éditeur des mémoires de
Foccart, puis le légataire universel de ses oeuvres. A partir de 1984, les deux hommes ont
déjeuné ensemble une fois par mois (cf. Foccart parle, I, p. 9-10). Mais ils avaient
auparavant une série d'« amis » communs chez les chefs d'État africains.

164

Lamy entre le 16 et le 22 août. Ils causent beaucoup d'émoi. Le
samedi 25 août après-midi, Outel Bono rencontre une dernière fois
Bayonne.
Avec ses amis politiques, le Docteur veut tenir une conférence
de presse à Paris le mardi 28 août pour lancer officiellement le
MDRT. Une rencontre préparatoire est prévue le dimanche 26 à
10 heures. Peu avant 9 h 30, Outel quitte l'appartement de la rue
Sedaine. Il rejoint sa voiture, une DS Citroën, garée face au 80
rue de la Roquette. Il s'installe au volant, pose son portedocuments à côté de lui, met la clef de contact et s'apprête à
démarrer quand un homme ouvre brutalement la portière et l'abat
de deux balles de revolver. L'homme s'enfuit en 2 CV, par une rue
en sens interdit. La police arrive. Plusieurs témoins fournissent un
signalement précis du meurtrier, qui attendait près de sa 2 CV
quarante minutes au moins avant le crime.
Prévenue de la mort de son mari, Nadine Bono prend le premier
vol pour Orly. A sa descente d'avion, vers 16 heures, l'attendent
Henri Bayonne et son épouse. Profitant de son désarroi, ils vont
en quelque sorte la placer en liberté surveillée, pendant huit jours.
Ils l'accompagnent à la morgue de l'hôpital Saint-Antoine, puis
l'emmènent chez eux, à L'Isle-Adam - où ils bloqueront presque
tous les appels téléphoniques venus de l'extérieur, ceux
notamment des nombreux amis d'Outel. Ils la chaperonnent dans
ses rares déplacements. Une fois seulement elle pourra tromper
leur surveillance pour alerter l'avocat de son mari, Me Kaldor.
Les obsèques ont lieu le 3 septembre, à Paris. La veille, un
curieux personnage est passé à l'Isle-Adam, tentant d'effrayer
Nadine Bono : « Demain, n'ayez pas peur, vous serez protégée.
Moi, avec mes gars, je serai là ». Après la cérémonie, le corps est
emmené en fourgon mortuaire jusqu'à Castelsarrasin, où la tombe
est préparée : le couple Bayonne accompagne encore Nadine
Bono, de plus en plus intriguée par cette

165

sollicitude. C'est seulement lorsqu'elle retrouve sa famille dans le
Sud-Ouest que le couple cesse de la surveiller.
A l'Isle-Adam, chez les Bayonne, un « frère » Tchadien procuré
par l'ami Djiguimbaye, Jérôme Djimadoum, faisait office de
serviteur non déclaré. Il a assisté aux six mois de relations
Bayonne-Bono. Il manifeste une envie de parler. Il meurt d'une
« diarrhée », moins d'un mois après le meurtre du Docteur Bono.
Le porte-documents de ce dernier a disparu. L'appartement a été
perquisitionné dès le 26 août, hors la présence de Nadine Bono.
Tous les papiers du défunt ont été escamotés.
Dans son Canard déchaîné, Tombalbaye a cessé aussitôt
d'attaquer Foccart. Il avait pourtant très mal pris le message codé
du 28 juillet : « Lâchages ». Ce titre de l'article de Jeune Afrique
évoquant l'avenir politique d'Outel Bono ne pouvait que signifier
sa propre disgrâce. Via un numéro furibond de son Canard, il
avait répliqué en menaçant Foccart de nouvelles révélations.
L'assassinat d'Outel Bono donne le signal de la trêve.
Saisi du meurtre, le juge d'instruction Alain Bernard essaie de le
faire passer pour un crime passionnel - tout comme, au même
moment, il égare l'affaire des « plombiers » du Canard enchaîné
(le périodique français, à ne pas confondre avec son ersatz
tchadien). Il esquive les évidences que lui met sous le nez M e
Kaldor. Il dilue tant et si bien l'enquête qu'il est promu procureur
général à Bastia, un poste où il est recommandé de s'assoupir. Il
sera remplacé par un collègue de la même veine artistique, le juge
Pinsseau.
Le magistrat instructeur ne convoque pas bien longtemps
Nadine Bono. Me Kaldor obtient cependant qu'il la confronte avec
les Bayonne. L'épouse du colonel fait une scène épouvantable.
Selon Nadine Bono, que ce souvenir marque encore, elle lui aurait
vivement reproché son ingratitude, et

166

déclaré : « On aurait dû vous supprimer comme votre mari,
parce que vous êtes aussi dangereuse que lui ». Les Bayonne se
replieront ensuite en l'île de Ré.
Nadine Bono ne laisse pas tomber. Son obstination semble
déranger. En octobre 1974, à Castelsarrasin, elle reçoit un coup
de téléphone. Une voix inconnue lui propose d'aller à 11 heures du
soir sur un terrain vague pour se voir remettre un carnet qu'Outel,
avant sa mort, aurait confié à un camionneur de la localité... Elle
avise la police, qui l'envoie aux Renseignements généraux de
Toulouse. Ce genre de sollicitations cesse.
Thierry Desjardin, du Figaro, découvre que l'assassin d'Outel
Bono serait un certain Léon Hardy, ou Leonardi 294. Ce nom, en
réalité un pseudonyme, suffit à la police pour remonter jusqu'au
tenancier d'un bar d'Avignon, de son vrai nom Jacques Bocquel 295.
C'est un séide du Sdece, et un ami de Gourvenec, comme
l'attestent de nombreuses correspondances. Il avait monté en
Centrafrique une police politique au service de Bokassa, dans le
genre du CCER de Fort-Lamy. Il s'y mêlait aussi des oppositions
et rébellions tchadiennes - tantôt les soutenant, tantôt
« interrogeant » leurs militants exilés. Brouillé avec Bokassa, il
s'était fait expulser de Bangui au début de 1972. Arrêté à l'escale
de Fort-Lamy par des policiers tchadiens soupçonneux, il avait été
récupéré par la fine équipe de son ami, le Fouché de Tombalbaye.
Plus

294

. Le journaliste tient cette information d'Hissène Habré - alors « rebelle », rendu célèbre
par la prise en otage de l'ethnologue Françoise Claustre. Le futur président tchadien a
enregistré la « confession » du capitaine Galopin, venu négocier la libération de l'otage.
L'officier français aurait avoué qu'Outel Bono avait été abattu par un certain Léon Hardy, ou
Leonardi, dans un guet-apens organisé par les services secrets français, via Gourvenec et
Bayonne.
295
. On peut s'interroger sur cette soudaine et brève accélération de l'enquête. Valéry Giscard
d'Estaing est devenu président de la République en 1974. Foccart est son ennemi mais il est
incontournable. L'Élysée a pu vouloir disposer de quelques biscuits.

167

tard, interrogé par la police dans le cadre de l'affaire Bono,
Bocquel ne cachera pas que Gourvenec lui a proposé plusieurs
missions délicates, dont celle d'enlever le leader rebelle tchadien
Abba Siddick. Si on le lui avait demandé, admet-il, il n'aurait pas
hésité à abattre Outel Bono. Mais il nie l'avoir fait. Il n'est pas
entendu par le juge d'instruction, et encore moins inculpé.
Pourtant, son dossier est accablant. Il possède une 2 CV à six
glaces latérales, semblable à celle dans laquelle s'est enfui
l'assassin. Son signalement correspond aux témoignages.
Entendue, la serveuse de son bar témoigne que Bocquel a reçu la
veille du crime un coup de téléphone qui l'a très perturbé, et qu'il
est parti aussitôt. Elle-même a été priée de se faire voir ailleurs. Il
est établi que, début 1974, Bocquel a soudain sorti 200 000 francs
pour acheter une villa.
Me Kaldor demande au juge d'instruction de trancher l'affaire en
comparant les empreintes digitales de Bocquel avec celles, très
lisibles, relevées le jour même sur les vitres de la DS d'Outel Bono
(garée chez les Bayonne tout au long de l'instruction !). Le juge
finit, en apparence, par céder à la partie civile : il fait comparer
les empreintes, non à celles de Bocquel, mais à celles des policiers
qui ont extrait Bono de la voiture ! Il refuse les confrontations
décisives. Ses commissions d'enquête mettent jusqu'à plus d'un an
pour parvenir à la police judiciaire, et leurs résultats plus de
quatre ans à rentrer. Près de neuf ans après le meurtre, le juge
Pinsseau rend un non-lieu, le 20 avril 1982.
Nadine Bono se pourvoit en appel, puis en cassation. Le
procureur de la Cour de cassation produit un réquisitoire qui
convainc totalement de la culpabilité de Bocquel... mais conclut
au rejet du pourvoi. Ce qui est fait, le 6 décembre 1983. Le
dossier est clos. Ultime mesquinerie : on demande à Nadine Bono
de payer les frais de justice - au prétexte qu'elle n'a pas pu
prouver qu'il s'agissait d'un assassinat ! Un

168

peu comme en Chine, où l'on demande aux familles des
condamnés à mort de payer la balle de l'exécution...
Qu'Outel Bono ait été exécuté par des Foccartiens ne fait guère
de doute. Par « Foccartiens », j'entends ici des personnages tels
que les Gourvenec, Bayonne et autres Bocquel, dont les pratiques
n'auraient pu perdurer hors du système Foccart qui les encourage
ou les couvre. Dès lors, la question peut paraître secondaire de
savoir si l'assassinat a été commandé par Foccart lui-même ou
décidé par une mouvance foccartienne, gravitant autour de la
Grande loge nationale française.
Djiguimbaye et Bayonne en étaient des membres très actifs, et
même prosélytes : cela transparaît dans les procès-verbaux de
l'instruction. Il y est question de la première rencontre entre le duo
Djiguimbaye-Bayonne et Outel Bono : les deux « frères » ont
l'idée d'en faire un troisième. Bono aurait accepté, insiste Bayonne
dans sa déposition, et il devait être initié début septembre 1973.
Me Kaldor et Nadine Bono soutiennent le contraire, tout comme la
GLNF, qui jugera d'ailleurs prudent de radier Bayonne.
Manifestement, le ralliement à cette obédience franc-maçonne, qui
exerça longtemps un rôle tutélaire sur les affaires coloniales 296,
était considéré par certains comme un enjeu important : le signe
d'une allégeance 297? Il n'est pas inutile de préciser, au vu du
déroulement de l'enquête, que la GLNF est bien introduite chez les
hauts-fonctionnaires de police, via par exemple « La vallée des

296

. Notamment, entre les deux guerres, avec le radical Émile Roche.
. La GLNF a recruté depuis lors, entre autres, le Congolais Denis Sassou Nguesso, le
Tchadien Idriss Déby, le Burkinabé Blaise Compaoré. En font également partie l'éminence
grise gabonaise Georges Rawiri, ou l'ancien ministre de la Coopération Jacques Godfrain (cf.
Antoine Glaser et Stephen Smith, Ces messieurs Afrique, II, op. cit., p. 189-191). Autre
grand maçon, l'ambassadeur Fernand Wibaux (alors en poste à N'Djaména) serait passé du
Grand Orient à la GLNF. Ancien haut responsable du Sdece, ex-ministre de la Coopération,
Michel Roussin serait affilié à la même obédience (cf. François Laffont, Maçons célèbres de
1981 à 1996, in Historia, 07/97, p. 104). En 1973, il est chargé de la liaison entre le Sdece
et le Premier ministre. Éminence du réseau Pasqua, Jean-Jacques Guillet est un haut-gradé
de la GLNF (cf. Daniel Carton, La deuxième vie de Charles Pasqua, Flammarion, 1995,
p. 34). On y trouve encore plusieurs pivots du financement occulte du RPR, tels Jean-Claude
Méry, Didier Schuller ou Jean-Paul Schimpf.
297

169

rois silencieux ». Cette loge foccartisante a fini, malgré son
appellation d'outre-tombe, par défrayer la chronique 298.
Un autre mobile est à considérer : le très ambitieux Djiguimbaye
voyait d'un mauvais oeil Outel Bono s'imposer naturellement
comme le leader du mouvement politique en gestation. A-t-il voulu
se débarrasser d'un rival, en le faisant condamner par le cercle de
ses « frères » foccartiens ?
Un grief politique a pu servir de prétexte. L'hebdomadaire
allemand Der Spiegel avait révélé un accord secret entre Paris et
Tripoli : la France laisserait à la Libye la bande d'Aouzou. Cette
zone désertique au nord du Tchad, revendiquée par Tripoli,
paraissait dotée d'un très riche sous-sol. Les compagnies
occidentales auraient préféré placer ce pactole sous la férule d'un
Kadhafi plutôt que le laisser dormir en lisière d'un Tchad
anarchique. Devant Bayonne, Outel Bono avait signifié sa ferme
opposition à ce marchandage - un nouveau signe de son
insuffisante flexibilité.
Le 15 janvier 1975, à N'Djamena (le nouveau nom de FortLamy), le fantasque Tombalbaye fait arrêter Djiguimbaye et
Mahamat Outmane, un entrepreneur qui fut en affaires avec Henri
Bayonne pour des livraisons de fers à béton : on les accuse
d'avoir, avec Bayonne, commandité l'assassinat d'Outel Bono !
Tombalbaye « cuisine » lui-même les deux prisonniers, qui en
savaient sûrement beaucoup. Mais il est

298

. Son ancien vénérable maître, Henri Montaldo, a fait de la fausse facturation pour le
RPR. La loge réunit policiers et entrepreneurs du bâtiment. Cf. Alain Guédé et Hervé
Liffran, Péril sur la Chiraquie, Stock, 1996, p. 112-114. Bayonne a été consultant dans une
entreprise de bâtiment du Perreux (94).

170

bientôt renversé et tué dans un coup d'État, que Gourvenec a pour
le moins laissé faire. Les deux accusés sont libérés.
En décembre 1978, peu après le dernier interrogatoire de son
ami Jacques Bocquel, le colonel Gourvenec meurt d'une
indigestion brutale après avoir mangé de la pâtisserie. Dans ses
« mémoires », Foccart renie durement cet agent gênant 299. Si on
l'en croit, le colonel aurait pu presque par hasard s'introduire
auprès de Tombalbaye et occuper durant neuf ans une position
aussi stratégique sans l'aval ni du Sdece, ni de la cellule africaine
de l'Élysée 300. Foccart applique en cela la règle non écrite des
services secrets : le pouvoir politique lâche ceux dont l'action,
découverte, les dessert. On peut quand même rappeler cette règle à
tous ceux dont le ton patelin des souvenirs foccartiens endormirait
la vigilance.
Mais le bon apôtre pousse tout de même le bouchon un peu loin
quand, en 1995, il déclare à propos de l'assassinat d'Outel Bono :
« ce meurtre ne sera jamais élucidé - et je me demande si je ne
serai pas la prochaine cible des sicaires 301». Ces sicaires étaient
ses agents. Encore à l'Élysée en août 1973, il était l'homme le
mieux informé de France, l'un des plus puissants et des mieux
protégés.
En 1991, Nadine Bono aura l'occasion de connaître un ancien
honorable correspondant de la DGSE, Paul Bigot - alias Paul
Wuis - qui fréquentait l'une de ses amies. Ce pilote de ligne, fils
d'un ami de Tombalbaye, admettra la responsabilité du service
dans l'assassinat d'Outel Bono. Tout en s'excusant : « Il s'agissait
d'une erreur politique... ». Comme il y en eut tant d'autres.
Quelque temps plus tard, il poussera le culot jusqu'à proposer à
Nadine Bono de faire une mission pour la DGSE, en tant que
pseudo-épouse d'un agent.

299

. Foccart parle, II, p. 295-296.
. Ibidem, p. 141.
. Ibidem, p. 146.

300
301

171

Outel Bono est assassiné en 1973. Son pays va connaître deux
décennies supplémentaires de déchirements et de dictature. Dans
l'aspiration démocratique qui suit la chute du mur de Berlin, les
« protecteurs » français du Tchad poussent le général-président
Idriss Déby à un semblant d'ouverture. En 1993, il concède la
réunion d'une Conférence nationale souveraine (CNS). Mais le
processus, qu'il croyait maîtriser, lui échappe : la CNS fonctionne
comme la naissance d'une nation, la révélation des Tchadiens à
eux-mêmes 302. Elle suscite un extraordinaire engouement à travers
le pays, qui croit pouvoir sortir du règne cruel et arbitraire des
« seigneurs de la guerre ». On s'organise pour bâtir l'État de droit
et la démocratie.
Même si cette prise de conscience, au sens fort, sera ensuite
étouffée, même si Idriss Déby parviendra à reprendre les rênes du
pouvoir grâce à une série d'escroqueries électorales - organisées
avec la « coopération » de l'armée française et de la DGSE 303 -,
Outel Bono aurait aimé cette émergence politique de son pays.
Ces « États généraux » à la tchadienne lui auraient rappelé la
France qu'il portait en affection, celle de 1789. Dès le milieu des
années soixante-dix, cet homme à la fois brillant et modeste aurait
pu mener le Tchad vers un destin plus civil. Une autre France a
décidé qu'il était de trop, que ce n'était pas de saison. Elle n'a
toujours pas décidé, en 1998, de laisser la liberté à « son »
Afrique, ni au Tchad qui en reste un bastion.
Vingt ans après Outel Bono, son neveu tchadien Mahamout
Nahor entame à Amiens un remarquable cursus d'études
médicales. Rentré à N'Djaména, il y devient, comme son oncle,
médecin-chef de l'hôpital central. Il exerce quelques années, à la
satisfaction générale, avant de revenir en France se spécialiser en
chirurgie. C'est l'occasion d'une maturation politique, en réaction à
la sinistre fin de règne d'Hissène Habré. De retour au Tchad au
moment de l'arrivée au pouvoir d'Idriss Déby, en 1990, le docteur
302

. Robert Buijtenhuijs a remarquablement rendu compte de cette espèce d'allégresse : La
Conférence nationale souveraine du Tchad, Karthala, 1993.
303
. Cf. Tchad, Niger. Escroqueries à la démocratie, Agir ici et Survie/L'Harmattan, 1996.

172

Nahor tente brièvement d'aider le nouveau régime à bâtir un État.
Édifié par les pratiques du nouveau Président (le sort de certains
opposants, la torture, les exactions de la garde présidentielle, le
délabrement de la santé publique), il fonde dès 1992 un parti
d'opposition, l'Union des forces démocratiques (UFD), tout en
reprenant du service à l'hôpital. A l'automne 1997, il confie qu'il
n'a plus d'autre choix que la rébellion. Le 10 février 1998, il
enlève quatre Français, dont un coopérant, pour attirer l'attention
sur la complicité de la France dans la prolongation du régime
Déby 304.
Il est à redouter que cet avertissement sans frais 305 n'annonce
d'autres réactions, beaucoup plus exaspérées et radicales, à la
mainmise française sur le destin politique du Tchad - comme
d'une quinzaine d'autres pays. Pour tous ceux qui le connaissent,
le docteur Nahor était un homme paisible... Comme son oncle.

304

. Entretien avec Nadine Dauch-Bono. Sources diverses, françaises et tchadiennes. Cf.
aussi Stephen Smith, Quatre otages dans le Tchad en crise, in Libération du 07/02/98.
305
. Pour les ressortissants français, bien traités et vite libérés, mais peut-être pas pour le
docteur Nahor, pourchassé par la Garde de Déby et l'« Épervier » tricolore (une force
d'intervention anti-libyenne, jamais rapatriée). Les « ratissages » ont fait 57 victimes, en
majorité des civils.

173

6.
Sankara, l'anti-Houphouët

Le 15 octobre 1987, un commando assaille les bâtiments du
Conseil de l'entente à Ouagadougou, capitale du Burkina Faso le » pays des hommes intègres ». Tel est le nom africain, d'une
fierté modeste, qu'une révolution assez brève a donné depuis trois
ans à un ex-territoire de l'Afrique occidentale française, la HauteVolta. Haute par rapport à quoi, si ce n'est en référence désuète
aux appellations fluviales des départements français ? Cette
révolution est animée, portée, par un jeune capitaine de trentehuit ans, intègre et passionné, Thomas Sankara. Il a réuni son
secrétariat dans ces bâtiments sans faste. Il travaille sans
protocole 306 et sans guère de protection. Les assaillants, des
soldats d'élite de l'armée burkinabé 307, viennent l'abattre. Ils tuent
aussi sept de ses proches collaborateurs et son infime garde
personnelle. Un médecin délivre le permis d'inhumer : Sankara,

306

. La journée était l'une de celles régulièrement dédiées à l'exercice sportif : Sankara est en
survêtement.
307
. Ils venaient du Centre national d'entraînement commando de Po, dont le jeune
lieutenant Thomas Sankara avait demandé la création 12 ans plus tôt en découvrant, lors de
la courte guerre avec le Mali, le très faible niveau des troupes voltaïques. Il avait le premier
dirigé ce camp, avant d'en céder le commandement à son ami Blaise Compaoré.

174

« mort naturelle » 308. Son corps est enterré à la sauvette dans une
tombe trop petite.
Dans la soirée, un communiqué annonce la mort du président
du Burkina : des heurts se seraient produits entre sa garde et des
éléments armés, « décidés à prendre les devants » contre les
arrestations massives qu'aurait envisagées Sankara. Les médias
officiels d'Ouagadougou dénoncent aussi la « dérive droitière »
du président assassiné - ce qui, compte tenu des inimitiés
conservatrices assez universellement suscitées par l'action de
Sankara, ne manque pas de piment. Quelques gauchistes
impénitents et syndicalistes abusés seront un temps la caution
idéologique d'un putsch visant clairement une restauration
intérieure et une réinsertion dans le bercail franco-africain.
En apparence, le pouvoir revient aux trois co-instigateurs, avec
Sankara, de la révolution de 1983 : les capitaines Blaise
Compaoré, Henri Zongo et Jean-Baptiste Lingani. En fait, il
échoit au premier, qui a dirigé le putsch 309. Compaoré remplace
Sankara, il a éliminé celui qui le considérait comme son meilleur
ami. Cette fin tragique, d'un homme et d'un espoir trahis, donne
naissance à un mythe. Le propos politique de Sankara a
transformé son pays et touché, bien au-delà, une grande partie de
l'Afrique. L'exercice du pouvoir était tâtonnant et le changement
difficile, mais l'homme se battait jour et nuit contre les fatalités
de la misère et les dépendances néocoloniales. C'était devenu le
symbole dangereux d'une émancipation. Son sort était scellé. Les
barons

308

. Cf. Thomas Sotinel, L'assassinat de Thomas Sankara, in Le Monde du 17/11/97.
. Il fera exécuter Zongo et Lingani deux ans plus tard. Le commando qui a assassiné
Sankara vient du camp de Po, dirigé par Compaoré. Le sergent Hyacinthe Kafando, qui en
fait partie, finira par trop manifester l'avantage que lui procure sa participation au meurtre
fondateur : il « disparaîtra » mystérieusement après un passage à Paris.
309

175

de la « Françafrique » ont favorisé son élimination 310, et ont admis
à bras ouverts le leader putschiste en leur confrérie.
La Françafrique : c'est le moment d'introduire ce concept-clef,
avant d'en exposer plus loin les évolutions et les ressorts. On l'a vu
à propos du Biafra, il est difficile à certains moments de savoir qui
tire les ficelles de qui : Foccart, Houphouët, Bongo, Elf, les
« services », les mercenaires hors ou sous contrôle ? La pratique
foccartienne des relations franco-africaines a engendré un
ensemble flou, une structure molle. Nous l'avons appelée la
Françafrique :
« La Françafrique désigne une nébuleuse d'acteurs
économiques, politiques et militaires, en France et en Afrique,
organisée en réseaux et lobbies, et polarisée sur l'accaparement
de deux rentes : les matières premières et l'aide publique au
développement. La logique de cette ponction est d'interdire
l'initiative hors du cercle des initiés. Le système, autodégradant,
se recycle dans la criminalisation. Il est naturellement hostile à
la démocratie. Le terme évoque aussi la confusion, une
familiarité domestique louchant vers la privauté 311».

L'expression a jadis servi dans la bouche de grands « amis de la
France » et de Jacques Foccart, tels Félix Houphouët (en 1955) ou
Omar Bongo : c'était une sorte d'invitation à une Communauté
néocoloniale idéale. On ne sait s'ils en percevaient la signification
homophone : France-à-fric. Nous avons

310

. Sauf peut-être Omar Bongo. Son jeune beau-frère Guy-Aïssa Dabany, formé avec
Sankara à l'académie militaire d'Antsirabé (Madagascar), mourut précocement en 1983.
Sankara, qui venait d'accéder au pouvoir, vint incognito à ses funérailles, au Gabon.
Évidemment informé, Bongo en fut bouleversé : il se prit d'affection envers le
révolutionnaire...
311
. Cf. France-Cameroun. Carrefour dangereux, Agir ici et Survie/L'Harmattan, p. 8-9.

176

détourné leur trouvaille : le terme désigne si bien le mélange des
genres caractéristique du foccartisme, et ses doubles fonds...
Depuis, il a fait fortune.
Ce n'est pas Foccart personnellement qu'affrontait Sankara : c'est
cette Françafrique possessive - dont, bien sûr, Foccart palpait
toutes les pulsions. Il n'a peut-être pas signé lui-même l'arrêt de
mort de Sankara, mais deux au moins des féaux-clients-complices
qu'il avait au téléphone plusieurs fois par semaine, Houphouët et
Eyadéma, ont béni le complot meurtrier.
Au nord de la Côte d'Ivoire, du Ghana, du Togo et du Bénin, le
Burkina est un pays très pauvre. C'est un territoire enclavé, héritier
d'une longue histoire de royautés précoloniales. Depuis la
colonisation, son économie et sa démographie sont fortement
mêlées à celles de la Côte d'Ivoire. La métropole a même
partiellement fusionné les deux territoires de 1932 à 1947. Une
part notable de la population ivoirienne est d'origine burkinabé. Le
port d'Abidjan constitue le seul débouché commode, par le chemin
de fer, des productions du Burkina. Et les deux pays sont reliés par
une union douanière 312.
Après son indépendance, en 1960, la Haute-Volta (le futur
Burkina) a connu la régression classique d'un État mal fondé : du
pouvoir civil de Maurice Yameogo, vassal d'Houphouët, à un
régime militaire, dirigé par le général Sangoulé Lamizana. Malgré
des amorces de démocratisation, ce régime est discrédité par la
corruption et le détournement de l'aide internationale. Il est
renversé le 25 novembre 1980 par un groupe de 25 officiers. Le
militaire le plus réputé du pays, le lieutenant Thomas Sankara,
n'en fait pas partie.

312

. Cf. Pierre Nandjui, Houphouët-Boigny. L'homme de la France en Afrique, L'Harmattan,
1995, p. 189-190.

177

Ce militaire-là est tombé dans la militance quand il était petit.
Son éducation, mi-traditionnelle, mi-scolaire, a aiguisé un sens
précoce de la responsabilité, une exigence concrète de justice et
une inlassable curiosité 313. A vrai dire, il serait bien devenu
médecin : mais la bourse nécessaire lui passe sous le nez au profit
d'un élève pistonné, et il obtient une place au prytanée militaire de
Kadiogo. Il va y achever ses études secondaires. Ce n'est pas un
ghetto. Les idées politiques y pénètrent. Via son professeur
Adama Touré, Sankara est initié aux thèses et aux aspirations
que véhicule la FEANF, la Fédération des étudiants d'Afrique
noire en France, véritable creuset idéologique et politique. Il se
fait des amis dans les mouvements progressistes, entre autres le
PAI (Parti africain de l'indépendance) - dans les mêmes traces,
donc, qu'un Outel Bono. Toute sa vie, Sankara partagera ou
suscitera les palabres militantes : ce sera son ressourcement 314. Il
y a trouvé, complémentaire de la lecture, un moyen d'étancher sa
soif d'apprendre, de comprendre. Avec une question constante : le
développement, ou comment sortir d'une misère asservissante ?
A cet égard, le passage par l'académie militaire d'Antsirabé, à
Madagascar, s'avère décisif : par les échanges entre élèves
officiers africains, que Sankara ne cesse de stimuler, par
l'influence de quelques enseignants atypiques et la curiosité
partagée avec l'ami malien Lansina Sidibé. Sankara ne se
contente pas de relancer sans cesse la discussion économique et
politique, il cultive une palette étonnante de qualités : la stratégie
militaire, l'humour oratoire, la

313

. Les notations sur la vie de Sankara s'inspirent de la très alerte Biographie de Thomas
Sankara (L'Harmattan, 1997) publiée par Bruno Jaffré, ainsi que d'entretiens avec l'auteur
et avec Paul Sankara, jeune frère de Thomas.
314
. Même si, dans les anées 1986-87, ces palabres seront fortement polluées par les luttes
idéologiques et/ou de pouvoir.

178

rédaction d'un périodique, la course de fond (ce fut un excellent
coureur de 5 000 m), la guitare,... Surtout, il ne cesse de
s'interroger sur les échecs de la première décennie des
indépendances africaines. Avide d'expérience, il reste une année
supplémentaire dans un Madagascar en pleine révolution : il y
accomplit un service civique tourné vers le développement rural.
Il étudie, mais il va aussi cultiver le riz dans la boue.
Mal verrouillée par la Françafrique, qu'elle n'intéressait guère,
la Haute-Volta du début des années soixante-dix fourmille de
militants progressistes 315. Un certain nombre d'officiers
sympathisent avec leurs idées. Quand il rentre de Madagascar,
Thomas Sankara devient leur leader naturel. Il se couvre de
gloire, fin 1974, lors d'une courte guerre contre le Mali. Il ne
voulait pas de ce conflit frontalier absurde, mais il fait son
devoir, tandis que ses supérieurs va-t-en guerre se font porter
pâles. Pour lui cependant, le travail politique a plus d'importance
que le rapport de forces ou l'action armée. Paradoxalement pour
un militaire, il privilégie la non-violence. Dans le chemin sinueux
qui va l'amener au sommet de l'État, il demandera à ses amis
officiers plusieurs reports de la prise du pouvoir, jugeant
insuffisant le travail de conviction.
D'une génération plus ancienne, les officiers qui ont renversé le
général Lamizana le 25 novembre 1980 n'avaient pas sollicité son
avis. Confrontés à une baisse de popularité, ils pressent Sankara
d'accepter le poste de secrétaire d'État à

315

. C'est-à-dire opposés au colonialisme et à l'exploitation de leurs peuples. Le langage de
ce progressisme emprunte forcément au marxisme dans la mesure où cette double lutte, dans
l'Empire français, n'a guère été supportée que par les communistes. Le socialisme
mollettiste, l'opportunisme mitterrandien ou les versions ultra-marines de la francmaçonnerie n'offraient pas vraiment un langage alternatif. D'où d'indéfinis quiproquos ou de
conscients amalgames, identifiant toute expression d'un patriotisme africain et toute critique
de l'Occident à une adhésion au Komintern.

179

l'Information. Il s'y résout après beaucoup d'hésitation. Aussitôt, il
impressionne : le ministre travaille, il fait travailler ses
fonctionnaires, il se déplace à bicyclette. Mais la corruption
reprend, et Sankara la dénonce. Il est placé en résidence surveillée.
Le 7 novembre 1982, un nouveau coup d'État militaire écarte le
groupe putschiste précédent. Toute l'armée est représentée dans le
Comité de salut public qui choisit pour président le commandant
Jean-Baptiste Ouedraogo, puis nomme Thomas Sankara à la tête
du gouvernement. En quatre mois, de janvier à mai 1983, le jeune
Premier ministre se signale par son langage, mélange inhabituel
d'humour et de progressisme, et ses sympathies tiers-mondistes : le
Ghana, Cuba, l'Angola, le Mozambique, la Libye. Celle-ci est
d'ailleurs surtout sollicitée pour la coopération qu'elle peut apporter
au développement du pays, tellement démuni.
Préférer Kadhafi à Houphouët ! Voilà qui, à l'époque, est fort
mal vu à Paris. Guy Penne, le premier « Monsieur Afrique » de
François Mitterrand (le « Foccart de Mitterrand », comme
l'appelle l'ex-PDG d'Elf Le Floch-Prigent), oeuvre dans la
continuité. Il maintient « des liens permanents avec Foccart,
Wibaux, etc. 316». Le phénomène Sankara intensifie les
conversations téléphoniques entre les patriarches Houphouët et
Foccart. Lequel ne peut manquer d'alerter Guy Penne.
L'importun Premier ministre est arrêté le 17 mai à l'aube par l'aile
la plus conservatrice de l'armée burkinabé. Selon Le Canard
enchaîné, Guy Penne « a supervisé et béni la révolution de palais
qui a abouti » à ce nouveau coup d'État, livrant même ses
intentions à des journalistes dès le 13 mai 317 ! Quelques heures
après l'éviction de Sankara, il débarque à Ouagadougou et annonce
l'octroi par la France d'une aide spéciale de 420 millions de FF : la
récompense n'a pas tardé... 318
316

. La « confession » de Loïk Le Floch-Prigent, manuscrit de 10 pages rédigé peu avant son
incarcération le 5 juillet 1996, publié par L'Express du 12/12/96. « Nous n'avions aucun
désaccord profond », confirme Jacques Foccart à propos de Guy Penne (Foccart parle, II,
303).
317
. Du 01/06/83. Cité par Pierre Nandjui, op. cit., p. 197.
318
. Guy Penne prétend qu'il s'agit d'une coïncidence. Mais en ce cas il aurait pu s'abstenir de
prendre si vite et si ostensiblement parti.

180

C'est clair : le capitaine Sankara est persona non grata du
triumvirat françafricain Houphouët-Foccart-Penne. Les militaires
sankaristes sont arrêtés à leur tour, sauf Blaise Compaoré qui
parvient à s'échapper vers la garnison de Po où il rejoint des
commandos fidèles. La population manifeste son soutien au
Premier ministre destitué, les militaires sankaristes se renforcent et,
le 4 août, investissent Ouagadougou 319. Ils portent Sankara à la tête
du Conseil national de la révolution (CNR), aux côtés de Blaise
Compaoré, Jean-Baptiste Lingani et Henri Zongo. Des comités de
défense de la révolution (CDR) s'établissent à travers le pays.
« La révolution burkinabé » annoncée à la radio est en phase
avec les partis et mouvements de gauche. Elle affiche une ligne
anti-impérialiste avec un vocabulaire emprunté au marxisme 320.
Voilà bien longtemps qu'un coup d'État dans le pré carré
francophone n'avait pu se produire sans le feu vert ou orange de
Paris. Il faudra expier ce péché originel. Pour Foccart, pas question
de laisser passer « ces coups d'État marxistes libyens de type
Sankara » - comme il dit au Figaro-Magazine en faisant l'apologie
de l'ami gabonais Bongo 321.
En attendant, le nouveau pouvoir adopte un style conforme à son
souci du bien public : Sankara roule en Renault 5 et vend toutes les
limousines de l'État, il impose à ses ministres le même train de vie
modeste qu'il s'applique à lui-même. Il parle fréquemment en langue
africaine - encore une incongruité en Françafrique. Et il instaure
des modes de décision collective, qu'il préservera jusqu'à la fin.
Prêchant d'exemple, il tente une large mobilisation populaire
contre le sous-développement : l'espérance de vie est de 43 ans... Il
mise à fond sur l'éducation, ce qui lui vaut l'enthousiasme des
jeunes. Mais il rencontre le même genre de difficultés que, deux
décennies plus tôt, le Tanzanien Julius Nyerere. Le développement
ne se décrète pas. Dans des domaines particuliers - sanitaires,
319

. Contre l'avis de Sankara. Celui-ci négociait une sortie politique de la crise avec le
président Ouedraogo, qui avait subi plutôt que voulu le renversement de son Premier ministre.
320
. Selon un Français proche de Sankara, celui-ci « n'avait pas un raisonnement de
marxiste, même si de temps en temps il empruntait à la rhétorique ».
321
. Le 10/12/83. Omar était fort marri du livre Affaires africaines de Pierre Péan.

181

écologiques, culturels,... -, la mobilisation obtient de beaux succès :
elle correspondait à des attentes précises et des modes
d'organisation compréhensibles ; elle produit des résultats qui
durent encore 322. Tout cela malgré la cessation de l'aide budgétaire
française, puis des financements de la Banque mondiale.
D'autres enrôlements de la population s'avèrent trop abstraits, ou
correspondent à des échéances trop lointaines. Et puis, la révolution
hypertrophie la fibre politique : beaucoup se lassent ; ceux qui
résistent à cet étirement ne sont pas forcément les moins avides de
pouvoirs ou de privilèges. Le risque est grand, aussi, d'amalgamer à
la « contre-révolution » l'ensemble de la sagesse traditionnelle. Et
les Comités de défense de la révolution (CDR) manquent trop de
contre-pouvoirs locaux pour ne pas céder fréquemment à
l'arbitraire. Refrains connus.
Certains en déduisent qu'il faut condamner toute révolution, voire
toute volonté de changement politique. Peut-on interdire la
tectonique des plaques qui produit les tremblements de

322

. Pour un bilan de cette révolution (1983-87), cf. Bruno Jaffré, Les années Sankara. De la
révolution à la rectification, L'Harmattan, 1989, p. 79-193 et Biographie..., op. cit. p. 210233.

182

terre ? L'injustice se renouvelle, qui suscite des réactions
sociales. Avec la révolution burkinabé, le problème était double.
Le leadership sankariste pouvait-il dégager les leçons d'une
expérience aux résultats mitigés et poursuivre, avec une adhésion
populaire suffisante, une tentative politique originale ? Qui
devait en juger et, en cas de jugement négatif, qui devait
intervenir, sinon les Burkinabé ? On ne connaîtra jamais la
réponse à la première question, parce que la seconde était
surdéterminée. Pour la Françafrique, pas de doute : il lui revenait
de hâter la fin d'un processus intolérable.
Dès 1984, le dictateur du Mali voisin, Moussa Traoré - un
Françafricain cruel et richissime -, reçoit une grosse quantité
d'armes. Le Burkina n'en a guère. Rien de tel pour donner l'envie
d'une nouvelle guerre, au prétexte d'un litige frontalier pourtant
en voie d'arbitrage. Sankara résiste tant qu'il peut aux
provocations mais, minoritaire au sein des instances burkinabé, il
doit consentir à un bref conflit fratricide 323. Le pays et la
révolution tiennent le choc.
Contre l'intrus Sankara, Houphouët crée une quatrième région
militaire dans le nord du pays, à proximité du Burkina. La Côte
d'Ivoire, rappelons-le, est liée à la France par un accord de
défense : l'armée ivoirienne est quasiment un corps supplétif de
son homologue française, qui la tient en étroite tutelle. Sankara
ne cesse de fustiger l'impérialisme et ses relais locaux :
Houphouët ne peut pas ne pas se sentir visé. Et l'idéalisme de la
révolution burkinabé séduit la jeunesse ivoirienne.

323

. L'ami malien Lansina Sidibé, auquel Sankara a demandé de servir de messager de paix,
a narré à Bruno Jaffré la réaction du leader burkinabé lorsqu'il devint inévitable d'engager
les combats : une tristesse proche du désarroi.

183

Malgré une brève réconciliation en février 1985, les
escarmouches se multiplient entre Houphouët et Sankara. En
septembre 1985, le second claque la porte du Conseil de l'Entente :
ce regroupement régional des ex-colonies francophones, sous la
houlette d'Houphouët, est depuis deux décennies l'apanage du
Président ivoirien. Sankara accuse ce rassemblement, d'« origine
réactionnaire, droitière, conservatrice, arrière-gardiste », d'être
un instrument de la « stratégie néocoloniale française ». Les
autres chefs d'État du Conseil de l'Entente sont désignés comme
« des alliés locaux de l'impérialisme qui gambadent de sommets
folklores en sommets folklores à la recherche d'un soutien moral
et logistique » 324. C'est ce qui s'appelle secouer le cocotier !
Le patriarche de Yamoussoukro est, rappelons-le, fort bien
entouré : son directeur de cabinet, Guy Nairay, est un familier de
la DGSE 325 ; Michel Dupuch, futur Monsieur Afrique du président
Chirac, est depuis 1979 l'inamovible ambassadeur de France à
Abidjan. Houphouët déclenche des représailles économiques. Il
mûrit une alternative. A partir de janvier 1987, il reçoit à plusieurs
reprises le numéro deux de la révolution burkinabé, le capitaine
Blaise Compaoré, récemment et opportunément marié à une beauté
de la cour ivoirienne, Chantal Terrasson de Fougère, une
« parente » d'Houphouët 326. Parrain de cette union comme de la
région, « le Vieux » débloque une somme considérable pour
financer une guerre de tracts au Burkina. On y dénonce la dérive
« militaro-fasciste » du sankarisme 327, tandis que d'excellents
patriotes non fascistes ne demanderaient qu'à faire le bien de leur
pays. Sur un registre plus sordide, d'autres plumitifs anonymes
accusent Sankara d'organiser des orgies et traînent son épouse
dans la boue.
324

. D'après Pierre Nandjui, op. cit., p. 198-199.
. Comme en témoigne par exemple Pierre Marion, directeur du Sdece - qu'il transforma en
DGSE (La Mission impossible. A la tête des services secrets, Calmann-Lévy, 1991, p. 94).
326
. Cet hymen n'est peut-être pas seulement le fruit du hasard. Chantal Terrasson faisait
partie du protocole d'État ivoirien chargé d'accueillir l'hôte de marque Blaise Compaoré,
représentant un Burkina avec lequel les relations étaient singulièrement refroidies. Le fringant
capitaine a été sensible à cette charmante attention. Métisse, Chantal Terrasson est la petitefille d'un lieutenant-gouverneur français de la colonie du Soudan.
327
. Cf. Bernard Doza, Liberté confisquée. Le complot franco-africain, Bibli-Europe, 1991.
325

184

Le président togolais Eyadéma se situe d'emblée, on l'imagine,
dans le camp anti-sankariste. Au fil des années, il est devenu très
proche du vieil Houphouët, qui songe à lui léguer la gérance
régionale des intérêts françafricains. L'hostilité du général togolais
contre le capitaine burkinabé s'exacerbe quand, le 23 septembre
1986, un commando de 70 hommes venus du Ghana tente de
renverser son régime : Eyadéma accuse son voisin révolutionnaire
d'avoir formé et encadré les assaillants, et dénonce l'intervention
imminente de 200 parachutistes burkinabé. Selon Foccart, c'est
une affabulation 328. L'épisode reste confus. La préparation d'une
telle attaque ne pouvait échapper aux services français, et il était
inévitable que Paris envoie des troupes pour maintenir son pion
togolais. Ce qui advint.
Eyadéma est le premier à reconnaître le régime installé par les
assassins de Sankara, dès le surlendemain du coup d'État. Deux
mois après, il réserve un accueil grandiose à Compaoré en visite au
Togo 329. A la grande satisfaction de leur ami commun, le ministre
français de l'Intérieur Charles Pasqua.
A Paris, en mars 1986, Jacques Foccart est revenu dans les
coulisses du pouvoir, aux côtés du Premier ministre de cohabitation Jacques Chirac. Les deux hommes, à peine installés à

328

. Foccart parle, II, p. 360.
. Cf. Bruno Jaffré, Les années Sankara, op. cit., p. 275.

329

185

Matignon, se sont précipités chez Houphouët, à Yamoussoukro,
pour bétonner la Françafrique.
Sur le sort du Burkina, ils n'ont pas de mal à s'accorder avec
François Mitterrand. Celui-ci reste ulcéré par l'apostrophe reçue fin
1986 lors d'une visite à Ouagadougou : « Nous Burkinabé, n'avons
pas compris comment des bandits, comme Jonas Savimbi, le chef
de l'Unita, des tueurs comme Pieter Botha, ont eu le droit de
parcourir la France si belle et si propre. Ils l'ont tachée de leurs
mains et de leurs pieds couverts de sang ». Savimbi dirige alors
depuis une dizaine d'années une rébellion assez sanguinaire. C'est un
allié du régime d'apartheid sud-africain, présidé par Pieter Botha.
Tous deux sont en fort bons termes avec Houphouët et Foccart 330.
Savimbi bénéficie aussi du soutien d'Elf, de Bouygues, du groupe
Bolloré et des Giscardiens. La Mitterrandie n'hésite pas à faire des
affaires avec l'Afrique du Sud. Bref, loin de la France « si propre »,
Sankara étale le linge sale de la France à fric.
Et il poursuit avec la politique de coopération, dont Mitterrand et
Foccart, jadis ennemis, bloquent de concert toute évolution : « Ce
qui s'appelait hier aide n'était que calvaire, que supplice pour les
peuples ». Brutales vérités ! Sankara le passionné donne des coups
de pied dans la membrane protectrice d'un néocolonialisme dépassé,
il déchire la ouate du double langage. François Mitterrand blêmit
sous la charge. Celui qui fut 46 ans plus tôt ministre des Colonies et
qui depuis n'a jamais su redescendre de sa condescendance, ne fera
rien pour arrêter la main des comploteurs.
Au début du mois d'août 1987, Sankara prononce un discours à
Bobo Dioulasso, la deuxième ville du Burkina. Il évoque les
errements de la révolution qu'il a déclenchée quatre ans plus tôt. Il
fustige les excès des Comités de

330

. Foccart parle, II, p. 282-284 et 320-322.

186

défense de la révolution, dont certains membres font régner la
terreur dans les quartiers des grandes villes. Il regrette les
injustices commises à l'égard de ceux que l'on a qualifiés trop
facilement de « contre-révolutionnaires ». Il veut « élargir la
base de la révolution », c'est-à-dire réintégrer les militants et les
partis qui, comme le PAI, ont été exclus par les doctrinaires. Il
faut, dit-il, procéder à une « rectification » des erreurs 331. Le 2
octobre, il rappelle les objectifs :
« Notre révolution n'aura de valeur que si en regardant
derrière nous, en regardant à nos côtés et en regardant devant
nous, nous pouvons dire que les Burkinabé sont, grâce à la
révolution, un peu plus heureux, parce qu'ils ont de l'eau saine
à boire, parce qu'ils ont une alimentation abondante, suffisante,
parce qu'ils ont une santé resplendissante, parce qu'ils ont
l'éducation, parce qu'ils ont des logements décents, parce qu'ils
sont mieux vêtus, parce qu'ils ont droit aux loisirs ; parce qu'ils
ont l'occasion de jouir de plus de liberté, de plus de démocratie,
de plus de dignité. Notre révolution n'aura de sens que si elle
peut répondre concrètement à ces questions 332».

Un testament, montrant l'obsession du concret de celui qui sera
trop facilement taxé d'idéologue. Treize jours plus tard, le mot
d'ordre de « rectification » va prendre un sens tordu, plus
argotique et plus personnel. Dépêchés par son ami Compaoré, les
tueurs « rectifient » Thomas Sankara.
Il faut dire quelques mots de l'ami Blaise. Ambitieux, il a été
tenté, au tournant de 1983, de prendre la tête de la révolution à la
place de Sankara, bloqué à Ouagadougou. Mais la

331

. D'après Thomas Sotinel, L'assassinat de Thomas Sankara, in Le Monde du 17/11/97.
. Sidwaya (Ouagadougou) du 08/10/87. Cf. Oser inventer l'avenir. La parole de
Sankara, recueil établi par David Gakunzi, Pathfinder/L'Harmattan, 1991, p. 270.
332

187

conjoncture n'était pas favorable, et l'amitié des deux hommes,
née lors de la guerre de 1974 contre le Mali, restait vivace.
Longtemps, on a cru voir deux jumeaux. Jusqu'à son mariage
avec Chantal Terrasson, en 1986, Compaoré venait tous les jours
déjeuner chez Mariam et Thomas Sankara 333. Ce dernier s'ouvrait
à son ami de tous les problèmes politiques. Il lui a confié des
responsabilités de plus en plus importantes, dans l'armée et dans
les institutions - jusqu'au poste de Premier ministre, en septembre
1987.
Mais leurs caractères opposés allaient accentuer leurs
divergences. Blaise était un jouisseur, Thomas un ascète.
Épousant Chantal Terrasson, habituée au luxe de la cour
ivoirienne, il se laisse facilement convaincre par cette femme
ambitieuse qu'il mérite un train de vie et un pouvoir mieux ajustés
à ses mérites. Politiquement, Thomas mise sur le débat ouvert et
la conviction, Blaise penche pour l'intrigue et le pouvoir des
armes. Lors d'un complot découvert fin mai 1984, Sankara
s'opposait à l'exécution des sept principaux accusés : Compaoré
rassembla contre lui une majorité politique en faveur du peloton
d'exécution. Souvent, il joue des outrances extrémistes ou des
exaltations radicales 334 pour déborder Sankara sur sa gauche,
dans une perspective qui apparaît progressivement plus tactique
qu'idéologique : c'est la popularité de Sankara qui est affectée par
les excès de la révolution.
Autre motif de querelle : l'homme de la sécurité personnelle de
Sankara, Vincent Sigué. Ce métis batailleur rentré de France en
1983 s'était totalement, excessivement voué à son patron, ce qui
n'allait pas sans bavures. Celles-ci étaient

333

. Cf. Bruno Jaffré, Biographie..., op. cit., p. 197.
. Du côté notamment du PCRV (Parti communiste révolutionnaire burkinabé) de Salif
Diallo ou du secrétaire général des Comités de défense de la révolution Pierre Ouedraogo.
Nombre d'intellectuels burkinabé, branchés sur la classe étroite des fonctionnaires, ont joué
à la roulette russe l'avenir de leur pays.
334

188

montées en épingle par les proches de Compaoré - auteurs
d'exactions récidivées, mais moins voyantes. Comme il arrive
souvent chez des hommes politiques peu enclins à la violence,
Sankara hésitait à se passer de son brutal protecteur, d'autant
plus qu'il sentait poindre les trahisons.
Bref, la tension montait entre les deux hommes, attisée par
d'odieuses campagnes de tracts. Le biographe de Sankara, Bruno
Jaffré, se demande avec quelque vraisemblance si cette opposition
fratricide n'a pas été attisée par les services français,
certainement infiltrés chez plusieurs des douteux personnages
drainés par la révolution. C'était effectivement le plus sûr moyen
d'abattre la « gueuse » 335.
Tout indique que Sankara s'est en quelque sorte laissé faire. Il
avait écrit à Edgard Pisani que l'on préparait son assassinat. Il
savait tout des intentions de Blaise Compaoré, prévenu par des
gardes du corps de ce dernier. Il connaissait les relations de la
femme de Blaise, Chantal Terrasson, avec le régime togolais
d'Eyadéma et, bien entendu, avec Houphouët. Mais il ne voulait
pas engager un combat fratricide, il ne voulait pas faire couler le
sang. Il expliquait à ses partisans que le recours aux armes pour
régler les différends politiques constituerait un reniement 336.
En septembre 1987, Sankara confiait à quelques proches : « Le
fond du problème c'est qu'ils veulent bouffer, et je les en
empêche 337». Le régime de son remplaçant, Blaise Compaoré, va
développer un « partenariat » privilégié avec l'entreprise
Bouygues, avec les réseaux Pasqua et Mitterrand 338. Il va

335

. Les années Sankara, op. cit., p. 255-259.
. Cf. Bruno Jaffré, Biographie..., op. cit., p. 208.
. Cf. Bernard Doza, Liberté confisquée. Le complot franco-africain, Bibli-Europe,
1991.
338
. Via, pour le second, le compère de Jeanny Lorgeoux Guy Lebouvier. Cf. Ces messieurs
Afrique, I, p. 182-183.
336
337

189

entreprendre avec Charles Taylor, sous forme de joint-venture,
une lucrative guerre civile au Liberia. Le président Compaoré et
Madame auront leur Boeing 727 et leur palais personnels 339.
« Bouffer », cela signifiait concrètement se rebrancher sur les
réseaux françafricains. Au coeur de l'ex-Empire français, ceux
qui s'y refusent obstinément n'ont pas une longue espérance de
vie.

339

. Cf. Pascal Krop, Le génocide franco-africain, JC Lattès, 1994, p. 38-39.

190

7.
Dulcie doit mourir

La première cohabitation (1986-88) restera dans les mémoires
comme la Belle époque de la Françafrique. Le réseau Mitterrand
brasse à plein régime, grâce à ses poissons-pilotes : le fils du
Président, Jean-Christophe, qui a reçu en bénéfice la cellule
Afrique de l'Elysée, son ami Jeanny Lorgeoux 340 et le conseiller de
l'ombre François de Grossouvre. Le réseau Pasqua se déploie,
autour du nouveau ministre de l'Intérieur et de son fils, Pierre.
Jacques Foccart s'est installé en face de Matignon, près de
Jacques Chirac. Les affaires souterraines marchent fort entre les
deux continents. Jusqu'en Afrique du Sud, où les émissaires
françafricains vont littéralement au charbon.
Le régime sud-africain, qui continue d'imposer l'apartheid, est
l'objet d'une réprobation universelle et d'un boycott international.
Côté réprobation, Foccart et Houphouët s'activent depuis seize
ans déjà à réinsérer politiquement leurs amis de Pretoria, qui
furent leurs alliés durant la guerre du Biafra ; le président Pieter
Botha, leur grand homme, a été invité en

340

. Qui a noué ses premiers contacts avec les chefs d'État africains comme éditeur de livres
sur... la décolonisation (cf. Antoine Glaser et Stephen Smith, Ces messieurs Afrique, I,
p. 173).

191

192

France à la fin de 1986 341. Côté boycott, la France des réseaux est
la championne des contournements en tous genres : importations
clandestines de charbon 342, coopération dans le nucléaire, trafics
d'armes, etc.
Le Parti socialiste et la droite ont chacun leur « Monsieur
Afrique du Sud », Jeanny Lorgeoux et Jean-Yves Ollivier devenus forcément amis. Comme par hasard, tous deux ont été
administrateurs d'une filiale de Charbonnages de France et se
sont investis dans le négoce charbonnier 343. Jeanny Lorgeoux
s'entremet volontiers pour Alsthom, lourdement engagée dans le
nucléaire sud-africain 344. Le journaliste Yves Loiseau impute à
Jean-Yves Ollivier un coup plus audacieux entre Téhéran,
Pretoria et Paris : l'échange de pétrole contre des armes, sur fond
de prise d'otages au Liban. On aurait apaisé les exigences des
mollahs en dépannant le régime d'apartheid ! Acheteur théorique
du pétrole destiné à l'Afrique du sud, l'archipel des Comores
aurait servi de support à ce « grand troc » 345.
Les mercenaires de Bob Denard gardent ces îles de l'Océan
Indien, devenues la base avancée des opérations occultes francosud-africaines : ventes et achats d'armes, circuits financiers
abrités par les casinos ou l'hôtellerie, guérillas diverses contre les
régimes anti-apartheid, dont le Mozambique voisin. Assez
naturellement, une forte proportion des affairistes et aventuriers
français mêlés à ces opérations sont issus des diverses chapelles
de l'extrême-droite française.
Cette agitation n'empêche pas l'ANC (African National
Congress) de poursuivre son combat au long cours contre
l'apartheid. Il bénéficie d'une mobilisation croissante de la société
civile : Églises, syndicats, townships, etc. Nelson Mandela, son
leader, est en passe de devenir le plus ancien et le plus célèbre
341

. Cf. Foccart parle, II, p. 109-113, 282-283, 320-323.
. Via la Belgique, notamment. La France se met à raffoler du charbon « belge ».
. Via la société Thion et Compagnie pour le premier, et la MINEMET pour le second. Cf.
Ces messieurs Afrique, I, op. cit., p. 165 et 176.
344
. Ibidem, p. 175 et 178-179.
345
. Cf. Le grand troc, Hachette Littératures, 1988.
342
343

193

prisonnier politique au monde. Grâce au lobbying des Noirs
américains, la cause des Noirs sud-africains sort de la
marginalité, elle s'impose peu à peu sur l'agenda international.
L'ANC, doté d'une légitimité grandissante, ouvre des
représentations « diplomatiques ».
A Paris, il a délégué une ancienne enseignante du Cap, Dulcie
September. Dans un pays, la France, beaucoup moins mobilisé
que d'autres par le combat contre l'apartheid 346, l'aura médiatique
de la déléguée de l'ANC ne peut être que limitée. Cela convient
tout à fait à cette militante, accoutumée à diffuser ses idées
auprès de ses semblables, les citoyens ordinaires. C'est une
femme de conviction, que la ségrégation éducative a révoltée.
Surtout, c'est quelqu'un d'obstiné, qui n'admet pas les infractions
au boycott et qui a décidé de leur faire la chasse...
Au printemps 1986, l'ANC a déménagé son bureau parisien
dans un immeuble du Xe arrondissement, 28 rue des Petites
Écuries, au quatrième étage 347. Le même jour, sur le même palier,
s'est installée une petite société, Sport Eco, éditrice d'un lettre
bimensuelle sur l'économie du sport. Coïncidence ?
Son
rédacteur en chef, Pierre Cazeel, est un ancien reporter de RadioFrance, spécialiste de l'Afrique du Sud. Il a réalisé un long
reportage sur l'attentat à la bombe qui a saccagé en 1982 le
bureau londonien de l'ANC. Sans savoir tout cela, Dulcie
September se méfie de ce voisin : elle a l'impression qu'il
l'observe. Mais qu'y faire, à part surveiller jalousement l'arrivée
du courrier ?
Dulcie September, d'ailleurs, a d'autres soucis en tête. Elle
recueille des informations sur les complicités dont bénéficie le
régime d'apartheid. Via une source militaire, elle en sait
davantage sur les trafics d'armes entre Paris et Pretoria. Elle juge
ces renseignements très importants. Elle n'est sans doute pas la
seule de cet avis, mais ceux qui le partagent ne sont pas ses amis.
346

. Signalons toutefois l'inlassable travail du Mouvement anti-apartheid, animé par Antoine
Bouillon.
347
. La suite de ce chapitre doit beaucoup à l'article d'Evelyn Groenink, On the twisted trail
of Dulcie's death (Sur la piste embrouillée de la mort de Dulcie), in The Weekly Mail &
Guardian du 12/01/98.

194

Plusieurs fois, au début de 1988, elle téléphone à son supérieur
londonien, Aziz Pahad : elle lui demande de venir la voir à Paris ;
elle ne lui en dit pas plus sur ses découvertes, mais Pahad a
l'impression qu'elles touchent au nucléaire. Dulcie September
joint à Oslo un responsable de la Campagne mondiale contre la
collaboration militaire et nucléaire avec l'Afrique du Sud, Abdul
Minty. Elle lui annonce un envoi de documents... qui n'arrivera
jamais. Relevons au passage l'extrait d'un article de Vincent
Hugeux, paru dix ans plus tard dans L'Express 348 : parmi les
raisons de l'engagement français dans le camp du génocide
rwandais, il signale la piste de « la "dette" contractée envers
Kigali pour son rôle de transit docile lors de livraisons secrètes
d'armements destinés à l'Afrique du Sud de l'apartheid. [...] La
commande aurait porté [...] sur de l'équipement nucléaire ».
Dulcie September déclare à son chef Pahad qu'elle se sent
menacée. A l'autre bout du fil, celui-ci trouve « paranoïde »
l'insistance inquiète de son interlocutrice. Il ne donne pas suite.
Dulcie September demande au gouvernement français de lui
accorder une protection policière. Bien que le représentant de
l'ANC à Bruxelles vienne d'échapper à un attentat, le ministère de
l'Intérieur refuse de protéger la déléguée parisienne.
Ce n'est pas très étonnant. Auprès du ministre Charles Pasqua
gravite un curieux chargé de missions (l'intéressé

348

. Du 12/02/98.

195

insiste sur le pluriel), Jean-Dominique Taousson. Journaliste de
profession, cet ancien activiste de l'OAS recyclé dans le réseau
Pasqua 349 s'occupe officiellement, place Beauvau, des dossiers
des rapatriés et des harkis. Mais il reste rédacteur en chef du
Courrier austral parlementaire, l'organe du lobby pro-Pretoria,
qu'il anime avec une ex-célébrité foccartienne, Léon Delbecque l'homme du complot du 13 mai 1958 à Alger 350.
Selon le journaliste Pascal Krop, « au début de 1986, les
services sud-africains ont demandé par l'intermédiaire de
Taousson à plusieurs barbouzes de leur établir la liste des
organisations subversives (anti-apartheid s'entend) présentes à
Paris ». Puis ils auraient réclamé « quelques repérages 351».
Pascal Krop affirme avoir vu les réponses à ces demandes, sous
forme de deux notes. La première fournit un répertoire
hétéroclite 352. La seconde, accompagnée d'un plan, indique que
l'ANC « dispose d'un local à double porte blindée, que son nom
n'est pas mentionné sur les boîtes aux lettres, qu'il faut se
rendre au fond de la cour, à l'escalier C, et prendre ensuite
l'ascenseur jusqu'au quatrième étage à droite 353».
Selon La Lettre de l'Océan indien 354, le même Taousson
« aurait donné l'ordre aux services compétents de ne pas renouveler le titre de séjour en France de Dulcie September, qui arrivait à échéance en octobre 1987 ». Mais la déléguée de l'ANC

349

. Qui n'est pas encore en conflit avec le réseau Foccart-Chirac. Ainsi, Taousson a dirigé
le service de photographie de l'état-major de campagne de Jacques Chirac, en 1981.
350
. Cf. Georges Marion et Edwy Plenel, Les amitiés sud-africaines d'un proche de M.
Pasqua mises en cause, in Le Monde du 02/04/88.
351
. L'Événement du Jeudi, 07/04/88.
352
. Il comporte, outre l'ANC, la SWAPO (le mouvement de libération namibien), Peuples
en marche (le périodique de Peuples solidaires), Apartheid non et l'Association d'amitié
et de solidarité avec les peuples d'Afrique (AFASPA).
353
. L'Événement du Jeudi, 07/04/88. Jean-Dominique Taousson a fait savoir au Monde
(08/04) qu'il démentait toute relation avec les services sud-africains.
354
. Du 02/04/88.

196

réussit à contourner cette instruction en passant par la
préfecture de Seine Saint-Denis.
Cet épisode, démenti bien sûr par le ministère de l'Intérieur, se
situe en pleines grandes manoeuvres. Depuis l'été 1987,
l'infatigable Jean-Yves Ollivier est le pivot d'une vaste
négociation entre la France, l'Angola, la rébellion angolaise Unita
et l'Afrique du Sud. Il est en lien direct avec le Premier ministre
Jacques Chirac, qui lui adjoint l'ambassadeur Fernand Wibaux le mandataire de Jacques Foccart. Un moment tenu à l'écart, le
président Mitterrand est mis dans le coup à l'automne. Le point
de départ est un échange de prisonniers sud-africains et angolais,
plus Pierre-André Albertini, un coopérant français condamné
pour « refus de témoignage » contre des membres de l'ANC 355.
Selon l'ancien espion sud-africain Craig Williamson, la
négociation a débouché sur un deal beaucoup plus large, incluant
des livraisons d'armes entre Paris et Pretoria. Quelques mois plus
tard, la fourniture avortée de cinquante missiles Mistral à
l'Afrique du Sud, via Brazzaville, pourrait être la manifestation
de l'un des éléments du marchandage. A vrai dire, le zèle
d'Ollivier est tel qu'on distingue mal les limites du « grand troc »
qu'il a initié : inclut-il le deal avec Téhéran signalé par Yves
Loiseau ? les fournitures nucléaires évoquées par Vincent
Hugeux ? Selon Williamson, « si September s'est mise en
travers de ça, elle devait sûrement être tuée ».
Vers la fin de l'année 1987, des échafaudages recouvrent les
façades de l'immeuble qui abrite l'ANC : un chantier de
ravalement commence. Durant trois mois, ce ne seront qu'allées et
venues dans les étages, les escaliers et les couloirs, bruits de
raclages et de seaux. Le patron de l'entreprise de peinture insiste
pour obtenir la clef du bureau de l'ANC, ce que Dulcie
September refuse. Stéphane, un jeune ouvrier, vient souvent
bavarder avec elle. Il fait mine de s'intéresser à la cause de
l'ANC. Ses collègues en sont passablement étonnés, vu les
355

. Cf. Ces messieurs Afrique, I, op. cit., p. 154-160.

197

opinions d'extrême-droite qu'il affiche auprès d'eux. Un ami de
Stéphane, Daniel, travaille aussi sur le chantier. Ou plutôt il
bricole : manifestement, il ne connaît pas grand-chose du métier.
Le 29 mars 1988, Daniel et Stéphane sont étrangement seuls.
Un seul autre ouvrier est à la tâche, loin du quatrième étage. On a
demandé au contremaître, ce qui ne lui est encore jamais arrivé,
d'aller donner un coup de main sur un autre chantier. Dulcie
September est assassinée de cinq balles, tirées de face, sur le
palier. L'accoutumance est telle aux bruits du chantier que
personne dans l'immeuble ne prête attention aux coups de feu.
Durant une demi-heure, jusqu'à l'arrivée de la police, Pierre
Cazeel reste seul près du corps de la victime. Le courrier du jour
et le sac à main de Dulcie semblent, d'après ses amis, avoir été
fouillés.
L'enquête s'enlise rapidement. Pour la majeure partie de la
presse, Dulcie September a été tuée par un commando sudafricain, aussitôt reparti 356. D'avance, la police se trouve excusée
de ne rien trouver. De bonnes âmes lui suggèrent une série de
fausses pistes 357, où elle prend le temps de s'égarer. La société
Sport Eco a quitté l'immeuble de l'ANC peu après le meurtre.
Selon les peintres de l'entreprise de ravalement, leur « collègue »
Daniel est parti pour la Suisse, dont il avait le passeport...
Plus grand monde ne s'intéresse à l'assassinat de Dulcie, simple
victime en apparence de règlements de compte « interafricains ».
Sauf quelques Néerlandais, dont la journaliste Evelyn Groenink.
Elle a repéré des bizarreries, sur Sport Eco en particulier. Venue
à Paris, elle s'en ouvre à un confrère, Hervé Delouche, qui
s'enthousiasme pour son investigation. Il la présente à l'équipe du
356

. Pourtant, François Mitterrand comme Jacques Chirac - le duo cohabitationniste n'envisagent pas un instant de rompre les relations diplomatiques avec Pretoria.
357
. Au grand dam des policiers consciencieux, plusieurs arrestations furent opérées dans les
mouvements de soutien aux luttes anti-coloniales en Afrique australe. Il fallait suivre
l'hypothèse d'un « règlement de comptes entre terroristes », émise dès le soir de l'attentat
par le ministre de la police Robert Pandraud. Cf. Dominique Le Guilledoux, Dulcie
September : l'enquête piétine, in Libération du 09/04/88. Dans les bureaux de Robert
Pandraud traînait souvent l'ami de Jacques Chirac Patrick Maugein, qui commença sa
carrière d'intermédiaire tous azimuts dans les années quatre-vingt comme représentant du
groupe sud-africain Gencor, à la recherche de contrats pétroliers. Cf. Nicolas Beau, Un
homme d'affaires en or dans l'ombre de Chirac, in Le Canard enchaîné du 18/02/98.

198

mensuel qu'il vient de rejoindre, J'accuse. Ce périodique en cours
de lancement affiche un objectif téméraire : enquêter sur les
scandales du gouvernement et des services secrets. Le rédacteur
en chef, De Bonis, et son adjoint Michel Briganti se montrent
aussi emballés que Delouche. Evelyn Groenink reçoit une
confortable avance pour l'exclusivité du reportage qu'elle prépare.
En prime, on lui offre le plus beau bureau, et trois assistants. La
journaliste va pouvoir chercher à loisir, et tenir en haleine la
rédaction de J'accuse sur la progression de son enquête.
Le rôle de plusieurs sociétés françaises (Sport Eco, l'entreprise
de ravalement) s'avère de plus en plus étrange. Subitement, on
prie Evelyn Groenink d'arrêter les frais et de rentrer à
Amsterdam. On lui promet une publication qui ne viendra jamais.
J'accuse, d'ailleurs, ne connaîtra qu'une existence éphémère...
La journaliste tente vainement de partager ses découvertes avec
la Brigade criminelle. Elle est accueillie par des visages
consternés, mutiques. Seul un jeune inspecteur finit par lui
lancer : « Vous ne pensez tout de même pas que nous allons
arrêter nos propres collègues ? ».
Éloignée du lieu du meurtre, Evelyn Groenink aura plus de
difficulté à boucler l'investigation, publiée finalement en

199

janvier 1998 par The Weekly Mail and Guardian. Quelques
pièces du puzzle corsent son récit. Un mercenaire d'extrêmedroite, G., ancien de la Légion étrangère, a déclaré à un
journaliste qu'une personnalité officielle lui aurait demandé de
dresser un plan du bureau parisien de l'ANC. Un deuxième exlégionnaire se dit tout à fait certain que la personnalité en
question est directement impliquée dans l'assassinat de Dulcie
September. L'ex-amie d'un troisième légionnaire, Antonia S., a
confié qu'elle espionnait l'ANC à Paris et que, le 28 mars 1987,
elle avait été prévenue de l'agression du lendemain. Selon
plusieurs sources indépendantes consultées par Evelyn Groenink,
les trois « bavards » ont de bonnes relations avec la DGSE - ellemême en excellents termes avec les services secrets de Pretoria.
Selon d'autres sources, ces derniers auraient recruté l'assassin
de Dulcie September et ses complices dans le milieu des mercenaires issus des troupes d'élite de l'armée française, commandos
et légionnaires. Ces exécutants auraient été payés par l'agent et
marchand d'armes sud-africain Dirk Stoffberg. L'assassin serait
venu des Comores 358. Un Suédois vivant au Cap, Heine Hüman,
l'aurait attendu à Roissy à la demande du capitaine Dirk Coetzee,
chef d'un escadron de la mort sud-africain. Le Suédois et l'exlégionnaire auraient confronté les deux moitiés du même billet
d'un dollar, détenues par chacun d'eux 359.
Sous la houlette de Bob Denard, l'archipel comorien était
devenu, on l'a dit, la base de prédilection de ce milieu mercenaire,
lié à des réseaux de droite ou d'extrême-droite implantés en
métropole - à Lyon et Marseille notamment. Cette soldatesque
participait au trafic d'armes entre la France et l'Afrique du Sud et
au contournement du boycott, sous couvert de sociétés privées de
sécurité. Dès 1985, La Lettre de l'Océan Indien 360 avait affirmé
358

. Selon les confidences de Dirk Stoffberg au journaliste sud-africain Jacques Pauw, ces
exécutants seraient d'anciens légionnaires français (cf. Frédéric Chambon, Les services
secrets français sont accusés de collusion avec l'ancien régime d'Afrique du Sud, in Le
Monde du 21/11/97). Une source m'a confirmé la provenance comorienne de l'assassin
(suggérée par l'article de Paskal Chelet, Les révélations du capitaine Coetzee, in La Croix
du 07/02/90). Craignant des représailles de l'ANC, l'ambassadeur des Comores à Paris se fit
invisible.
359
. Cf. Paskal Chelet, art. cité.
360
. Reprise par Georges Marion et Edwy Plenel, art. cité.

200

que les services sud-africains recrutaient « dans les milieux de
mercenaires et des services d'ordre des mouvements d'extrêmedroite français des commandos chargés d'effectuer des attentats
contre des cibles bien définies ».
Certains considèrent qu'un tel recrutement de barbouzes
occasionnelles n'implique pas le gouvernement français 361. C'est
oublier que le milieu mercenaire a bénéficié, en France ou dans
les protectorats français, d'une complaisance jamais démentie. Il
nage en Françafrique comme un requin dans l'eau, sollicité pour
chaque opération immergée. Or qui, par facilité, ne cesse de
commanditer de telles opérations, qui ouvre les vannes des flux
françafricains ? Les sommets de l'État français, incapables
jamais de renoncer à la séduction de ces eaux tropicales 362.
Alex Moubaris, militant de l'ANC et ex-collègue de September,
estime qu'elle a été tuée « pour une raison très spéciale et
urgente. Cette raison devait aussi valoir pour la France - de
telle sorte qu'elle permette l'opération ». Directeur de l'Institut
néerlandais pour l'Afrique australe, Peter Hermes estime que les
services secrets français « ont fermé les yeux sur les préparatifs
[de l'assassinat] dont ils avaient connaissance 363». Ils auraient eu
deux jours avant le meurtre la confirmation par les services
britanniques de la présence à

361

. Par exemple Frédéric Chambon, art. cité.
. Voir plus loin les chapitres Les réseaux résistent et Denarderies, p. 298.
. Déclaration au Monde du 21/11/97.

362
363

201

Paris de l'agent sud-africain Dirk Stoffberg qui, de son propre
aveu, a payé les exécutants 364. Dulcie September « était un
obstacle à quelque chose », ajoute Moubaris. Les obstacles, on
les supprime.
D'aucuns objectent encore que « Dulcie September a été tuée
parce qu'elle constituait une cible plus facile que d'autres
représentants de l'ANC mieux protégés 365». A supposer que ce
fût le cas, pourquoi la cible était-elle si facile ? Parce que la
Françafrique était la meilleure alliée du régime de l'apartheid,
dont Dulcie September était l'ennemie ! Accueillir à Paris le
bureau de l'ANC ne valait pas protection diplomatique - des
manières que les réseaux ont toujours méprisées, d'ailleurs.
Qu'avait donc découvert Dulcie September ? Un lourd secret
touchant au nucléaire ? Ou peut-être rien d'autre que ce que
connaissaient déjà tous les milieux bien informés : la massive
collaboration franco-sud-africaine, gauche mitterrandienne et
droite confondues. Mais il ne fallait surtout pas que l'indignation
militante fasse déborder l'information au-delà du microcosme des
initiés. Car alors tout le discours hypocritement bienveillant
envers les Noirs africains eût été dévalué. Le cynisme eût apparu
sans masque, dans une nudité insupportable.

364

. Selon L'Humanité du 05/04/88.
. Jacques Pauw, journaliste sud-africain. Propos repris par Frédéric Chambon, art. cité.

365

202

8.
My Taylor is rich 366

Presque vingt ans après le Biafra, on retrouve en 1989 le zélé
foccartien Mauricheau-Beaupré au secours d'une autre terrible
guerre civile : l'invasion du Liberia par les milices de Charles
Taylor 367. L'objectif initial est le même qu'au Biafra : tailler des
croupières aux « Anglo-Saxons » - les Américains en
l'occurrence, « protecteurs » d'un pays fondé par leurs anciens
esclaves, et les Africains anglophones du trop puissant Nigeria.
L'objet du conflit n'est pas nouveau : en 1904 déjà, Ernest
Roume, gouverneur général de l'Afrique occidentale française,
avait profité des incursions des guerriers Kissis pour intervenir
au Liberia et tenter de l'annexer 368.
Abidjan et Lagos, les mégapoles ivoirienne et nigériane,
guignent toutes deux les énormes ressources naturelles du
Liberia. Toutes deux s'intéressent au potentiel mafieux de la
capitale libérienne - le port franc de Monrovia, avec ses pavillons
de complaisance, ses entrepôts de contrebande et ses commodités
pour le blanchiment de narco-dollars 369. Contre le Nigeria, le
tandem Foccart-Houphouët et la galaxie françafricaine tiennent
leur revanche de la faillite biafraise. Une revanche commerciale
d'abord, par l'avantage donné aux réseaux libano-ivoiriens (très
influents à Paris) sur leurs rivaux nigérians dans le contrôle de
366

. (Mon tailleur est riche). Ce fut longtemps la première phrase de l'initiation à
l'anglophonie.
367
. Le Nouvel Afrique-Asie (01/97) formule explicitement cette accusation dans sa
« nécrologie » de Mauricheau-Beaupré.
368
. Cf. Yekutiel Gershoni, History repeated ? The Liberia-Sierra Leone Border 1905
and 1991, in Liberian Studies Journal, vol. XXI, n° 1, 1996, p. 33-49.
369
. Éric Fottorino, Le Monde du 25/04/91.

203

l'or, du bois, des pierres précieuses et des trafics locaux. Une
revanche militaire aussi, par la mise en échec de la force
d'intervention interafricaine EcoMoG, à dominante nigériane.
Comme champ de tir, le Liberia remplace le Biafra. Le Burkina
de Blaise Compaoré se substitue au Gabon d'Omar Bongo
comme premier associé du tandem Foccart-Houphouët. La Libye
se montre curieusement coopérative. Le réseau mitterrandien
pointe son nez. Tous ces jeux d'intérêts prolongent durant six
années le massacre : au minimum 150 000 civils (1990-96). Qui
parmi les millions de téléspectateurs français s'émouvant au
spectacle des enfants libériens faméliques, s'alarmant de la
prolifération des drogués de la kalachnikov, savait que les
réseaux françafricains étaient derrière cet abominable conflit ?
Des centaines de milliers de personnes ont répondu
généreusement aux sollicitations des associations humanitaires
françaises engagées au Liberia. Leur argent tentait vainement
d'éteindre l'incendie qu'attisaient des pyromanes français, que
nourrissaient des trafics français. Qui s'en doutait parmi ces
donateurs 370? Autre crime enfoui, autre exploration salutaire même si c'est la plus ardue, en raison de la multiplicité des
acteurs, de la complexité des stratégies et de leurs dimensions
occultes 371.

370

. Fabrice Weissman, de la Fondation Médecins sans frontières, admet cependant
l'« implication discrète » de la France « au travers de divers acteurs économiques » dans
un article paru à la fin de la guerre civile (Liberia : Derrière le chaos, crises et
interventions internationales, in Relations internationales et stratégiques, n° 23, automne
1997).
371
. L'affaire est si complexe que le lecteur peu familier de tels arcanes peut, sans complexe,
reprendre avec le chapitre suivant une voie moins difficile - comme on dit en montagne.

204

205

Le Liberia passe pour être le seul pays d'Afrique, avec l'Éthiopie,
à n'avoir pas été colonisé. Certes, les Blancs n'y ont jamais détenu
officiellement le pouvoir. Mais la contrée a été colonisée à partir
de 1822 par des Noirs affranchis venus d'Amérique, cherchant à
faire de la « Côte des graines » un pays où la liberté serait
exemplaire : le « Liberia ». Le nom même de la capitale,
Monrovia, vient de Monroe - un président américain opposé à
l'esclavage. Cette colonisation ne se fit pas sans violence. Le
clivage a subsisté entre les élites côtières descendant des affranchis
américains et les populations de l'arrière-pays - entre métis
américano-libériens et natives 372.
Pour la première fois, les natives arrivent au pouvoir en 1980,
par le coup d'État sanglant du sergent-chef Samuel Doe contre le
président William Tolbert. Doe instaure un régime autoritaire, qui
connaît les habituelles dérives : s'appuyant sur l'ethnie
présidentielle, le groupe Krahn, il suscite l'antagonisme des autres,
les groupes Mano et Gio. A la fin de 1985, un opposant, le général
Thomas Quiwonkpa, tente un coup d'État au nom du Front
patriotique national du Liberia (NPFL), créé pour la circonstance.
Le général est tué, dépecé et mangé à la table présidentielle. Doe
déclenche une répression meurtrière dans la région d'origine de
l'insurgé, le comté Nimba, où Manos et Gios sont majoritaires.
Le futur chef rebelle Charles Taylor est né en 1948, d'un père
américano-libérien et d'une mère Gio. Il ne peut en principe être
classé dans une ethnie particulière, ce qui souligne les limites du
concept d'ethnie. Mais il usera de la ficelle : sa rébellion sera en
même temps anti-Doe et anti-Krahn, et il la

372

. Cf. Simon Doux, Portée régionale de l'effondrement de l'État. Le cas du Liberia,
mémoire de DEA, IEP de Paris, 1994, p. 12-13. Un travail tout à fait remarquable.

206

commencera dans le comté Nimba, où le ressentiment ethnique
est très fort depuis les massacres de 1985.
Après des études d'économie aux États-Unis, Charles Taylor a
occupé de hautes fonctions administratives sous le régime Doe : il
fut directeur général de l'Agence des Services généraux. Adepte
du self-service, on l'avait surnommé « Superglu » : tout ce qui
passait entre ses mains y restait collé. En 1983, accusé d'avoir
détourné 900 000 dollars, il est contraint à l'exil. Au Ghana, il est
un temps incarcéré pour infractions monétaires. Lors d'un séjour
aux États-Unis, il tombe sous le coup d'un mandat d'arrêt
international et d'une demande d'extradition émis par le Liberia. Il
est emprisonné. Tout cela forge chez lui une haine féroce contre
son ancien boss, Samuel Doe, et un anti-américanisme qui lui
vaudra bien des sympathies.
Il s'évade et file en Côte d'Ivoire, où il retrouve un résidu du
parti de Quiwonkpa, le NPFL. Il réussit une OPA sur cette
enseigne. En 1987, il fait une étape décisive à Ouagadougou, la
capitale du Burkina : il se lie d'amitié avec le tombeur de
Sankara, Blaise Compaoré. Celui-ci branche Taylor sur la Libye.
Doté désormais d'un vaste réseau de contacts, « Superglu »
parvient à s'agréger un groupe composite de 167 OuestAfricains : non seulement des Libériens anti-Doe, mais des
aventuriers ou dissidents de divers pays (Guinée, Sierra Leone,
Gambie, Sénégal). Ce noyau dur s'entraîne en Libye et au
Burkina 373.
La veille de Noël 1989, avec une quarantaine d'hommes, Taylor
lance sa première attaque depuis la Côte d'Ivoire : sa troupe
pénètre dans le comté frontalier de Nimba, attaque plusieurs
villes, tue 16 soldats et fonctionnaires, avant de

373

. Cf. George Klay Kieh Jr., Combatants, Patrons, Peacemakers, and the Liberian Civil
Conflict, in Studies in Conflict and Terrorism, vol. 15, 1992, p. 129.

207

se replier au pays d'Houphouët. Puis elle multiplie les incursions.
Les rebelles tuent les Krahns, bien sûr, mais ils exploitent aussi
l'antagonisme anti-musulman contre les Mandingues : ces
descendants de commerçants guinéens islamisés sont mis dans le
même sac que les Krahns. Le président Doe réplique sur le même
registre, ce qui causera sa perte : il envoie pour rétablir l'ordre un
colonel connu pour avoir tué des Gios et des Manos ; il pousse
des Mandingues à se venger contre les villages de ces deux
ethnies. Réamorcée par Taylor, la spirale de violence a
parfaitement fonctionné : se posant en libérateur, le chef rebelle
va pouvoir dresser contre Doe les provinces à dominante Gio et
Mano, et y recruter aisément dix mille jeunes fighters
(combattants) 374. Il conquiert rapidement la moitié orientale du
Liberia, frontalière de la Côte d'Ivoire. Plus de cent mille
Libériens fuient vers ce pays, le double vers la Guinée.
Taylor révèle alors ce qu'il est : un « entrepreneur politicomilitaire 375» qui, face à un État déliquescent, utilise la guerre
comme une autre forme d'organisation politique :
« La guerre a une base sociale là où l'État n'en a plus : la
jeunesse marginalisée. [...] Là où l'État ne laisse à la jeunesse
que la violence illégitime - celle de la délinquance -, la guerre
lui fournit une violence légitime - la défense du clan, le
renversement du régime - et lui permet de surcroît d'obtenir un
minimum de gains économiques. [...] La guerre du Liberia est
[...] une guerre mafieuse, dont le véritable enjeu n'est pas la
domination de telle ethnie sur telle autre ou la transformation
politique du pays, mais le contrôle du diamant, du fer, des bois
précieux, des royalties,

374

. Cf. Simon Doux, mémoire cité, p. 25-26.
. Selon l'expression de Jean-François Bayart, La guerre, mode d'expression politique, in
Croissance, 01/94.
375

208

des pavillons de complaisance
drogue 377».

376

et du blanchiment de la

Le contrôle de telles richesses permet d'acheter des armes, qui
permettent de contrôler davantage de richesses, et ainsi de suite.
Mais Taylor n'est pas le seul à avoir compris le système. D'autres
« entrepreneurs », d'autres warlords ou « seigneurs de la guerre »
se dressent sur sa route, parfois même ses anciens lieutenants - bien
qu'il veille à assassiner précocement les éventuels concurrents. Dès
mai 1990, son ancien adjoint Prince Johnson suscite une dissidence
du NPFL, l'INPFL. Il conquiert la côte jusqu'à l'entrée de
Monrovia. Lors d'une incursion sans lendemain dans la capitale, il
s'empare du président Doe et le torture à mort en son palais.
Taylor, de son côté, progresse en direction du Nord-Ouest. Il
contrôle jusqu'à 60 % du pays, mais il est bientôt stoppé : il ne
s'emparera jamais de la capitale par les armes.
Seize pays ouest-africains sont regroupés dans une organisation
embryonnaire, la CEDEAO (Communauté économique des États
d'Afrique de l'Ouest). La guerre civile libérienne y avive les
tensions latentes entre pays francophones et anglophones. Parmi
ces derniers, le Nigeria et le Ghana comptent ensemble, à l'époque,
cent millions d'habitants - huit fois la population de l'« éléphant »
ivoirien. Or ces puissances régionales ont bien compris ce que nous
illustrerons un peu plus loin : la conquête du Liberia par Taylor est
une entreprise fortement branchée sur les réseaux françafricains.
Ce n'est donc pas seulement pour des raisons humanitaires qu'elles
imposent le 7 août 1990, lors de la conférence de la CEDEAO à

376

. Sur le papier, le Libéria possède la plus grande flotte de pétroliers du monde. Entre autres
fleurons, naufragés : le Torrey Canyon et l'Amoco Cadiz. La taxe annuelle rapporte 20
millions de dollars par an à l'« État » du Libéria.
377
. Jean-François Bayart, art. cité. Le Liberia comptait en 1989 plus de 35 000 compagnies
off-shore, relais incontrôlés d'intérêts étrangers.

209

Banjul, la création d'une force africaine d'interposition,
l'EcoMoG 378. A ossature ghanéo-nigériane, cette « police » sera vite
la cible des Françafricains.
Ces derniers auraient volontiers tourmenté aussi les États-Unis,
très présents au Liberia... jusqu'à l'été 1990. L'influence
américaine, économique et politique, était considérable en cette
contrée conquise par d'anciens esclaves revenus du Nouveau
monde. Le pays était, par habitant, le premier bénéficiaire de l'aide
US en Afrique subsaharienne. Firestone, un géant du pneumatique,
dominait l'exploitation de l'hévéa depuis 1926 : un temps, il fit
même du Liberia le premier producteur mondial de caoutchouc 379.
Les Américains avaient l'oeil sur tout : les matières premières, les
diamants, les questions financières et militaires 380. Mais les
exactions de l'armée de Doe au début de la guerre civile, le
massacre par exemple de plusieurs centaines de personnes dans une
église proche de Monrovia, suscitèrent de telles réactions aux ÉtatsUnis que George Bush ordonna un retrait généralisé dès mai
1990 381, larguant des intérêts non négligeables : les amis de Taylor
ne pouvaient donc plus harceler directement l'oncle Sam, aux
abonnés absents. Ceci dit, Washington montrera quelques faveurs
aux ennemis de la coalition pro-Taylor, qui trouvera là de quoi
doper son américanophobie...
La force d'interposition africaine, l'EcoMoG, débarque à la fin de
l'été 1990. Elle installe une étroite tête de pont autour de la capitale,
Monrovia. Jamais elle ne pourra aller au-delà. A l'Ouest se
constitue en 1991 un mouvement armé anti-Taylor, l'ULIMO,
constitué pour l'essentiel de Krahns et de musulmans. Il occupe la
tranche occidentale du Liberia, environ un quart du pays, avant de

378

. EcoMoG : Ecowas (Economic Community of West Africa States) Monitoring Group. En
français : Groupe CEDEAO de contrôle du cessez-le-feu.
379
. Cf. Simon Doux, mémoire cité, p. 18-20.
380
. De 1980 à 1990, l'aide militaire américaine au Liberia s'est élevée à 52 milliards de
dollars. International Herald Tribune, 19/07/90.
381
. Excepté une opération d'évacuation des ressortissants occidentaux, Sharp Edge (06/9001/91). Certains considèrent aussi que les États-Unis ont misé sur Prince Johnson, le dissident
du NPFL. Mais le mouvement de ce warlord s'est évanoui en novembre 1990. Cf. Simon
Doux, mémoire cité, p. 27-28.

210

se scinder en deux branches « ethniques » : Krahns et musulmans 382.
Les fronts se figent plus ou moins, mais les civils continuent de
périr : de faim, de vengeances, d'atrocités spectaculaires destinées à
marteler que le pouvoir est au bout du fusil. Il est au bout, plutôt,
de 60 000 armes à feu : tel est à peu près le nombre des
combattants, parfois très jeunes 383, fréquemment drogués,
qu'emploient les factions en présence.
Cela durera six ans, avant un arrêt par épuisement, une paix à
l'usure. Les milices de Taylor sont responsables d'une grande partie
des 150 000 victimes civiles de cette guerre incertaine 384. En 1995,
80 % des 2 600 000 Libériens avaient dû s'enfuir : 55 % à
l'intérieur du pays, 25 % au dehors 385. Huit cent mille personnes se
sont entassées à Monrovia. Certains quartiers, non approvisionnés,
se transformaient de temps à autre en mouroirs. Le pays est en
loques. Mais les Libériens en ont tellement marre de la guerre que
le 19 juillet 1997, lors du scrutin consécutif à l'accord de paix, ils
élisent Président leur principal bourreau - le seul candidat,
d'ailleurs, à avoir eu vraiment les moyens de faire campagne.
Non sans quelques concessions au Nigeria 386, Taylor et ses
sponsors françafricains se sont donc emparés d'un Liberia
exsangue, après sept ans de sévices. Comment ? Les armes

382

. D'autres factions tenteront encore d'arracher leur part du gâteau : le Nimba Redemption
Council, le Liberian Peace (!) Council et le Lofa Defence Force.
383
. Selon l'UNICEF, environ 10 % avaient moins de 15 ans.
384
. Même si, dans sa contre-offensive, l'ULIMO n'a pas été avare d'atrocités.
385
. Cf. Fabrice Weissman, art. cité.
386
. L'accès à certaines des ressources naturelles du Liberia, selon EIU Country Report
Liberia, 4e trimestre 1995, p. 25.

211

n'ont jamais manqué, ni les trafics permettant de les acheter : les
réseaux et lobbies français s'y sont mêlés. La Côte d'Ivoire
houphouëtienne, le Burkina normalisé et la Libye américanophobe
ont assuré un appui indéfectible, vital même dans le cas ivoirien,
avec la garantie d'une base arrière. Taylor et C ie ont surenchéri
dans la nuisance en étendant la guerre civile au Sierra Leone. Ils
ont écoeuré le gendarme EcoMoG et, profitant de ses point faibles,
ont poussé à un armistice l'ennemi régional, le Nigeria. Aperçus de
cette sombre histoire.
Dès octobre 1990, Taylor installe un gouvernement provisoire à
Gbarnga, au centre du Liberia. Emmené par l'Ivoirien Houphouët,
le lobby francophone échoue de peu à faire reconnaître la légitimité
exclusive de ce gouvernement 387. Le pouvoir de Gbarnga
n'administre pas grand-chose : il s'agit surtout de mettre en coupe
réglée la région occupée, le Taylorland, grâce au contrôle de
l'aéroport international de Robertsfield, du port en eau profonde de
Buchanan, de la frontière ivoirienne et d'une partie de la frontière
guinéenne. Les « fonctionnaires » du Taylorland sont rarement et
très peu payés, tandis que le warlord (seigneur de guerre) s'offre
bijoux, limousines et vêtements de grand prix 388.
Il en a vite les moyens. Dès 1990 reprennent les exportations de
l'un des meilleurs minerais de fer du monde, celui des monts
Nimba, avec entre autres clients la Sollac, filiale du groupe
sidérurgique français Usinor - pour 750 000 tonnes et 11,5
millions de dollars en 1991. L'argent allait à des proches de
Taylor, dans le consortium AMCL. En mars 1993, la perte du port
de Buchanan compromet cette ressource. Mais au début de 1994
un organisme parapublic français, le BRGM (Bureau de recherche
géologique et minière), s'associe à l'AMCL pour un énorme projet :
l'exploitation, via le Liberia, du prodigieux gisement de fer guinéen
de Mifergui (4 milliards de tonnes de réserves), guigné par les
Nigérians 389.
387

. Cf. West Africa, 22/10/90.
. Cf. Simon Doux, mémoire cité, p. 32-33, et George Klay Kieh Jr., art. cité, p. 130.

388

212

D'autres ventes repartent en flèche. De 1989 à 1992, la valeur du
bois exporté a triplé, jusqu'à plus de 200 millions de dollars. En
1991, 68 % de ces grumes libériennes étaient expédiées vers la
France... Les ventes de caoutchouc, d'or, de bois et de café
redémarrent. En 1992, les sorties de diamants libériens vers la
Belgique sont remontées à 220 000 carats (75 % du chiffre de
1987) 390.
Largement informel, l'import-export du Taylorland est géré par
les marchands libano-ivoiriens qui ont misé du capital-risque dans
l'entreprise Taylor. L'une de leurs trouvailles : l'achat de diamants
russes dans les circuits parallèles, revendus ensuite avec l'étiquette
Liberia. Sur les diamants porteurs de cette étiquette, un sur deux
serait d'origine russe 391. Dans un Liberia reconstitué, il faudra
payer quelques taxes. Le conflit peut durer...
Certaines des voies et certains des intermédiaires utilisés méritent
le détour. Une filière de trafic de drogue et de pierres précieuses a
été mise en place dès le début de la guerre civile par l'homme
d'affaires libanais K. A. 392. Elle traverse le Sierra Leone, la
Guinée, la Guinée Bissau et le sud du Sénégal pour aboutir en
Gambie au port de Banjul, lieu d'embarquement. K. A. est un
familier de la présidence sénégalaise, haut lieu françafricain 393.
Charles Taylor a confié à un ami français, Thierry Isaïa, un vraifaux passeport diplomatique qui lui facilite la vie dans les
aéroports. Grand voyageur, Isaïa est lui-même l'ami de l'ancien
chef de la coopération policière franco-africaine, Jacques
Delebois 394. Pour donner une idée du volume des « transactions »
qu'il opère, on notera qu'il a écopé de la plus forte amende
389

. Cf. Fabrice Weissman, art. cité. Le BRGM ne répugne pas à l'investissement précoce chez
les amis douteux de la Françafrique. Au Soudan, par exemple.
390
. Ibidem.
391
. Selon Caroline Dumay, La ruée vers les entrailles de l'Afrique, in Le Figaro du
30/12/96.
392
. D'après les confidences conjuguées de l'ex-président gambien Jawara et du général sierra
leonais Gabriel Kai Kai, ancien chef de la police. La Lettre du Continent, qui les rapporte
(L'écheveau casamançais, 14/12/95) ne fournit que les initiales de l'homme d'affaires.
393
. Cf. France-Sénégal. La vitrine craquelée, Agir ici et Survie/L'Harmattan, 1997.
394
. Celui-là même qui procura un vrai-faux passeport à Yves Chalier. Le ministre de
l'Intérieur Charles Pasqua jouait au chat et à la souris avec l'affaire du Carrefour du
Développement, où s'étaient compromis le ministre de la Coopération Christian Nucci et son
chef de cabinet Yves Chalier.

213

douanière jamais infligée en France : 153 millions de francs.
L'amende sanctionne une énorme escroquerie, qui a révélé les
contacts d'Isaïa avec les mafias russe et italienne 395.
Selon Le Canard enchaîné, le contrôleur général Delebois s'est
lui-même rendu au Liberia avec deux escrocs, désireux d'obtenir
l'exclusivité des machines à sous dans le pays reconstruit. Une
priorité en matière de coopération... Les deux margoulins,
bénéficiant de hautes protections françaises, auraient fourni des
armes à Charles Taylor 396. Accusé par une note des
Renseignements généraux d'être impliqué dans ces livraisons, JeanChristophe Mitterrand a été interrogé le 31 mai 1996 par le juge
Éric Halphen. Il a conclu ainsi sa déposition : « Les RG ne font
que relater par écrit des rumeurs sans rien vérifier » 397.

395

. D'après André Rougeot, La douane encaisse l'amende du siècle, in Le Canard
enchaîné du 08/01/97.
396
. Cf. André Rougeot, Le réseau de flics qui veut se payer le patron des RG, in Le Canard
enchaîné du 28/02/96.
397
. Selon André Rougeot, Les RG attendent le juge Halphen dans des bureaux bien
propres, in Le Canard enchaîné du 04/12/96.

214

Il n'y a pas de petit profit : là où les paysans produisaient encore,
les factions libériennes exigeaient des contributions en nature.
Mais le détournement de l'aide humanitaire aux personnes
déplacées, 130 millions de dollars par an, a constitué une manne
infiniment plus importante : la moitié de cette aide était taxée ou
pillée dans la région de Buchanan, et jusqu'aux trois-quarts dans le
bush, admet Fabrice Weissman, de la Fondation Médecins sans
frontières. Les trésors de guerre étaient davantage alimentés que
les réfugiés. De même, les combattants obtenaient « gratuitement »
un abondant matériel stratégique (camions, radios, etc.) en
l'extorquant aux dispensateurs de l'aide. A tel point qu'en 1994, la
Croix rouge a décidé de suspendre la plupart de ses activités au
Liberia, considérant que les effets pervers l'emportaient sur les
bénéfices reçus par la population 398.
La Côte d'Ivoire d'Houphouët, puis de Konan Bédié (le
successeur milliardaire d'Houphouët, imposé par Paris), a
constitué durant toute la guerre le sanctuaire du NPFL de Taylor.
C'est de là que sont parties les premières attaques contre le régime
de Doe 399. C'est par là que transitait l'approvisionnement en armes
et en munitions. Un soutien crucial. Le vieux spécialiste foccartien
Mauricheau-Beaupré y veillait sûrement. Il s'était définitivement
établi à Abidjan, pourvoyant aux coups fourrés du régime ivoirien,
tout comme un autre spécialiste français des livraisons d'armes : le
colonel à la retraite Jean-Pierre Soizeau, dit « Yanni ». Cet ancien
mercenaire haut en couleur exerçait en Côte d'Ivoire une
pluriactivité considérable : bamboche, DGSE, trafic d'armes (via
une société suisse), joint-venture dans la banane avec le directeur
ivoirien des Douanes 400, relations suivies avec une nièce du
398

. Cf. Fabrice Weissman, art. cité.
. On ne peut négliger une dimension personnelle dans le soutien initial d'Houphouët à
Taylor contre le régime libérien de Samuel Doe. Lors du coup d'État de 1980, le sergent Doe
avait fait exécuter, entre autres, le président Tolbert et son fils Adolphus-Benedictus : le
premier était l'ami d'Houphouët, le second était marié à l'une de ses filleules, Daise (cf.
George Klay Kieh Jr., art. cité, p. 133). Une raison de plus, pour le Président ivoirien, de
soutenir le condottiere anti-Doe Charles Taylor.
400
. Il aurait inventé « la première bananeraie blanchisseuse d'argent sale ». Cf. Alain
Guédé et Hervé Liffran, La Razzia, Stock, 1995, p. 37.
399

215

président Houphouët et avec le dauphin Konan Bédié, pilotage de
l'avion présidentiel, portage de valises, fausse facturation à grande
échelle impliquant des sociétés aussi peu regardantes que la GMF
ou le GAN 401.
Cet inventaire à la Prévert n'étonnera que les non-initiés 402.
Ajoutons que Soizeau était en relations suivies avec Michel
Roussin : ancien responsable du Sdece, ce colonel de gendarmerie
devenu directeur de cabinet de Jacques Chirac à la mairie de Paris
- avant de décrocher en 1993 le ministère de la Coopération - fut
sans doute, de 1989 à 1993, le personnage le plus influent du
RPR 403. La mouvance gaulliste était donc, via Foccart,
Mauricheau, Soizeau et quelques autres, aux premières loges
ivoiriennes de la guerre du Liberia.
Le fait que le clan ivoirien au pouvoir soit lui-même impliqué dans
le trafic de drogue et le blanchiment de narco-dollars, via les hôtels
et casinos 404, ne pouvait que faciliter la coopération avec le NPFL.
Basé à Danané, une ville ivoirienne proche du Liberia, le frère de
Taylor multipliait les rencontres avec les officiels du pays hôte.
Charles lui-même y rentrait régulièrement, escorté par des
militaires et gendarmes ivoiriens 405. Les membres du NPFL purent
installer confortablement leurs familles en Côte d'Ivoire. Et, bien
sûr, leur leader obtint d'Abidjan tout l'appui médiatique et
diplomatique possible.
La prédation est le carburant de l'entreprise Taylor. Encore fautil, pour exporter les ressources captives, des points de sortie du
territoire soumis. Avant la prise de contrôle d'un port et d'un
aéroport par le NPFL, cette exportation passait donc forcément
401

. Ibidem, p. 36-39, et Alain Léauthier, Les fausses factures de Méry dérangent les
francs-maçons, in Libération du 21/10/94.
402
. « Heureusement, Patrice Soizeau a le bon goût de mourir dans un hôpital de la région
parisienne avant que le magistrat [le redouté Éric Halphen] puisse l'interroger » (Alain
Guédé et Hervé Liffran, Péril sur la Chiraquie, Stock, 1996, p. 14).
403
. Cf. Alain Guédé et Hervé Liffran, La Razzia, op. cit., p. 391-394
404
. Selon un rapport confidentiel de Jean-François Bayart sur La criminalisation en Afrique
subsaharienne, en date du 29/06/95. Le Canard enchaîné en a publié plusieurs extraits (Des
pétroliers et des militaires français au beau milieu des trafics africains ?, 27/09/95).
405
. Cf. F. Meledje Djedjro, La guerre civile du Liberia et la question de l'ingérence dans
les affaires intérieures des États, in Revue belge de Droit international (Bruxelles), 1993/2,
p. 399, note 17.

216

par la Côte d'Ivoire. Cela s'est prolongé, par l'intermédiaire de
marchands libanais protégés par des commandos du NPFL 406.
Taylor a pu, pour ses trafics, utiliser à sa guise le port ivoirien de
San Pedro, même lorsqu'il subissait un embargo de l'ONU. Il ne
faut pas omettre non plus les ressources en recrues, en taxes prélevées et en approvisionnements détournés, que peuvent représenter plusieurs centaines de milliers de réfugiés secourus par la
communauté internationale. Ces ressources sont d'autant plus
importantes que le pays d'accueil est volontairement laxiste 407.
Dans son soutien à Taylor, Houphouët ne risquait pas d'être
contrarié par l'Élysée. Il venait de signer, en octobre 1989, un
contrat de communication de 3 millions de francs avec AdefiInternational. Marge nette, selon les Ivoiriens : 2 millions de
francs. » Pour être bien avec l'Élysée, on a signé avec l'ami du
fils Mitterrand », explique un proche d'Houphouët. Jean-Pierre
Fleury, qui dirige l'Adefi, est en effet un « ami de 25 ans » de
Jean-Christophe Mitterrand.

406

. D'après West Africa, 22/07/91.
. Cf. Jean-Christophe Rufin, L'aide humanitaire, nouvel enjeu des conflits locaux, in Le
devoir d'ingérence, sous la direction de Mario Bettati et Bernard Kouchner, Denoël, 1987,
p. 49.
407

217

« Monsieur Afrique » de son papa, forcément surnommé
« Papamadit », le fils Mitterrand a cumulé un temps un bureau à
l'Élysée et un autre à l'Adefi, qui salariait aussi sa femme
Élisabeth. Il lui arrivait d'emmener à la table d'un président
africain, en exclusivité, l'ami Fleury et un ami encore plus cher,
actionnaire majoritaire de l'Adefi : l'homme d'affaires togolais
Georges Kentzler 408.
Le 1er septembre 1989, Georges Kentzler est devenu le
« Monsieur Afrique » du très considérable négociant français de
matières premières agricoles, Sucden (Sucres et denrées) - dirigé
par un autre ami de Papamadit, Serge Varsano. Le 23 décembre
1989, la veille du déclenchement de l'insurrection de Taylor, la
Caisse centrale de coopération économique 409 accorde un prêt
exceptionnel de 400 millions de francs à la Caistab ivoirienne, un
organisme de stabilisation des cours du cacao, réputé être une
passoire. Jean-Christophe Mitterrand soutient seul le
déclenchement de ce prêt, contre tout le gotha des administrateurs
du Trésor. L'argent permet à Sucden de boucler une transaction
sur le cacao ivoirien. On découvrira par la suite la « disparition »,
du côté de Jersey, de 195 millions de ces fonds publics 410.
Certes, la proximité des dates peut ne correspondre qu'à une
coïncidence. Mais cette injection massive d'argent frais dans les
circuits franco-ivoiriens au moment de l'attaque contre le Liberia
montre que les rouages sont graissés à point nommé. Dans
l'entourage de François Mitterrand et à son état-major particulier,
on poussait le Président à jouer la

408

. Cf. Stephen Smith et Antoine Glaser, Les réseaux africains de Jean-Christophe
Mitterrand, in Libération du 06/07/90, et Pascal Krop, Les amis de « papamadit » font de
bonnes affaires, in L'Événement du Jeudi du 12/07/90.
409
. CCCE. Qui deviendra la Caisse française de développement (CFD).
410
. Cf. Pascal Krop, art. cité ; Stephen Smith et Antoine Glaser, art. cité. Cf. aussi, JeanLouis Gombeaud, Corinne Moutout et Stephen Smith, La Guerre du cacao, histoire secrète
d'un embargo, Calmann-Lévy, 1990.

218

carte Taylor au Liberia contre les « anglophones » de l'Ouest
africain 411, avec des arguments historiques qui ne le laissaient pas
plus insensible que ceux d'un Foccart poussant De Gaulle à armer
le Biafra.
Promu chef de l'État burkinabé avec l'onction de la Françafrique,
Blaise Compaoré a, dès 1987, mis Taylor en contact avec la
Libye, où se forme le noyau dur du NPFL. C'est par le Burkina
que transitent une partie des armes libyennes. Compaoré n'a pas
même hésité à apporter à Taylor un soutien militaire direct : il a
envoyé 400 soldats burkinabé combattre aux côtés du NPFL, y
compris contre la force interafricaine (l'EcoMoG). Ce sont ces
soldats qui, semble-t-il, ont conduit en 1992 l'opération Octopus,
un assaut puis un siège de deux mois contre Monrovia,
difficilement tenue par l'EcoMoG 412. Compaoré ne se cache pas de
cet appui : il est justifié selon lui par le caractère dictatorial du
régime de Samuel Doe. Mais quand, en mai 1991, il évoque dans
la presse ses « relations privilégiées 413» avec Taylor ou l'aide
« multiforme et diversifiée 414» qu'il lui apporte, Doe est mort
depuis près d'un an.
En réalité, Compaoré vise une influence régionale. Allié
personnel et politique d'Houphouët, solidement branché sur les
réseaux et lobbies françafricains, il songe à succéder au « Vieux »
comme leur homme de confiance. Son régime et son armée, plus
présentables que ceux d'Eyadéma, deviendraient

411

. Cf. Jean-François Bayart, Bis repetita : La politique africaine de François Mitterrand
de 1989 à 1995, intervention au Colloque des 13-15/05/97 sur la politique extérieure de
François Mitterrand (FNSP/CERI, 4 rue de Chevreuse, 75006-Paris), p. 33.
412
. Cf. Herbert Howe, Lessons of Liberia, in International Security, vol. 21, n° 3, Hiver
1996-97, p. 158.
413
. Jeune Afrique du 01/05/91.
414
. Fraternité-Matin (Abidjan) du 24/05/91.

219

un recours stratégique. Cela peut expliquer la présence assidue à
Ouagadougou, plaque tournante du soutien logistique à Charles
Taylor, d'un intermédiaire comme Guy Lebouvier - agile courtier
du réseau Mitterrand et de Sucden réunis 415.
Rien de tout cela n'est incompatible avec l'enrichissement
personnel. Selon un observateur avisé, « des personnalités du
gouvernement burkinabé ont bâti des fortunes à partir des
commissions que leur ont payées Taylor, sur les exportations
illégales de ressources naturelles du Liberia 416».
L'engagement libyen en faveur de Taylor (entraînement et armes)
repose en partie sur des considérations plus politiques : la double
hostilité de Kadhafi contre les États-Unis et le Nigeria. C'est un
bonus aux yeux de la Françafrique. On ne s'étonnera donc pas
qu'elle ait tissé des liens méconnus avec le régime libyen. Le
Nigeria, principale puissance régionale, est ressenti par Kadhafi
comme un obstacle à ses constantes ambitions. Le retrait des
Américains n'a pas permis à Kadhafi, comme il en avait l'intention,
de profiter du conflit libérien pour leur mettre le nez dans la boue en restant poli. Par contre, l'implication du Nigeria dans l'EcoMoG
offrait l'occasion de régler des comptes à ce grand rival. Le passif
va d'ailleurs s'alourdir en décembre 1990 lorsque le Nigeria
recueillera une sorte de légion anti-Kadhafi : installée jusque là au
Tchad, elle en a été évacuée par les Américains lorsque le général
pro-libyen Déby, propulsé par la DGSE, a pris le pouvoir à
N'Djamena 417.
Mais l'engagement de la Libye dans le camp françafricain ne
tient pas qu'à une conjonction d'objectifs stratégiques. Parmi les
artisans de connexions plus souterraines, il faut

415

. Cf. Ces messieurs Afrique, I, p. 182-183.
. George Klay Kieh Jr., art. cité, p. 133.
. Cf. ibidem, p. 132.

416
417

220

mentionner l'homme d'affaires comorien Saïd Hilali. Ce pivot des
relations franco-comoriennes vit en France, mais a beaucoup
investi dans son pays avec les groupes sud-africains. Très introduit
en Libye, il fut en 1995, avec son partenaire français Jean-Yves
Ollivier, l'un des tireurs de ficelles d'une opération conjointe ParisTripoli-Pretoria : la mise sur la touche du président comorien Saïd
Mohamed Djohar, qui avait cessé de plaire. Renversé par Bob
Denard, Djohar a été remplacé « démocratiquement » par le
candidat commun aux trois capitales, Mohamed Taki. L'affaire a
bénéficié des sollicitudes, conjointes ou successives, d'une série de
figures du RPR : Jean-François Charrier (vieux grognard des
réseaux basé à la mairie de Paris), le député pasquaïen JeanJacques Guillet, Fernand Wibaux et Robert Bourgi (les duettistes
foccartiens de la cellule africaine bis, au 14 rue de l'Élysée), le
ministre Jacques Godfrain, etc. L'Événement du Jeudi ajoute :
« La Libye et la nébuleuse gaulliste ont des projets communs aux
Comores. L'un d'eux est la création d'un pôle bancaire offshore,
où les gains de toutes sortes d'opérations pourraient être
recyclés 418». Si la nébuleuse gaulliste et la Libye en sont à mijoter
un pôle de recyclage commun de profits non déclarables, c'est que
leur complicité est vraiment très établie. Les manoeuvres
communes autour du Liberia ne sont donc pas accidentelles, elles
n'ont pu que conforter d'anciennes connivences.
Mais il n'y a pas que dans cette nébuleuse très typée que l'on
aime Kadhafi, son pétrole, ses dollars et son anti-américanisme. Le
publiciste Claude Marti est payé pour élargir cette amitié. L'alter
ego de Jacques Séguéla dans le marketing politique « de gauche »
s'est vu commander des actions de presse et de relations publiques
visant, entre autres, à

418

. Cf. Xavier Chaissac, Chirac, Kadhafi et les Comores, in L'Événement du Jeudi du
20/06/97.

221

occulter le fâcheux effet de l'attentat contre le DC 10 d'UTA,
imputé à Kadhafi 419. Politiquement, le député socialiste Jeanny
Lorgeoux, l'ami de Jean-Christophe Mitterrand, a déjà déminé le
terrain. Pétrolièrement, Total n'a jamais interrompu son lobbying
pro-libyen. Il est loin le temps où l'on diabolisait Sankara pour son
voyage à Tripoli. On bénit son successeur Compaoré d'afficher
sans complexe, tout comme Charles Taylor, ses excellentes
relations avec Kadhafi.
Pour augmenter le chaos qui leur profitait tant, Taylor et ses
amis ont réussi l'exploit d'exporter la guerre civile dans le voisin
occidental du Liberia, le Sierra Leone - encore un pays
anglophone, comme son nom ne l'indique pas. Dès mars 1991, le
NPFL y fait des raids. Il faut dire que le président sierra léonais
est alors un ami de feu Samuel Doe, le général Joseph Momoh 420.
Taylor parvient un moment à contrôler l'Est du pays. Mais il
comprend très vite qu'il lui faut un prête-nom local. Il pousse l'un
de ses combattants, le caporal sierra léonais dissident Foday
Sankoh - une sorte d'associé étranger dans l'entreprise NPFL -, à
créer sa propre rébellion, le RUF (Revolutionary United Front).
Sous cette bannière « sierra léonaise », des employés détachés par
la maison-mère NPFL pourront plus aisément mettre à sac, à feu
et à sang le Sierra Leone : un pays riche en diamants, qui est aussi
la base logistique du gendarme EcoMoG, coincé à Monrovia. Cette
extension stratégique a un avantage supplémentaire : elle permet à
Taylor de poursuivre ses opérations sur un autre territoire lorsqu'il
lui arrive, au Liberia, de signer une trêve ou un arrêt des achats
d'armes 421.

419

. Cf. Antoine Glaser et Stephen Smith, Ces messieurs Afrique, II, op. cit., p. 165-166.
Claude Marti oeuvre aussi à l'image d'Eyadéma, de Paul Biya, de Mohamed Taki... (p. 162164).
420
. Renversé 13 mois plus tard par le capitaine Valentine Strasser.
421
. Cf. Simon Doux, mémoire cité, p. 67-73.

222

Coût de cette tentative d'OPA de la firme Taylor sur un second
pays : des dizaines de milliers de morts, 400 000 affamés derrière
les lignes rebelles, et 500 000 réfugiés ou déplacés. Après le
Liberia, c'est le Sierra Leone qui va être ruiné - devenant en 1994
le pays le plus pauvre du monde. Mais le groupe NPFL-RUF peut
contrôler en mai 1991 les gisements diamantifères sierra léonais de
Tongo Fields. La communauté libanaise du Sierra Leone lui
consent aussitôt un don important.
Par la suite, la contre-rébellion libérienne (l'ULIMO krahnmandingue), viendra occuper le Liberia occidental, coupant ainsi
du Sierra Leone le Taylorland est-libérien. Mais Taylor et ses
amis trouveront le moyen de continuer d'approvisionner en armes
leur filiale sierra-léonaise, qui prolongera ses dégâts 422.
Revenons au représentant de la légalité internationale 423, la force
d'interposition africaine EcoMoG. Sous un couvert humanitaire,
elle tente de ressusciter l'État libérien démoli par les factions. Elle
s'appuie sur un gouvernement provisoire, issu d'une « conférence
nationale libérienne » sans lendemain, tenue en Gambie le 2
septembre 1990. Mais Taylor conteste dès l'origine, par les armes
plus encore que par le discours, la légitimité et la vocation de
l'EcoMoG. Il la dénonce comme un cheval de Troie nigérian. Pour
dissuader la force interafricaine de débarquer, le NPFL menace de
mort et tue des ressortissants du Nigeria, du Ghana et de Guinée,

422

. En mai 1997, elle s'est associée à la junte qui a renversé le pouvoir civil du président
Ahmad Tejan Kabbah, élu un an plus tôt après un accord de paix. En février 1998, la capitale
sierra-léonaise Freetown a été reconquise par l'EcoMoG, qui a ramené au pouvoir le Président
renversé.
423
. Vacillante ou fluctuante, cette légalité contrôle mal son représentant. Quand l'ONU
délègue aux États-Unis, à la France ou au Nigeria le leadership d'une coalition chargée de
maintenir ou de rétablir « l'ordre », elle est souvent dépassée par les initiatives du leader.

223

principaux initiateurs de l'EcoMoG, et il saccage leurs locaux
diplomatiques 424.
Puis il engage un conflit ouvert : il prend en otages 508 « soldats
de la paix » fin septembre 1990, il attaque un de leurs postes le 2
octobre. Par la suite, il lance contre l'EcoMoG plusieurs grandes
offensives. En réplique, celle-ci bombarde par deux fois des villes
frontalières ivoiriennes !
L'EcoMoG ne cesse de grandir en taille, jusqu'à 16 000 hommes,
mais pas en efficacité. A partir de 1993, elle ressemble de plus en
plus à un consortium de l'Afrique anglophone : elle accueille des
détachements ougandais et tanzanien. Mais elle reste dirigée par un
général nigérian, et composée d'au moins deux-tiers de militaires
nigérians.
Dans l'impossibilité tactique, morale et politique d'engager la
reconquête du pays, l'EcoMoG est vouée à subir un incessant
canardage, même lorsqu'elle se cantonne dans un tout petit
périmètre. Contre cette force étrangère qui le prive du sceptre
libérien, Taylor joue le pourrissement du conflit : il alterne le
conflit et la coopération, le harcèlement et la négociation, il
multiplie les accords non respectés, etc. L'EcoMoG pourrit
d'ailleurs de l'intérieur, par la corruption, les trafics, le racket, les
ravages de la drogue. Son comportement laxiste contribue de fait à
nourrir l'économie de guerre des factions 425.
L'histoire politique de l'EcoMoG a connu un épisode particulièrement significatif : en octobre 1991, pour répondre aux
accusations d'excessive nigérianisation de la force africaine, les
États-Unis obtiennent l'engagement d'un contingent sénégalais de
900 hommes. En guise d'encouragement, les Américains ont offert
15 millions de dollars d'équipement militaire et remis 42 millions
de dollars de dettes sénégalaises...

424

. Cf. F. Meledje Djedjro, art. cité, p. 423, note 99.
. Cf. Simon Doux, mémoire cité, p. 95-107 et Fabrice Weissman, art. cité.

425

224

Envoyées à la frontière sierra léonaise pour interrompre le soutien
de Taylor à sa filiale du RUF, les troupes de Dakar sont attaquées
par le NPFL. Six militaires sénégalais sont tués. L'accrochage
entraîne un repli général de leur contingent sur Monrovia, durant
l'été 1992 426, puis son rapatriement en décembre. L'engagement
sénégalais, on s'en doute, a provoqué quelques nuages entre Dakar
et l'axe Paris-Abidjan, où l'on considérait l'EcoMoG « comme un
complot anglophone » et où l'on estimait que « l'incorporation du
Sénégal dans l'EcoMoG avait affaibli la solidarité
francophone 427» autour de Taylor.
Le Nigeria toutefois ne s'est pas contenté de subir. Incapable,
dans l'EcoMoG, de lutter avec les mêmes armes que Taylor, il a
largement aidé en sous-main certaines factions rivales du NPFL, à
commencer par l'ULIMO. Celles-ci, en harcelant les forces de
Charles Taylor, l'ont poussé, ainsi que ses parrains françafricains,
vers une issue « honorable » : un raccommodage de l'État libérien
qui entérine le succès de l'entreprise taylorienne, tout en ménageant
certains intérêts nigérians plus ou moins avouables et en sauvant la
face diplomatique des puissances régionales 428. Une fois ce
compromis passé, vers la mi-1995, l'EcoMoG et le NPFL sont
devenus carrément alliés contre les prédateurs de second rang.
Mais il a encore fallu deux ans pour sortir, difficilement, du
régime des factions.
Tout serait-il pour le mieux ? Le nouveau président Charles
Taylor a demandé aux Libériens de lui pardonner. Mais, selon le
quotidien Punch 429, environ sept cents Nigérians étaient détenus en
novembre 1997 à Monrovia dans des « containers transformés en
cellules ». Cinquante d'entre eux seraient morts de faim.
Entre-temps, sous la botte du général Sani Abacha, le Nigeria
s'est enfoncé dans la dictature. Sur fond d'exploitation pétrolière
426

. Idem, p. 102-103.
. Robert A. Mortimer, Senegal's Role in EcoMoG : the Francophone Dimension in the
Liberian Crisis (Le rôle du Sénégal dans l'EcoMoG : la dimension francophone de la crise
libérienne), in The Journal of Modern African Studies, 06/96, p. 304.
428
. Mais non celle de l'ONU, qui a fait étalage de son impuissance et s'est discréditée par sa
« gesticulation humanitaro-politique ». Cf. Fabrice Weissman, art. cité.
429
. Cité par Afrique-Express du 27/11/97.
427

225

sauvage, la pendaison en 1995 du leader des populations Ogoni,
Ken Saro-Wiwa, et de ses compagnons, a suscité une telle
réprobation que le régime a été mis à l'index du Commonwealth.
Choyé par Elf, le dictateur s'est cherché de nouveaux amis. Il a
participé au sommet franco-africain de Ouagadougou, les 6 et 7
décembre 1996. Jacques Chirac a été le premier chef d'Etat
occidental à le rencontrer depuis l'exécution des chefs Ogoni. Le
général Abacha a fait transférer de Londres à Paris le siège
européen de la société nationale des pétroles nigérians, la NNPC un must de la corruption 430. Et il ne tarit plus d'éloges sur l'attitude
française envers l'Afrique, « profondément enracinée » dans un
respect et un intérêt mutuels... 431. Il est des éloges moins funèbres.
Cet accès de francophilie musclée va de pair avec le retour au
premier plan de l'ancien président du « Biafra », l'ex-colonel
Emeka Ojukwu. Leader imposé aux populations du Sud-Est
nigérian, il a été le principal concepteur, en 1994, du programme
politique du général Abacha. En 1996, son fastueux (re)mariage
dans la capitale fédérale Abuja a été sponsorisé par le
gouvernement fédéral. Puis il a entrepris une tournée mondiale de
promotion de la junte nigériane 432. La gestion militaire des affaires
pétrolières lui semble toujours la meilleure. Un point de vue
entièrement partagé par Elf et l'état-major français.

430

. Cf. Afrique-Express, 10/04/97.
. D'après Afrique-Express, 15/01/98.
432
. Informations fournies le 31/01/98 par l'universitaire nigérian Adepelumi Adekunle
Abraham.
431

226

La dimension africaine du conflit libérien est incontestable, et
l'on a vu que les Africains engagés dans ce conflit n'étaient pas des
enfants de choeur. Les factions européennes qui ravagèrent jadis
l'Occident chrétien au long d'une guerre de Cent ans ne l'étaient pas
davantage. Mais la Françafrique des trafics inavouables, des
liaisons mafieuses et du complexe de Fachoda a désiré cette guerre
civile. Puis elle l'a nourrie. Le couple Foccart-Houphouët a enfanté
une monstruosité sans visage.
Jacques Foccart écrira un jour : « Par sa culture, par sa
perception des hommes, par son bon sens et par l'amitié qu'il m'a
prodiguée, Félix Houphouët-Boigny est un des êtres à qui je dois
le plus. Sans lui, je n'aurais pas réalisé tout ce qu'on voudra
reconnaître que j'ai fait de meilleur, et peut-être ne serais-je pas
exactement qui je suis 433». Et le pire ?

433

. Foccart parle, I, p. 469.

227

9.
Macédoine pro-mobutiste 434

L'épopée zaïroise (1994-97) est le lugubre couronnement de
l'oeuvre de Jacques Foccart. Elle commence par la remise en selle
du maréchal Mobutu, en parfaite harmonie avec François
Mitterrand déjà très diminué, puis avec Jacques Chirac lié au
maréchal par d'anciennes familiarités 435.
Le président zaïrois a fait échouer le processus de
démocratisation - la Conférence nationale souveraine - en
déchaînant ses troupes dans les rues de Kinshasa. Officiellement,
il est un paria, placé en quarantaine par la « troïka » de ses
principaux interlocuteurs occidentaux : les États-Unis, la
Belgique et la France. Le 28 janvier 1993, ses Forces
d'intervention spéciales assassinent l'ambassadeur de France
Philippe Bernard 436.
Tollé français ? A peine une protestation. Paris a besoin de
Mobutu pour garder le pays et l'accès à ses fabuleuses richesses.
D'autant qu'à l'Est, dans la région des Grands lacs, les tempêtes
se lèvent. Le dinosaure zaïrois reste une pièce maîtresse du jeu
français en Afrique centrale. Enfreignant le boycott du clan
Mobutu, les réseaux Pasqua et Foccart multiplient les contacts.
434

. Comme le suivant, ce chapitre reprend et réagence certains éléments que j'ai établis pour
le Dossier noir de la politique africaine de la France n° 9 : France-Zaïre-Congo, 19601997. Échec aux mercenaires, Agir ici et Survie/L'Harmattan, 1997.
435
. Selon l'ancien agent de Mobutu, le « repenti » Emmanuel Dungia, dont les affirmations
n'ont pas été démenties : « Depuis de nombreuses années déjà, Chirac a ses entrées
discrètes chez le Maréchal. Il ne rate aucune occasion de se rendre au n° 20 de l'avenue
Foch [la luxueuse résidence parisienne de Mobutu], [...] lors de chaque séjour du Guide,
dont il a presque adopté l'une des filles. [...] En mars 1988, lors d'un séjour à Nice, le
Guide charge son Conseiller Spécial Nkema Liloo de remettre en mains propres à M.
Chirac cinq millions de francs français, à titre de contribution personnelle à son budget
électoral » (Mobutu et l'argent du Zaïre, Révélations d'un diplomate, ex-agent des
Services secrets, L'Harmattan, 1993, p. 11 et 15).
436
. Par dépit de n'avoir pas trouvé à l'ambassade le leader de l'opposition Étienne
Tshisekedi, qui y avait rendez-vous. Celui-ci avait été prévenu et évacué par une
ambulance... envoyée par l'ambassadrice américaine.

228

Le 16 octobre 1993, François Mitterrand accepte de recevoir le
maréchal en marge du Sommet francophone de l'île Maurice.
Le mois suivant, Foccart envoie son adjoint Fernand Wibaux
en mission exploratoire à Gbadolite, la résidence-capitale de
Mobutu. Puis, en avril 1994, il fait lui-même le voyage jusqu'au
Versailles de la jungle.
Il n'est pas possible de comprendre l'effondrement du
mobutisme, ni l'effet de cette chute sur l'image de la France en
Afrique, sans mesurer à quel point Mobutu avait rejoint sa propre
caricature 437. L'excès de pillage et la corruption sans limites ont
délabré le pays, rongé son armée, et finalement paralysé
l'indéniable génie politique du maréchal - sa façon inimitable de
générer le chaos et de lui surnager.
Commençons par le pillage - presqu'incommensurable 438.
Malgré son incroyable train de vie, Mobutu est devenu l'un des
dix hommes les plus riches du monde 439. Inversement, les

437

. Rappelons ce mot de Philippe Madelin : « Tout ce qui a été dit et écrit à propos du
président zaïrois est vrai. La réalité est même pire et plus dérisoire encore » (L'or des
dictatures, Fayard, 1993).
438
. Cf. Dossiers noirs n° 1 à 5, op. cit., p. 82-85.
439
. Avant d'être en partie dépouillé par les membres de sa famille et de sa belle-famille, par
les généraux « diamantaires » Nzimbi et Baramoto, par Séti Yale, et quelques autres
intermédiaires ou prête-noms. Cf. Colette Braeckman, Mobutu, un pauvre vieil homme
riche, in Le Soir du 13/05/97.

229

Congolais sont devenus le peuple le plus pauvre de la planète 440.
En 1965, lorsque Mobutu prit le pouvoir, le niveau de
développement du Zaïre équivalait à celui de la Corée du Sud...
Diverses enquêtes le confirment 441, la fortune de Mobutu
atteignait jusqu'au début des années quatre-vingt-dix au moins 40
milliards de francs 442. Un exemple : en 1978, l'entreprise d'État
Gécamines, géant du cuivre et du cobalt, a dû virer sur un compte
présidentiel la totalité de ses recettes à l'exportation, de l'ordre du
milliard de dollars. De même, observe un professeur zaïrois,
« l'exploitation de l'or fin ou du diamant n'a jamais été
considérée comme une activité nationale, mais une activité
privée au profit du seul Mobutu 443». Les comptoirs diamantaires
du Kasaï étaient tenus par les hommes liges, libanais pour la
plupart, de son fils Kongolu.
Les dernières années, dans un contexte économique et politique
de plus en plus dégradé, le pillage s'est doublé d'une intense
activité criminelle : trafic d'or et blanchiment d'argent sale, fauxmonnayage. A Kinshasa, on évaluait à plus de 2 milliards de
dollars les profits du circuit zaïrois de blanchiment des narcodollars : il suffit d'acheter en espèces les diamants mis à jour par
la multitude des creuseurs, puis de les revendre sur le marché très
particulier de cette pierre précieuse 444.
Si, malgré tout, Mobutu avait moins de facilités sur la fin - on a
parlé d'un cash crunch 445, une crise de liquidités -, c'est que sa
cour ou son clan, son millier de cousins, fidèles, courtisans ou
« conseillers », lui coûtaient quelque 2 milliards de francs par an.
440

. Passant très probablement en 1996 derrière les Mozambicains et les Éthiopiens, plus
démunis qu'eux en 1993 (derniers chiffres connus). Ils sont « concurrencés » cependant par
les Sierra Léonais.
441
. Cf. entre autres Jimmy Burns et Mark Huband, Financial Times du 12/05/97 (traduit
dans Le Monde du 18/05/97) ; Gilles Delafon, Les 40 milliards du Léopard, in Le Journal
du Dimanche du 18/05/97 ; Marc Roche, L'essentiel des avoirs du dictateur déchu se
trouverait en Afrique du Sud, in Le Monde du 21/05/97.
442
. En 1993, la moitié de cet argent était placé en Suisse. Depuis, une bonne partie a migré
sous d'autres cieux - sud-africains, ibériques ou latino-américains, par exemple.
443
. Gilles Perrin, Mobutu a mis le Zaïre a genoux, in La Vie du 15/05/97.
444
. Cf. François Misser et Olivier Vallée, Les gemmocraties : l'économie politique du
diamant africain, Desclée de Brouwer, 1997.
445
. James Rupert et David B. Ottaway, Mobutu's Newest Woe : Cash Crunch (Encore un
nouveau malheur pour Mobutu : la crise de liquidités), Washington Post, in International
Herald Tribune du 07/04/97.

230

Sa fortune n'en restait pas moins colossale 446, au regard surtout
du dénuement zaïrois.
Car il faut considérer l'envers de la médaille, ainsi résumé par
Colette Braeckman :
« Une économie détruite, des infrastructures sur lesquelles la
brousse a triomphé, des villes pantelantes, un peuple
abandonné à lui-même et qui a retrouvé les grandes endémies
qui terrorisaient les coloniaux belges, ce gigantesque gaspillage
de ressources matérielles n'est cependant rien au regard du
gâchis humain. Car le dictateur a aussi dévoré les hommes. [...]
Générations d'intellectuels [...] dévoyés, récupérés par le
pouvoir ou laissés en friche, dans la misère morale et
matérielle.
Qui fera jamais le compte des enfants privés d'école, des filles
obligées de se prostituer pour vivre [...] ? Qui recensera jamais
ces "anti-valeurs" qui ont durant trente ans imprégné le
quotidien du Congo-Zaïre ? La vénalité, le mensonge, la
cruauté avec les pauvres et l'obséquiosité à l'égard des
puissants 447».

446

. Entre 23 et 39 milliards de francs selon William Drozdiak, Search for Mobutu's
Wealth Centers on Switzerland (A la recherche des sièges de la fortune de Mobutu en
Suisse), Washington Post, in International Herald Tribune, 27/05/97. Une fortune
masquée par un « vaste réseau d'entreprises fictives et de faux noms ».
447
. Trente ans pour abattre le décor de l'histrion qui voulut être roi, in Le Soir du
20/05/97.

231

Il fallait tricher, flatter, s'aplatir pour survivre. Il fallait y
exceller pour s'enrichir. Mobutu s'est payé, en quelque sorte, la
dignité du peuple congolais - qui mettra un certain temps à s'en
remettre.
Tout cela ne troublait guère l'« intéressé » : « Depuis le temps
que je m'esquinte à son service, je ne dois rien au peuple, c'est
lui qui me doit 448», déclarait-il, superbe. Tant d'autres aussi n'ont
pas été gênés : tous ceux qui ont supporté Mobutu et profité de ses
largesses. Cela inclut tous les présidents de la République
française depuis deux décennies, personnellement ou via leurs
coteries 449, c'est-à-dire tout le spectre des partis « de
gouvernement » (sic).
La réhabilitation de Mobutu est scellée fin avril 1994, en plein
génocide rwandais. Prolongeant une complicité nouée dès 1970,
lors d'une fructueuse visite de l'ex-Congo belge 450, Jacques Foccart,
on l'a dit, se rend à Gbadolite pour une rencontre au sommet.
Accompagné par deux de ses principaux disciples, l'avocat Robert
Bourgi et l'ancien ministre Michel Aurillac, il retrouve auprès du
maréchal les représentants des lobbies pro-Mobutu américain et
belge, Herman Cohen et Max-Olivier Cahen 451. Le mois précédent,
ces deux-là plus Robert Bourgi ont signé avec Mobutu un contrat
de « communication politique » de 600 000 dollars 452. Le scénario
suivant est adopté : on consolide le régime Mobutu politiquement
et financièrement, par l'annonce d'une élection présidentielle (sur
448

. Propos cité par Colette Braeckman, Un pouvoir bâti sur le pillage et la manoeuvre, in
Le Soir du 18/05/97.
449
. Pour Valéry Giscard d'Estaing et sa famille, cf. France-Zaïre-Congo, op. cit. p. 39. Pour
François Mitterrand, son fils Jean-Christophe et l'ami Jeanny Lorgeoux, cf. Dossiers noirs n°
1 à 5, op. cit., p. 89-90. Pour Jacques Chirac, cf. Emmanuel Dungia, Mobutu et l'argent du
Zaïre, L'Harmattan, 1993, p. 11 et 15 ; pour Robert Bourgi et le réseau Foccart, au service de
Jacques Chirac, cf. Antoine Glaser et Stephen Smith, Ces messieurs Afrique, II, op. cit.,
p. 33-63.
450
. Les contacts qui s'en suivront déboucheront sur la couverture des investissements français
au Zaïre par une assurance publique, la Coface (Foccart parle, II, p. 183-184). Les
contribuables français devront éponger les conséquences de cette décision, qui aiguisera
d'énormes appétits. A commencer par celui de Dassault, le vendeur de Mirage !
451
. Cf. Gérard Prunier, Rwanda, le génocide, Dagorno, 1997, p. 377-378.
452
. Et ça fait 200 000 dollars pour le réseau Foccart, dont Robert Bourgi est en quelque sorte
le fondé de pouvoir. Cf. Antoine Glaser et Stephen Smith, Ces messieurs Afrique, II, op. cit.,
p. 48-52.

232

mesure) et la réinsertion du Zaïre dans les circuits financiers
internationaux ; le business se ranime ; on invite Mobutu au
Sommet franco-africain de Biarritz, en novembre ; les coûteux
faiseurs d'image claironnent le maréchal nouveau ; ainsi conforté,
le chef à la toque de léopard redevient un rempart contre les visées
panafricaines de son ennemi le leader ougandais Yoweri Museveni,
allié au Front patriotique rwandais (FPR).
Le Rwanda inquiète. L'ami Habyarimana vient de périr dans son
avion abattu. Son clan commet un génocide, en oublie de se battre,
et se fait chasser par le FPR. Malgré la gêne de la cohabitation
Mitterrand-Balladur, l'opération Turquoise est décidée mi-juin,
quasiment à l'unanimité. Entre autres avantages, elle fait gagner
plusieurs mois dans la mise en place du scénario de Gbadolite. En
choisissant de déployer autour de Goma, en territoire zaïrois, sa
logistique militaro-humanitaire, puis en laissant s'y installer les
camps de réfugiés rwandais, Paris peut démontrer à quel point
Mobutu est indispensable.
En 1995, Foccart le reçoit dans sa villa de Cavalaire. Le 19
juillet, étrennant la résidence d'été présidentielle de Brégançon,
Jacques Chirac téléphone longuement au maréchal 453. Le 24 avril
1996, il reçoit l'ex-paria à l'Élysée, en dehors de tout agenda
officiel. Le 19 juillet, son ministre de la Coopération Jacques
Godfrain, proche de Foccart depuis 1968, fait à son tour le
pèlerinage de Gbadolite. Il annonce au maître des lieux le couronnement de sa réhabilitation : la reprise officielle de la coopération
franco-zaïroise 454. Pendant ce temps, le pillage du pays s'exacerbe.
La diarrhée des planches à vrais et faux billets s'accélère, réduisant
à presque rien la valeur des « Nouveaux Zaïres ».
Godfrain ajoute : « S'il y avait des élections aujourd'hui,
Mobutu serait sans doute largement élu ». Évidemment : le
maréchal aurait tous les moyens de fausser le scrutin, et d'éliminer
ses concurrents... Il est d'ailleurs sur la même longueur d'onde que
le ministre français : « Il nous faut des élections présidentielles le
453

. D'après La Lettre du Continent du 21/09/95.
. Officialisant une alliance dont on pouvait lire les fondements « stratégiques » dès janvier
1994, dans le périodique duvaliériste Lumières noires.
454

233

plus tôt possible. Je suis candidat. Le seul pour le moment ! ».
Admiratif du savoir-faire de la coopération électorale française au
Gabon, au Tchad ou au Niger, il précise : « Je souhaite que la
France ait un rôle prépondérant dans l'organisation des
scrutins 455»...
Côté militaire, le protéiforme Paul Barril, ex-supergendarme de
Mitterrand devenu proche de Pasqua et Chirac, apporte à Mobutu
les conseils et services de sa société privée de sécurité, Secrets 456.
Avec, en prime, une déclaration d'« amour » dans Playboy :
« J'aime beaucoup le maréchal. Il est sûr qu'il y a de la
corruption au Zaïre, mais elle est surtout autour du maréchal,
qui ne peut pas, personnellement, tout contrôler. Je pense que le
fond de l'homme est infiniment bon. [...] La pâte est bonne [...].
Je n'ai pas la preuve que Mobutu ait commandité le moindre
assassinat. Je vous le redis, cet homme va à la messe tous les
jours. [...] J'espère de tout coeur, pour le Zaïre, que le maréchal
sera réélu [...] sans aucune contestation possible 457».

455

. Citations reprises du Figaro, 28/07/96. Parmi les candidats à l'organisation, on retrouve
l'acolyte pasquaïen Jean-Dominique Taousson, à la tête de la société CML International (cf.
Bongo reçoit au Crillon, in La Lettre du Continent du 18/05/95).
456
. D'après Stephen Smith, La France reste vigilante, in Libération du 05/11/94.
457
. Playboy, mars 1995.

234

235

Les temps deviennent difficiles, le déclenchement de la guerre au
Kivu est pour septembre 1996. Le lobby militaire réactive les
bonnes vieilles méthodes. Déjà, l'ex-Directeur de la DGSE,
Claude Silberzahn, avait expliqué 458 comment circonvenir
chercheurs et journalistes. Concurrente de la DGSE, la DRM
(Direction du renseignement militaire) crée un « Bureau d'action
psychologique », placé sous l'autorité directe du chef d'état-major
des armées. La France est parée pour la couverture des
événements en Afrique centrale 459 - qui ne sont donc pas forcément
ce qu'on en a lu.
Les ennemis de ses ennemis étant ses amis, la Françafrique a
choisi de soutenir les offensives du régime massacreur de
Khartoum contre le SPLA, la rébellion sud-soudanaise de John
Garang, elle-même appuyée par l'Ouganda. A partir du printemps
1994, le soutien français à Mobutu et au Hutu power accroît très
fortement les risques d'une confrontation entre le Zaïre d'une part,
l'Ouganda et le Rwanda de l'autre. Dès lors, la triplice FranceZaïre-Soudan devient une évidence. Promue par le ministre d'État
Charles Pasqua, elle reçoit la pleine adhésion de François
Mitterrand et l'assentiment de Jacques Foccart 460.
Les militaires n'avaient pas attendu pour la mettre en place. Les
services secrets des trois pays multipliaient les échanges
d'informations et de bons procédés contre l'Ouganda, le FPR et le
SPLA. Dès février 1994, ils avaient obtenu pour les troupes
gouvernementales soudanaises un droit de passage par le nord-est
du Zaïre, dans une tentative d'encerclement de la résistance sudsoudanaise 461.
En France, l'alliance avec le peu recommandable régime
soudanais fut révélée en août 1994, à l'occasion de la livraison par
Khartoum de l'ancien terroriste Carlos. La presse publia alors les
458

. Dans Au coeur du secret, Fayard, 1995, p. 95-97.
. D'après Brigitte Rossigneux, Quand la presse en balade à Kourou se fait balader par
l'armée, in Le Canard enchaîné du 08/01/97.
460
. Cf. France-Zaïre-Congo, op. cit., p. 59-62.
461
. Cf. Stephen Smith, Matignon protège le Premier ministre zaïrois contre Mobutu, in
Libération du 07/11/94.
459

236

éléments du deal conclu, sous le couvert de Charles Pasqua, par
son « chargé de mission » Jean-Charles Marchiani et par celui
qui, à l'époque, jouait les proconsuls en Afrique centrale, le
colonel Jean-Claude Mantion : on les a exposés plus haut. Si l'on
finit par tant en savoir sur ces peu avouables relations francosoudanaises, c'est que s'y mêle une guerre des services : la DST,
vouée en principe à la « sûreté du territoire » français, y a, au
prétexte de l'islamisme, déployé un activisme débordant, marchant
allègrement sur les pieds de la DGSE. Elle a notamment inspiré la
réorganisation de la Sécurité générale soudanaise. Elle a veillé à
faire équiper la Sécurité extérieure d'un matériel français de
communication et d'écoutes téléphoniques 462. Nous retrouverons
plus loin la DST - décidément à l'écoute de cette région du
monde -, à propos des mercenaires.
Signalons enfin que les sympathies françafricaines envers le
pouvoir soudanais ne sont pas étrangères au fait que Washington
l'a pris en grippe. Les États-Unis lui reprochent son soutien au
terrorisme jusque sur le sol américain et ses manoeuvres de
déstabilisation chez ses nombreux voisins, par guérillas
interposées. Ils ont fait du renversement de ce régime leur objectif
prioritaire en Afrique de l'Est 463. Ils ne se cachent pas d'armer
l'opposition soudanaise, via l'Érythrée, l'Éthiopie et l'Ouganda qui répliquent ainsi aux guérillas islamistes soutenues par
Khartoum.
Laissant de côté les guérillas activées par le Soudan contre ses
voisins érythréens et éthiopiens, il faut un peu s'attarder

462

. D'après Stephen Smith, La France aux petits soins pour la junte islamiste au Soudan,
in Libération du 12/01/95.
463
. Cf. Jean-François Bayart, interview au Nouvel Observateur du 15/05/97.

237

aux trois mouvements armés que Paris et Khartoum poussent
contre le régime ougandais. Ces trois guérillas opèrent en effet
dans la zone interfrontalière Zaïre-Soudan-Ouganda. Elles ont été
directement ou indirectement concernées par la guerre du Kivu. Et
elles illustrent les « choix de la France » dans cette région.
La plus ancienne est la LRA (Lord's Resistance Army), l'Armée
de la résistance du Seigneur. Cette résurgence d'une rébellion
millénariste suscitée en 1987 par la prêtresse Alice Lakwena est
dirigée par Joseph Kony. Elle réclame un gouvernement
« conforme aux principes de la Bible ». Laissons l'africaniste
Gérard Prunier la présenter :
« On les appelle toujours dans la presse des "intégristes
chrétiens". Or ce sont des gens complètement déglingués [...].
Leur manie, c'est de tuer les instituteurs, les cyclistes et les
vieillards. [...] Avec cet espèce de syncrétisme [...], ils ont
recruté beaucoup de monde à partir du moment où les
Soudanais leur ont donné des armes, de l'argent et de la
nourriture. Il y a énormément de chômage rural au nord de
l'Ouganda, et Museveni est cordialement détesté par la tribu de
la région. La LRA, dont les effectifs étaient redescendus à 200
ou 300 hommes en 1993, les a fait remonter à facilement 5 000
hommes, grâce à un recrutement récent 464».

La seconde guérilla est le Front de la rive ouest du Nil (West
Nile Bank's Front, WNBF), dirigé par Juma Oris. Elle est menée
par des minorités musulmanes à tradition guerrière, des Aringa,
des Kakwa (la tribu de l'Ubu ougandais Idi Amin Dada), ou
encore des Noubi, descendants des esclaves de l'armée égyptosoudanaise du XIXème siècle, dont beaucoup ont combattu avec le
tristement célèbre Idi Amin 465.

464

. Conférence du 11/02/97 à la Fondation Médecins sans frontières.
. Cf. Gérard Prunier, ibidem.

465

238

Une troisième guérilla a surgi plus tardivement, à la frontière
Zaïre-Ouganda : les Forces démocratiques alliées (FDA).
Laissons encore Gérard Prunier la décrire :
« Cette guérilla totalement surréaliste est un mélange de trois
éléments hétéroclites : des Hutus de l'ex-armée rwandaise,
remontant des camps près de Goma au moment du grand retour
des réfugiés en novembre ; des gens de la secte musulmane
transethnique Tablek, qui se battent contre les musulmans avec
lesquels ils ne sont pas d'accord ; et des Bakonjo, une ethnie
ougandaise qui vit sur les pans du mont Ruwenzori, en lutte
contre le gouvernement central ougandais depuis 1952, avant
l'indépendance.
Ils
revendiquent
leur
autonomie
administrative [...]. Cela fait 40 ans qu'ils se battent contre tout
le monde : les Anglais, Idi Amin, Obote, Museveni. Comme ils
ont l'habitude de se battre, les Zaïrois les ont contactés pour leur
proposer des armes et de l'argent, ce qu'ils ont bien évidemment
accepté.
Les FDA, c'est la synthèse harmonieuse entre des islamiques
musulmans, des génocidaires hutus et des Bakonjo [...]. S'ils ont
une ligne politique, personne ne l'a jamais devinée 466».

Moins difficile à deviner, le potentiel de nuisance de ces trois
mouvements armés n'est pas resté inexploité :
« Ces guérillas ougandaises qui opèrent au sud-Soudan et au
nord du Zaïre se rejoignent dans la région de Kaya. Cet endroit
est intéressant, car c'est le lieu où transitent les armes, y
compris celles payées par les Français. Car les Français
trempent leurs mouillettes dans cet oeuf pourri et il y a des
armes qui transitent par la République centrafricaine.

466

. Idem.

239

Évidemment, ce ne sont pas des armes françaises, mais des
armes achetées comme d'habitude dans le bloc de l'Est. On ne
sait pas par qui, mais on est sûr qu'elles transitent par le
territoire français - parce que la République centrafricaine, c'est
un territoire français. Cela passe ensuite par le nord du Zaïre et
va sur Kaya pour la LRA 467».

Ainsi, quand un diplomate européen 468 observe que « les 4 000
soldats de la LRA sont aujourd'hui très bien équipés, avec des
treillis neufs, une arme pour chaque homme, des lance-roquettes
et des mines à volonté », on sait que ce n'est pas le Soudan, au
bord de la banqueroute, qui paye, ni la Norvège...
Et l'on ne s'étonne pas que, fin 1996, le chef des mercenaires de
Mobutu, Christian Tavernier, ait d'abord rassemblé ses 284
hommes dans le cul-de-sac de Watsa au nord-est du Zaïre : il
fallait essayer de maintenir le « canal de livraison » CentrafriqueZaïre-Soudan
« pour
les
guérillas
ougandaises 469».
Apparemment, Paul Barril traquait les circuits d'approvisonnement adverses. Officiellement, sa société privée était chargée de
la sécurité du président centrafricain Patasse. Sous ce couvert, il
a, dit-il, « organisé la lutte contre les braconniers à la frontière
soudanaise. Il y a en effet des guérillas dans cette région où
coule l'argent de la CIA ». Le « en effet » montre que ces
« braconniers » n'étaient pas de simples boucaniers 470.
Mais là n'est pas la pièce maîtresse du front pro-mobutiste que
tente de constituer Paris : ce sera la résurgence du Hutu power.
Guy Penne qui fut, de 1981 à 1986, le premier pilote de la
« cellule africaine » de François Mitterrand, observe pourtant :

467

. Idem.
. Cité par La Croix du 14/05/96.
469
. Gérard Prunier, Conférence du 11/02/97.
470
. Guerres secrètes à l'Élysée, Albin Michel, p. 117.
468

240

« En 1994, lors de l'opération Turquoise après le génocide au
Rwanda, les autorités françaises avaient là l'occasion rêvée de
faire le ménage dans la région des Grands lacs. [...] Elles ont
permis au contraire la fuite des miliciens, des ex-Forces armées
rwandaises qui tenaient en otage des centaines de milliers de
réfugiés, et provoqué ainsi ce qui se passe aujourd'hui 471».

Même un ancien « Monsieur Afrique » de l'Élysée peut en venir,
rétrospectivement, à parler d'or. Il est des journalistes qui font
preuve, eux, d'un sens assez étonnant de l'anticipation. Observant
l'exode de plus d'un million de personnes vers le Zaïre, au début
de l'été 1994, sous la houlette du Hutu power, Jean-Philippe
Caudron pressent :
« En organisant l'exode, donc en vidant le pays, les
extrémistes aujourd'hui vaincus espèrent rendre impossible la
politique de Paul Kagame. En établissant des bases arrières de
guérilla sur le territoire de leur ami et complice Mobutu, ils
comptent déjà harceler leur vainqueur et peut-être le déstabiliser
un peu plus tard. Ils ne craignent pas la pauvreté. [...] 20 000
tonnes de café [...] ont été transférées au Zaïre [...]. Une manne,
estimée à 50 millions de dollars, pour l'ex-gouvernement
rwandais. De quoi alimenter la haine et la reconquête si les
grandes puissances et l'ONU ne veillent pas au grain. En
auront-elles la volonté politique ? [...]
Le Rwanda n'intéresse personne. Certes, les images de l'enfer
de Goma ont tellement traumatisé les opinions publiques que
quelques gouvernements occidentaux se sont enfin réveillés,
mais, notons-le, après les tueries et

471

. Interview à La Croix du 18/04/97.

241

après le début de l'épidémie de choléra. Trop tard donc pour les
victimes. Mais alors, quel avenir pour les survivants ? Une
seule réponse : si ces mêmes gouvernements veulent empêcher
une nouvelle guerre de revanche, ils doivent donner mandat à
l'ONU de veiller à la sécurité des personnes dans le Rwanda
gouverné par le FPR et de briser dans l'oeuf la reconquête
sanglante dont rêvent les fascistes tropicaux 472».

C'est exactement ce qu'ils n'ont pas fait. Certains pays, dont la
France et le Zaïre, contribueront activement à fourbir la « guerre
de revanche ». Les autres préféreront payer (cher) une politique
de l'autruche. En infraction avec ses propres conventions 473, la
« communauté internationale » laisse s'installer durablement les
camps de réfugiés à proximité immédiate de la frontière, sous la
coupe idéologique et policière du Hutu power. Patrick de SaintExupéry, qui effectua sur le génocide de 1994 des reportages
d'une rare qualité, a repris trente mois plus tard le fil de cette
histoire :
« Cette masse d'hommes, de femmes et d'enfants était arrivée
encadrée, les responsables du massacre des Tutsis s'étant glissés
parmi eux. Les coupables entendaient profiter du "sanctuaire
humanitaire" pour préparer la revanche.
Très rapidement, les "génocideurs" reconstituèrent leurs
structures. Avec trois objectifs : garder la population des camps
sous contrôle ; saper la crédibilité du nouveau pouvoir de
Kigali ; reconquérir le Rwanda... [...]
L'ancienne armée rwandaise se charge d'assurer la "sécurité
des réfugiés". Ce qui suppose la création d'un service de
renseignements. A l'issue d'une réunion du

472

. Qui sont les vainqueurs de Kigali, in La Vie du 28/07/94.
. Qui obligent à éloigner des frontières les camps de réfugiés.

473

242

27 janvier 1995, [un] officier écrit [...] : "Travail en discrétion,
surtout dans l'élimination éventuelle des agents FPR ;
collaboration avec les autorités zaïroises et les ONG [...].
Après six mois d'exil, le peuple et son armée sont décidés à
rentrer au pays. Un ou plusieurs alliés sont disposés à nous
fournir du matériel de guerre. Le Zaïre nous permet des
mouvements sur son territoire. Il ferme les yeux". [...]
La guerre de l'ombre se mène à tous les niveaux, dans les
camps, mais aussi [...] au Rwanda. Extrait d'un rapport
dactylographié sur les "tactiques d'intimidation" : "Il faut faire
savoir au bourgmestre hutu actuellement au Rwanda qu'on a même si ce n'est pas le cas - des dossiers noirs sur nos ennemis.
Il faudra ensuite leur annoncer par tract anonyme la date de
leur exécution".
En somme, il s'agit de couper le régime de Kigali, dominé par
les Tutsis, de la population hutue qui est restée au pays. Il faut
que ce régime ait la réputation d'un pouvoir raciste 474».

Les humanitaires se trouvent pris au piège de l'absence de
décision politique, comme l'explique le président de Médecins
sans frontières (MSF), Philippe Biberson :
« L'administration gouvernant les camps avec une efficacité
certaine est une reconstitution fidèle de celle qui a présidé au
génocide, la "police" et la "justice" dans ces camps sont aux
mains de cette même administration pratiquant menaces, exactions, exécutions sommaires, manipulations de foules. [...] Travailler dans les camps est une nécessité pour la survie des personnes, mais c'est aussi conforter la logique qui les a créés, c'est
renforcer, en les isolant, la peur et la haine. C'est alimenter, par
la ségrégation totale qui y règne, l'idée de pureté ethnique 475».

La section française de MSF finira par se retirer des camps.
D'autres s'interdisent ce choix. « Mon équipe, constate la HautCommissaire aux réfugiés Sadako Ogata, a dû continuer de
474

. Patrick de Saint-Exupéry, Zaïre : deux ans sous la loi des milices hutues, in Le Figaro
du 20/11/96.
475
. Messages de novembre 1994. Cité par Colette Braeckman, Terreur africaine. Burundi,
Rwanda, Zaïre : les racines de la violence, Fayard, 1996, p. 306-307.

243

nourrir des criminels : c'était le prix à payer pour pouvoir
nourrir des centaines de milliers de femmes et d'enfants
innocents 476».
Plusieurs fois, en vain, elle a demandé les moyens de séparer les
intimidateurs armés du reste des réfugiés. La solution finalement
retenue fut de faire « protéger » ces derniers par mille cinq cents
hommes de la Division spéciale présidentielle de Mobutu (la DSP
), peut-être le corps de soudards le plus honni d'Afrique. Les
troupes mobutistes, par ailleurs, étaient intervenues en 1990 au
Rwanda pour combattre le FPR aux côtés de la France et de
l'armée d'Habyarimana - les FAR (Forces armées rwandaises).
Issu de cette armée, l'encadrement militaire des camps de réfugiés
n'était donc pas vraiment l'ennemi du service d'ordre mobutiste
embauché par l'ONU...
L'assistance fournie aux réfugiés rwandais de l'est du Zaïre est
estimée au total à 2,5 milliards de dollars 477 : six milliards de
francs par an, presque le PNB rwandais ! Une bonne partie de cet
argent a été détourné. D'abord par des Zaïrois : le général
responsable de l'approvisionnement des camps n'était autre que le
beau-frère de Mobutu... 478. Puis par le Hutu

476

. Cité par Flora Lewis, Only Good Intentions : Taking Responsability for the Results, in
International Herald Tribune du 10/05/97.
477
. Selon Human Rights Watch, Zaïre. Transition, guerre et droits de l'Homme, 04/97,
p. 64.
478
. D'après Colette Braeckman, L'ONU critique le Zaïre pour avoir appuyé les miliciens
hutus, in Le Soir du 07/11/96.

244

power qui contrôlait la distribution des vivres, surestimant les
effectifs et sous-alimentant une partie des réfugiés civils. Selon le
rapport d'une Commission d'enquête de l'ONU 479, l'effort de guerre
des milices aurait été financé, en partie, par la vente des produits
de l'aide humanitaire. Le même rapport observe qu'à travers le
monde, la diaspora hutue, soutenue par certains gouvernements
hôtes, menait un effort « hautement organisé » de collecte de
fonds - et de faux-monnayage. Pendant ce temps, une « taxe de
guerre » était levée dans les camps de réfugiés.
A plusieurs reprises, le Premier ministre zaïrois Kengo wa
Dondo songea à renvoyer les réfugiés rwandais dans leur pays, ou
à les désarmer. Mais le patron restait Mobutu. Encouragé par une
France hostile au Rwanda, il décida de garder les réfugiés, contre
l'intérêt et l'avis de ses propres nationaux. Ses généraux, qui
tiraient bénéfice de l'aide humanitaire et des trafics d'armes, l'y
incitaient vivement 480 : ils se bousculaient pour aller « servir » au
Kivu, c'est-à-dire se servir et devenir riches.
Dès septembre 1994, un autre journaliste, Simon Malley, avait
parfaitement situé les deux variantes du jeu français contre Kigali.
Paver la voie de la reconquête du Rwanda par le Hutu power, ou
s'engager plus concrètement à ses côtés :
« Le problème essentiel en ce qui concerne l'avenir à court et
moyen terme de la situation au Rwanda est bien de savoir ce
que veut Paris, ce qu'il souhaite, quel jeu il joue. En fait, si la
classe politique actuellement au pouvoir est divisée, ses objectifs
sont identiques. Une forte tendance se dessine en faveur d'un
pourrissement maximum de la situation rwandaise. Cela
permettrait le retour des forces de l'ancien gouvernement et un
partage du pouvoir sous une forme ou une autre [...], éventualité
que rejettent catégoriquement les dirigeants hutus et tutsis du

479

. Rapport du 28/10/96 de la Commission sur les livraisons d'armes dans la région des
Grands lacs en violation de l'embargo du 17 mai 1994.
480
. D'après Colette Braeckman, Plusieurs pilotes pour un grand tournant africain, in Le
Soir du 20/05/97.

245

FPR, qui ne sauraient cohabiter avec les massacreurs d'un
million de Rwandais.
Une autre tendance, encore plus radicale, pense que le
gouvernement devrait considérer le Zaïre comme base arrière
permettant aux FAR de se réorganiser, de s'entraîner avec le
concours de la garde présidentielle de Mobutu (et, pourquoi pas,
avec des instructeurs français), de s'armer et de se refinancer
afin d'envahir le Rwanda ou de provoquer les forces du FPR, de
telle sorte qu'une riposte de ces dernières contre les bases des
FAR au Zaïre pourrait ouvrir la voie à une reconquête du
pouvoir à Kigali par les FAR et leurs alliés. Les milliards de
francs qu'un tel plan pourrait coûter ne seraient-ils pas
compensés par le retour du Rwanda dans le giron français ? 481».

Paris a effectivement oscillé entre les deux attitudes : tout en
misant sur le pourrissement de la situation provoqué par la
présence d'un million de réfugiés partiellement militarisés aux
portes du Rwanda, la France a aidé indirectement le Hutu power,
par Mobutu interposé - certains réseaux n'hésitant pas à l'aider
plus directement. Le rapport publié en mai 1995 par Human
Rights Watch (HRW) 482 était déjà édifiant. L'engagement francozaïrois aux côtés du Hutu power ne s'est pas arrêté aux livraisons

481

. Rwanda : le bilan tragique de l'opération Turquoise, in Le Nouvel Afrique-Asie,
09/94.
482
. Rwanda/Zaïre : Réarmement dans l'impunité. Le soutien international aux
perpétrateurs du génocide rwandais, 05/95. Pour de plus amples citations, cf. Dossiers
noirs n° 1 à 5, op. cit., p. 16 et 19-20.

246

françaises d'artillerie, de mitrailleuses, de fusils d'assaut et de
munitions aux génocideurs en action, en mai-juin 1994 :
« Pendant la durée de l'opération Turquoise [23 juin - 22 août
1994], les FAR ont continué de recevoir des armes à l'intérieur
de la zone sous contrôle français, via l'aéroport de Goma. Des
soldats zaïrois, alors déployés à Goma, ont aidé au transfert de
ces armes par-delà la frontière. [...]
Les forces françaises ont laissé derrière elles au moins une
cache d'armes dans la ville rwandaise de Kamembé, dans la
zone [Turquoise] [...].
Selon des officiels de l'ONU, les militaires français ont
emmené par avion des chefs militaires de premier plan, dont le
colonel Théoneste Bagosora et le chef des milices Interahamwe
Jean-Baptiste Gatete, ainsi que des troupes d'élite des ex-FAR et
des milices : une série de vols au départ de Goma les a menés
vers des destinations non identifiées, entre juillet et septembre
1994.
Selon des témoignages recueillis par HRW, des militaires et
des miliciens hutus ont continué de recevoir un entraînement
militaire dans une base militaire française en Centrafrique après
la défaite des FAR. HRW a appris de leaders hutus qu'au moins
en une occasion, entre le 16 et le 18 octobre 1994, des membres
des milices rwandaises et burundaises ont voyagé sur un vol
d'Air-Cameroun de Nairobi à Bangui, capitale de la
Centrafrique (via Douala au Cameroun), pour y être entraînés
par des militaires français. [...]
Des compagnies d'avions-cargos [...], enregistrées ou basées
au Zaïre, ont transporté la plupart des armes fournies
secrètement [...]. Ces compagnies opèrent sous contrat avec des
officiels du gouvernement zaïrois et des officiers de haut rang
des FAZ (Forces armées zaïroises), habituellement alliés au
président Mobutu. Elles ont transporté les armes de plusieurs
points d'Europe ou d'Afrique 483».

483

. HRW, Rwanda/Zaïre : Réarmement dans l'impunité, rapport cité.

247

Amnesty International a confirmé la poursuite des livraisons
d'armes au Hutu power, via Goma « une fois par semaine - les
mardi à 23 h 00 locales [...], jusqu'à la mi-mai 1995 484». En
janvier et juin 1996, deux avions-cargos russes, trop lourdement
chargés, se sont écrasés au décollage de Kinshasa : ils
participaient à la livraison de matériel militaire 485. Pour les
enquêteurs des Nations-Unies, l'aéroport de Kinshasa était la
« plate-forme » de l'approvisionnement en armes des ex-FAR,
organisé à partir du Kenya 486.
De plus, l'ex-armée d'Habyarimana gardait la disposition d'une
partie des armements (blindés AML 60 et AML 90, véhicules
dotés de mortiers de 120 mm, armes anti-aériennes, lanceroquettes, obusiers, camions militaires, etc.) que les forces
françaises de Turquoise leur avaient permis de sortir du Rwanda 487
(l'autre partie a été revendue par des officiers zaïrois).
Pendant plus de deux ans, le pouvoir mobutiste a laissé les
forces militaires et miliciennes du Hutu power s'entraîner en toute
tranquillité, dans certains camps de réfugiés militarisés ou même
dans des bases militaires zaïroises. La Commission d'enquête de
l'ONU constatait, en octobre 1996, que les miliciens, ainsi que de
« nouvelles recrues », s'entraînaient « de manière intensive » en
vue de reconquérir le Rwanda 488.
La France a conservé des contacts avec le général Augustin
Bizimungu, le chef d'état-major - inchangé - des ex-FAR. Selon
plusieurs diplomates, il a été reçu à Paris début septembre
1995 489. Un vice-consul honoraire français l'aurait encore

484

. Arming the perpetrators of the genocide (Armer les perpétrateurs du génocide),
13/06/95, p. 4.
485
. Cf. François Janne d'Othée, Les armes du crime, in Le Vif/L'Express, 15/11/96.
486
. Rapport de la Commission de l'ONU sur les livraisons d'armes dans la région des Grands
lacs, 28/10/96.
487
. HRW, Rwanda/Zaïre : Réarmement dans l'impunité, rapport cité.
488
. Rapport, cité, de la Commission de l'ONU sur les livraisons d'armes.
489
. D'après Elif Kaban, Reuter, 11/09/95.

248

rencontré vers la fin de l'été 1996, au camp de réfugiés de
Mugunga 490.
C'est là que seront retrouvées, dans un bus, les archives de
l'état-major du Hutu power. On y a découvert des factures et
bordereaux de livraison de l'entreprise Luchaire - une filiale du
groupe public français GIAT. Selon l'institut anversois Ipis, la
Fabrique nationale belge d'Herstal aurait livré quelque 1 500
kalachnikovs chinoises et roumaines aux ex-FAR. Son actionnaire
majoritaire n'est autre que le GIAT... 491.
L'avalanche d'informations et de présomptions devenait telle, en
novembre 1996, que Le Monde n'y tint plus. Soutenant alors
fortement le projet français d'une intervention militaire
internationale, il crut bon de préciser dans un éditorial 492 : « la
France doit [...] diligenter une enquête pour dissiper enfin les
graves soupçons pesant sur elle. C'est à ce prix qu'elle peut
prétendre intervenir à nouveau en toute neutralité dans la
région des Grands lacs ». Ce prix n'a pas été payé. Le
réarmement dans les camps de réfugiés rwandais du Kivu a
permis de rendre opérationnels au moins 17 000 hommes, sous le
commandement des généraux Augustin Bizimungu et Gratien
Kabiligi : une machine à bouffer du Tutsi. Mi-mars 1997, ces
tirailleurs de la Françafrique seront 6 000 à se battre en première
ligne pour la défense de Kisangani 493.

490

. Cf. le rapport, cité, de la Commission de l'ONU sur les livraisons d'armes.
. Cf. Marie-France Cros, Trafics d'armes tous azimuts, in La Libre Belgique du
19/11/96, reprenant des informations du quotidien flamand De Morgen ; et Jean Chatain,
France-Rwanda : trafics d'armes à répétition, in L'Humanité, du 21/11/96.
492
. Du 21/11/96.
493
. Selon Stephen Smith, La chute de Kisangani sonne le glas du pouvoir zaïrois, in
Libération du 17/03/97.
491

249

Après son élection en mai 1995, Jacques Chirac avait tergiversé
sur la conduite à tenir dans la région des Grands lacs africains : le
temps qu'en matière de relations franco-africaines la ligne Foccart
balaye la ligne réformatrice d'Alain Juppé 494. C'est fait en juillet
1995. Jacques Chirac choisit, en Afrique centrale, de chausser les
bottes de son prédécesseur, astiquées par la hiérarchie militaire.
De même, il laisse le lobby militaro-africaniste continuer de
choyer la junte soudanaise, après une velléité de prise de
distance 495.
L'alliance France-Zaïre-Soudan-Hutu power peut donc
prospérer. Le régime islamiste de Khartoum affiche sa volonté
d'expansion en direction des réfugiés rwandais, venus d'un pays
où la population musulmane a nettement augmenté depuis un
siècle 496. Dès la fin de l'été 1994, Mobutu avait autorisé
l'organisation caritative soudanaise, Dawa Islamyia, proche du
Front national islamique soudanais (FNI), à financer l'envoi d'une
équipe médicale dans les camps de réfugiés du Kivu. Un coup de
sonde, sans doute...
De son côté, le Hutu power rwandais coordonne de plus en plus
sa stratégie et ses actions avec celles des guérillas hutues
burundaises. Le 25 janvier 1996, l'une d'elles - les FDD de
Léonard Nyangoma - s'apprête à recevoir 15 tonnes d'armes : le
chargement, livré par avion à l'aéroport de Bukavu, sera escorté
jusqu'aux bases rebelles par des militaires zaïrois... 497
Au même moment, ceux-ci aident les miliciens hutus rwandais
dans une opération de nettoyage ethnique du plateau du Masisi, au
Nord-Kivu. Objectif : y implanter un Hutuland pro-mobutiste.
Car, à la différence des autres habitants du Kivu, les Hutus
(autochtones, immigrés ou réfugiés) ne cachent plus leur
reconnaissance au maréchal.
Lorsque, le 24 avril 1996, Chirac reçoit son ami Mobutu,
Foccart en profite pour rencontrer lui aussi longuement le
494

. Cf. Jacques Chirac et la Françafrique, Agir ici et Survie/L'Harmattan, 1995.
. Ibidem, p. 80-82.
496
. Cf. François Misser, Soudan : le Sud supplicié, Témoignage chrétien, 10/03/95.
497
. D'après La Lettre du Continent du 25/04/96.
495

250

maréchal. Mobutu est accompagné par l'un de ses principaux
partisans au « Parlement » zaïrois, Vangu Manbweni. Sitôt rentré
à Kinshasa, celui-ci déclare à la presse diplomatique : « Le
Parlement est prêt à donner son accord pour une déclaration de
guerre au Rwanda », qui cherche « à asseoir l'hégémonie angloaméricaine dans la région des Grands lacs au détriment de la
francophonie 498», tandis que se consoliderait chez les Tutsis le
« complexe d'Hitler 499».
Sans doute, par la menace d'une guerre ouverte, le clan
mobutiste espérait-il susciter un sursaut nationaliste au Zaïre
avant les élections présidentielles - prévues pour 1997. Sans doute
songeait-il qu'on n'en rajoute jamais assez dans le zèle
francophone. Il ne faudra pas six mois pour que cette déclaration
martiale lui revienne à la figure. Car, en face, une telle coalition
d'hostilités n'est pas restée sans effet : toute une partie de l'Afrique
se préparait à contre-attaquer, autour du Rwanda menacé par un
retour en force de ses génocidaires, de l'Ouganda que harcelaient
les guérillas armées par Khartoum et Paris, des Tutsis zaïrois
victimes d'une épuration ethnique, et des survivants des rébellions
lumumbistes 500. Ces deux dernières catégories allaient constituer
l'Alliance des forces démocratiques pour la libération du CongoZaïre (AFDL), sous la bannière de laquelle serait menée la guerre
du Kivu.
Contre l'Alliance de Kabila et la coalition qui la soutenait, la
Françafrique a ainsi rameuté :
- des officiers et soldats zaïrois que trente ans d'exemple
mobutiste ont, pour beaucoup, mué en soudards pillards et
violeurs ;
498

. Cité par l'AFP, 02/05/96.
. Selon Le Potentiel (Kinshasa), Le Parlement de transition n'est pas loin d'autoriser la
guerre contre le Rwanda, 06/05/96.
500
. Patrice Lumumba, leader du MNC (Mouvement national congolais), est en 1960 le
leader charismatique de l'indépendance du Congo ex-belge. Premier ministre, il est écarté au
bout de deux mois par son second au MNC, Joseph-Désiré Mobutu, qu'il avait placé à la tête
de la force publique : Mobutu était aussi appointé par la Sûreté belge et la CIA. Lumumba
est assassiné le 17 janvier 1961. Diverses rébellions ont été menées en son nom, dont une très
importante en 1964-65 - opposant déjà Bob Denard et Laurent-Désiré Kabila...
499

251

- les militaires et miliciens du génocide rwandais, et leurs alliés
burundais ;
- des restes de l'armée de l'Ubu ougandais Idi Amin Dada ;
- la LRA (Armée de la résistance du Seigneur) de l'illuminé
Joseph Kony, qui enlève les enfants du Nord-Ouganda pour en
faire ses recrues ;
- des fondamentalistes musulmans, soutenus comme les deux
groupes précédents par le régime de Khartoum (« nettoyeur » des
monts Nouba et autres contrées soudanaises) ;
- et, on va le voir plus loin, la « crème » des mercenaires blancs
européens : miliciens serbes fanatiques de l'épuration ethnique,
vieux chevaux de retour des guerres néocoloniales, « gros bras »
proches du Front national. Etc. 501.
Ce cocktail oecuménique marie curieusement certaines franges
fanatisées du catholicisme, de l'orthodoxie et de l'islam. Début
février, Gérard Prunier résumait ainsi les

501

. On a signalé la présence sur la ligne de front, en mars 1997, de soldats (ou mercenaires)
marocains. Hassan II est un vieil ami de Mobutu. Cf. Sam Kiley et Ben Macintyre, French
plan intervention force in developing struggle for Kisangani (La France prépare une force
d'intervention tandis que s'intensifie la bataille de Kisangani), The Times du 13/03/97 ;
Jacques Isnard, Deux « conseillers » américains auraient été tués aux côtés des rebelles,
in Le Monde du 29/03/97.
Tant l'Ouganda et le Rwanda que le Zaïre ont mentionné, pour la dénoncer ou s'en féliciter,
la participation aux combats de militaires togolais, aux côtés des Mobutistes.
Au printemps 1997 enfin, l'UNITA - une rébellion angolaise fortement discréditée - engagera
plusieurs bataillons : l'avancée des forces de l'AFDL (alliée au gouvernement angolais)
menaçait ses sanctuaires sud-zaïrois.

252

forces en présence : « Schématiquement, les alliés de la France,
c'est Khartoum, Kinshasa et les ex-génocideurs rwandais. Il ne
manque que le comte Dracula. De l'autre côté, les gens sont plus
efficaces. Donc, une fois de plus, la France va perdre 502». Cela
n'a pas manqué. Et elle n'a pas donné le bon exemple à ceux qui,
« de l'autre côté », ont pu être tentés de rivaliser dans l'horreur
avec « les alliés de la France ».

502

. Gérard Prunier, Conférence du 11/02/97 à la Fondation Médecins sans frontières.

253

10.
La crème des mercenaires

En septembre 1996, cela fait presque un an que le Hutu power
allié à la soldatesque de Mobutu pratique impunément au Kivu
l'épuration ethnique des Tutsis zaïrois, ceux du Masisi au Nord,
puis les éleveurs banyamulenge au Sud. Les miliciens hutus
accroissent leurs incursions au Rwanda. Les guérillas
ougandaises multiplient les fronts. Soudain, c'est la contreoffensive. En apparence, elle se limite à une vive réaction armée
des Banyamulenge. Puis, « sorti du néant de l'Histoire 503»,
apparaît Laurent-Désiré Kabila, porte-parole d'une Alliance
politique introuvable, l'AFDL. Puis des armes lourdes, une
stratégie, l'appui de pays voisins...
D'abord prise au dépourvu par l'ampleur de l'attaque, la
Françafrique se laisse vite emporter par une rhétorique de la
reconquête. Elle en escompte un jackpot politico-minier : en
sautant sur Kolwezi, en 1978, les parachutistes français avaient
durablement assuré l'influence militaire française sur le régime
Mobutu ; cette fois, avec un Mobutu affaibli, Paris pourrait
rafler la mise. L'armée zaïroise, pillée par ses propres généraux,
défaillait. Il fallait ressortir la bonne vieille recette : des
conseillers pour l'état-major zaïrois ; un fort contingent de
militaires baroudeurs, encartés ou non à la DGSE, pour les
« missions spéciales » ; un assortiment d'armements ; enfin un lot
de mercenaires pour manier les armes les plus sophistiquées et
entraîner les troupes « indigènes ». Entré en mai 1995 dans le
cabinet du ministre foccartien de la Coopération Jacques
503

. L'expression est de Frédéric Fritscher (La rébellion du Kivu risque d'accélérer
l'éclatement du Zaïre, in Le Monde du 27/11/96).

254

Godfrain, l'ancien du Katanga et du Biafra Philippe Lettéron ne
manquait pas de références en ces domaines.
Les deux premiers ingrédients (conseillers et baroudeurs
militaires) posent moins de problèmes que les deux derniers
(armes et mercenaires), qui risquent d'offusquer l'opinion
française. Ayant replacé à la tête de l'armée zaïroise l'un des rares
généraux à peu près fiables, le général Mahele, on l'entoure de
« coopérants » français, des officiers « détachés ». Cela ne peut
suffire : l'armée zaïroise est vraiment déliquescente.
« Décourageant, se plaindra l'un de ces experts français 504. Le
verrou de Bafwasende, l'aéroport d'Isiro, le pont sur la rivière
Oso : pas une ligne ne tient ».
Quant aux baroudeurs encartés, on dépêche dans l'est du Zaïre
une bonne part des commandos disponibles : ceux du 13ème RDP
(Régiment de dragons parachutistes) 505, et les CRAP
(Commandos de recherche et d'action en profondeur). « A priori
pour des opérations de renseignement... Mais ils peuvent tout
aussi bien mener des opérations derrière les lignes ennemies,
s'ils en reçoivent l'ordre 506». Selon le colonel Yamba, officier
zaïrois réfugié en Belgique, ces CRAP compteraient cinq cents
hommes, venus de Bangui, et une partie d'entre eux seraient
« déguisés » en mercenaires 507.

504

. Rencontré par Vincent Hugeux (Zaïre : l'armée des « défazés », in L'Express du
27/02/97).
505
. L'un des viviers des commandos du service Action de la DGSE.
506
. La Lettre du Continent du 23/01/97.
507
. D'après Colette Braeckman, A Bruxelles, la diaspora est à l'écoute, in Le Soir du
03/02/97.

255

Question armement, on signale l'escale à Marseille, le 12
janvier 1997, de deux gros porteurs Antonov 124 en provenance
de Biélorussie, chargés de deux cents tonnes d'armes à livrer à
Kisangani. La douane et la police françaises ont fermé les
yeux... 508. Les militaires français présents à Faya-Largeau, au
Tchad, ont fait de même quand d'importantes quantités d'armes
venues de l'obligeante Libye ont transité par cet aéroport
stratégique 509.
A Ostende, par contre, les douaniers belges ont intercepté fin
décembre un lot de onze véhicules militaires d'occasion, des
camions Mercedes tout-terrain en provenance de France :
prétendument destinés à des organisations humanitaires, ils
étaient en réalité promis à l'armée zaïroise, à Kisangani. Ces
véhicules se prêtaient parfaitement au montage d'une mitrailleuse
lourde, d'un mortier ou d'une arme anti-chars 510.
Mais il fallait davantage pour faire la décision, et d'abord une
supériorité aérienne (chasseurs-bombardiers, hélicoptères de
combat). On entrait alors dans le domaine des mercenaires, donc
de l'occulte, dont se régale le pagailleux microcosme des réseaux.
Le 31 octobre 1996, deux types d'émissaires français se rendent
à Lausanne, rencontrer Mobutu qui y soigne son cancer. L'ancien
ministre de l'Intérieur Charles Pasqua précède un tandem qui
s'entre-surveille : le Secrétaire général de l'Élysée, Dominique de
Villepin, et le « Monsieur Afrique bis » de l'Élysée, Fernand
Wibaux, représentant permanent de Jacques Foccart. Dans la
logique chiraquienne, cela ouvre droit à exercer des missions
officieuses dans un cadre officiel, et à disposer d'un étage dans
l'immeuble de l'état-major

508

. Sur le front, in La Lettre du Continent du 23/01/97.
. La Lettre du Continent du 09/01/97.
. Eddy Surmont, Ostende fait échec à Mobutu, in Le Soir du 31/12/96.

509
510

256

présidentiel, 14 rue de l'Élysée 511. Selon la Télévision suisse
romande 512, Mobutu demande à Charles Pasqua « qu'il l'aide à
recruter rapidement des mercenaires qui seraient
immédiatement engagés dans la région des Grands lacs ». Il
sollicite également une aide logistique en avions gros porteurs et
en camions. L'entrevue dure plus de deux heures. Le maréchal
était bien placé pour savoir que son armée, vidée de toute
substance, ne tiendrait pas le choc sans appui extérieur contre des
adversaires organisés.
La même demande a dû être adressée au réseau Foccart, via
Fernand Wibaux : malade, Jacques Foccart joue désormais à « la
tête et les jambes » avec son adjoint. Puisqu'il y a le feu à la
maison Zaïre, les réseaux Foccart et Pasqua vont tirer ensemble
la pompe à incendie, bien que parfois à hue et à dia. Ils oublieront
fréquemment, semble-t-il, d'informer la hiérarchie officielle de
l'Élysée, à savoir l'ombrageux Dominique de Villepin, adversaire
déclaré des réseaux. Peut-être aussi négligeront-ils une partie de
l'institution militaire et des « services ».
Le duo Foccart-Wibaux commence par activer la clique de Bob
Denard. Comme celui-ci souffre d'un excès d'années (soixantesept) et de notoriété, il sera remplacé par un vieil ami, un familier
comme lui du Congo-Zaïre : le colonel-barbouze belge Christian
Tavernier. Hasard ? Fernand Wibaux a rencontré celui-ci à
l'Élysée dès juin 1996 513.
Il est clair cependant que cette ancienne filière de recrutement
n'est plus très fournie, et qu'elle n'est pas très apte au maniement
des nouveaux moyens anti-guérilla, tels les hélicoptères de
combat développés par les Russes en

511

. Cf. Jacques Chirac et la Françafrique : retour à la case Foccart ? L'Harmattan,
1995, p. 25-27.
512
. 05/11/96.
513
. Selon Stephen Smith, L'opposition à Mobutu et l'Occident à son chevet, in Libération
du 12/09/96.

1

Afghanistan. Il faut du sang neuf. Le réseau Pasqua s'en
chargera, de l'inévitable Jean-Charles Marchiani, intermittent
préfet du Var, aux amis de la DST. Celle-ci, une fois de plus, va
marcher sur les plate-bandes de la DGSE.
On lorgne du côté de l'ex-Yougoslavie, qui déborde de guerriers
désoeuvrés. Il se trouve que, fin 1995, Jean-Charles Marchiani a
été le pivot d'une négociation avec les chefs politico-militaires
serbes et bosno-serbes en vue de la libération de deux pilotes
français capturés en Bosnie. D'utiles contacts ont été noués dans
ce milieu très martial. Celui qui deviendra le chef des mercenaires
balkaniques au Zaïre, le colonel franco-serbe (?) « Dominic
Yugo », ne cessera de rappeler aux journalistes cette tractation
douteuse 514, où il prétend avoir joué un rôle décisif en relation
avec Marchiani. « Dominic était sous contrôle de la DST », nous
dit une source branchée 515. Donc mal vu de la maison rivale, la
DGSE. Il préfère « assurer » en signalant, à tout hasard, le deal
secret dont il fut témoin en compagnie de l'indéboulonnable
Marchiani 516.
Côté français, deux intermédiaires interviendront avec la DST
dans le montage de cette filière serbe. Un certain Patrick F. 517, et
une très curieuse PME, Geolink, sise à Paris et Roquevaire, près
de Marseille. Geolink est spécialisée dans le commerce de gros de
matériel de télécommunication. Elle s'employait à fournir en
téléphones satellites (écoutables ?) les journalistes couvrant les
événements d'Afrique centrale, et en téléphonie de campagne
l'armée zaïroise 518. Opportunément, elle affiche de bonnes
relations tant avec le clan Mobutu - notamment Séti Yale, le
514

. Avec le général Mladic, notamment, bourreau de Srebrenica.
. « Un spécialiste du dossier », cité par Arnaud de la Grange, Zaïre : la débâcle des
chiens de guerre, in Le Figaro du 07/04/97.
516
. Même le Premier ministre Alain Juppé se fit désavouer lorsqu'il voulut le démettre de
ses fonctions de préfet du Var - après, entre autres, l'affaire du Centre culturel de
Châteauvallon. Jacques Foccart s'était fait son avocat. Devenu Premier ministre après la
mort de ce dernier, Lionel Jospin a obtenu la mutation de Jean-Charles Marchiani au poste
de Secrétaire général de la zone de défense de Paris. Encore moins de représentations
officielles, encore plus près des aéroports !
517
. Selon La Lettre du Continent (De Moroni à Gbadolite, 20/02/97) qui n'indique que
l'initiale du patronyme.
518
. D'après Colette Braeckman, La France aurait soutenu Mobutu à Kisangani, in Le
Soir du 04/05/97.
515

2

« financier » - qu'avec les nationalistes serbes. Elle se propose de
faire le joint entre les deux.
Selon Arnaud de la Grange, du Figaro, Geolink aurait envoyé
le 12 novembre 1996 une note confidentielle à Fernand Wibaux,
lui proposant de recruter « 100 commandos serbes pour
déstabiliser » le Rwanda et ses protégés, les rebelles zaïrois. Le
tout pour la modique somme de 25 millions de francs 519.
Le feu vert - ou tout au moins le feu orange - fut donné depuis
le 14 rue de l'Élysée 520. Il le fut malgré les fortes réticences d'un
certain nombre de diplomates et de militaires, estimant que la
France traînait déjà assez de « casseroles » à propos du
Rwanda 521. Comme dans l'affaire du Biafra, les hiérarchies
occultes l'emportent sur les officielles. Pour quel bénéfice ?
Geolink s'entremet aussi dans la fourniture de trois avions de
combat Mig 21, avec pilotes et mécaniciens. Ils sont transférés
d'ex-Yougoslavie quelques semaines après le début de l'offensive
rebelle.
Le 2 mai 1997, le New York Times révèle ces actions parallèles
et affirme que leur coût, 5 millions de dollars pour le seul mois de
janvier, a été réglé par la France 522. Cela fait grand bruit 523. Les
dirigeants de Geolink, André Martini et Philippe Perrette, doivent
affronter les questions des journalistes. Ils se contredisent. Au
New York Times, Martini prétend avoir découvert sur le tard que
Perrette - qui représentait Geolink au Zaïre -, travaillait pour les
services secrets français. Il s'en serait alors séparé, fin avril 1997.

519

. D'après Arnaud de la Grange, Zaïre : la débâcle des chiens de guerre, in Le Figaro du
07/04/97. Idem pour le paragraphe suivant.
520
. Fernand Wibaux le dément, renvoyant tout sur un clan de « mafieux » dirigé par un
certain « Séti » (Le Figaro du 18/04/97). La qualification mafieuse est exacte, mais c'est sur
ce clan-là, les Mobutistes, que les Foccartiens sont branchés depuis un quart de siècle. C'est
ce clan-là qu'ils soutiendront jusqu'en mai 1997. La non-implication est d'autre part
incompatible avec les trois rencontres entre Wibaux et le chef des mercenaires, Christian
Tavernier, postérieures à l'envoi du fax de Geolink.
521
. Ces réticences expliquent probablement les fuites ultérieures dans la presse.
522
. Ou plutôt la section franco-zaïroise de la Françafrique. Les circuits occultes y sont plus
nombreux que les circuits officiels. Le « financier » de Mobutu, Jean Séti Yale, s'y meut
comme un poisson dans l'eau.
523
. Une grande partie de ce dispositif parallèle avait été révélée un mois plus tôt par Le
Figaro, sans faire autant de vagues. Nul n'est prophète en son pays...

3

Accusation aussitôt rétractée : Martini confie au Monde 524,
dans la plus parfaite langue de bois, que Perrette « a été prié de
quitter la société au motif qu'il était soupçonné d'avoir dépassé
la déontologie des affaires dans des activités incompatibles
avec ses fonctions »... Perrette, de son côté, dément travailler
pour les services secrets français, mais admet avoir mis en
relation des autorités zaïroises avec des mercenaires serbes par
l'intermédiaire d'un mercenaire français présent à Kinshasa : une
conception assez large des télécommunications.
« Notre société était une bonne couverture », admet Martini 525.
Doit-on comprendre qu'elle fait partie de ce réseau de PME
conçues,
converties
ou
subverties
en
« honorables
correspondants » des services secrets français ?
Le Quai d'Orsay, bien entendu, dément toute implication de la
France dans cette affaire de mercenaires et d'avions serbes. Mais
les démentis deviennent lourds à prononcer, car

524

. Daté du 4 mai 1997. Jacques Isnard, Selon le « New York Times », la France aurait
apporté une aide à Kinshasa.
525
. D'après Jacques Isnard, article ci-dessus ; Des accusations "opportunes" contre la
France et l'Angola, in La Libre Belgique du 03/05/97 ; et Colette Braeckman, La France
aurait soutenu Mobutu à Kisangani, in Le Soir du 04/05/97.

4

c'est la deuxième fois que l'affaire des mercenaires envoyés par la
France au Zaïre se répand dans les médias.
Le 7 janvier 1997 en effet, Le Monde (daté du 8) titrait :
« D'anciens militaires français encadreraient des mercenaires au
service du pouvoir zaïrois 526». Était ainsi révélée la présence au
Zaïre d'une « légion blanche » forte de deux à trois cents hommes,
recrutée par d'anciens officiers français. On vérifiera ensuite que la
majorité de ces hommes sont des Français. L'identité de leur chef,
le colonel belge Christian Tavernier, n'est pas encore dévoilée.
Mais l'article désigne deux « sergents recruteurs » : les « exgendarmes de l'Élysée » Alain Le Caro et Robert Montoya 527.
Ceux-ci s'en défendent si énergiquement 528 que l'on en vient à se
demander si, effectivement, la fuite de leurs deux noms n'est pas
un règlement de comptes dans le milieu françafricain 529, ou un
leurre destiné à masquer le véritable recruteur : le réseau Foccart.
Quoiqu'il en soit, le commanditaire politique de la « légion
blanche » est connu. L'homme lige de Jacques Foccart, Fernand
Wibaux, a reçu à quatre reprises Christian Tavernier, le chef de
cette cohorte de quelque 280 mercenaires : en juin 1996 530, puis le
29 novembre 1996 dans son bureau du 14 rue de l'Élysée, le 2
décembre à l'hôtel Bristol et le 23 mars 1997 à l'hôtel Vigny 531. S'il
526

. Article de Jacques Follorou.
. Les exploits françafricains de la bande de gendarmes introduite à l'Élysée lors du premier
septennat de François Mitterrand - les Christian Prouteau, Paul Barril et Alain Le Caro,
Pierre-Yves Gilleron, Robert Montoya, etc. - sont en passe de devenir aussi célèbres que
l'épopée africaine des « ex-gendarmes katangais »... Alain Le Caro est l'ancien chef du
Groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR), à l'Élysée. Son collègue Robert
Montoya gagna ses galons de « plombier » (poseur d'écoutes téléphoniques illégales) lorsqu'il
se fit pincer en 1987 en train de bricoler une « bretelle » sur la ligne d'un huissier du Conseil
supérieur de la magistrature.
528
. Notamment dans Le Monde du lendemain.
529
. Les deux ex-gendarmes sont « conseillers en sécurité » de trois présidents africains « amis
de la France » (Konan Bédié, Blaise Compaoré et Gnassingbe Eyadéma). Ils venaient de
conclure une série de fructueux marchés : la société de Le Caro a assuré la sécurité du
Sommet franco-africain d'Ouagadougou ; Montoya, le spécialiste des écoutes, a décroché un
gros contrat de 300 lignes téléphoniques pour le compte d'Eyadéma (cf. Jean-François
Julliard, Des ex-"plombiers" de l'Élysée à l'écoute des Togolais, in Le Canard enchaîné du
02/10/96) ; et les deux compères venaient de décrocher ensemble une superbe affaire
cofinancée par la Caisse française de développement, la sécurité du chemin de fer CongoOcéan. De quoi susciter des jalousies.
530
. Cf. Stephen Smith, L'opposition à Mobutu et l'Occident à son chevet, in Libération du
12/09/96.
531
. Cf. Stephen Smith, La consécration de l'influence américaine, in Libération du
05/05/97.
527

5

fallait un indice supplémentaire de la responsabilité foccartienne, il
suffit de remarquer les liens étroits entre Tavernier et Bob
Denard 532, d'une part, et ceux qui existent depuis trente-six ans au
moins entre Denard et Foccart. Pas seulement via l'entreprenant
Mauricheau-Beaupré ou l'ami commun Maurice Robert, chef du
Sdece-Afrique : Foccart a toujours tutoyé Denard 533.
Ajoutons que Mobutu, replié en France au moment du
recrutement des mercenaires, était en contact téléphonique
permanent avec Foccart, et la boucle est bouclée. La boucle
historique aussi : déjà en 1960, Foccart avait été l'initiateur de
l'envoi de mercenaires français au Katanga, contre le
gouvernement de Lumumba, et il avait poursuivi ces jeux troubles
jusqu'en 1967, via Bob Denard et l'inévitable MauricheauBeaupré 534.
« Aucune autorité française ne doit être mêlée à cette affaire de
mercenaires pour le Zaïre 535», faisait savoir l'Élysée à la fin de
1996. Complaisamment distillées, ces « consignes très strictes »
ne trompaient plus grand monde en février 1997. L'origine et la
constitution du dispositif mercenaire étaient élucidées, et les
responsabilités identifiées : la DST, le réseau de Charles Pasqua et
celui de Jacques Foccart 536.

532

. Voir ci-après, p. 266.
. Cf. Pierre Péan, L'homme de l'ombre, Fayard, 1990, p. 532.
. Foccart parle, I, p. 215, 264-265, 311-312.
535
. Mobutu se paie des soldats blancs, in Le Canard enchaîné du 31/12/96.
536
. Cf. notamment Xavier Thomas, Les bévues des mercenaires de Mobutu, in
L'Événement du Jeudi du 20/02/97 ; De Moroni à Gbadolite, in La Lettre du Continent du
20/02/97.
533
534

6

Foccart, c'est la ligne directe avec Chirac. En 1967, lorsqu'il
commanda le soutien massif de la France à la sécession biafraise
par mercenaires interposés, Jacques Foccart était, après De Gaulle,
l'homme le plus influent de la Ve République. Or il en impose plus à
Chirac qu'à De Gaulle. Certains jours, le Président l'appellerait
jusqu'à dix fois 537!
L'impératif catégorique « aucune autorité française ne doit être
mêlée... », joue sur les mots. Il y a « autorité » et autorité : celle
des organes officiels de la République 538; celle des hommes de
l'ombre d'une monarchie élyséenne décadente, qui tient l'Afrique
francophone pour son « domaine réservé » - comme jadis le roi des
Belges possédait personnellement le Congo. Prince de l'ombre,
Jacques Foccart faisait figure de Deng Xiaoping du néogaullisme...
Il est décédé en même temps que se consommait, à Kisangani, la
déroute des mercenaires. Commence alors un étonnant exercice de
camouflage rétrospectif.
Le 20 février 1997, L'Événement du Jeudi 539 avait livré toutes les
clefs du recrutement de mercenaires serbes pour le Zaïre : « sous la
houlette de Jacques Foccart », « à l'initiative de Fernand
Wibaux » ; « la connexion avec les Serbes aurait été l'oeuvre d'un
membre important de la DST », « au grand dam de la DGSE ». Le
27 février, L'Express avait dressé le portrait du chef serbe, un
certain « colonel Dominique » ou Malko.
Aussi fut-on stupéfait de lire un mois plus tard, dans Le Monde
du 29 mars, ce papier inspiré « de sources militaires françaises » :
537

. D'après Daniel Carton (Foccart, l'homme des courts-circuits, in Le Nouvel Observateur
du 09/05/96), qui cite le témoignage d'un visiteur de Foccart : « On a l'impression qu'à
l'autre bout du fil Chirac est à genoux ». Cf. le chapitre suivant.
538
. Dont le Parlement qui, à propos de cette nouvelle guerre secrète de l'Élysée, a sombré dans
le mutisme. Quant au ministère des Affaires étrangères, il déclarait le 7 janvier 1997 ne pas
être « informé de la présence de mercenaires français dans la région ». C'était avouer que
de telles affaires lui sont complètement étrangères : il est doublement out of Africa - tant au
plan du renseignement que de la décision. Le ministère de la Défense précisait, lui, que « ce
recrutement de mercenaires relève d'initiatives individuelles et privées qui s'exercent hors
du cadre militaire traditionnel ». Il confirmait ainsi la « privatisation » et le caractère « hors
cadre » de la politique franco-africaine.
539
. Xavier Thomas, Les bévues des mercenaires de Mobutu, 20/02/97.

7

« Auprès des forces armées zaïroises restées fidèles au maréchal
Mobutu, il existe aussi des mercenaires étrangers, singulièrement
des Serbes [...]. La présence de l'un d'entre eux, qui s'est fait
appeler "colonel Dominic Yugo", a été détectée durant les
derniers jours des combats qui ont, à la mi-mars, marqué la chute
de Kisangani. [...]
Les services français ont cherché à identifier le "colonel
Dominic Yugo" avec davantage de précision. Il pourrait s'agir sous un autre pseudonyme - de l'un des Serbes qui ont servi
d'intermédiaires lors de la mission que Jean-Charles Marchiani,
préfet du Var, a menée en Bosnie pour faciliter la restitution, en
décembre 1995, de deux pilotes français 540».

Pas question des commanditaires français. Et le conditionnel (« il
pourrait s'agir ») suggère que la DGSE n'en est encore qu'au stade
des hypothèses - sur un sujet labouré depuis un mois par la presse
internationale, à la suite de L'Événement du Jeudi. D'où
l'alternative : soit la DGSE ne lit pas les journaux, elle n'a rien
compris au film Mercenaires serbes au Zaïre ; soit elle se moque
du Monde et de ses lecteurs.
La première hypothèse paraît a priori incroyable. Il faut donc
trouver la finalité des histoires diffusées aux journaliste par des
« sources bien informées ». Ces sources développent la version
(crédible) d'une « guerre des services » et soulignent le rôle
personnel, déterminant, joué dans cette affaire par Fernand
Wibaux, en lien avec Geolink :
« Le relais est pris par le "colonel Dominic". Un personnage
trouble que la DGSE mettra un certain temps à identifier.
L'homme - d'origine yougoslave - aurait pourtant été au mieux
avec un autre "service". "Dominic était sous contrôle de la DST",
assure un spécialiste du dossier 541».

540

. Jacques Isnard, Deux « conseillers » américains auraient été tués aux côtés des
rebelles, in Le Monde du 29/03/97.
541
. Arnaud de la Grange, Zaïre : la débâcle des chiens de guerre, in Le Figaro du 07/04/97.

8

Les réseaux Foccart et Pasqua ayant recouru à la DST, voilà
comment la DGSE, court-circuitée en « son » Afrique, aurait pris
un mois de retard sur le lecteur de L'Événement du Jeudi !
Plus fort encore dans le rocambolesque : on nous conte la fureur
des gens raisonnables de l'Élysée, le diplomate Dominique de
Villepin et Jacques Chirac soi-même, en Janus face Villepin (la
face Foccart est soudain momifiée). On nous fait savoir que le
conseiller élyséen Fernand Wibaux est placé sous surveillance ! Il
aurait même été filé lorsque, le 23 mars, il rencontre pour la
quatrième fois le chef mercenaire Christian Tavernier, dans un
hôtel parisien 542. Lorsque le « conseiller spécial » de Mobutu,
Honoré Ngbanda, vient début mai à Paris chercher des armes pour
son patron, la DGSE fait savoir qu'elle a mis le holà 543.
Ainsi, l'idée peut s'installer que le recours aux « affreux » 544 n'est
l'oeuvre que du réseau Pasqua, et d'un Wibaux dévalué par la mort
de Foccart 545. Bon pour le sacrifice.

542

. Les mercenaires de Mobutu avaient leur entrée à l'Élysée, in Le Canard enchaîné du
16/04/97.
543
. Cf. Claude Angeli, Mobutu rêvait encore d'armer son armée en déroute, in Le Canard
enchaîné du 14/05/97.
544
. Leur recrutement s'est fait, on le verra, dans les milieux français d'extrême-droite et chez
des Serbes suspects de crimes contre l'humanité.
545
. Et par ses maladresses. Très irrité, Foccart tenta sur le tard de court-circuiter Wibaux par
le fidèle Maurice Robert.

9

Il en faudra quand même davantage pour faire oublier que
Fernand Wibaux était installé au rez-de-chaussée de l'état-major
particulier du Président de la République... C'est comme pour
l'affaire Greenpeace, en plus grave : soit Jacques Chirac a donné
son aval au recrutement de mercenaires, soit l'Élysée est une
pétaudière ; soit les deux propositions cohabitent.
En 1960, les Congolais avaient Lumumba : les mercenaires leur
ont imposé Mobutu, pour plus d'un tiers de siècle - après avoir
torturé et tué le héros de l'indépendance. A la terreur réelle de ses
milices, Mobutu a ajouté le pouvoir dissolvant d'une corruption
généralisée.
En 1996, la Françafrique réembauche des « affreux ». Elle ne
croit sans doute pas longtemps à la contre-offensive
« foudroyante » qu'elle claironne. Mais le recours aux
mercenaires est bien pratique quand on veut faire durer une guerre
civile, au point, ensuite, de faire accepter à un peuple n'importe
quel type de paix. L'ex-PDG d'Elf, Loïk Le Floch-Prigent, l'a
reconnu : la Françafrique a pu, grâce à ses nombreux tentacules,
soutenir simultanément les deux parties (le gouvernement de
Luanda et l'Unita) de l'interminable et terrible conflit angolais. Un
genre de Realpolitik beaucoup plus fréquent qu'on ne le pense
chez les cinq membres permanents du Conseil de sécurité - qui,
dans le même temps, multiplient les missions de médiation et de
« bons offices ».
On pourrait penser que les mercenaires enrôlés par une grande
ou moyenne puissance (la France, par exemple) servent, du moins,
la stratégie d'un État reconnu, ayant pignon sur rue. C'est oublier
qu'en Afrique, cette stratégie s'est depuis longtemps décomposée
en une multiplicité d'intérêts privés, parfois criminels, qui n'ont
aucune raison de se soucier, ni de l'image de leur pays d'origine, ni
du droit international.

10

Bob Denard a commencé sa carrière de mercenaire dans l'exCongo belge, en 1960. Il a contribué, en 1965, à mater la vaste
rébellion anti-mobutiste des Mulele, Gizenga, Soumialot, à
laquelle participait déjà Laurent-Désiré Kabila.
Il a tiré sa révérence aux Comores fin 1995. Dans ce pays
brutalisé, il a installé deux présidents, Ali Soilihi et Ahmed
Abdallah ; il en a écarté ou éliminé trois : les deux précédents,
plus Saïd Mohamed Djohar en 1995. Vice-roi des Comores de
1978 à 1989, il put émarger aux multiples trafics dont cet archipel
est le havre. Un grand Foccartien, l'ex-ambassadeur au Gabon
Maurice Delauney, trouve Bob Denard « ni affreux, ni assassin ».
Il lui a décerné un brevet de patriotisme, pour avoir exécuté
nombre d'interventions non officielles, « le plus souvent dans les
meilleures conditions, toujours dans l'honneur 546».
Christian Tavernier, présenté comme un officier des services
secrets belges 547, est comme Bob Denard un multirécidiviste des
guerres par procuration. Dès 1961, il a opéré au Congo comme
chef mercenaire : aux côtés de Denard, il a combattu pour la
sécession katangaise de Moïse Tshombé, puis pour l'armée de
Mobutu contre la rébellion néo-lumumbiste de 1964-65. Ensuite,
il n'a jamais vraiment quitté le Zaïre : il assistait au Conseil de
sécurité de Mobutu et accomplissait pour lui des missions de
confiance. Il dirige la revue Fire, spécialisée dans les armes, qui
fait aussi office de bourse pour l'emploi d'ex-militaires en
disponibilité 548. Le rédacteur en chef n'est autre que... Bob Denard.

546

. Cité par Ahmed Wadaane Mahamoud, Autopsie de Comores. Coups d'État,
mercenaires, assassinats, Cercle Repères, p. 293.
547
. Selon Stephen Smith, L'opposition à Mobutu et l'Occident à son chevet, in Libération
du 12/09/96.
548
. D'après Colette Braeckman, Taverniers : mercenaire un jour, mercenaire toujours, in
Le Soir du 25/01/97. Mais son nom a perdu le "s" final en cours de route.

11

Lorsque le colonel Tavernier se rend à l'Élysée en juin 1996,
parrainé par l'homme politique belge Léo Tindemans, c'est pour
s'enquérir auprès de Fernand Wibaux de la maladie de Mobutu et
de la manière dont « on pourrait tenir le pays 549». La question n'a
pas dû rester indéfiniment en suspens. « Comme Denard n'est
plus opérationnel depuis la débâcle des Comores, un Belge a
pris la tête du groupe qu'il aurait autrement commandé »,
explique un diplomate français 550. Le 15 novembre (deux semaines
avant la deuxième rencontre Tavernier-Wibaux), la lettre
confidentielle sud-africaine Southscan mentionne déjà la
possibilité que Christian Tavernier soit chargé de mener la contreoffensive.
Selon des proches du milieu mercenaire, ce sont les hommes de
la nébuleuse Denard qui, sitôt le feu vert de Fernand Wibaux,
« ont recruté l'équipe française pour le compte du Belge
Christian Tavernier 551».
Le 1er décembre 1996, Arnaud de la Grange, signale dans Le
Figaro « le retour des "affreux" », avec « l'arrivée de trois cents
à cinq cents mercenaires 552». Le 3 janvier 1997, Tavernier
s'installe à Kisangani avec l'état-major des mercenaires, composé
à 80 % d'« instructeurs » français. Dans le tout venant de la
« légion blanche » (276 hommes à la mi-janvier), on compte aussi
nombre de baroudeurs français 553. Tavernier fait croire qu'il est en
colonie de vacances : « Nous n'avons pas encore tiré un seul
coup de feu » dit-il au Soir de Bruxelles, fin janvier. Puis, gagné
par la mode militaro-humanitaire : « En ce moment, je me
contente de distribuer du sel aux populations civiles... 554».
La revue Raids 555 a enquêté auprès des hommes de Tavernier.
Elle a repéré 33 mercenaires français et autres (italien, chilien,
549

. D'après Stephen Smith, L'opposition à Mobutu..., art. cité.
. Cité par Stephen Smith, L'Armada de mercenaires au Zaïre, in Libération du 24/01/97.
. Propos recueilli par Arnaud de la Grange, Zaïre : la débâcle des chiens de guerre, in
Le Figaro du 07/04/97.
552
. 01/12/96. Laurent-Désiré Kabila indiquait deux semaines plus tôt : « Il y a à Kisangani
et Kindu des étrangers au côté de la division d'élite de Mobutu. Ils disposent
d'hélicoptères » (Le Figaro, 18/11/96).
553
. Stephen Smith, L'Armada de mercenaires au Zaïre, in Libération du 24/01/97.
554
. Interview au Soir du 27/01/97.
555
. Mai 1997.
550
551

12

portugais, américain et belge), constitués en deux groupes
d'intervention, à côté d'une centaine de Serbes 556. Ils ont été
recrutés pour 30 000 francs par mois et par homme, trois mois
payables d'avance. Ce sont d'anciens des Comores 557, mais ils ont
oeuvré dans le passé en Birmanie, au Cambodge, au Bénin et en
Rhodésie. Tavernier, le chef des mercenaires non-serbes, était
secondé par des anciens commandos de Bob Denard. Leurs armes
provenaient en partie de Serbie, d'Ukraine et d'Égypte.
Chez les mercenaires français, « la cheville ouvrière [du
recrutement] a été François-Xavier Sidos, aujourd'hui
permanent du Front national 558». Candidat aux législatives de mai
1997 sous l'étiquette de ce parti, à Épinay-sur-Seine, il a obtenu
32 % des voix au second tour...
François-Xavier Sidos fut, aux côtés de Bob Denard, le
lieutenant Allix lors de l'expédition de 1995 aux Comores. La
présence d'un adjoint d'extrême-droite ne semble pas avoir
chagriné Denard, ni l'avoir éloigné des réseaux « républicains » de
décideurs, civils et militaires. Côté civils, signalons l'avis d'un
connaisseur sur l'absence de carrière

556

. Chiffres non exhaustifs.
. Dont Richard F. et Thierry T.T., nous précise La Lettre du Continent du 20/02/97.
. Propos d'un proche du milieu mercenaire, recueilli par Arnaud de la Grange, Zaïre : la
débâcle des chiens de guerre, in Le Figaro du 07/04/97. Cf. aussi De Moroni à Gbadolite,
in La Lettre du Continent du 20/02/97 ; Xavier Thomas, Les bévues des mercenaires de
Mobutu, in L'Événement du Jeudi du 20/02/97.
557
558

13

politique de Pierre Pasqua, fils unique de Charles : il affiche une
telle « ferveur pour l'extrême-droite » qu'il n'est « politiquement
pas présentable » 559. Il est pourtant au coeur du réseau africain de
son père, auquel Mobutu adressa en premier sa demande de
mercenaires. Autre pivot du réseau, le préfet Jean-Charles
Marchiani s'est montré dans le Var d'une grande complaisance
envers le Front national 560. Charles Pasqua lui-même, selon son
biographe non-officiel, « n'a jamais non plus rechigné à
préserver des passerelles avec tous les anciens mercenaires,
partisans de l'Algérie française, ex-militants de l'extrême-droite
qui se sont dispersés dans toute l'Afrique francophone au milieu
des années soixante 561».
Du côté des militaires, l'amiral Antoine Sanguinetti rappelle la
persistance dans l'armée française d'une vigoureuse tradition
d'extrême-droite, marquée par la colonisation et l'insurrection de
l'OAS (Organisation de l'armée secrète) contre l'indépendance de
l'Algérie 562. Elle influe dans la formation des cadres militaires
africains francophones (47 000 depuis 1960). Cette chapelle reste
en mesure « de contrôler la coopération militaire, et d'occuper,
pour le compte de l'Élysée - en l'adaptant à ses propres concepts
- une position stratégique sur le continent africain ».
Le témoignage suivant n'est pas étranger à l'affaire. Il vient d'un
membre repenti du DPS (Département Protection-Sécurité), le
service d'ordre du FN (Front national), surnommé la « petite
légion » de Le Pen :

559

. Cf. Daniel Carton, La deuxième vie de Charles Pasqua, Flammarion, 1995, p. 27.
. Cf. Gilles Bresson, Un préfet allié de la mairie Front national, in Libération du
13/02/97.
561
. Daniel Carton, op. cit., p. 180.
562
. La politique de coopération militaire française, in Les idées en mouvement, mensuel
de la Ligue de l'enseignement, Supplément au n° 49 de mai 1997, p. 16-17.
560

14

« Je vote FN depuis longtemps. Je n'avais pas de boulot. [...]
Comme j'ai servi dans l'armée, on m'a intégré dans un groupe
un peu spécial : une équipe légère d'intervention [...], 25 types,
tous des anciens bérets rouges ou bérets verts, c'est-à-dire
anciens paras ou légionnaires. [...] La plupart ont participé à
des conflits, au Tchad, au Centrafrique ou au Liban. [...] Entre
nous, on s'amuse à se surnommer les "Pompiers du Reich" et on
se salue par de petits "Sieg Heil !" 563».

Le DPS est dirigé par Bernard Courcelle, ancien capitaine du 6 e
RPIMa - l'infanterie de marine, l'ex-» coloniale ». Son frère,
Nicolas Courcelle, dirige la société de sécurité Groupe 11. Dans
la mouvance de cette société, une quinzaine de vieux routiers du
mercenariat ont été recrutés pour l'expédition zaïroise par
François-Xavier Sidos 564.
Contactés, beaucoup d'anciens de Denard, trop vieux ou trop
avisés, ont boudé l'opération. Alors,
« les recruteurs ont fait leur marché au sein de groupuscules
d'extrême-droite comme le GUD [...]. Des jeunes sans grande
expérience militaire. "Une année de Service national pour les
mieux formés, précise un ancien mercenaire reconverti dans la
sécurité industrielle. Des colleurs d'affiche très aguerris au
maniement du manche de pioche dans les rues de Paris, moins
rompus à celui du mortier". [...] Les Zaïrois n'ont pas apprécié
de se voir fourguer des mercenaires "incompétents
militairement et dépourvus de professionnalisme". Le jugement
est du général Mahele, le patron de l'armée de Mobutu. Un
homme qui en a pourtant vu d'autres en matière d'inaptitude
militaire 565».

563

. Interview dans Libération du 13/11/97.
. Cf. De Moroni à Gbadolite, in La Lettre du Continent du 20/02/97.
. Arnaud de la Grange, Zaïre : la débâcle..., art. cité.

564
565

15

Il ne faut pas généraliser. Le passage en Birmanie de certaines
recrues est une référence. En ce pays, la junte au pouvoir (le
SLORC) « réduit » les ethnies minoritaires. Elle les « déblaye »
autour du gazoduc construit par Total. Le groupe a engagé des
« consultants en sécurité », qui collaborent avec l'armée birmane.
Anciens militaires ou mercenaires, ils seraient issus des milieux
d'extrême-droite 566. Au Zaïre, ils vont se retrouver en bonne
compagnie fasciste, pour venger Jeanne d'Arc et Fachoda.
« Deux ans après s'être trouvée mêlée à un génocide en 1994,
la France parraine l'envoi de criminels de guerre serbes coupables de purification ethnique aux côtés des ex-FAR pour soutenir
Mobutu... C'est le bouquet 567», s'exclame Jean-François Bayart.
Cette filière serbe, on l'a vu, a été montée par la DST et un
certain Patrick F., sous la houlette de Jacques Foccart et de son
adjoint Fernand Wibaux. De Belgrade, une série de vols ont été
organisés pour transporter plusieurs centaines d'hommes, mais
aussi de l'équipement et des armes, la part la plus juteuse du
contrat : quelques avions de combat 568, quantité de lance-roquettes,
des uniformes, etc. Une base avancée a été établie au Caire
(l'Égypte est un partenaire habituel des opérations françafricaines
). De tels marchés sont, pour l'ex-Yougoslavie 569, le moyen de se
procurer les liquidités dont elle a désespérément besoin 570.
Le premier contingent de cent quatre-vingt mercenaires,
principalement des Bosno-Serbes, est parti au Zaïre pour un
contrat de trois mois (en gros, le premier trimestre 1997). Puis un
autre contingent l'a relayé. D'autres sources parlent d'un premier
566

. Cf. Romain Franklin, Un chantier à haut risque pour Total en Birmanie, in Libération
du 03/09/96.
567
. Croissance, avril 1997, p. 18.
568
. Dont des chasseurs bombardiers Jastreb, observés par Vincent Hugeux, Zaïre : l'armée
des « défazés », in L'Express du 27/02/97.
569
. Et d'autres États est-européens, comme l'Ukraine.
570
. Ce paragraphe et les huit suivants se réfèrent à Jon Swain, War-hungry Serbs join
Mobutu's army (Des Serbes assoiffés de guerre rejoignent l'armée de Mobutu), in The
Sunday Times du 09/03/97 ; Jonathan C. Randall, Serbs Supplying Equipment and
Mercenaries to Zaïre's Army (Les Serbes fournissent du matériel et des mercenaires à
l'armée zaïroise), Washington Post, in International Herald Tribune du 19/03/97 ; Tom
Walker, Bosnia's soldiers of fortune reject blame over Zaire (Les soldats de fortune
bosniaques rejettent le blâme sur le Zaïre), in The Times du 26/05/97.

16

envoi de trois cents mercenaires. Le premier objectif était de
défendre l'angle nord-est du Zaïre, ses mines d'or et ses guérillas
anti-ougandaises. Puis il fallut défendre Kisangani.
Le gouvernement ex-yougoslave dément toute implication
étatique, mais il tolère cette exportation - à cause probablement
des commissions sur les ventes d'armement. Un reportage télévisé
a montré des recrues zaïroises vêtues d'uniformes yougoslaves, et
des avions de fabrication yougoslave portant encore des
inscriptions en serbo-croate sur leurs fuselages. En principe, l'exYougoslavie continue d'être soumise à un embargo sur les achats
et ventes d'armes, mais il faut supposer que certains des officiers
de l'OTAN chargés de surveiller l'application de cet embargo ont
fermé les yeux. On compte bon nombre de Français parmi eux...
Le deal avec les Serbes aurait été amorcé à l'occasion d'une
visite au Zaïre du président de l'ex-Yougoslavie, Zoran Lilic,
durant l'été 1996. Un officier de la délégation aurait promis mille
hommes.
Le chiffre de cinq mille mercenaires serbes combattant au Zaïre,
avancé par le quotidien belgradois Dnevni Telegraf, est sûrement
exagéré. Un intermédiaire affirme en avoir convoyé 173 le 6
janvier à l'aéroport de Surcin-Belgrade : cela semble tout à fait
vraisemblable. Parmi les engagés, on trouve d'anciens officiers
d'élite de l'ex-armée yougoslave. L'un d'eux « a clairement fait
savoir qu'il travaillait pour l'État »

17

yougoslave, ce qui accrédite l'idée d'un montage Belgrade-ParisKinshasa 571.
Parmi les autorités de Belgrade qui ont mené à bien cette affaire,
en liaison avec les réseaux françafricains, on trouve :
- Jovica Stanisic, l'homme le plus puissant de Belgrade après le
président Milosevic ; à la tête des services de sécurité, il a fait
établir les passeports des mercenaires, qui ont ensuite été visés par
l'ambassade du Zaïre à Paris ;
- le général Jovan Cekovic, ancien chef de l'Office fédéral de
fourniture et d'approvisionnement de l'armée yougoslave : il aurait
traité avec une agence de tourisme du Caire pour que les avionscargos chargés d'armes et de mercenaires en direction de Kinshasa
puissent faire escale en Égypte et s'y ravitailler.
L'un des hommes-clefs du recrutement a été Milorad Palemic,
alias « Misa », qui commanda un groupe de 80 Bosno-Serbes
impliqué dans le massacre de Srebrenica. Il aurait recruté pour le
Zaïre nombre de miliciens bosno-serbes, dont plusieurs suspectés
d'avoir participé à ce massacre. Beaucoup de recrues sont
originaires de la vallée de la Drina, où le nettoyage ethnique fut le
plus féroce.
Quant aux motivations, elles sont assez basiques. La guerre en
Bosnie a laissé une génération de jeunes gens amers, sans but,
incapables de s'adapter à la paix. Exporter leurs talents mortifères
leur paraît le seul moyen de gagner de l'argent. « Ceux qui ne se
sont pas battus durant la guerre civile ont tout. Ceux qui se sont
battus sont laissés sans rien. J'irais au Zaïre même sans être
payé - simplement parce que j'en ai assez de cette vie », explique
l'un des candidats au départ 572. Ils sont un certain nombre à l'avoir
laissée là-bas, leur vie : victimes des

571

. Selon l'hebdomadaire belgradois Vreme, repris par L'Humanité du 11/03/97.
. Jon Swain, art. cité.

572

18

tireurs d'élite rebelles, ou d'accidents variés, égarés dans la forêt
faute d'avoir pu se faire évacuer de Kisangani, mortellement
atteints de malaria, faute d'avoir eu le temps d'être vaccinés.
D'autres, sous le commandement du « colonel Dominic », alias
Yugo, alias Malko, ont eu le temps de montrer leurs « talents ».
Contribuant à tenir Kisangani de mi-février à mi-mars, « les
mercenaires étaient devenus complètement mabouls », raconte un
habitant, Adamo, qui, avec ses trois frères, fut la victime de cette
folie.
Début mars, Kabila déclare à la radio que la ville est « infiltrée
par ses hommes ».
« "Alors, les mercenaires sont devenus paranoïaques, ils
voulaient tuer et arrêter tous ceux qu'ils soupçonnaient ",
reprend Adamo. Pour la seule raison qu'ils sont originaires de la
région du Kivu, place forte des insurgés de Kabila, les quatre
frères sont enlevés une nuit de février. "Nous avons été mis
dans une maison au bout de la piste de l'aéroport. Nous étions
avec une centaine d'autres personnes qu'on accusait d'aider la
rébellion parce qu'ils allaient aux champs, parlaient politique,
ou se rassemblaient à plus de cinq sur le trottoir", poursuit
Adamo. Torturé une semaine sous la garde de l'armée zaïroise,
il a vu une vingtaine de ses camarades exécutés. "Celui des
mercenaires qui le voulait, pouvait entrer dans la maison et
faire de nous tout ce qu'il souhaitait, nous donner le fouet, des
tabassages, nous couper les oreilles. Nous étions ses animaux".
[...] "La bande des Serbes", comme on les a baptisés, a fui avant
le début des combats, vendredi soir dernier [14 mars] 573».

573

. Florence Aubenas, A Kisangani, on « remercie Dieu et les rebelles », in Libération,
21/03/97.

19

Ce témoignage est corroboré par un autre, de source
ecclésiastique, parvenu à La Croix 574. Le témoin ajoute :
« L'interrogatoire est souvent mené par le terrible Yougo, chef
incontesté des mercenaires. Tout cela se passe en plein air. Ce
colonel, revolver au poing, appuie chaque question avec un
coup de feu tiré près du prisonnier, pour le terroriser. Après
cette horrible session, tout le groupe, résigné et silencieux, est
conduit par Yougo et ses hommes derrière les hangars, bien
loin, dans la partie est de l'aéroport. Et c'est la fin ! Ils sont
abattus avec une mitrailleuse munie de silencieux, puis jetés
dans une grande fosse creusée avec une pelle mécanique ».

D'autres témoins encore confirment ces tortures et exécutions :
ceux interrogés le 18 mars 1997 par le correspondant de Reuter ;
Benjamin Auta, directeur médical de l'hôpital catholique de
Kabonda 575; un journaliste de Newsweek International, qui a vu
les charniers laissés par les mercenaires 576.
Passons maintenant aux hauts faits militaires. Les Mig 21
procurés par Geolink et transférés d'ex-Yougoslavie avec pilotes
et mécaniciens étaient dépourvus des cartes et instruments qui leur
auraient permis de s'orienter autour de la forêt tropicale 577.
En janvier, le général Mahele, chef de l'armée zaïroise, admit
que des mercenaires d'Europe de l'Est (des Serbes, en fait)
pilotaient les hélicoptères Mi 24 Hind récemment acquis en

574

. Du 18/03/97.
. Des mercenaires serbes sèment la terreur, in L'Humanité du 20/03/97.
576
. Cf. Human rights Watch, Zaïre. Transition, guerre et droits de l'Homme, 04/97.
577
. Selon Colette Braeckman, La France aurait soutenu Mobutu à Kisangani, in Le Soir
du 06/05/97. Encore un symbole de la désorientation françafricaine...
575

20

Géorgie par le Zaïre 578. Devant Kisangani, ils ont accompli de
nombreuses actions par le moyen des missiles, voire des bombes
au napalm et au phosphore dont ils étaient dotés 579.
Ce sont encore des mercenaires serbes qui, avec des avions de
fabrication yougoslave, bombardèrent le 17 février les villes de
Bukavu, Shabunda et Walikale 580. Ces raids, visant les marchés et
les quartiers résidentiels, firent de nombreuses victimes civiles
(au moins 19 morts et 50 blessés à Bukavu). « Frappes
chirurgicales » affirmaient les officiels. « Ici, rétorque un Belge,
ça signifie que le chasseur ne se trompe pas de ville 581».
Le 14 mars à Kisangani, sentant le vent tourner, les
mercenaires serbes décidèrent de fuir par la voie des airs. Ils
rejoignirent un aéroport sécurisé par des commandos français,
officiellement chargés de protéger l'évacuation des humanitaires,
et profitèrent des appareils de l'armée française... Ceux-ci
évacuèrent aussi les hauts gradés zaïrois. Mais la piétaille des
Forces armées zaïroises ne voulait pas se laisser abandonner :
durant plusieurs heures, les Serbes firent feu sur leurs « alliés »
zaïrois, causant de nombreux morts 582. Un ancien du groupe
Denard n'est pas tendre :
« Massacrer des petites vieilles dans les Balkans ne prépare pas
à tenir tête à l'une des guérillas les plus combattives du
continent africain. A la décharge des mercenaires, [...] leur
mission de combat est vite devenue secondaire. Ils ont surtout
dû faire du maintien de l'ordre au sein des FAZ (Forces armées
zaïroises) pour empêcher la débandade 583».
578

. Cf. Sam Kiley, Gunships may give mercenaries edge in Zaire Civil War (Guerre
civile au Zaïre : les hélicoptères de combat peuvent-ils donner l'avantage aux mercenaires ?
), in The Times (Londres), 28/01/97. Blindé et fortement armé, le Mi 24 est un des
meilleurs hélicoptères de combat au monde.
579
. D'après Jacques Isnard, Une "légion tutsie" de quinze mille hommes, formée par
l'Ouganda, aurait appuyé les forces rebelles, selon les services occidentaux, in Le
Monde du 13/05/97.
580
. Marie-France Cros, Des mercenaires serbes pilotaient les avions bombardiers, in La
Libre Belgique du 19/02/97.
581
. Cité par Vincent Hugeux, Zaïre : l'armée des « défazés », in L'Express du 27/02/97.
582
. La déroute fut telle, à Kisangani, que Paris soupçonne Washington d'avoir fait pression
sur Belgrade qui aurait donné le signal de la retraite... La confiance règne.
583
. Arnaud de la Grange, Zaïre : la débâcle des chiens de guerre, in Le Figaro du
07/04/97.

21

Par ailleurs, les maigres salaires des mercenaires serbes n'ont
pas décuplé leur zèle. Pour chacun d'eux, il était prévu un budget
de 45 000 francs. Mais, entre le maréchal et le mercenaire, il y a
le général et le colonel zaïrois... Tout le monde a prélevé son écot.
Selon Arnaud de la Grange, les soldats de fortune n'ont jamais
touché plus de 15 000 francs 584 - pour leur trimestre
d'engagement, sans doute. Cela recoupe l'évaluation de Raids 585 :
1 000 dollars par homme et par mois.
Les mercenaires serbes morts au Zaïre ne l'ont pas tous été au
combat. Un colonel serbe, pilote d'hélicoptère Mi 24, avait été
replié sur Gbadolite pour défendre le palais présidentiel. Il sirotait
une bière à la terrasse d'un café lorsqu'un autre mercenaire,
pratiquant l'acrobatie aérienne dans l'artère principale de la ville,
s'est écrasé sur lui avec son avion Macchi de lutte anti-guérilla 586.
Mais arrêtons-là avec ces histoires serbes. Il y avait aussi des
Croato-Serbes de la Krajina 587, l'équipage russe d'un Antonov 26
des FAZ 588, ainsi que des pilotes d'hélicoptères Mi 24 ukrainiens
et russes 589. Ces derniers (les Russes) sont particulièrement
revendicatifs. Il a fallu les convaincre de poser leur hélicoptère à
l'aéroport de Kisangani, à 17 km de la ville, plutôt qu'à côté de
leur hôtel ou des bars qu'ils fréquentaient. Et ils ont menacé de
faire grève s'ils n'étaient pas assez souvent relevés 590.
Plus généralement, les mercenaires ont été totalement débordés
par la tactique des rebelles, qui a consisté notamment à multiplier
les fronts. Avis d'un expert 591:
584

. Ibidem.
. Mai 1997.
. Frédéric Fritscher, A Gbadolite, dans les palais du maréchal-président, avec le
mercenaire Dominic, « serbe, mais aussi français », in Le Monde du 10/05/97. L'acrobate
aérien pourrait être le lieutenant-colonel serbe Ratko Turcinovic, dont la presse yougoslave
a annoncé la mort le 27 mars 1997, lors d'un « vol d'entraînement ». L'avion qui rapatria
son corps à Belgrade, le 6 avril, ramenait les corps de quatre mercenaires tués au Zaïre,
ainsi que deux blessés, selon le quotidien Vecernje Novosti (AFP, 08/04/97).
587
. AFP, 08/04/97.
588
. Selon Frédéric Fritscher, A Gbadolite, dans les palais du maréchal-président, art. cité.
589
. Cf. article ci-dessus, et Arnaud de la Grange, Zaïre : la débâcle..., art. cité. On a
annoncé également des mercenaires africains de diverses nationalités.
590
. D'après Pierre Briand, Les mercenaires du Zaïre gagnés par le syndrome zaïrois,
AFP, 11/02/97.
591
. Recueilli par Arnaud de la Grange, Zaïre : la débâcle..., art. cité.
585
586

22

« Le fiasco est total, commente un consultant spécialisé sur
l'Afrique. Politiques, militaires, mercenaires... personne n'a
voulu voir que les rebelles zaïrois n'étaient pas une bande de
pieds nickelés. Ils bénéficiaient de l'aide ougandaise,
rwandaise, donc américaine... Leur avancée a même été
préparée par des parachutages de logistique effectués. [...] Nous
avons bricolé. Nous sommes discrédités pour longtemps ».

Comme s'il ne s'agissait que d'un problème technique ! Le 7
janvier, répondant aux interrogations sur les mercenaires de
Mobutu, le porte-parole du Quai d'Orsay, Jacques Rummelhardt
avait bien senti le hic éthique. D'où un démenti à coulisses :
« S'il s'avérait exact, comme l'indiquent certains médias, que
des ressortissants français agissaient à titre privé comme
mercenaires au Zaïre, de tels agissements ne pourraient qu'être
condamnés de la façon la plus nette car ils ne correspondent en
rien à la politique de la France ».

A la trappe, d'abord, les ressortissants serbes, et autres Esteuropéens. La centaine de mercenaires français est renvoyée au
« titre privé », ce qui sauvegarde la virginité de la « politique de
la France ». Au regard de cette noble politique, est-il féal ou
félon le militaire français de haut rang qui confie : « cette aide
est providentielle [...], elle permettrait de redonner du souffle et
du temps au régime du maréchal Mobutu 592» ?
S'il s'avère que les mercenaires « ressortissants français » ont
été dépêchés au Zaïre à l'instigation d'un conseiller du président
de la République, ne devrait-on pas le condamner d'une façon
« plus nette » encore ? Ou doit-on admettre que l'Élysée est un
domaine extra-territorial, non concerné par les déclarations du
Quai d'Orsay, et qui peut se permettre de mener une double
« politique de la France », parfaitement contradictoire ? Si oui,
peut-on s'étonner que plus grand monde ne comprenne cette
592

. Cité par Jacques Follorou, D'anciens militaires français encadreraient des
mercenaires au service du pouvoir zaïrois, in Le Monde du 08/01/97.

23

politique, et que la France, lorsqu'elle la propose, se trouve
totalement isolée sur la scène internationale ?
En appui à la guerre qu'elle menait par procuration, la
Françafrique initia ou soutint quatre tentatives d'enrayer l'avancée
des forces de l'Alliance : le projet d'une intervention militarohumanitaire internationale en novembre 1996 ; la promotion d'un
retour salvateur de Mobutu en décembre ; le forcing humanitaire
au premier trimestre 1997 ; la négociation paritaire MobutuKabila. Tout n'était pas condamnable dans les objectifs affichés.
Il faudra même longuement rediscuter, au vu des analyses
impartiales qui finiront bien par être établies sur le sort des
réfugiés du Kivu, de la légitimité politique de l'intervention au
Zaïre demandée à l'ONU en novembre 1996, obtenue 593 et non
exécutée.

593

. Le fait qu'elle ait été décidée par le Conseil de sécurité de l'ONU ne suffit pas, seul, à
emporter la conviction. La légitimité doit s'ordonner autour de concepts revigorés,
internationalement reconnus et sanctionnés, du devoir d'humanité (autorisant l'assistance
civile) et du crime contre l'humanité (obligeant à l'interposition armée).

24

Mais cette intervention était dès l'abord compromise par la
stratégie mise en oeuvre dans le camp mobutiste jusqu'à la chute
de Kisangani. Conseillé par des officiers français, ce camp a
choisi de maintenir au contact de la ligne de front les groupes de
réfugiés rwandais fuyant vers l'ouest. Ainsi, miliciens et ex-FAR
pouvaient en permanence s'abriter derrière la terrible ambiguïté
de ces rassemblements de fortune : y étaient mêlés des innocents
affamés, mourants, et la milice, bien nourrie, qui commit le
génocide de 1994. On voit le résultat en janvier 1997 :
« Le camp de Tingi-Tingi, avec ses 150 000 occupants est
aujourd'hui l'objet d'une gigantesque prise d'otages. [...] [Les]
vestiges des Forces armées rwandaises (FAR) et des milices
hutues interahamwes refusent non seulement leur
désarmement, mais aussi la dispersion de la masse des réfugiés
dont la cohésion reste leur seule garantie de survie politique et
militaire. [...] Lors d'une distribution de nourriture à Amisi [un
camp voisin], les enfants non accompagnés (abandonnés ou
orphelins) avaient été écartés par les dirigeants du camp au
profit des combattants des FAR 594».

Le Secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan,
demandera en vain de « cesser de faire d'un camp de réfugiés
une base armée », précisant qu'à Tingi-Tingi « des éléments
militaires sont en cours de déploiement sur des positions
proches des camps, et des portions de ces camps sont utilisées
comme dépôts d'armes et de munitions ». La responsable du
HCR, Sadako Ogata, déplorera sans plus de résultat que « le
terrain d'aviation servant à acheminer l'assistance

594

. Thomas Sotinel, Entre milices hutues et forces rebelles, 150 000 réfugiés sont pris en
otage à Tingi-Tingi, in Le Monde du 19/01/97. Un article tout à fait remarquable sur la
tragédie vécue par les victimes de la dérobade internationale.

25

humanitaire soit aussi utilisé pour l'acheminement des
munitions 595» aux forces hutues. Pas plus que lors de l'opération
Turquoise, l'engagement pro-mobutiste de Paris ne s'attaquait à
ce genre de détail.
Ainsi, chaque fois que la diplomatie française se faisait l'avocat
des réfugiés rwandais affamés et persécutés dans la forêt zaïroise,
elle reculait d'autant une intervention entachée de suspicion.
Désormais, quand Paris parle d'aide humanitaire, l'Afrique sort
son revolver. Il est des malentendus moins tragiques.
On me reprochera sûrement de ne pas insister assez sur les
responsabilités américaines. On ne peut pas tout faire, et il ne
manque en France ni de voix, ni de plumes pour cet exercice. Il
est plus sage et efficace de balayer chacun devant sa porte : c'est
à nous, citoyens français, de nous battre pour que les actes de
notre pays ne continuent pas à nous faire honte. Et si l'on nous
oppose les intérêts de la France, qui seraient menacés par les
ambitions américaines, nous répondons ceci : ce n'est sûrement
pas avec les armes de la perversité que ces intérêts seront
durablement défendus. Il faut s'y résoudre, nous n'avons plus les
moyens d'un cynisme impérial. Et je pense que c'est une chance.
Le néocolonialisme foccartien prétendait épargner aux
Africains francophones la morsure de l'histoire. Ils ont eu la
domination et la morsure. Celle-ci se fait plus cruelle - annonçant
peut-être la liberté, non la fin des souffrances. Ainsi, pour sortir
du mobutisme, on aurait pu imaginer des moyens plus économes
en vies humaines - si la France, par exemple, avait eu quelque
respect pour l'éveil démocratique de l'Afrique. De même, une
véritable justice internationale aurait pu éviter que ne se règlent,
par la faim, le fer et le feu, les comptes du génocide de 1994.

595

. Reuter, 16/02/97.

26

L'histoire s'est écrite ainsi, mais nous n'adhérons pas à ses
façons. Ni ne voulons goûter plus longtemps les fruits amers, dont
on n'a exposé ici que quelques spécimens 596, de trente-six ans de
magouilles et de double langage françafricains. Ruineux héritage
de Jacques Foccart... Et cruel aveuglement de la Ve République.

596

. Il aurait fallu parler aussi de l'élimination du Marocain Mehdi Ben Barka (1965), du
Gabonais Germain M'Ba (1971), des tentatives de coups d'État en Guinée qui ont radicalisé le
régime de Sékou Touré, etc., etc.

27

Ruineux foccartisme.

28

29

1.
La décomposition d'un système 597.

15 mars 1997 : Kisangani tombe comme un fruit mûr. Les
rebelles de Laurent-Désiré Kabila et ses alliés africains
bousculent la coalition hétéroclite qu'avaient tenté de leur opposer
le clan Mobutu et les réseaux français - ceux de Jacques Foccart
et Charles Pasqua, alliés sur ce coup. Kabila et ses troupes sont
accueillis en libérateurs : les Zaïrois hésitaient à reconnaître cette
résurgence improbable du lumumbisme, mais le désir est plus fort
de se débarrasser enfin du système Mobutu, leur ruine
personnifiée, chaque fois remis en selle par les interventions
occidentales - françaises, surtout.
Le signe zaïrois est vaincu : des Africains ont triomphé des
mercenaires, et non l'inverse. A l'image de Bob Denard, les
recruteurs vieillis ont montré leurs limites. Kisangani sera peutêtre au néocolonialisme de la France ce que Diên Biên Phu fut à
son colonialisme : le commencemenent de la fin. Comme les
symboles mènent l'histoire, on peut s'attendre à

597

. Ce chapitre reprend et amplifie un article du même titre paru dans Politique africaine
n° 66, 06/97.

30

des ondes de choc dans tout le "pré carré" francophone, à
commencer par le Centrafrique 598.
17 mars 1997 : Jacques Foccart s'éteint. Le concepteur d'un
système transfusionnel de relations franco-africaines, la
« Françafrique », en était redevenu la clef de voûte. Certes, sa
maladie réduisait de plus en plus les fils de son réseau à ceux du
téléphone (eux-mêmes remplacés, souvent, par les liaisons
satellite), mais quel magnétisme ! Il exerçait sur Jacques Chirac
un ascendant extraordinaire :
« Rares sont les soirs où, vers 23 heures, presque comme un rite,
Jacques Chirac ne lui téléphone pas. Rares aussi sont les
dimanches où, à l'Élysée, le vieil homme ne vient pas partager
quelques confidences avec le Président. Depuis longtemps,
Foccart est [...] pour Chirac une sorte de père, de tuteur, de sage,
de sorcier peut-être. [...] "On a l'impression, témoigne un de ses
récents visiteurs, qu'à l'autre bout du fil Chirac est à genoux" 599».

En mai 1995, Jacques Foccart n'eut aucun mal à étouffer la
tentative du duo Juppé-Villepin de réformer le système français
de Coopération 600. Il crut reprendre la direction de l'usine à gaz
qu'il avait conçue, omettant qu'elle ne répondait plus aux
commandes.
Revenu au pouvoir en 1958, le général de Gaulle avait perçu
l'inéluctabilité des indépendances africaines. Jacques Foccart
devient son plus proche collaborateur. Patron d'une entreprise
d'import-export, la Safiex (de 1944 à 1991), il organisait aussi
depuis onze ans l'arrière-cuisine gaulliste : renseignement 601, fi598

. Au Congo, le néocolonialisme français, Elf en tête, a tenté d'organiser un môle de
résistance en restaurant l'« ami » Denis Sassou Nguesso.
599
. Daniel Carton, Foccart, l'homme des courts-circuits, in Le Nouvel Observateur du
09/05/96.
600
. Les nouveaux Premier ministre et Secrétaire général de l'Élysée venaient de faire équipe
au Quai d'Orsay durant deux ans, comme ministre et directeur de cabinet. Ils étaient très
remontés contre les réseaux, fauteurs de diplomatie parallèle. Sur l'échec de leur tentative,
cf. Jacques Chirac et la Françafrique : retour à la case Foccart ?, Agir ici et
Survie/L'Harmattan, 1995.

31

nancement 602, « services d'ordre 603», placement et coordination des
amis en métropole et Outre-mer, dans la politique, les affaires et
les services secrets. Il installe à l'Élysée un « domaine réservé »
franco-africain, avec une double obsession : assurer une
succession stable à l'Empire, en le plaçant entre les mains
d'« amis de la France » 604; pourvoir aux financements secrets dont
la vie politique est fort nécessiteuse (rappelons que le
financement officiel des partis et des campagnes politiques
n'apparaîtra que 30 ans plus tard, après une série de scandales en
métropole).
D'où le choix, stratégique, d'un système clientéliste, le
patrimonialisme 605, mêlant intérêts publics et privés dans l'exploitation conjointe de deux rentes : celle des matières premières,
agricoles et minières, et celle de l'aide publique au développement
(APD). Il fut jugé naturel que cette double captation construise
là-bas des fortunes inouïes (Houphouët, Moussa Traoré,
Eyadéma, Mobutu,... ), puisque le taux de retour en France était,
lui aussi, faramineux. Mais, aurait-on pu

. Paul Aussaresses, créateur de l'unité militaire du Service Action du Sdece, le 11 e Choc,
a dit de Foccart qu'il était déjà, dans les années cinquante, « le patron hors hiérarchie du
service Action et du 11e Choc ». Foccart ne le dément pas, loin de là (Foccart parle, I,
p. 111-112).
602
. Foccart parle, I, p. 79 et 107.
603
. Les « gros bras » du parti gaullliste, le RPF, et des réseaux d'anciens militaires. A la
veille du 13 mai 1958, tout ce monde s'agitait dans le cadre du plan « Résurrection » : il
s'agissait, si besoin était, d'appuyer en métropole le soulèvement d'Alger - mitonné par
l'émissaire gaulliste Léon Delbecque. Une partie de ces « réservistes » formeront le SAC
(Service d'action civique), sous la direction de Pierre Debizet.
604
. Les récalcitrants ont, on l'a vu, été écartés ou éliminés.
605
. Selon Jean-François Médard. Cf. son intervention lors de la « mise en examen » de la
politique africaine de la France, les 8-9 novembre 1994 à Biarritz (L'Afrique à Biarritz,
Karthala, 1995).
601

32

prévoir, un tel processus était tout, sauf durable : il stérilisait le
développement, car l'économie rentière redoute et sabote souvent
l'apparition de secteurs productifs autonomes 606; il légitimait la
corruption ; il stimulait la course à l'endettement, sans guère
d'autre contrepartie que les investissements de prestige, les
« éléphants blancs » et les comptes en Suisse ; enfin, il a fait le lit
de l'ethnisme. Avec la chute des cours des matières premières et
l'inéluctable « ajustement structurel », la rente s'est faite plus
rare, donc plus violemment contestée. En période d'abondance,
les miettes du gâteau nourrissaient tout le monde ; avec la crise,
les luttes politiques, se distinguant de moins en moins de la
course à la rente, sont devenues des luttes au couteau 607.
En Afrique francophone, on part donc, dans les années
soixante, d'une illégalité érigée en système, d'une ponction de la
double rente (matières premières et APD) à des fins internes et
externes : la redistribution familiale et la constitution de fortunes
à l'étranger. Dans les deux décennies suivantes, la poussée
démographique, les mutations sociales dues à l'urbanisation et la
déflation des ressources rentières ébranlèrent ces mécanismes de
répartition déjà très inégalitaires : la seule issue pour les pouvoirs
en place consista alors, généralement, en un repli clanique de type
mafieux, s'appuyant sur des Gardes présidentielles et des milices,
populaires ou clandestines (« escadrons de la mort »), à caractère
ethnique. De plus en plus souvent, une structure occulte et
collégiale, analogue aux « coupoles » mafieuses, détient dans
l'ombre la réalité du pouvoir politique et économique 608. Le
politologue camerounais Achille Mbembe résume ainsi cette
évolution :
« Une fraction de l'élite au pouvoir confisque l'appareil d'État et
s'allie à l'armée. Regroupée autour d'un noyau ethnique,
606

. Ce fut manifestement le cas en Côte d'Ivoire : le « miracle ivoirien », ou plutôt celui de
quelques fortunes ivoiriennes, est totalement dépendant du cours des matières premières.
Même chose au Cameroun, au Congo-Brazzaville, etc.
607
. Cf. Antoine Glaser et Stephen Smith, L'Afrique sans Africains, Stock, 1994
(notamment p 98-99 et 157-158).
608
. Cf. Jean-François Bayart, Stephen Ellis et Béatrice Hibou, La criminalisation de l'État
en Afrique, Complexe (Bruxelles), 1997, p. 42-44.

33

bénéficiant de solides appuis intérieurs et disposant du contrôle
absolu des organes de répression (brigade présidentielle, police
secrète, unités d'élite de l'armée, paras-commandos et
organisations paramilitaires), elle s'appuie, en outre, sur
d'importants réseaux extérieurs et sur des connexions tissées à la
faveur des privatisations et au détour de ses propres participations
aux réseaux internationaux de la "finance informelle"
(contrebande, trafic de pierres précieuses - émeraudes, diamants -,
d'armes, d'ivoire ou de drogue). Puis, à partir de cette position
avantageuse, elle tente d'imposer, par la violence, un
multipartisme administratif qui consiste à agréger des formations
politiques, tout en maintenant [...] la répression : [...]
intimidation, harcèlement permanent, voire arrestation
d'opposants, [...] corruption à grande échelle et aggravation des
pratiques clientélistes, criminalisation des interventions de l'État
contre la société, [...] recours au discours tribal,... 609».

Parallèlement à la criminalisation de nombre de pouvoirs
africains, s'est manifesté l'éclatement du système pyramidal
foccartien, centralisé à l'Élysée jusqu'à la mort de Georges
Pompidou, en 1974 610. Ce système a été sapé, entre autres, par le
familialisme : le népotisme d'abord (rôles africains accordés à la
parenté du président Giscard d'Estaing), puis le

609

. Afrique des comptoirs ou Afrique du développement ?, in Le Monde diplomatique,
01/92. Un article malheureusement prémonitoire de l'évolution du Rwanda. Mais on
pourrait y retrouver aussi bien la situation zaïroise, togolaise, soudanaise, camerounaise,
congolaise, équato-guinéenne,...
610
. Sous Pompidou, Foccart jouait encore, selon le ministre des Affaires étrangères Michel
Jobert, le rôle d'un véritable ministre de l'Afrique. Cf. Pierre Péan, L'homme de l'ombre,
Fayard, 1990, p. 445.

34

filialisme. Pierre Pasqua cogère le réseau paternel. Plus
dangereusement, François Mitterrand a placé son fils JeanChristophe à la tête de la cellule africaine de l'Élysée, l'autorisant
à nouer d'inextricables relations avec quantité de fils et filles
d'autocrates africains. Profitant de cette réduction de la
Communauté gaullienne à une entreprise familiale, les groupes
d'intérêts que le pouvoir exécutif avait utilisés, tolérés, ou laissé
prospérer, se sont émancipés.
Ainsi, le réseau Foccart 611, dominant jusqu'au milieu des années
soixante-dix, s'est trouvé concurrencé par une dizaine de clans,
réseaux et lobbies politico-affairistes, militaires ou corporatistes :
les réseaux Mitterrand 612 et Pasqua ; quelques grandes entreprises
(Elf, Bouygues 613, Bolloré-Rivaud, Castel... ) ; les composantes
très divisées de la coopération militaire et policière, les multiples
services de renseignements, ainsi que des officiers plus ou moins
retraités ou détachés, qui fonctionnent en électrons libres (tels
Paul Barril, Jeannou Lacaze, Paul Fontbonne, Pierre-Yves
Gilleron, Robert Montoya,... ). On peut y ajouter, en vrac, le
lobby de la francophonie, le Trésor (qui gère l'essentiel de l'aide
au développement dans une superbe méconnaissance de ses effets
), certaines fraternelles franc-maçonnes, une secte mysticopolitique (les Rose-Croix) et, un peu perdus, un ensemble
d'acteurs plutôt généreux - parmi les ONG, les coopérants, les
villes jumelées, etc. Les micro-stratégies de tous ces groupes
s'enchevêtrent. Désordonnées, leurs manoeuvres tactiques entrent
fréquemment en collision, comme dans un manège d'autos
tamponneuses.

611

. Un mixte franco-africain de complices politiques, de relais dans les grands groupes (Elf,
UTA, Optorg, Thomson, etc. ), de PME multiservices et de DGSE.
612
. Ce réseau, dont Jean-Christophe Mitterrand s'était fait l'inlassable représentant auprès
des présidents africains et de leur descendance, n'a guère survécu à la fin du mandat
paternel. Il travaillait le plus souvent en partenariat avec le réseau Pasqua (au Togo, au
Soudan, au Zaïre, etc.). Le second a récupéré l'essentiel du « fonds de commerce » du
premier.
613
. Que l'entreprise de Foccart, la Safiex, a introduit en Côte d'Ivoire, premier chaînon
d'une lucrative implantation africaine (Foccart parle, II, p. 232).

35

On pourrait dire aussi que le réseau pyramidal de Foccart s'est
dégradé en une sorte de trame, de grille de mots croisés. Pour
comprendre l'action - de plus en plus aléatoire et contradictoire de la France en tel ou tel pays d'Afrique, il faut deviner les
croisements chaque fois différents (les cases noires), entre cette
série d'intervenants (verticalement) et une échelle horizontale de
motivations. On ne peut en exclure, chez certains acteurs plutôt
désintéressés, la conscience ou l'humanisme. Mais il faut
accorder tout leur poids aux schémas géopolitiques primitifs
cultivés par les services secrets. Ils démonisent les « hordes
hamites » ou les « pions des Anglo-saxons » : le président
ougandais Museveni et ses alliés rwandais et sud-soudanais sont
ainsi leurs ennemis jurés. Ces schémas sont renforcés par une
vieille tradition coloniale de manipulation de l'ethnicité, encore
très présente chez les officiers de l'infanterie de marine 614. Ils se
mêlent à une conception très myope des intérêts commerciaux de
la France, et de la défense de la francophonie. Il faut encore
décliner les variantes de l'« amitié », qui dégénèrent en prises de
participation dans les dispositifs mafieux de certaines familles
présidentielles africaines (trafics multiformes, blanchiment de
narcodollars, réseaux de prostitution, etc.). Il convient enfin de ne
pas oublier les multiples moyens de chantage accumulés par les
présidents « amis » (à l'occasion, entre autres, de remises
d'espèces ou de pierres précieuses, ou lors de « parties fines »)...
Pour suivre la « politique française » en tel ou tel pays, il suffit
d'observer quels sont les réseaux ou lobbies présents,

614

. Cf. Jean-François Bayart, Bis repetita : La politique africaine de François Mitterrand
de 1989 à 1995, intervention au Colloque des 13-15/05/97 sur la politique extérieure de
François Mitterrand, FNSP/CERI, p. 17.

40

quelles sont leurs motivations générales ou spécifiques : on peut
cocher alors un certain nombre de cases, du gris au noir. En Côte
d'Ivoire, au Togo ou au Gabon, il reste peu de cases blanches.
Les cases sombres sont moins nombreuses au Tchad, mais très
marquées dans le secteur militaire ou du renseignement. La
configuration rwandaise fut à la fois improbable et tragique 615.
En résumé, ce n'est plus la République, ni même l'Élysée qui
choisit et conduit la politique française en Afrique, mais une
nébuleuse aléatoire d'acteurs économiques, politiques et
militaires, un faisceau de réseaux polarisé sur la conservation des
pouvoirs et l'extraction des rentes. La logique de cet
accaparement est d'interdire l'initiative hors du cercle des initiés.
Le système évolue vers la criminalisation. Il est naturellement
hostile à la démocratie.
Pendant près de 40 ans, il s'est abrité, aux frais du contribuable
français, derrière deux assurances tous risques : financière (la
zone Franc) et politique (les accords de défense ou de coopération
militaire). Des garanties en voie d'obsolescence accélérée.
Réduite à une colonne, certes influente, dans la grille des acteurs, l'équipe Foccart s'est fait allouer en 1995 un vaste rez-dechaussée au 14 rue de l'Élysée, dans le bâtiment de l'état-major
particulier du Président. Elle doublonnait ainsi ostensiblement la
cellule africaine officielle, au n° 2 de la même rue... Trois
hommes dévoués y officiaient : l'ancien ambassadeur Fernand
Wibaux, l'ancien général Jean Capodanno et l'avocat Robert
Bourgi, proche de Mobutu et du ministre Jacques Toubon.
De ce Jacques Foccart primus inter pares, on retiendra cette
terrible erreur stratégique et morale : la réhabilitation de

615

. Cf. François-Xavier Verschave, Complicité de génocide ? La politique de la France
au Rwanda, La Découverte, 1996, chap. 1, 3, 5 et 6.

41

Mobutu lors du génocide rwandais, scellant l'alliance avec le
Hutu power et le régime soudanais, et débouchant sur une
coalition tellement cynique qu'elle en devint ingérable. Avec pour
résultat la déroute française au Zaïre, et sa disqualification dans
la région des Grands lacs.
Mais, on l'a vu, le Foccart maître de son sujet (1958-1974)
s'était déjà amplement fourvoyé : élimination des leaders de
l'UPC et massacre des Bamilékés au Cameroun (1958-64) ;
probable implication dans l'assassinat du président togolais
Sylvanus Olympio (1963) ; contact permanent avec le « franctireur » Bob Denard, dont les « exploits » africains étaient un
mode d'action des services français ; relance de la dissidence
biafraise, réarmée sous un camouflage humanitaire. Par la suite,
l'assassinat de Thomas Sankara au Burkina et l'implication
ivoirienne dans la guerre civile du Liberia ont requis une Sainte
alliance des réseaux français.
En tous ces épisodes, on retrouve la phobie des Anglo-Saxons,
et la volonté de leur tailler des croupières, géopolitiques et
commerciales. A propos du rôle de la France au Rwanda, nous
citions cette question de Colette Braeckman : « Peut-on
sérieusement imaginer que la défense de la francophonie puisse
coïncider avec la protection d'un régime digne des nazis ? 616».
On pourrait, à propos de Jacques Foccart, élargir l'interrogation :
en promouvant comme hérauts de la grandeur française en
Afrique les Eyadéma et Mobutu, entre autres, en se fourvoyant
avec l'« exemplaire » Côte d'Ivoire dans les guerres civiles
nigériane et libérienne, Jacques Foccart n'a-t-il pas outragé pour
très longtemps l'image de la France au sud du Sahara ?

616

. In Le Soir, repris par Courrier international du 30/06/94.

42

2.
Les réseaux résistent

Le Secrétaire général de l'Élysée, Dominique de Villepin, a
tenté au printemps 1997 de prendre en main le « dossier
Afrique », parlant d'« assainir » les relations franco-africaines et
de mettre au pas tous les réseaux qui y prospèrent 617. Il s'y était
déjà essayé en mai 1995. L'échec n'a pas tenu seulement au
charisme de Foccart, mais au maillage de compromissions
françafricaines enserrant Jacques Chirac. Le déclin des
dinosaures et la mort de leur parrain octogénaire desserre peutêtre les mailles. Mais le « prisonnier » de l'Élysée chérit trop ses
liens. Il a appelé auprès de lui Jacques Toubon, président des
Clubs 89 - haut-lieu du foccartisme. Dominique de Villepin luimême semble n'être pas resté insensible aux charmes et aux choix
de la Françafrique. C'est tout juste si, avant de mourir, le père des
réseaux ne lui a pas décerné un brevet de foccartisme : « Nous
avons noué d'excellentes relations 618».
Pour ce qui relève de l'Élysée, on peut donc s'en tenir au
diagnostic pessimiste d'un « expert 619» : « si guerre il y eut » au

617

. Selon Le Canard enchaîné du 09/04/97.
. Foccart parle, II, p. 478.
. Cité, sans mention de son identité, par L'Express du 26/12/96.

618
619

43

début du septennat de Jacques Chirac, sur les objectifs et les
moyens de la politique franco-africaine, « elle éclata non entre
anciens et modernes, mais entre les anciens et le néant. Car le
clan des vertueux n'avait aucun relais. Donc aucun pouvoir ».
Tant pour les gouvernants que pour les gouvernés, il est
difficile d'admettre ouvertement qu'un ou plusieurs réseaux
occultes gouvernent de facto la République, dans un domaine
aussi stratégique que ses relations avec l'Afrique. Foccart luimême ne cessait de démentir l'existence d'un réseau. Vieillissant,
il semblait s'être effacé derrière le réseau Mitterrand (1984-1993
), puis derrière le réseau Pasqua (1993-1995). Mais il est
ressuscité en mai 1995 avec l'élection de Jacques Chirac, et il
s'est de nouveau imposé dans le « domaine réservé ». Trop
visiblement, sans doute.
Avec la mort de Foccart, l'opportunité est belle d'occulter sous
un nouveau camouflage le pouvoir de la Françafrique. Il suffit de
proclamer non seulement la fin du réseau Foccart, mais, au
prétexte qu'il serait inimitable, la fin des réseaux françafricains.
Le discours est à la mode. N'est-il pas mystificateur ? Les
gouvernants ont-ils renoncé à « s'appuyer sur un ensemble de
réseaux, d'amitiés et de complicités tels qu'on ne sache jamais
où commencent et finissent, s'excluent, se contredisent,
s'impliquent ou se complètent l'action occulte et la politique
officielle », une belle définition du flou foccartien proposée par le
gaulliste Pierre Dabezies, ancien ambassadeur au Gabon 620?
Avant de revenir en conclusion sur la possibilité politique d'une
défoccartisation, je voudrais poser, en termes quasi-économiques,
la question de la demande et de l'offre de relations inavouables,
qui fuient le contrôle public parce qu'elles ne lui sont pas
compatibles. La demande de relations

620

. Cité par Pierre Péan, op. cit. p. 450.

44

privatisées, entre groupes plus ou moins occultes contrôlant le
pouvoir et la richesse, reste très forte côté africain. La vieille
garde françafricaine est là, ou de retour, avec ses entourages
insatiables : le Gabonais Omar Bongo, le Togolais Gnassingbe
Eyadéma, le Camerounais Paul Biya, l'Ivoirien Henri KonanBédié, le Sénégalais Abdou Diouf, le Mauritanien Maaouya Ould
Taya, l'Équato-Guinéen Teodoro Obiang, le Congolais Denis
Sassou Nguesso, le Béninois Mathieu Kerekou, le Malgache
Didier Ratsiraka, le Djiboutien Hassan Gouled, le Comorien
Mohamed Taki, le Marocain Hassan II, le Tunisien Ali Ben Ali,
l'Égyptien Hosni Moubarak. Au coeur du Sahel, la jeune garde
des généraux monte au créneau : le Burkinabé Blaise Compaoré,
le Nigérien Ibrahim Baré Maïnassara, le Tchadien Idriss Déby. Le
Nigérian Sani Abacha est aussi preneur de relations
françafricaines, comme l'Angolais Josué Eduardo Dos Santos, le
Kényan Daniel Arap Moï, le tandem soudanais Béchir-Tourabi et
les généraux algériens, sans parler du Libérien Charles Taylor.
On en passe...
La demande est si considérable qu'elle semble irrésistible. Avant
de considérer l'offre, il me semble nécessaire de dire quelques
mots sur la distinction privé-public, sur l'existence de règles du
jeu crédibles et sur l'édification des contre-pouvoirs. Bref, sur la
possibikité de la démocratie... En cette période de crise du
politique, le recours à l'histoire de longue période permet seul de
trouver des repères. Les travaux de Fernand Braudel fournissent à
cet égard comme une architecture, ou un atlas. Ils aident à mon
avis à comprendre pourquoi la relation franco-africaine et la
coopération se sont fourvoyées - ce qui peut mériter le détour
théorique proposé en encadré.

45

Les trois étages de la société et le lieu du politique 621
L'historien Fernand Braudel décrit l'institution de l'économie
comme la construction d'une édifice à trois étages. Elle naît, au
rez-de-chaussée, de l'économie de subsistance : l'humanité y a été
quasi-confinée durant un million d'années ; une bonne part s'y
trouve encore, et ses progrès très lents n'ont permis que
récemment de surmonter techniquement les famines répétitives.
Au premier étage (l'étage central), s'est progressivement
développée l'économie de marché local : dans cet échange « à vue
humaine », qui fut d'abord celui de la cité et de sa campagne, se
sont justement cultivées les règles de l'économie de marché. Au
second étage (l'étage supérieur), l'échange au loin des caravanes
puis des navires, des chemins de fer, de l'aviation et des
télécommunications, a tissé ensuite des économies-mondes,
aujourd'hui absorbées en une seule : c'est le règne de la macroéconomie et de ses poids lourds (multinationales, institutions
financières, principaux États).
Dans Civilisation matérielle, économie et capitalisme
(Armand Colin, 1980), Braudel raconte longuement l'édification
de ces étages successifs. L'étage supérieur tire parti de son
éloignement (géographique et technologique) pour s'abstraire des
règles du marché (concurrence, transparence), visant des
situations de rente, oligopole ou monopole. Il tient ainsi
constitutivement un double langage : « Faites ce que je dis
(l'économie de marché), pas ce que je fais ». Pour faire bref, on
peut dire que l'étage central observe les règles du marché, que le
rez-de-chaussée ne les pratique pas encore, et que l'étage
supérieur ne les pratique plus. Cet étage n'a bâti son succès le
plus inouï, en Occident, que sur la consolidation

621

. Ce résumé des thèses braudéliennes est extrait d'un article publié en 1995 par la revue
belge Défis Sud. Pour une présentation plus ample, cf. François-Xavier Verschave, Libres
leçons de Braudel, Syros, Paris, 1994.

46

séculaire puis l'étonnante santé des étages inférieurs - bien
avant de coloniser la planète. Et ce triomphe lui est monté à la
tête : les bases de sa prospérité (l'existence et le fonctionnement
équilibré d'étages sous-jacents, aux logiques différentes) ont
disparu de sa théorie économique et de sa représentation sociale.
On observe d'évidentes correspondances à cette architecture
tripartite en politique (la famille ou le clan, l'espace du débat
local, la macropolitique) et dans tous les espaces de la vie
sociale : ainsi, les tenants de la « grande-politique » cherchent
constamment à s'abstraire des rudes exigences du débat
démocratique, dont ils prônent par ailleurs, à juste titre, les
vertus.
Cette occultation du rôle fondateur des étages inférieurs a eu de
nombreuses et néfastes conséquences : on néglige ou on méprise
leurs richesses et potentiels propres, comme leurs fonctions de
contrepoids ou contre-pouvoirs ; on évacue de la pensée éducative
leurs apports spécifiques (apprendre à survivre, à vivre, à
« naviguer »), et toute une problématique de seuils, d'escaliers,
que seule autorise une perception étagée des apprentissages
sociaux ; on exclut ainsi une part croissante de la population ; on
s'interdit de penser les articulations et les passages entre les
niveaux que le jargon désigne par « micro » et « macro », et que
la théorie réduit à des abstractions quantitatives.
L'antithèse
soviétique,
cette
contre-économie-monde
mimétique, a voulu éradiquer le germe capitaliste jusqu'aux
étages inférieurs (où il n'était pas vraiment) : elle a ainsi ôté tout
lest et toute attache à l'étage supérieur, devenu une nomenklatura
hypertrophiée, laissée à un arbitraire impensé. L'exploitation
coloniale a de même relégué, folklorisé, le rez-de-chaussée et
l'étage intermédiaire de la production, de l'échange et du
pouvoir : lors des « indépendances », elle largua des États ou des

47

secteurs dits modernes dans une sorte de stratosphère, sans
oxygène, sans embrayage sur la créativité et la régulation sociales
autochtones.
Un enjeu essentiel se dégage, idéologique et pratique :
renforcer l'étage central, celui de la visibilité des règles du jeu de l'échange et de la démocratie. Tous ceux (et surtout celles) qui
restaient confinés au rez-de-chaussée de l'économie familiale,
sans droits politiques, tous ceux qui survivent sans statut dans
l'économie informelle, apprécient plutôt de sortir de la sphère
privée - privée de droits. Ils ne sont pas fâchés d'accéder à l'étage
de l'échange régulé et de la reconnaissance civique. A l'étage
supérieur, on tend à retrouver les confusions et privautés du rezde-chaussée, on tend à s'affranchir des règles pour ne plus
pratiquer que les rapports de force. Seule l'ampleur du tissu
intermédiaire peut empêcher les délires économiques et
politiques. C'est à ce niveau (petites et moyennes unités de
production, coopératives, collectivités territoriales, mutuelles,
associations, groupes humains les plus divers) que s'ancre une
certaine vérité des relations sociales, que se pratique le débat
public, que peut se décrypter le double langage dont l'étage
supérieur est forcément handicapé. C'est là que peut se cultiver la
dignité réciproque des statuts sociaux, sans laquelle on n'observe
ni démocratie, ni développement, ni civilisation.
On peut, pour illustrer cet enjeu, utiliser les deux images du
ballon de rugby et du sablier. Dans une société en équilibre
dynamique, l'étage intermédiaire est « gonflé » par les valeurs de
l'échange et les jeux coopératifs à somme positive, il restreint
l'expansion du bas et freine celle du haut. Dans une société
oppressive, au contraire, l'étage supérieur hypertrophié réduit à
presque rien l'étage intermédiaire et renvoie en bas un très grand
nombre d'individus. Il tend à imposer la pensée unique des jeux à
somme nulle : gagner en faisant perdre

48

l'autre, dominer ou être soumis, voire tuer pour ne pas être tué.
Les sociétés en sablier sont très violentes. Pour résister à leur
avènement, il faut faire de la politique au bon niveau : s'inspirant
des valeurs centrales d'une société, il s'agit d'actualiser les règles
du jeu et d'élargir l'espace de ceux qui croient, contre l'excessif
succès de ceux qui trichent. La dynamique de cet élargissement,
c'est la confiance en le bienfait de règles justes : c'est le souffle
qui regonfle le ballon.

L'appel gaullien du 18 juin 1940 visait, par une dynamique de
confiance, à élargir l'espace de ceux qui croyaient encore aux
valeurs politiques essentielles du peuple français, contre un
pétainisme défaitiste engagé dans la voie du reniement. Mais le
régime de la Ve République, que De Gaulle a institué dans une
situation de crise, comportait un danger majeur : celui de courtcircuiter cet espace, cet étage central du débat public. Dans
l'ombre gaullienne, un Jacques Foccart, dont le conservatisme
revendiqué flirte souvent avec les valeurs pétainistes, a pu établir
un court-circuit entre l'État français et les moeurs familiales,
shuntant complètement l'appareil de la légalité républicaine. Or
ces deux niveaux extrêmes, le sommet de l'État et le cercle
familial, sont, en termes de politique publique, des espaces
dérégulés.
Ce court-circuit trouve trop aisément des correspondants
tropicaux. Pour des raisons historiques, l'Afrique post-coloniale a
quelque difficulté à reconstruire une architecture politique,
économique et sociale qui lui soit propre. Coupée d'un accès
indépendant à l'économie-monde depuis son encerclement par les
flottes portugaises, saignée par l'esclavage, aliénée par la
colonisation, l'Afrique s'est acharnée à survivre. Elle a barricadé
son rez-de-chaussée, la famille élargie, terreau de ses valeurs. Elle
y a mis tellement d'énergie

49

qu'elle a réussi effectivement à survivre. L'envers de ce succès,
c'est que la solidarité familiale apparaît à beaucoup comme le seul
horizon social, alors que le défi de l'indépendance, incontournable,
oblige à rebâtir les étages supérieurs de l'échange et de l'État.
On peut dire que le foccartisme est une tragique erreur
d'aiguillage de la coopération. Alors que la France se devait de
manifester le meilleur d'elle-même, le respect de ses propres règles
du jeu, elle a en quelque sorte cautionné, par son laxisme, la
complaisance des partenaires qu'elle s'est choisis pour un clanisme
rétrograde. Sortir du foccartisme renvoie donc à une option
politique fondamentale : privilégier l'étage central de l'échange
social et ses règles du jeu, pour empêcher les courts-circuits et en
disqualifier la pratique. Seule la vitalité de cet étage-là de la
société intéresse ceux qui, en Afrique, aiment encore notre pays.
Le court-circuit est, à court terme, hautement profitable à
quelques-uns. On peut donc compter sur ceux qu'enrichit
aujourd'hui l'offre de services officieux pour faire obstacle à toute
évolution. Voyons brièvement où en sont les réseaux, avant d'en
revenir plus loin aux mercenaires.
Jusqu'au décès de « l'homme de l'ombre » en mars 1997, le
président Chirac a été subjugué par Jacques Foccart :
« Foccart [...] est [...], aux yeux de Chirac, le lien vivant avec
De Gaulle et Pompidou. Ancien secrétaire général du RPF,
promoteur du trop fameux SAC, dépositaire de tant et tant de
secrets, au carrefour de tant et tant de réseaux, dans l'intimité
élyséenne durant seize ans du Général puis de son successeur,
Foccart donne à Chirac le sentiment de tutoyer le gaullisme. [...
]
Certains jours, le président appelle une bonne dizaine de fois !
Car Foccart n'est pas consulté que sur l'Afrique. [...] Il a aussi

50

son mot à dire sur toutes les nominations. [...] A la
Coopération, [...] Jacques Godfrain [...] est son obligé. [...]
Villepin [Secrétaire général de l'Élysée] et bien d'autres ont
fini par comprendre que de toute façon il vaut mieux avoir
Foccart avec soi que contre soi 622».

Jacques Chirac est Président depuis mai 1995. Avant la
cohabitation avec le gouvernement de Lionel Jospin, Foccart a eu
le temps, en deux ans, de renouveler les cadres et correspondants
du réseau dans les ministères parisiens et à travers l'Afrique.
Quatorze ans ambassadeur en Côte d'Ivoire auprès d'Houphouët,
le titulaire officiel de la cellule africaine de l'Élysée, Michel
Dupuch, ne s'est pas pour autant montré le plus docile. Aussi a-til été doublé par une cellule-bis qui, par delà Fernand Wibaux, a
été l'occasion d'un changement de génération : Robert Bourgi, fils
d'un commerçant libanais de Dakar qui fut dès les années
cinquante l'informateur privilégié de Foccart 623, a hérité des
manettes du réseau ; d'autres figures sont apparues, telles celle de
Jean-François Probst, ancien collaborateur de Charles Pasqua au
Sénat. Il semble aussi que Foccart ait contribué à arrimer à
l'Élysée le globe-trotter de Pasqua Jean-Charles Marchiani 624.
Le portefeuille de la Coopération a permis l'ascension politique
d'un homme prédestiné : le ministre Jacques Godfrain, conseiller
municipal de Sainte-Affrique (!), présidait à l'Assemblée nationale
le groupe d'amitiés franco-gabonaises. Celui qu'il considère
comme son « père en politique », Jacques Foccart, l'y afait naître
voici 30 ans... dans le SAC : il l'a propulsé à la tête de la branche
« Jeunes », puis initié aux finances.
Durant son passage rue Monsieur, Jacques Godfrain n'a pas
démérité d'un tel pedigree. Depuis qu'il a dû la quitter, il est
apparu comme une figure-clef de la recomposition du RPR,
622

. Daniel Carton, Foccart, l'homme des courts-circuits, in Le Nouvel Observateur du
09/05/96.
623
. Foccart parle, I, p. 113. Mahmoud Bourgi fut aussi un partenaire d'affaires (Pierre
Péan, op. cit., p. 191).
624
. Foccart l'a rencontré le 5 février 1997, six semaines avant de mourir, et a intercédé en sa
faveur. Cf. Daniel Carton, Comment Chirac a sauvé Marchiani, in Le Nouvel Observateur
du 10/04/97.

51

oscillant entre Jacques Chirac et Philippe Séguin. Qu'on se
rassure tout de suite sur les ambitions réformatrices de ce dernier.
A plusieurs reprises, il s'est livré contre Lionel Jospin à une
apologie pathétique de la politique africaine de François
Mitterrand 625. Et il s'appuie depuis dix ans sur Charles Pasqua
pour prendre le contrôle du RPR.
Le principal enjeu reste bien sûr l'entreprise pétrolière Elf, dont
on a raconté à propos du Biafra la naissance sous le patronage de
Foccart. Ses démêlés judiciaires et le travail opiniâtre de la juge
Éva Joly ont permis d'en savoir davantage sur cette « raffinerie ».
Acculé, l'ancien PDG Loïk Le Floch Prigent s'est mis à table :
« [Sous la présidence de Mitterrand,] le système Elf Afrique
[est resté] managé par André Tarallo (PDG d'Elf-Gabon), en
liaison avec les milieux gaullistes [...]. Les deux têtes de pont
étaient Jacques Chirac et Charles Pasqua 626. [...] Tarallo est [...]
en liaison quotidienne à l'Élysée avec Guy Penne [...] qui est le
Foccart de Mitterrand, tout en maintenant des liens permanents
avec Foccart, Wibaux, etc. L'argent du pétrole est là, il y en a
pour tout le monde. [...]
M. Guillaumat [PDG d'Elf de 1965 à 1977)] [...] truffe Elf
d'anciens des services [de renseignement], et il ne se passe rien
dans les pays pétroliers, en particulier en Afrique, dont l'origine
ne soit pas Elf. Foccart y installe ses anciens [...]. Guillaumat a
mis en place l'organisation, les présidents qui suivent en
perdent le contrôle [...]. Les réseaux prolifèrent. A mon arrivée,
j'essaie, avec le directeur de la DGSE et celui de la DST, de
mettre un peu d'ordre. Je n'y arriverai pas parce que la DGSE
est un grand bordel où personne ne sait plus qui fait quoi. [...]

625

. Notamment dans Le Monde du 11/03/95 (Socialistes, encore un effort pour devenir
républicains !).
626
. Le clan corse de Charles Pasqua (Pierre Pasqua, Jean-Charles Marchiani, Daniel
Leandri, Charles et Robert Feliciaggi, Noël Pantalacci, Toussaint Luciani, Michel et JeanBaptiste Tomi, Jean-Pierre Tosi, Jean-Paul Lanfranchi, etc.) a noué en Afrique de nombreux
liens d'affaires avec le Corse André Tarallo. Et il a mis la main sur Elf-Corse, dont le
bénéfice annuel, après impôts, se situe entre 300 et 400 millions de francs (cf. Antoine
Glaser et Stephen Smith, Ces messieurs Afrique, II, p. 212-224).

52

Tout se passe ailleurs, mêlant des anciens et des nouveaux
d'Elf, avec un doigt de Tarallo, un doigt de Pasqua, et des zestes
de RPR. En tous les cas, il y a une imprégnation gaulliste faite
de ces réseaux et un lien avec le parti à tous les étages de la
maison, en particulier à la direction des filiales à l'étranger et,
plus particulièrement, en Afrique. [...]
La DGSE envoie des renseignements au pouvoir
complètement débiles sur l'Afrique [...], ces rapports ne
représentent pas la connaissance que les gens d'Elf peuvent
avoir des réalités. Soit la DGSE a recruté les connards d'Elf,
soit les recrutés font de l'intox dirigée par Foccart. Je penche
vers la seconde solution et je dis à Mitterrand qu'il peut déchirer
tout ce qui vient de la DGSE sur l'Afrique 627».

Ulcéré d'avoir été lâché par l'establishment, Le Floch n'est pas
tendre. Certains de ses propos mériteraient quelques nuances.
Mais l'essentiel est là. André Tarallo était l'alter ego de Foccart au
sein d'Elf, avec des moyens financiers considérables assouplissant
l'ensemble de la classe politique et la nouant aux « émirs » du
Golfe de Guinée.
Avec les années, la recrue foccartienne Charles Pasqua s'est
émancipée, a pris du volume et de l'ambition. Aidé et stimulé par
son fils Pierre, l'ancien ministre de l'Intérieur a développé son
propre réseau françafricain 628, à base d'expatriés corses et de
relais dans les communautés libanaises. Il a pris pied

627

. La « confession » de Loïk Le Floch-Prigent, in L'Express du 12/12/96.
. Pour un aperçu des agissements françafricains du réseau Pasqua, cf. Dossiers noirs n° 1
à 5, p. 279-292.
628

53

chez Elf, s'est allié à Le Floch et branché sur Tarallo. Avec son
fils, il ne cesse d'apparaître en filigrane dans les dossiers de la
juge d'instruction Éva Joly 629. Mais les nombreux relais
« gaullistes » au sein de l'entreprise penchent généralement du
côté de la « légitimité », c'est-à-dire du pouvoir : après la défaite
du tandem Balladur-Pasqua en 1995, ils ont réaffirmé leur fidélité
chiraquienne, jusqu'en mai 1997. Depuis, ils guettent l'issue du
combat de chefs au sein du RPR.
En 1997, l'Élysée a veillé à faire désigner un homme sûr à la
tête du « service de sécurité » d'Elf : le général Patrice de Loustal,
récent retraité, qui a dirigé le service Action de la DGSE de 1993
à 1996, après en avoir été longtemps le second 630.
La guerre civile au Congo-Brazzaville, de juin à octobre 1997,
et la victoire par K.O. de l'ancien président Denis Sassou Nguesso
sont un bon indice de la vitalité persistante de l'hydre
françafricaine après la mort de Foccart, et des plongées qu'elle
opère. Dans le conflit meurtrier opposant les milices de Sassou
Nguesso et de son successeur Pascal Lissouba, la France a affiché
dès le départ une neutralité officielle, au nom d'une nouvelle
virginité : finie l'ingérence dans

629

. Cf. Airy Routier, Le jour où Elf a pris feu, in Le Nouvel Observateur du 10/04/97.
Selon Daniel Carton, c'est la menace de diffuser un dossier sur les affaires africaines de
Pierre Pasqua qui a empêché son père de pousser son avantage contre Chirac lors des Assises
RPR du Bourget, en 1990 (La deuxième vie de Charles Pasqua, Flammarion, 1995, p. 185
).
630
. Cf. Hervé Gattegno, L'étrange interpénétration des services d'Elf et de la France, in
Le Monde de 28/09/97.

54

les affaires intérieures des États africains ; on se contente d'un
« service minimum », l'évacuation des Français et autres
Européens. On pouvait comprendre cette posture. Les deux
vétérans de la politique congolaise, aux premières loges depuis un
tiers de siècle, ne luttaient manifestement que pour le gros lot : les
royalties pétrolières et l'appropriation clientéliste du budget de
l'État.
Au tournant de 1990, le mécontentement populaire et une
Conférence nationale souveraine avaient chassé le dictateur
Sassou Nguesso et rétabli les élections, portant Lissouba à la
Présidence en 1992. Depuis, les deux hommes n'ont cessé de se
battre, alternativement par les armes et dans les urnes. Celles-ci
ne peuvent plus les choisir sans être bourrées, tant la population
est lasse de ces compradores, ces prédateurs branchés sur les
circuits françafricains : Elf bien sûr, mais aussi les réseaux
Foccart et Pasqua, des filières corses 631, des excroissances
maçonniques 632, etc.
Le pays est en faillite. Sa dette extérieure est le triple de son
Produit intérieur brut. Pour parer les coups de l'adversaire et
éviter les aléas du scrutin présidentiel, prévu en juillet 1997, les
rivaux dégainent leurs milices, sans épargner les civils. Ils ont
assez volé pour faire la joie des marchands d'armes. La drogue
s'en mêle, disjonctant un peu plus les miliciens. Il est difficile de
prendre parti.
Mais il se confirme rapidement que la Françafrique penche
massivement pour son vieil affilié Sassou Nguesso. Le 3 juin,
deux jours avant le début du conflit 633, une curieuse livraison de
25 tonnes de fret aérien part du Bourget sous label « présidence
du Gabon », puis est transférée aux partisans de Sassou Nguesso

631

. Via, entre autres, les frères Feliciaggi.
. Sassou Nguesso joue volontiers de son appartenance maçonnique (à la GLNF).
633
. Cf. Claude Angeli, Le très curieux périple de 25 tonnes de fret bizarre entre Paris, le
Gabon et le Congo, in Le Canard enchaîné du 13/08/97.
632

55

via l'aéroport gabonais de Franceville. Utile précision, le président
du Gabon Omar Bongo est le gendre de Sassou Nguesso.
On voit réapparaître la très serviable PME Geolink, qui monta
l'intervention des mercenaires et avions serbes au Zaïre : elle
procurerait cette fois une centaine de mercenaires à Sassou 634.
Selon La Lettre du Continent 635, même des conseillers élyséens
recherchent des « instructeurs » pour le beau Denis. Lequel s'allie
ouvertement à d'autres alliés de la Françafrique : une partie des
forces du Hutu power (les ex-FAR) et la Division spéciale
présidentielle de Mobutu, repliées au Congo-Brazza.
Mais on va faire plus fort. « Avions français au Congo ? », fait
mine de s'interroger Le Nouvel Observateur du 25 septembre.
Citant l'opposition tchadienne, l'hebdomadaire indique que l'armée
de l'air française mettrait des avions de transport militaire à la
disposition de soldats tchadiens, envoyés au Congo pour
combattre aux côtés de Sassou Nguesso. Les appareils
décolleraient d'Abéché (Tchad), où la France a ses aises. On peut
sans doute ôter le point d'interrogation 636. Même si l'armée
française au Tchad pratique volontiers l'autogestion, il est
impensable que Jacques Chirac n'ait pas donné son feu vert à cet
engagement d'appareils français.
Cela n'étonne plus. Le Canard enchaîné 637 décrit comment le
tandem Chirac-Bongo mobilise tous azimuts en faveur de l'ami
Nguesso, contre le président élu Lissouba - interdit de visite à
l'Élysée et Matignon. Un responsable du RPR confirme le feu

634

. Selon Claude Angeli, Le sort du Congo se joue au fond du puits de pétrole , in Le
Canard enchaîné du 11/06/97.
635
. Recherche « instructeurs » militaires, 19/06/97.
636
. Le SIRPA (Service d'information des armées) n'a pas été en mesure d'apporter le démenti
que nous lui avons demandé.
637
. Claude Angeli, Chirac s'ingère dans la guerre du Congo, 10/09/97, et Chirac au
standard « africain » de l'Elysée, 17/09/97.

56

vert de l'Élysée et de certains dirigeants d'Elf aux livraisons
d'armes à Sassou Nguesso. L'un des circuits, initié par un homme
d'affaires chiraquien et un haut responsable d'Elf, passe par
l'Angola 638. D'autres passent par le Gabon et le Centrafrique.
Ainsi, sous une neutralité de façade, une Françafrique branchée
sur le bureau présidentiel se range aux côtés de l'une des factions
qui déchirent le Congo. Dans ce combat, elle se retrouve avec
l'armée tribale du président tchadien Idriss Déby, une partie de la
garde mobutiste, un morceau du Hutu power rwandais, et des
mercenaires recrutés par les services secrets français. Au
ministère de la Défense, on a de la suite dans les « idées ». Le
Monde le confirmera après coup :
« Dans les états-majors français, on a du mal à cacher le parti
pris en faveur de Denis Sassou Nguesso. [...]
Selon les services de renseignement français, les "Cobras" de
M. Nguesso [...] ont pu disposer d'armements lourds et
individuels en provenance de plusieurs États africains proches
de la France, comme le Gabon. Les mêmes sources françaises
laissent entendre que ces milices ont pu, grâce à des circuits de
financement occultes fréquents dans les milieux pétroliers,
acheter des matériels en Europe 639».

Pendant ce temps Omar Bongo, ami de Chirac et obligé d'Elf,
préside le Comité international de médiation chargé de dénouer la
crise congolaise...
Mi-octobre, la guerre de position entre milices cède à une
conquête-éclair du pays par le camp Nguesso. Aux considérables
apports en hommes et en armes déjà mentionnés s'ajoute un
élément plus décisif encore : l'intervention de l'armée

638

. Cf. Bagatelles autour des massacres en Afrique, in Le Canard enchaîné du 09/07/97.
. Jacques Isnard, Des "cobras" très bien ravitaillés en armes, 17/10/97.

639

57

angolaise depuis l'enclave pétrolière voisine de Cabinda 640.
Pourquoi l'Angola est-il monté au front ? La vieille amitié entre
le président angolais Dos Santos et l'ex-président congolais
Nguesso n'est pas une explication suffisante. En interrogeant les
généraux qui détiennent la réalité du pouvoir à Luanda, on perçoit
deux niveaux de motivations. Il s'est agi d'abord de frapper deux
rébellions angolaises que Lissouba ne cessait de favoriser : l'Unita
de Savimbi et les sécessionnistes du FLEC-Rénové (Front de
libération de l'enclave de Cabinda). Les généraux de Luanda ne
cachent pas non plus leurs ambitions. Ils entendent faire de
l'Angola une puissance régionale, ce qui suppose d'endiguer les
visées de deux grands « voisins » : l'Afrique du Sud (qui serait
alors cantonnée dans l'Est africain) et l'ex-Zaïre, renvoyé à la
difficile gestion de l'après-Mobutu. L'Angola, lui, pourrait devenir
le « parrain » d'une longue côte gorgée de pétrole, allant de ses
propres gisements offshore jusqu'au Cameroun, en passant par
Cabinda, Pointe-Noire au Congo, le Gabon et la Guinée
équatoriale.
Il n'est pas surprenant que ces ambitions angolaises rejoignent
un corps expéditionnaire venu du Tchad : ce protectorat français à
fortes promesses pétrolières s'est vu confirmer un rôle de verrou
stratégique par le ministre de la Défense socialiste Alain
Richard 641.
Mais plus que du ministre français de la Défense, il faut parler
de la Tour Elf à la Défense... Car il est clair qu'en toute

. Coincé entre les deux Congo (Brazza et Kinshasa) ce petit territoire de 7 000 km2,
coupé du reste de l'Angola, n'en produit pas moins les deux-tiers du pétrole de ce pays...
641
. « La France [...] a jugé utile de consolider son implantation à N'Djamena [...] qui
permet des mouvements rapides vers les différents lieux où l'intérêt de la France s'avère
nécessaire. C'est pourquoi, le site de l'Opération Épervier sera maintenu, consolidé et
renforcé en compagnie de combat » (Déclaration du 30/07/97).
640

58

cette affaire la stratégie du groupe pétrolier a été déterminante.
Alors qu'il vient d'enchaîner les découvertes de champs pétroliers
majeurs au large des côtes angolaise et congolaise, il voyait cet
eldorado marin exposé à la vague révolutionnaire issue de la
région des Grands lacs. Les régimes corrompus du Gabon, du
Cameroun et de Guinée-équatoriale étaient menacés. Celui de
Brazzaville sombrait... Il y avait le feu au lac... de pétrole ! Des
bateaux-navettes ordinairement utilisés par Elf ont débarqué des
unités angolaises et des « Cobras » de Nguesso pour s'emparer du
port de Pointe-Noire, centre névralgique de l'exploitation
pétrolière et clef de la conquête du Congo 642.
Opportunément, en 1996, le réseau Pasqua-Marchiani avait
gavé d'armements russes les troupes angolaises 643. En avril 1997,
le PDG d'Elf Philippe Jaffré avait fait un séjour remarqué à
Luanda. A l'Élysée, Jacques Chirac n'avait donc plus, en ligne
directe avec l'ami Bongo, qu'à sceller la coalition anti-Lissouba,
sans lésiner sur les moyens proprement français : l'armée de l'air
et les « services » spécialisés dans les trafics d'armes. Les services
secrets de l'État et ceux d'Elf, rappelons-le, ont beaucoup d'agents
en commun. Depuis le temps du Biafra, ils savent organiser
conjointement des livraisons occultes d'armements.
La neutralité française dans le conflit congolais n'était donc
qu'une fiction. Les médias ont vendu la mèche. On a vu François
Blanchard, le « monsieur Afrique » de Thierry Saussez - hommeprotée de la communication politique françafricaine -, être le
premier Occidental à embrasser devant une caméra de télévision le
général vainqueur Sassou Nguesso 644. Moins d'un mois après cette
victoire, la Françafrique, emmenée par Thierry Saussez,

642

. Le Canard enchaîné du 22/10/97.
. Pour 2 milliards de FF, via le vendeur d'armes franco-russe Arcadi Gaydamak et
l'homme d'affaires Pierre Falcone (La Lettre du Continent, 25/07/96).
644
. France 2, 17/10/97.
643

59

a affiché son amour du régime angolais : Elf, Castel, et compagnie, se sont payé dans L'Express du 13 novembre vingt pages de
publireportage en quadrichromie, « Angola tourné vers l'avenir ».
Des fleurs au bout des fusils...
Un axe Elf-Élysée-N'Djamena-Brazza-Luanda se dessine. Il
pourrait, accessoirement, faire le ménage en Centrafrique, étouffer
dans l'oeuf des turbulences contestataires au Cameroun, et couver
ceux qui rêvent d'une reconquête de l'ex-Zaïre.
Jospin a-t-il eu son mot à dire dans tout cela ? A-t-il ou non
aquiescé à ce kriegspiel, à cette énième variante du découpage de
l'Afrique, à ces manoeuvres de consolidation d'un chapelet de
régimes prédateurs, au triomphe, peut-être éphémère, de la
compagnie Elf ? Selon La Croix 645, le trio Nguesso-Bongo-Dos
Santos a « de bonnes relations avec l'Élysée et nombre de
responsables du Parti socialiste français ». Selon Le Canard
enchaîné 646, « le gouvernement Jospin a suivi, sans trop
d'enthousiasme ».
L'affaire se conclut par une série de plaintes. Chassé de
Brazzaville, l'ex-Président Lissouba a porté plainte contre Elf au
Tribunal de grande instance de Paris pour complicité de
destructions et d'homicides (5 000 à 15 000 civils), actes de
terrorisme et association de malfaiteurs. Il accuse Elf d'avoir
financé une guerre civile dont il estime le coût, pour le camp
Nguesso, à plus de 100 millions de dollars. Il demande l'examen
de la comptabilité d'Elf, et notamment de sa banque très privée, la
Fiba. Une plainte bien épineuse, dont le parquet s'emploie à
démontrer l'irrecevabilité.
Lissouba ne manque pas de documents compromettants. Lui
aussi arrosé par Elf, il connaît parfaitement les circuits

645

. Julia Ficatier, L'Angola donne la victoire à Sassou Nguesso, 17/10/97.
. Claude Angeli, Paris a choisi le vainqueur au Congo, 22/10/97.

646

60

financiers de la corruption 647. Il rengainera probablement ses
pièces à conviction contre un gros pactole.
Cela fera encore ça de moins pour les Congolais, qui ne voient
guère la couleur des revenus pétroliers. La guerre des
concessionnaires de la rente leur aura, au contraire, laissé une
capitale en ruines. L'état de Brazzaville évoque Grozny, ou Berlin
en 1945. La première capitale de la « France libre » fait honneur à
un demi-siècle de politique franco-africaine !
La plainte du peuple congolais n'émeut guère les bureaux de la
Tour Elf et de l'Élysée, où s'est décidée la restauration de l'ami
Nguesso. Il faut par contre donner des billes au vainqueur. Nul
doute que les contribuables français seront appelés à cotiser au
minimum vital de reconstruction de Brazzaville. Leur plainte est
inaudible. Et puis, dira-t-on, ce n'est que justice : cette politique de
Gribouille est menée au nom de la France, décidée ou cautionnée
par un pouvoir que nous avons démocratiquement élu. Peut-être
pas pour ça ?
A défaut d'être citoyens, nous pouvions en spectateurs assister
mi-décembre 1997 à un remarquable défilé. Deux mois à peine
après la fin du carnage, Sassou Nguesso recevait dans le fastueux
hôtel Crillon une grande partie de la distribution parisienne du
présent ouvrage : Vincent Bolloré, Robert Feliciaggi, Philippe
Jaffré, Jean-Christophe Mitterrand, Charles Pasqua, Guy Penne,
Fernand Wibaux, etc. Il était reçu en tête à tête par Jacques
Chirac à l'Élysée, moins intimement par Lionel Jospin à
Matignon. Le tout sous la haute protection des hommes de main
de Paul Barril... 648.
Avant d'achever ce chapitre sur les réseaux, il faut revenir sur
les propos bien peu rassurants de Loïk le Floch sur l'état de la
DGSE : « renseignements complètement débiles sur l'Afrique »,
647

. D'après Antoine Glaser et Stephen Smith, Lissouba attaque Elf en justice, et Stephen
Smith, Elf-Congo : Lissouba dénonce un « pacte de corruption », in Libération des 26 et
28/11/97.
648
. Cf. La Lettre du Continent du 01/01/98. On peut s'étonner à ce propos que le
gouvernement Jospin laisse opérer à l'hôtel Crillon, haut-lieu de la diplomatie parisienne
officieuse, la milice d'un personnage aussi « incontrôlable » et sulfureux que Paul Barril, qui
se flatte par exemple d'avoir combattu aux côtés du Hutu power.

61

« intox dirigée par Foccart ». Minée par les luttes de clans, la
DGSE a vu chuter sa fiabilité globale : les analyses fausses ou
biaisées discréditent les vraies. Elle ne peut du coup contribuer à
prévenir certaines erreurs stratégiques majeures de la France en
Afrique. Surtout, elle ne sait plus bien à quelle autorité
respectable se vouer. Cela peut l'entraîner dans des aventures
factieuses. On voudrait que le roman très documenté de Serge
Bramly, Le réseau Melchior 649, n'en soit que le cauchemar. On y
voit une partie des services secrets français détournée par une
organisation mafieuse. Celle-ci assure son impunité grâce aux
compromissions de hauts dirigeants politiques et utilise l'Afrique
comme lessiveuse des recettes financières d'une criminalité
mondialisée.

649

. JC Lattès, 1996.

62

3.
Denarderies

Tout au long de sa carrière de Monsieur Afrique, Jacques
Foccart a eu un impérieux besoin de vrais-faux soldats, de
prétendus mercenaires qui assuraient en fait des missions
inavouables. Aussi a-t-il constamment oscillé entre l'aveu et le
désaveu : « Je n'ai pas de contact avec ces mercenaires [au
Biafra] ni avec leur chef, Bob Denard. Enfin, les circuits
fonctionnent bien et discrètement 650».
Le chef en question est en passe d'obtenir le beurre et l'argent
du beurre : les avantages considérables d'un statut de seigneur de
la guerre, warlord ou condottiere privé, puis, sur la fin, la
reconnaissance de la nation. En France, sa réhabilitation en
« corsaire de la République » va bon train. Très télégénique, un
rien sentimental, l'oncle Bob charme ses auditeurs par le récit de
ses aventures africaines au service du drapeau tricolore 651. Sans
revenir sur sa carrière 652, il n'est pas inutile d'essayer d'y voir plus
clair sur sa place dans le système Foccart, d'autant que le
corsaire fait des émules.

650

. Foccart parle, I, p. 345.
. Cf. par exemple son complaisant interview par Guillaume Durand, sur LCI, le
26/12/96. Son collègue et ami Tavernier a été, lui, la vedette de l'émission Ça se discute sur
France 2, le 03/03/98.
652
. Voir p. 266.
651

63

La chaîne Foccart-Denard est d'abord passée par le colonel
Maurice Robert, responsable du Sdece pour l'Afrique : « un
homme de grandes capacités, qui avait une connaissance
exceptionnelle des affaires africaines », nous explique Foccart.
Depuis les années cinquante, « il était et demeure mon ami 653»,
précise-t-il en 1995, avant de reprendre aussitôt de la marge : « Il
ne me disait peut-être pas tout 654». Glisser du Sdece à la tête du
service de sécurité d'Elf n'est pas vraiment dételer. Ni devenir
ambassadeur au Gabon, ni rejoindre le staff des Clubs 89. Monté
en grade, Maurice Robert a simplement laissé au lieutenantcolonel Codet le rôle d'« officier traitant » de Bob Denard. A
l'ambassade de Libreville, il a remplacé l'autre colonne Maurice
du réseau : Delauney. Le trio Denard-Robert-Delauney avait été,
avec Mauricheau-Beaupré, au coeur de l'intervention foccartienne
au Biafra.
Ceci clarifie les conditions de lancement d'une expédition
mercenaire telle que l'opération « Crevette », le 16 janvier 1977.
Une centaine d'hommes lourdement armés, emmenés par Bob
Denard, débarquent à bord d'un DC 7 sur l'aéroport de Cotonou,
afin de renverser le régime marxisant du commandant Mathieu
Kerekou - lequel s'affiliera plus tard à l'écurie Foccart. Prévenu,
semble-t-il, le président béninois a préparé un telle riposte que les
mercenaires doivent redécoller en catastrophe. Dans ses
mémoires, Jacques Foccart déclare qu'il ignorait tout du projet,
ajoutant rituellement que « Bob Denard ne représente pas la
France ».
Mais il conforte la version de son ami Maurice Robert 655 selon
laquelle Houphouët, Bongo, Eyadéma et Hassan II ont

653

. Foccart parle, I, p. 112.
. Réponse à une question de Pierre Péan, in Jeune Afrique du 16/02/95.
655
. Intervenant dans le documentaire Bob Denard, corsaire de la République, diffusé fin
1994 surla chaîne câblée Planète.
654

64

commandité l'opération 656. Avec le parrainage d'un tel quarteron
françafricain, il est totalement invraisemblable que Foccart n'ait
pas été au parfum. D'autant que Delauney était alors
ambassadeur au Gabon, d'où est parti le DC 7. Pour cette
agression, qui causa des victimes béninoises, Denard fut jugé - et
acquitté - en 1993. « J'ai témoigné de ce que je savais, indique
Foccart, c'est-à-dire que Denard était un patriote, qui menait
ses actions sans chercher à en tirer quelque chose pour lui. [...]
S'il a accepté de diriger le raid sur Cotonou, c'est par réaction
d'un mercenaire en disponibilité, convaincu que c'était pour une
bonne cause 657», conclut Foccart. Deviner qui a désigné cette
cause n'est pas trop sorcier.
Mais il convient manifestement de se méfier des mercenaires
« en disponibilité » :
« Denard [...] en mai 1968 [...] était venu me proposer ses
services sur la recommandation de Maurice Robert [...].
Lorsqu'il s'est présenté, il se trouve que la partie était jouée et
gagnée. Mais j'avais gardé de cette visite le souvenir d'un
patriote qui était venu se mettre à ma disposition pour "en finir
avec ce bazar", comme il disait, nullement celui d'un
mercenaire qui aurait attendu une rémunération 658».

Autrement dit, ce genre de milice denardienne peut à l'occasion
intervenir dans la politique française, par patriotisme
autoproclamé, pour en « finir avec ce bazar ». Manifestement, si
la partie n'avait pas été gagnée, Foccart n'aurait pas hésité

656

. Foccart parle, II, p. 259-264. Baptisée « Groupe étranger d'intervention », la centaine
de mercenaires s'est entraînée notamment près de Marrakech, sur la base de Bengherir
qu'utilisent volontiers les unités de choc françaises (cf. Roger Faligot et Pascal Krop, La
piscine, Seuil, 1985, p. 343).
657
. Ibidem, p. 435.
658
. Idem.

65

à faire intervenir les porte-flingues de Denard. Pas plus en
métropole qu'au Zaïre ou au Biafra. Rien d'étonnant chez
l'« homme-orchestre » des complots du 13 mai 1958, celui qui fit
planer sur la République la menace des 7 800 réservistes du
Service Action du Sdece 659, qui fonda le SAC (Service d'action
civique), puis un syndicat d'étudiants pas vraiment non-violent,
l'UNI (Union nationale interuniversitaire).
En mai 1968, d'ailleurs, Denard n'avait pas attendu l'édifiante
entrevue racontée par Foccart pour emmener ses troupes faire le
coup de poing dans les facs, en compagnie d'excités d'extrêmedroite rameutés par le SAC 660. Rappelons-le aussi, cet ancien des
commandos de marine en Indochine a participé le 17 juin 1954 à
une tentative d'assassinat contre le président du conseil Pierre
Mendès-France - accusé de brader l'Empire 661.
Foccart indique que Denard n'attend pas sa rémunération.
Évidemment : il l'a déjà à travers les sociétés de fournitures diverses qu'il pilote et qui sont prioritaires dans certains marchés de
la Coopération 662. On lui a concédé un petit bout du maquis
économique qui nourrit l'activité foccartienne clandestine. Et
puis, de temps à autre, il touche le banco : un million de dollars
pour le putsch anti-Kerekou, sous couvert de la SGS, la « Société
gabonaise de services ». Encore une PME ! Créée par Bob
Denard, Maurice Robert et Pierre Debizet (le patron du SAC),
cette officine de gros bras a pour principale activité officielle le
gardiennage des installations pétrolières d'Elf... 663

659

. Cf. Pierre Péan, L'homme de l'ombre, Fayard, 1990, p. 222-224.
. Ibidem, p. 365-368.
. Ibidem, p. 532-533.
662
. Tels ceux commandés par son ami Édouard Laporte lorsqu'il était chef de mission en
Guinée équatoriale (ameublement de la mission de Coopération et des 25 villas de
coopérants construites par une filiale du groupe Bouygues, la Colasesga). Témoignage.
663
. Cf. Pierre Péan, op. cit., p. 454-456.
660
661

66

Dans les années soixante-dix, l'ami Omar Bongo à accueilli
chez lui la bande à Denard 664. Il lui devait bien cela : le
mercenaire a trempé dans l'assassinat du principal opposant
gabonais, Germain M'Ba. Omar hébergeait Bob dans sa propriété
de Donguila, une sorte de ranch. Denard et sa troupe s'y
entraînent à loisir 665.
Le 13 mai 1978 (anniversaire remarquable), ils débarquent aux
Comores et renversent le président Ali Soilihi, au profit de son
prédécesseur Ahmed Abdallah. Cette fois, Foccart admet avoir
été informé 666. L'expédition était commanditée par Paris et
Pretoria. Le régime d'apartheid cherchait à déstabiliser les pays
voisins, en particulier le Mozambique où il entretint, comme en
Angola, une terrible guerre civile. Les Comores devinrent une
base idéale pour les raids anti-mozambicains.
Foccart raconte : « Denard était l'homme fort des Comores, à
la tête d'une garde présidentielle de six cents hommes dont
trente Européens, sans compter la centaine de civils qu'il
employait à sa ferme, tout cela payé par l'Afrique du Sud 667». Il
se faisait appeler Richard Sanders. Il ne se contentait pas de
torturer les opposants comoriens 668. Après un accident de la
circulation consécutif à un réveillon trop arrosé, « l'homme fort »
n'a pas hésité, le 1er janvier 1987 à deux heures du matin, à casser
la figure au médecin coopérant français qui, à l'hôpital de
Moroni, tentait de soigner sa maîtresse. La plainte a évidemment
été classée sans suite 669.
Dans la nuit du 25 au 26 novembre 1989, le président comorien
Abdallah ne sort pas vivant d'un entretien avec Bob Denard. Les
sponsors sud-africains et français de ce « Sanders » à la gâchette
664

. Idem, p. 532-534.
. Foccart parle, II, p. 263.
. Ibidem, p. 273.
667
. Ibidem, p. 434.
668
. Cf. Pierre Péan, op. cit., p. 534.
669
. Témoignages reçus par l'auteur. Le même médecin coopérant, Abdoulaye Keita, a fait
l'objet sept ans plus tard d'une tentative d'empoisonnement, ainsi que sa famille, alors qu'il
dirigeait l'hôpital équato-guinéen de Bata ruiné par le détournement des crédits de l'aideprojet française. Son prédecesseur Henri Desgranges a lui-même été empoisonné le 30 août
1993.
665
666

67

trop facile le rapatrient le plus discrètement possible. Ils installent
Saïd Mohamed Djohar à la place d'Abdallah.
Été 1995. Chirac est à l'Élysée, branché sur Foccart. Dans cet
archipel comorien où quelques manitous françafricains soignent
leurs trafics et leurs propriétés, Djohar a fini par faire désordre.
Passe encore qu'il s'avère un surdoué de l'« exploitation
familiale » de son propre pays. Mais il devient trop gourmand
dans le partage des flux externes (de l'aide et du « commerce »),
et sa dictature trop caricaturale. Dans un archipel qui,
manifestement, doit rester sous influence française, il convient de
sauver les apparences. Comment se débarrasser du gérant
indélicat ? Simple : il suffit de faire débarquer Bob Denard et ses
joyeux drilles. Le 28 septembre, ils s'emparent sans peine de la
Grande Comore.
Qui, le premier, suggéra la réponse : un Denard toujours aussi
affairé et friand d'aventures exotiques en dépit de ses 66 ans, ou
ses honorables correspondants ? Qui a commencé, de l'oeuf
Denard ou de la poule DGSE ? N'ergotons pas : le poulailler
était au parfum - du moins le noyau foccartien qui, depuis 35 ans,
mijote ce genre de coups tordus. Que le réseau Pasqua, le régime
libyen, des clans marocains ou des groupes sud-africains aient,
comme d'aucuns le suggèrent, misé quelques plaques dans
l'expédition - escomptant les profits d'une régence Denard - n'est
pas incompatible avec un contrôle participatif de la DGSE. Et
donc, peut-on supposer, de l'Élysée. La phrase d'un haut gradé
français : « Soit on a aidé Bob Denard, soit on est des nuls 670»,
vaut aussi pour le Château.

670

. Cité par La Tribune de Genève, 05/10/95.

68

On retiendra respectueusement, comme Le Figaro 671, le premier
terme de l'alternative. Les indices ne manquent pas : l'intervention
d'un Transall de l'armée française pour de mystérieux
parachutages, quelques heures avant le coup d'État ; les navettes
d'un Zodiac entre un bateau de guerre français et la côte tenue
par les putschistes ; l'évanescence du dispositif, animé et encadré
par des officiers français, censé protéger le président Djohar... 672.
Si ces officiers n'étaient pas de mèche (Denard leur reproche de
s'être « endormis sur leurs lauriers » !), les présidents africains
qui croient leur sécurité garantie par la coopération militaire
française peuvent s'inquiéter de son état. Si les « protecteurs »
étaient dans le coup, les « protégés » peuvent douter de la loyauté
de la « protection » : « tous les portails étaient ouverts. Comme
s'ils nous attendaient », observe un mercenaire 673.
En réalité, les chefs d'État en question savent pertinemment,
depuis l'assassinat de leur collègue togolais Olympio en 1963,
qu'en Françafrique la « loyauté » se mesure d'abord à l'épaisseur
des liens d'affaires, ou des dossiers de chantage.
L'armée française finit par débarquer et arrêter Denard. Au vu
de sa « douloureuse reddition », on pourrait en déduire que, dans
le couple Denard-DGSE, la seconde a doublé le premier : la
« Piscine » aurait ferré son brochet. Mais il s'agit plutôt d'une
savante comédie. Le scénario a été écrit conjointement jusqu'à
son terme : un bref emprisonnement « à la Santé », et l'assistance
de Me Soulez-Larivière, qui fut à Auckland l'avocat des faux
époux Turenge dans l'affaire DGSE contre Rainbow Warrior.
En tout cas, l'acteur qui a si magistralement bluffé journalistes
et téléspectateurs méritera d'être rapidement libéré : le vieux
corsaire boîte, avez-vous vu ? Grâce à ses loyaux services, Paris
semble avoir gagné sur tous les tableaux : Djohar est remplacé
par une équipe plus présentable - mais non moins dépendante ; tel
un shérif triomphant des outlaws, le corps expéditionnaire
671

. Du 14/10/95.
. Cf. Jean-Philippe Ceppi, Les services français ont peut-être aidé Bob Denard, in Le
Nouveau Quotidien (Lausanne) du 03/10/95.
673
. Cf. Jean-Philippe Ceppi, L'intervention des forces françaises aux Comores chasse les
putschistes, et Aux comores, la douloureuse reddition, in Libération des 05 et 06/10/95.
672

69

tricolore raye les mercenaires de la carte d'Afrique, s'imposant en
garant de la loi et de l'ordre.
Le ministre Godfrain peut conclure, dans un style policé par 30
ans de foccartisme : l'intervention française est « tout à fait
exemplaire. Notre attitude est imparable. Aucun reproche ne
peut nous être fait puisque toutes les précautions juridiques ont
été prises. Sur le plan opérationnel, l'action des militaires et
des gendarmes français a été menée de main de maître. Quant
au traité de coopération, il a repris son cours normal 674».
L'« affreux » BD, lui, tenait juste avant sa reddition des propos à
l'ambiguïté insondable : « La France ne m'a pas lâché, et c'est
bien là le problème, je crois qu'elle va encore me tenir quelque
temps ».
Pour Jacques Foccart, le propos n'a rien d'ambigu. Dès le 30
septembre, depuis les Comores, son corsaire l'a appelé à son
domicile. C'est donc qu'il en connaît au moins le numéro de
téléphone... Selon Foccart, Denard lui aurait dit : « Des
engagements avaient été pris qui devaient être tenus ». Le
mentor de Chirac commente : « mais je n'ai pas compris par qui
ni à l'égard de qui 675». Reste à savoir ce que les Africains ont
pensé de ce médiocre cinéma.
Dès janvier 1996, un article du Point 676 venait d'ailleurs
expliquer le film. Il citait des noms et des institutions : le général
Paul Aussaresses, de l'association d'anciens des

674

. Interview au Journal du Dimanche du 08/10/95.
. Foccart parle, II, p. 438.
. Paul Guéret, Affaire des Comores. Les secrets d'un coup tordu, 06/01/96.

675
676

70

services spéciaux Bagheera, ami de Foccart depuis plus d'un
demi-siècle ; de « jeunes anciens « du 11e Choc (le service Action
de la DGSE) et d'une série de régiments d'élite (2e et 4e RIMA, 6e
RPIMA) ; les Comoriens Abba Youssouf et Saïd Hilali, dont
nous avons décrit plus haut les attaches franco-libyennes et les
nobles objectifs 677. Les mercenaires ont été « réceptionnés » à
Moroni par les militaires de la DGSE officiellement affectés à la
protection du président Djohar : l'adjudant Ruby, du 11e Choc, et
probablement le capitaine Jean-Luc Kister, ex-plastiqueur du
Rainbow Warrior. Denard a négocié sa « reddition » avec le
général Germanos, ancien patron du 11 e Choc, et chef du cabinet
militaire du ministre de la Défense Charles Millon. Conclusion de
l'article : « Cherchez l'erreur... ». Elle est au moins, vingt mois
plus tard, dans l'éclatement de l'archipel et de l'État comoriens.
Denard n'est pas seul, et de loin, à être engagé par une France
masquée. Celle-ci envoie en Afrique toutes sortes de gens
d'armes, ex-policiers, officiers « retraités », ou mercenaires. Les
dictateurs africains sont friands de conseils extérieurs en sécurité.
A ce jeu, les anciens de l'Élysée font très fort :
- Paul Barril se multiplie auprès des chefs d'État africains,
longtemps recommandé par François de Grossouvre, le nébuleux
conseiller de François Mitterrand, puis par Charles Pasqua ;
- Pierre-Yves Gilleron, ex-associé de Barril dans la société
Secrets, devenu un concurrent haï, fait de même à la tête de son
entreprise Iris Services (tous deux ont « servi » le général
Habyarimana) 678;

677

. P. 219-220.
. Cf. Stephen Smith, Habyarimana, retour sur un attentat non élucidé, in Libération du
29/07/94 ; Hervé Gattegno, La « boîte noire », le Falcon et le capitaine, in Le Monde du
08/07/94.
678

71

- leurs ex-collègues Robert Montoya et Alain Le Caro sont
également fort bien placés, de même que l'ex-gendarme Gérard
Le Remp, en lien avec son ancien chef Christian Prouteau ;
- quant à l'ineffable général Jeannou Lacaze, ancien haut
responsable du Sdece, il a enchaîné les fonctions de chef d'étatmajor de l'armée française et de conseiller militaire de Mobutu,
élargi ces conseils au général Eyadéma, puis à quelques autres du
même tabac.
Paul Barril explique ainsi son engagement 679:
« Ce qui me motive encore [...], c'est de faire oeuvre utile en
Afrique, parce qu'on est en contact direct avec des événements
qui sont à notre mesure [...]. J'ai l'impression, c'est vrai, de
revivre ce qu'ont pu vivre, peut-être, il y a une génération, des
gens qui ont colonisé l'Afrique, mais uniquement pour leur
amener le bien, le développement, la culture, la santé. Depuis
une vingtaine d'années, j'ai gardé une amitié très forte avec
certains chefs d'État africains. [...] J'aime beaucoup le maréchal
[Mobutu] ».

L'homme et ses propos sont loin d'être marginaux dans le
village franco-africain 680. Son délire de « privé » demeure
singulièrement branché sur la confusion du privé et du public, du
militaire et du civil, qui constitue en ce village le menu ordinaire.
Au fil de ses missions, qui s'étendent au Moyen-Orient, Barril a
accumulé un matériel de chantage extraordinaire, tout comme son
avocat et ami Jacques Vergès, prodigue en conseils aux dictateurs
françafricains. Ce matériel est agrémenté de toutes les
informations récoltées dans le convoyage et la protection des
compagnes d'un soir procurées aux grands de ce monde 681.

679

. Interview à Playboy, 03/95.
. Cf. Dossiers noirs n° 1 à 5, p. 12-13.
681
. Cf. Jacques Follorou, Une affaire de prostitution internationale inquiète la
chancellerie et L'ancien capitaine Paul Barril a été placé en garde à vue, in Le Monde
des 10 et 11/06/97.
680

72

Régulièrement titillé par la justice, Barril n'hésite pas à sortir le
grand jeu. Un jour qu'on le « cherchait » sur ses ingérences au
Qatar - un émirat richissime, gros acheteur d'armes françaises et
mécène du régime soudanais -, il a fait dire par l'un des ses proches : « Qu'on le sache à Paris : on a une grenade qu'on est
prêt à dégoupiller s'il le faut. Barril connaît toutes les
commissions versées, tout l'argent sale qui a circulé entre la
France et le Qatar. Ça peut éclabousser beaucoup de
monde 682».
Même d'anciens officiers de la DGSE (toujours branchés ?)
font dans le business des sociétés privées de sécurité. Certains
avaient ainsi créé Arc International Consultants, impliquée en
1988 dans la vente de missiles Mistral à l'Afrique du Sud, via
une fausse commande du Congo. L'affaire a avorté, mais elle
avait, semble-t-il, la caution intéressée de l'Élysée 683.
Les livraisons d'armes clandestines au Hutu power rwandais
sont passées en partie par une société « couverte », DYL-Invest,
basée à Cran-Gevrier - près d'Annecy et de la Suisse. Il est
impossible que le commerce massif et illégal de matériels de
guerre auxquels cette PME s'est adonnée ait échappé aux services
français, surinvestis en tout ce qui touche au Rwanda. Le
dirigeant de DYL, Dominique Lemonnier, était donc pour le
moins un honorable

682

. D'après Jean-Pierre Perrin et Stephen Smith, Le capitaine Barril mercenaire au Qatar,
in Libération du 29/01/96.
683
. Arrêté à ce sujet, l'intermédiaire Thierry Miallier a fait savoir que, s'il était jugé, il
citerait comme témoin Jean-Christophe Mitterrand. Il a été relaxé. Cf. Antoine Glaser et
Stephen Smith, Ces messieurs Afrique, I, p. 222-231 ; Stephen Smith, Thierry Miallier,
frimeur et lampiste du "village franco-africain", in Le Magazine de Libération du
08/04/95.

73

correspondant, soumis aux règles de la discrétion.
Malencontreusement, à la suite d'embrouilles financières, son
commerce clandestin a été évoqué en justice sur plainte de... Paul
Barril, un concurrent dans le business pro-Hutu power. Écroué,
puis libéré sur un non-lieu, Lemonnier a eu la fâcheuse idée de
porter plainte à son tour contre Barril et de faire savoir qu'il
solliciterait un dédommagement de l'État français. Il meurt
opportunément d'une crise cardiaque le 11 avril 1997, en sortant
d'un déjeuner d'affaires à Annecy 684.
La France officielle et la France officieuse se font des noeuds.
Les aléas de la coopération militaire française au Cambodge
permettent d'apprendre de témoins indignés qu'elle passe en partie
par des « caisses noires, comme en Afrique », et qu'elle est
largement sous-traitée à des officines, telle la Cofras, qui
emploient des militaires « versés dans le civil 685 ». Autrement dit,
la France est si peu fière des méthodes employées dans ses
interventions extérieures qu'elle préfère payer des mercenaires
plutôt que de risquer d'y démoraliser son armée...
Alors même qu'elle embauchait pour le Zaïre des cadres du
Front national ou des massacreurs de Srebrenica, un rapport des
Nations unies constatait que les mercenaires sont, le plus souvent,
des criminels aux idéologies fasciste et raciste, associés aux
trafics illicites d'armes, de stupéfiants, voire aux prises d'otages.
Ce qui devrait conduire à « châtier de manière sévère » les
gouvernements et les mouvements qui les engagent. Le rapport
cite les Comores, où s'illustrèrent à maintes reprises les Denard et
compagnie... 686

684

. D'après Patrick de Saint-Exupéry, France-Rwanda : les silences d'État, in Le Figaro
du 14/01/97.
685
. Cf. Alain Lebas, Les Khmers Rouges dénoncent l'aide militaire ; Romain Franklin et
Alain Lebas, Paris dans le piège cambodgien, in Libération des 31/08/94 et 19/10/94.
686
. Cf. Le Monde du 31/03/97.

74

La France n'a toujours pas signé la convention internationale
contre le recrutement, l'utilisation, le financement et l'instruction
des mercenaires, adoptée en 1989 par l'Assemblée générale de
l'ONU 687. Trop d'apprentis-Foccart ne s'imaginent pas sans élèves
de Denard. Trop d'adeptes d'une fausse grandeur de la France ne
la conçoivent pas sans toutes ces opérations clandestines, tous ces
« coups tordus » qui, depuis un demi-siècle, de l'Indochine au
Rwanda et au Zaïre, en passant par l'Algérie 688, ont si lourdement
contribué à déshonorer notre pays.

687

. Cf. Isabelle Vichniac, L'ONU considère les mercenaires comme des criminels, in Le
Monde du 31/03/97.
688
. Où la « bleuite » (le retournement de prisonniers FLN) cultivée par le capitaine PaulAlain Léger fit d'irréparables dégâts. Cf. Roger Faligot et Pascal Krop, La piscine, Seuil,
1985, p. 160-162 ; et Yves Courrière, La guerre d'Algérie, vol. 3, 1970, Fayard.

75

A l'automne 1997, l'une des responsables de Survie, en mission
dans la région des Grands lacs, passe par Butare, la capitale
universitaire du Rwanda. Elle accepte l'invitation du Recteur de
la Faculté des lettres, qui lui propose de rencontrer ses étudiants.
Face à une salle bondée, elle propose à l'auditoire de renverser les
rôles convenus : au lieu de faire un exposé de ses propres vues,
elle suggère que ce soient plutôt les étudiants qui l'interrogent.
Elle est vite mitraillée par une série de questions impitoyables
sur le rôle joué par la France en Afrique, durant et après la
colonisation. Elle répond sans faux-fuyants. La discussion
déborde sur les aberrations de la Françafrique - pas le mot, mais
le contenu, largement expérimenté à travers le continent, et qui a
pris là-bas une tournure catastrophique. Toute la relation NordSud, les jeux et les conflits d'intérêts entre nations, le monde tel
qu'il va et ne va pas, sont au rendez-vous.
Subitement, une jeune étudiante fait taire ses condisciples et
lance : « Je ne savais pas qu'il y avait des Français comme
vous, je les mettais tous dans le même panier. Il faut que vous
restiez, que vous rencontriez tout le monde à l'Université, pour
que ça se sache. Il n'y a pas de raison que nous soyons les seuls
à pouvoir discuter avec vous ».
A la fin de la journée, lorsque notre amie s'en va, elle est
heureuse. Elle laisse derrière elle sa patrie mieux aimée, et un peu
de sa dignité citoyenne respectée et comprise.
Vouloir corriger les torts commis en notre nom n'est ni un acte
désespéré, ni un acte de courage. C'est une manière de vivre pour
ce que l'on croit, de faire vivre le meilleur du pays auquel on
appartient.

77

Une défoccartisation est-elle possible ?

Rappelons la réponse de Jean-François Bayart : « On peut en
douter, car la classe politique française, toutes familles
politiques confondues, paraît tenir pour légitime le foccartisme
[...] pourtant responsable du fiasco de la politique africaine de
notre pays. Tous les partis continuent d'y trouver leur compte,
notamment en matière de financement des campagnes
électorales 689». En écho, un chef d'État africain déclarait
carrément à un journaliste : « Pour moi, il n'y a ni gauche ni
droite. Je les arrose tous, pour me couvrir dans tous les cas de
figure 690». Le spectacle des cohortes de quémandeurs se
bousculant dans les antichambres des Bongo ou Sassou Nguesso,
à l'hôtel Crillon, n'est pas fait pour démentir ce propos.
Résultat des courses ?
Le même Jean-François Bayart
constatait dès 1993, avant même le génocide rwandais :
« Partout les nouvelles élites africaines se détournent de la
France sans plus cacher leur incompréhension, leur

689

. Interview au Monde du 29/04/97.
. Propos tenu en novembre 1994 au Sommet franco-africain de Biarritz. Cité par Francis
Laloupo, Le village Françafricain : la politique de l'ombre, in Maintenant, 04/95.
690

78

colère, leur tristesse, leur mépris. En définitive, cette politique
maximise les inconvénients : elle accélère la perte d'influence
de la France au sud du Sahara et elle affaiblit sa crédibilité au
centre de la scène internationale en l'enfermant dans une
position d'arrière-garde, somme toute assez comparable à celle
qu'elle occupait à la fin des années 50 quand elle niait les
évidences algériennes 691».

L'arrivée d'un nouveau gouvernement de gauche permettra-telle un ressaisissement ? Certes, le Premier ministre et une partie
de son équipe affichent des opinions hostiles à la prolongation, en
Afrique, d'un néocolonialisme caricatural - et condamné, dans
tous les sens du terme. De là à trancher le noeud gordien, la
cédille de la Françafrique, pour re-distinguer les deux parties, il y
a plus qu'une bataille de convictions. Il y a le rapport de forces,
en France, de trois logiques : politique, militaire et pétrolière.
En juin 1997 s'est ouvert un régime inédit de cohabitation, à
horizon théoriquement quinquennal. Le sort de la politique
africaine dépendait, pouvait-on croire, du succès ou de l'échec
d'une double opposition aux convictions de Lionel Jospin : celle
de la majorité françafricaine des caciques du Parti socialiste, et
celle de Jacques Chirac, grand-maître françafricain arc-bouté sur
son domaine réservé élyséen.
Mais la question risque bien d'avoir été tranchée avant même
d'avoir été posée, par la force tranquille et conjuguée de deux
pseudo-évidences : la présence militaire française en Afrique et la
nécessité pour la France d'y entretenir des protectorats pétroliers.
Ces pseudo-évidences n'aveuglent que la classe politique
hexagonale. La puissance allemande, par exemple, s'en exonère
aisément. Chez les Français attachés à l'influence de leur pays,
les esprits lucides conviennent qu'en Afrique,

691

. La Croix, 07/09/93.

79

l'instrumentalisation militaire et pétrolière de cette influence est
devenue si contre-productive qu'elle doit être radicalement
repensée.
Mais voilà. Dans la Vème République, la configuration réelle
des pouvoirs réserve une place tout à fait privilégiée à Elf et à
l'armée. Installées au coeur du régime, elles détiennent le
monopole de l'information des gouvernants sur l'Afrique
subsaharienne. L'information sulfureuse des réseaux interfère,
certes, mais leur impact apparemment réduit sur l'équipe Jospin
n'en rend que plus hégémonique la logique militaro-pétrolière.
Dès juin-juillet 1997, Elf et l'armée ont fait tranquillement
avaliser par le gouvernement de gauche leurs options stratégiques
au Gabon, au Tchad, au Niger, au Cameroun, etc. Ou plutôt leur
pilotage automatique...
Ainsi, la sismicité politique qui affecte le continent africain
n'aura pas libéré une nouvelle conception de la relation francoafricaine. Elf continue de mettre son pétrole en équation avec les
autocraties corrompues du Gabon, du Cameroun, du Tchad, du
Nigeria, etc. ; l'armée française croit qu'elle a besoin d'exotisme
pour affirmer sa grandeur et attirer des recrues. Elf et l'armée
inoculent leurs raisonnements aux ministres, qui ne peuvent
qu'échouer dans l'habillage politique d'aussi pauvres arguments.
On peut suggérer aux militaires et pétroliers, jusqu'ici
détenteurs par défaut de la réflexion stratégique, que leur propre
intérêt n'est pas de construire d'illusoires lignes Maginot contre le
processus irréversible de l'affirmation africaine. Pensée ou non, la
relation franco-africaine changera. Il est préférable que la
contrainte des événements ne soit pas trop violente.
Mais l'hydre françafricaine ne sera pas vaincue sans
contestations extérieures. En 1993, l'écrivain camerounais Mongo
Béti déclarait :

80

« Ce qui est réjouissant avec le néocolonialisme français, c'est
sa maladresse en quelque sorte éléphantesque. Il n'y a pas au
monde, après la disparition de l'URSS, une autre puissance qui
oserait ainsi faire l'étalage d'un impérialisme aussi ringard 692».

Malheureusement, dans un magasin de porcelaine ethnique, un
éléphant peut faire beaucoup de dégâts : on l'a vu au Rwanda, en
1994. Or, constate le professeur camerounais Eboussi-Boulaga,
« le Rwanda est au dedans de nous 693». A « nous » de ne pas le
laisser de nouveau advenir.
Lorsque l'on prend le temps de discuter avec des Africains des
difficultés économiques de leur continent, ou des situations de
misère qui peuvent s'accentuer en tel ou tel pays, on en arrive
presque toujours au problème de la légitimité du pouvoir et des
institutions. Certes, ce n'est pas l'État qui peut générer le
développement. Il peut au moins ne pas l'interdire, ni le tuer dans
l'oeuf ; il pourrait même lui rendre quelques services. Certes,
personne ne pourra dispenser les Africains de construire une
échelle de pouvoirs légitimes ; mais il est sûr qu'on peut les en
empêcher en consolidant, au service d'un néocolonialisme
caricatural, la « politique du ventre » 694 de potentats locaux, et
ses dérives criminelles ou ethnistes.
Tel est le scandale auquel les citoyens français ont laissé
s'accoutumer leur « monarchie républicaine ». Tel est celui

692

. Interview au Messager (Douala) du 12/04/93.
. Cité par Valentin Siméon Zinga, L'imposture du pouvoir, fondement du radicalisme,
in Le Messager du 21/08/95.
694
. L'expression a d'abord une signification populaire évidente, visant l'appétit des tenants
du pouvoir. « La chèvre broute là où elle est attachée », dit le proverbe camerounais. C'est
devenu un concept politique, élaboré notamment par Jean-François Bayart (cf. L'Etat en
Afrique, Fayard, 1990).
693

81

que, pour leur propre dignité, ils devraient se hâter de faire
cesser, par l'information et l'interpellation. Avec le concours des
citoyens africains et européens.
Certains trouveront peut-être un peu court cet appel aux
citoyens. Il n'y a pourtant pas d'autres voies, tant les forces
politiques semblent dominées par les rapports de force à court
terme, les habitudes acquises et l'accumulation des crimes d'État.
Les valeurs qu'une société se donne à elle-même évoluent dans la
durée. Les mutations et les cicatrisations (la décolonisation des
esprits par exemple) sont lentes. Aussi ne faut-il pas s'étonner
que les figures de la résistance à l'oppression ou à la lâcheté
paraissent si clairsemées dans les premiers temps. Combien de
Willy Brandt ont sauvé le meilleur du peuple allemand ?
Combien de vrais résistants dans la France indécise de 1940 ?
Combien de Mandela, de Jean Moulin, de Soljenitsyne, de
Sankara, de Vaclav Havel ? Peu et beaucoup : ce sont des
catalyseurs de consciences, des révélateurs, des éclaireurs. Et
puis un jour, à force d'insister, de lutter encore et encore, de
tomber parfois, dans l'indifférence, une brèche s'ouvre dans les
murailles de Jéricho, effondrant la suffisance et la bonne
conscience des puissants. Le sourire triomphant des assassins,
l'impunité des complices ne sont plus si assurés. Pour un temps,
les pendules sont remises à l'heure.
Mais il n'y a, en la matière, que des victoires provisoires.
Souvenons-nous de l'Affaire Dreyfus. L'amnistie engloba les
coupables et les innocents, les faussaires et les résistants. Émile
Zola perdit plus de la moitié de ses biens dans ce combat.
S'adressant au président de la République à son retour en France,
il écrivit avec tristesse : « Un peu de justice sur cette terre
m'aurait pourtant fait plaisir... ». Et si, un siècle plus tard, la
grande majorité des Français se reconnaît dans le « J'accuse » de
L'Aurore, cette majorité oublie dans le même

82

temps de s'interroger sur le génocide du Rwanda, cette tache
indélébile.
La dénonciation de quelques-uns serait un pauvre final et une
maigre revanche au moment de conclure cette revue de quarante
ans d'Histoire occultée. La révolte ne peut être que collective. Le
magistrat qui préfère la justice à sa carrière, le journaliste qui
ignore les innombrables séductions qu'on lui tend, le
fonctionnaire, la femme ou l'homme politiques qui rejettent la
corruption, le témoin qui parle (tant de choses essentielles restent
scellées), l'électeur qui soutient les hommes et les femmes libres
qui se présentent à lui, font reculer d'un pas le mensonge. Leur
complicité républicaine peut devenir irrésistible. Dans cet ordre
de choses, rien n'est vain. C'est pourquoi, si un seul lecteur
pouvait rejoindre les rangs de cette résistance invisible et
quotidienne, au nom de l'Afrique, ce livre n'aurait pas été écrit
pour rien.

Annexes

83

84

Annexe 1

PROPOSITION DE LOI
relative à la contribution de la France à la lutte contre la faim et pour le développement
des régions très défavorisées

La proposition de loi ci-dessous a recueilli, durant la législature 198893, les signatures de 301 députés. 231 d'entre eux ont été réélus en
1993. En avril 1993, la proposition a été redéposée par les groupes
RPR et PC, ainsi que par 89 députés UDF. 21 députés supplémentaires
se sont engagés à la signer. Elle a ainsi reçu le soutien de 442 députés,
dont 21 sont devenus ministres. Elle disposait fin 1994 de l'appui de
421 députés (1 NI, 23 PC, 7 PS, 8 RL, 246 RPR, et 136 UDF), soit
73 % de l'Assemblée.
Ce texte vise à accroître fortement la mobilisation des acteurs nonétatiques de l'aide publique au développement, les mieux à même
d'appuyer la réhabilitation économique et sociale des populations sans laquelle se perdent les aides budgétaires et les grands
programmes ; à rendre cohérente et dynamique la diffusion des
moyens (hors aide d'urgence) aux populations les plus démunies (plus
d'un milliard d'êtres humains).

85

Art.1. Parmi les actions de coopération avec les pays en voie de dévelop pement conduites par la France figurent obligatoirement des programmes
intégrés de réhabilitation en faveur des régions les plus affectées par la faim
et la désertification, destinés :
- à assurer une réduction rapide de la mortalité,
- à y créer les conditions de la sécurité alimentaire,
- à permettre la prise en compte simultanée, dans le cadre de grandes régions,
de l'ensemble des besoins fondamentaux (production agricole, santé,
communication,

approvisionnement

en

eau,

stockage

des

denrées

alimentaires, protection des sols, création d'activités productives...) de façon à
atteindre un effet de seuil,
- à favoriser durablement l'accès de la population à la responsabilité de son
propre développement.
Art.2. Le montant des dotations de l'État consacré chaque année à ces
programmes est, à compter de la première année, d'au moins 0,2 pour mille, à
compter de la deuxième année d'au moins 0,6 pour mille, et à compter de la
troisième année d'au moins 1 pour mille de la production intérieure brute.
Elles peuvent être complétées par des dons et des legs.
Art.3. Pour gérer ces ressources, coordonner la conception et animer la mise
en oeuvre de ces programmes, il est créé une Agence Française pour la Survie
et le Développement. L'Agence a également pour mission:
- de promouvoir la mise en place de groupements partenariaux de coopération, associant chacun une ou plusieurs collectivités locales, une ou plusieurs organisations non gouvernementales, ainsi que des acteurs économiques et sociaux,

86

- de définir, de concert avec ceux-ci et les autorités des pays bénéficiaires, des
programmes à moyen et long terme, et notamment des contrats de
"développement de terroir",
- de favoriser la prise en compte par les autres actions de coopération des
objectifs mentionnés à l'article 1er,
- de négocier avec les organismes homologues des autres pays de la Communauté européenne les conditions d'une collaboration avec ces pays.
Art.4. L'Agence française pour la Survie et le Développement est administrée
par un Conseil composé de représentants des différents ministres intéressés et
de

représentants

des

collectivités

locales,

des

organisations

non

gouvernementales et de personnes qualifiées. Ce Conseil est assisté d'un
Comité de concertation qui veille à la conformité des actions engagées aux
objectifs mentionnés à l'article 1er, et publie chaque année un rapport sur les
activités de l'Agence. Sa composition doit refléter la pluralité des partenaires
impliqués dans les actions de l'Agence.
Art.5. Les membres du Conseil d'administration de l'Agence et son président
sont désignés par le Premier ministre. Les représentants des collectivités et
des organisations non gouvernementales, en nombre égal à celui des
représentants de l'État, le sont sur proposition des organismes intéressés, dans
des conditions définies par décret. Le président est nommé après consultation
du Conseil d'administration.
Art.6. Les membres du Comité de concertation sont désignés par le Premier
ministre, sur proposition des partenaires impliqués et après avis du Conseil
d'administration, dans des conditions définies par décret.

87

Art.7. Le président de l'Agence nomme son directeur.
Art.8. Les dépenses résultant de la présente loi sont composées par un
relèvement à due concurrence de la taxe intérieure sur les produits pétroliers
(propositions n° 65 et 275, RPR et UDF).
Le financement des mesures proposées par la présente loi est assuré par un
relèvement à due concurrence du tarif prévu à l'article 885 U du code général
des impôts (propositions n° 175, PC ; proposition de députés PS).
Députés

BARATE, RPR

signataires

BARDET, RPR

App.UDF

(1993)

BAROIN, RPR

BONNECARRERE,

BASCOU, RPR

RPR

ABELIN, UDF

BAUMEL, RPR

BONNOT, UDF

ABRIOUX, RPR

BEAUMONT R.,UDF

BOROTRA, RPR

ACCOYER, RPR

BEDIER, RPR

BOURGASSER,

ANCIAUX, RPR

BEGAULT, UDF

ANDRE, RPR

BERGELIN, RPR

BOURG-BROC, RPR

ANGOT, RPR

BERTHOL, RPR

ARATA, RPR

BERTHOMMIER,

ARNAUD, RPR
ASENSI, PC
ASPHE, RPR

88

BOISSEAU,

UDF
BERTRAND J.M.,
RPR

CATALA, RPR
CAVAILLÉ, RPR

COUDERC A.M.,
RPR

CAVE, UDF

COUDERC R., UDF

CAZENAVE, RPR

COULON, UDF

CHABAN-DELMAS,

COUSIN A., RPR

RPR

COUSIN B., RPR

CHABOT, RPR

COUVE, RPR

CHAMARD, RPR

COUVEINHES, RPR

CHARIE, RPR

COVA, RPR

BOUVARD, RPR

CHARROPPIN,RPR

COZAN, UDF

BOUVARD, UDF

CHENIERE, RPR

CUQ, RPR

BOYON, RPR

CHERPION,

DANIEL, RPR

App.UDF

BRAOUEZEC, PC

App.RPR

DANILET, RPR

BRARD, PC

CHIRAC, RPR

DASSAULT, RPR

AUBERGER, RPR

BERTRAND L., RPR

BRENOT, App.RPR

CHOLLET, UDF

DAUBRESSE, UDF

AUBERT E., RPR

BESSON, RPR

BRIAND, RPR

CHOSSY, UDF

DE GAULLE, RPR

AUBERT R.M.,RPR

BETEILLE, RPR

BRIANE, UDF

CODACCIONI,RPR

DEBLOCK, App.RPR

AUCHEDE, PC

BIESSY, PC

de BROISSIA, RPR

COGNAT, RPR

DEBRE B., RPR

AUCLAIR, App.RPR

BIGNON, RPR

BRUNHES, PC

COLLIARD, PC

DEBRE J.L., RPR

AUDINOT, RPR

BIREAU, RPR

CABAL, RPR

COLOMBIER, UDF

DEGAUCHY, RPR

AURILLAC, RPR

BIRRAUX, UDF

CALVET, UDF

CORNU, RPR

DEHAINE, RPR

BACHELET, RPR

BLANC, UDF

CARAYON, RPR

CORNUT-

DELALANDE, RPR

BACHELOT, RPR

BLUM, UDF

CARNEIRO, RPR

BAHU, RPR

BOCQUET, PC

CARPENTIER,PC

BALKANY, RPR

BOISHUE, RPR

CARREZ, RPR

GENTILLE, RPR
COUANAU, UDF

DELL'AGNOLA,RPR
DELMAR, RPR
DELVAUX, RPR

89

DEMANGE, RPR

FREVILLE, UDF

HABIG, RPR

LAMANT, RPR

MARTINEZ, RPR

DEMASSIEUX, RPR

de FROMENT, RPR

HAGE, PC

LAMONTAGNE,RPR

MARTIN-LALANDE,

DEMUYNCK, RPR

FUCHS, UDF

HAMEL, RPR

LANDRAIN, UDF

DENIAU, RPR

GALLEY, RPR

HANNOUN, RPR

LANGENIEUX-

DENIAUD, RPR

GALY-DEJEAN, RPR

d'HARCOURT, UDF

DESANLIS, UDF

GARNIER, RPR

HART, RPR

LAPP, UDF

MASSON, RPR

DEVAQUET, RPR

GARREC, UDF

HELLIER, UDF

LAUGA, RPR

MAZEAUD, RPR

DEVEDJIAN, RPR

GARRIGUE, RPR

HERISSON, UDF

LAZARO, RPR

MERCIECA, PC

DEWEES, RPR

de GASTINES, RPR

HERMIER, PC

LE FUR, RPR

MERVILLE, RPR

DHINNIN, RPR

GAYSSOT, PC

HOSTALIER, UDF

LECCIA, RPR

MEYER, RPR

DIEBOLD, RPR

GENEY, RPR

HOUILLON, UDF

LEFORT, PC

MEYLAN, UDF

DIMEGLIO, UDF

GENGENWIN, UDF

HOUSSIN, RPR

LEGRAS, RPR

MICAUX, UDF

DOLIGE, RPR

GERIN, PC

HUBERT, RPR

LELLOUCHE, RPR

MIGNON, RPR

DOUSSET, UDF

GEST, UDF

HUGUENARD, RPR

LEMOINE, RPR

MIOSSEC, RPR

DROITCOURT, UDF

GEVEAUX, RPR

HUNAULT, RPR

LEONARD G., RPR

MOIRIN, RPR

DRUT, RPR

GHYSEL, RPR

HYEST, UDF

LEONARD J.L., RPR

MORISSET, UDF

DUBERNARD,

GIRARD, RPR

IMBERT, UDF

LEPELTIER, RPR

MOTHRON, RPR
MOUTOUSSAMY,

VILLARD,RPR

RPR
MASDEU-ARUS,
RPR

App.RPR

GOASDUFF, RPR

INCHAUSPE, RPR

LEPERCQ, RPR

DUBOURG, RPR

GOASGUEN, UDF

JACOB, App.RPR

LESTAS, UDF

DUGOIN, RPR

GODFRAIN, RPR

JACQUAINT, PC

LESUEUR, RPR

DUPUY, RPR

GORSE, RPR

JACQUEMIN, UDF

LEVEAU, RPR

DURAND, UDF

GOUGY, RPR

JAMBU, PC

LEVOYER, UDF

MURAT, RPR

DURR, RPR

GOURNAY, RPR

JEAN-BAPTISTE,

LIGOT, UDF

MUSELIER, RPR

EHRMANN, UDF

GRANDPIERRE, PC

LIMOUZY, RPR

MYARD, RPR

ETIENNE, RPR

GRAVIER, UDF

JEGOU, UDF

de LIPKOWSKI, RPR

NENOU-PWATAHO,

FALALA, RPR

GREMETZ, PC

JOLY, RPR

LUX, RPR

FANTON, RPR

GRIMAULT, UDF

JULIA, RPR

MANCEL, RPR

NESME, UDF

FAURE, RPR

GROSDIDIER, RPR

JUVENTIN, RPR

MANDON, UDF

NICOLAS, RPR

FERON, App.RPR

GUEDON, RPR

KASPEREIT, RPR

MARCHAIS, PC

NUNGESSER, RPR

FERRAND, RPR

GUELLEC, UDF

KERT, UDF

MARCHAND, UDF

OLLIER, RPR

FERRARI, UDF

GUICHARD, RPR

KIFFER, RPR

MARCUS, RPR

PAILLE, UDF

FLOSSE, RPR

GUICHON, RPR

KLIFA, UDF

MARIANI, RPR

de PANAFIEU,RPR

FOURGOUS, RPR

GUILHEM, RPR

LABAUNE, RPR

MARLEIX, RPR

PANDRAUD, RPR

FRANCO, RPR

GUILLAUME, RPR

LAFLEUR, RPR

MARSAUD, RPR

PASCALLON, RPR

FRAYSSE, RPR

GUILLET, RPR

LALANNE, UDF

MARSAUDON, RPR

PASQUINI, RPR

UDF

App.PC
MOYNE-BRESSAND
UDF

RPR

PELISSARD, RPR
PENNEC, App.RPR

de PERETTI, RPR

RPR
ROCHEBLOINE,

VALLEIX, RPR

FOUCHER, UDF

Engagements

VAN HAECKE, RPR

GAILLARD, UDF

de signature

VANNESTE, RPR

GANTIER, UDF

VANNSON, App.RPR

GATIGNOL, UDF

BARBIER, UDF

PERICARD, RPR

UDF

PERISSOL, RPR

ROIG, RPR

VERNIER, RPR

GRIGNON, UDF

BARTOLONE, PS

PERRUT, UDF

ROSSELOT, RPR

VERWAERDE, UDF

GRIOTTERAY, UDF

BAUMET, RL

PETIT, RPR

ROUSSEAU, RPR

VIGNOBLE, UDF

HABY, UDF

BEAUCHAUD, PS

PEYREFITTE, RPR

ROUSSEL, RPR

VIRAPOULLE, UDF

ISAAC-SIBILLE,UDF

BERSON, PS

PHILIBERT, UDF

ROUSTAN, UDF

VISSAC, App.RPR

JACQUAT, UDF

BOCHE, UDF

PIERNA, PC

ROUX, RPR

VIVIEN, RPR

LAFFINEUR, UDF

CAZIN

PIHOUEE, RPR

RUFENACHT, RPR

VOISIN M., UDF

LEQUILLER, UDF

THUN, UDF

PINTE, RPR

SAINT-ELLIER, UDF

VUIBERT, UDF

MARCELLIN, UDF

CHARTOIRE, UDF

POIGNANT, RPR

SAINT-SERNIN, RPR

VUILLAUME, RPR

MATTEI, UDF

DRAY, PS

PONIATOWSKI,UDF

SALLES, UDF

WEBER, UDF

MERLI, UDF

FERRY, RL

PONS, RPR

SANTINI, UDF

ZELLER, UDF

MESMIN, UDF

GASCHER, RL

PONT, UDF

SAUVAIGO, RPR

MICHEL J.P., RL

GEOFFROY, UDF

PORCHER, RPR

SCHREINER, RPR

MIGAUD, PS

GODARD, UDF

POUJADE, RPR

SEGUIN, RPR

Députés

MILLON, UDF

GUYARD, PS

POYART, RPR

SEITLINGER, UDF

signataires

MOREAU, UDF

MARTIN, RL

PREEL, UDF

SERROU, RPR

(1988-92)

NOIR, NI

MULLER, RL

PRINGALLE, RPR

SOULAGE, UDF

PAECHT, UDF

NOVELLI, UDF

PRORIOL, UDF

SUGUENOT, RPR

AMELINE, UDF

PAPON, UDF

POULOU, UDF

QUILLET, RPR

TAITTINGER, RPR

d'AUBERT, UDF

PELCHAT, UDF

SICRE, PS

RAIMOND, RPR

TARDITO, PC

BARROT, UDF

ROYER, RL

THOMAS-RICHARD,

RAOULT, RPR

TENAILLON, UDF

BOUTIN, UDF

THIEN AH KOON,

REITZER, RPR

TERROT, RPR

BRANGER, UDF

REYMANN, UDF

THOMAS, RPR

CAZALET, UDF

VASSEUR, UDF

RICHARD, RPR

TIBERI, RPR

CHAVANES, UDF

de VILLIERS, UDF

de RICHEMONT,

TRASSY-PAILLO-

COLIN, UDF

WILTZER, UDF

RPR

GUES, RPR

COLOMBANI, UDF

RIGAUD, UDF

TRON, RPR

COUSSAIN, UDF

RIGNAULT, RPR

TURINAY, App.RPR

DELATTRE, UDF

RISPAT, App.RPR

UEBERSCHLAG,

DEPREZ, UDF

ROATTA,UDF

90

de ROCCA-SERRA,

de ROBIEN, UDF

RPR
VACHET, RPR

FALCO, UDF
FEVRE, UDF

RL

d'HONNINC-

UDF
TREMEGE, UDF

Ministres
signataires

ALLIOT-MARIE
ALPHANDERY
BALLADUR
BARNIER
BOSSON

de CHARETTE
CLEMENT
FILLON
GIRAUD
JUPPE
LEOTARD
MADELIN
MICHAUX-CHEVRY
PERBEN
ROSSI
ROSSINOT
ROUSSIN
SARKOZY
TOUBON

91

Annexe 2
Propositions
africaines

pour refonder

la

crédibilité

des

relations

franco-

695

Bannir le mépris
Le 19 juin, dans son discours-programme, le Premier ministre Lionel
Jospin prônait un « nouveau partenariat » avec l'Afrique : une manière
élégante de signifier que, jusque là, il n'y avait pas eu de partenariat - mais
plutôt un clientélisme néocolonial qui a dégénéré, qui a échoué, et qui est
désormais intenable.
Non seulement les États qui ont « bénéficié » depuis 37 ans de la
coopération française rétrogradent au classement du développement humain,
mais nombre d'entre eux sont menacés de graves crises politiques, ou y ont
déjà sombré (Centrafrique, Congo). Une vague de francophobie s'amplifie,
qui rendra impossible le projet même de coopération, et le travail des
coopérants, si n'est pas signifié très rapidement un changement radical de
perspective. En trois mots, il s'agit de sortir du mépris. Il n'y a pas de
coopération sans confiance : le mépris, fut-il inconscient, exaspère la
défiance.

695

. Présentées par Agir ici et Survie le 30 septembre 1997, lors du Colloque sur la politique
africaine de la France organisé par à l'Assemblée nationale par l'Observatoire permanent

95de la Coopération française.

La France n'a pas seulement prétendu « coopérer au développement » de
ses anciennes colonies, elle a voulu continuer à les « tenir » militairement,
financièrement et culturellement - pour préserver son rang et l'accès à
certaines ressources (uranium, pétrole, etc. ). La prolongation de cette
relation étouffante est incompatible avec le concept de coopération.
La France a certes promu les accords de Lomé - cette ouverture de l'Europe
acquise grâce à la conviction de ses commissaires (Cheysson, Pisani). Mais
ils ont été partiellement gâchés par les interférences du clientélisme francoafricain, ce qui a renforcé les réactions de déception ou de défiance envers la
coopération européenne.
Une politique franco-africaine au détriment des intérêts de la France
Il est bien évident que la France n'a le projet de coopérer que parce qu'elle y
trouve son intérêt. Mais il y a plusieurs sortes d'intérêts : celui de la nation et
du peuple français, ou celui de quelques groupes d'initiés ; l'intérêt affairiste à
court terme, ou le partenariat durable.
Or les intérêts qui ont fondé la coopération franco-africaine en 1960 (rang
de la France, porté par une quinzaine de régimes clients ; accès privilégié aux
matières premières par le maintien d'économies rentières ; embrigadement
dans la francophonie ; circuits de financement politique), avaient un double
défaut :

ils

contrariaient

le

processus

d'indépendance

politique

et

économique ; ils réservaient l'accès au pouvoir et aux ressources à un cercle
de plus en plus étroit d'« amis », adeptes de la « politique du ventre ». Ce n'est
plus comme cela que la France peut compter se faire respecter, dans l'Europe
et dans le monde, ni valoriser ses productions, ni susciter l'attrait pour sa
langue et sa culture.

96

L'estime réciproque entre les peuples est gage de paix, mais aussi d'un
courant durable de bonnes affaires. En soumettant la livraison de ses produits
et de ses équipements au prisme du bakchich escompté, certains opérateurs
français et leurs correspondants africains réalisaient certes de fructueuses
opérations financières à court terme. A moyen terme, s'est installée l'image de
fournisseurs peu fiables, plaçant des marchandises de mauvaise qualité, des
installations dispendieuses et inutiles.
Les dévoiements de l'aide publique ne gaspillent pas seulement l'argent des
contribuables français : ils sont une école de cynisme. Les « valises à billets »
et les comptes exotiques ont proliféré, altérant la gestion publique en France
même et discréditant une partie de la classe politique.
En retardant le développement économique et politique de l'Afrique, on
s'achète peut-être quelques voix à l'ONU, mais on nourrit des inimitiés, qui se
mueront peut-être en fanatismes, et qui auront le poids du nombre.
Plus généralement, la France et l'Europe, dans leur déclin démographique, ne
garderont leur influence qu'en promouvant et « vendant » des biens
incorporels, à base de qualité, de culture, d'expérience institutionnelle. Dans
ce « commerce », l'image est encore plus décisive qu'ailleurs.
Propositions
- Désenclaver la politique franco-africaine de sa cellule élyséenne, mettre à
l'index ses officines affairistes, ses réseaux sécuritaires ou délinquants. Ce
qui implique un sursaut de la démocratie en France même : une
remobilisation du Parlement sur les enjeux de cette politique, et la
réanimation du débat public par tous ceux que cette politique concerne - en
particulier les Africains de France, les ONG, les africanistes, les anciens
coopérants, les mouvements civiques.

97

- Élaborer une réflexion stratégique sur l'avenir des relations entre la
France, l'Europe et l'Afrique, qui vise à rétablir une confiance sur la base
d'intérêts mutuels durables. Redéfinir ensuite les modalités de la présence
française en Afrique. Comparer la stratégie politique ainsi redéfinie avec les
stratégies conduites par l'état-major ou par tel grand groupe pétrolier.
Chercher à restaurer le primat du politique sur ces stratégies partielles.
- Conçus il y a presque 40 ans, dans un tout autre contexte et selon un type de
relations aujourd'hui révolu, les accords de défense franco-africains ne sont
plus légitimes : des interventions qui se fonderaient sur ces accords, en partie
secrets, seraient désavouées par les opinions publiques africaine et française.
Le rôle militaire de la France en Afrique doit être entièrement renégocié, en
tenant compte de l'objectif européen. Le résultat de ces renégociations devra
être soumis aux représentations nationales tant en France que dans les pays
concernés (étant entendu que des accords sont inenvisageables quand de
telles représentations n'existent pas, ou sont illégitimes).
- Instaurer un contrôle parlementaire des services secrets, comme aux
États-Unis ou en Allemagne, où l'on a fini par admettre que les services
pouvaient manipuler le pouvoir exécutif, ou lui échapper.
- Ratifier les textes des Nations unies qui condamnent l'emploi de
mercenaires, et y adapter la législation française - comme le fait l'Afrique du
Sud. Sévir plus sérieusement contre les menées en Afrique, depuis la France,
des Denard, Barril et compagnie.

98

- La France ne retrouvera sa crédibilité en matière de défense des droits de
l'homme que si elle sort résolument du double langage à propos de la
création d'une Cour criminelle internationale permanente - la soutenant
officiellement d'un côté, la sabotant de l'autre par une conditionnalité
scandaleuse (il faudrait l'accord de l'État dont ressort le coupable, de celui
dont ressort la victime, et de celui où s'est passé le crime... ; l'État criminel
étant, initialement, l'un de ceux-là, on ne jugerait que les régimes vaincus, on
légitimerait une justice de vainqueurs). Comme si l'imprescriptibilité des
crimes contre l'humanité inquiétait certains responsables français, civils ou
militaires...
- La France et l'Europe, qui sont des contributeurs majeurs des institutions
de Bretton Woods (FMI et Banque mondiale) doivent expliciter le rôle
qu'elles attendent de ces institutions dans la reconstruction économique et
financière de l'Afrique, et articuler les objectifs ainsi assignés à ceux de leur
coopération bilatérale ou communautaire.
- Au Parlement, la discussion du budget de la Coopération (un septième de
l'aide publique au développement, APD) doit être regroupée avec celle des
principaux autres chapitres budgétaires de l'APD (Bercy, Quai d'Orsay,
Recherche).
- Concernant le problème de la dette, les associations de solidarité pourraient
réclamer un audit de la destination des prêts publics consentis aux pays
d'Afrique. La plupart de ces prêts sont entachés de manoeuvres dolosives de
corruption réciproque. Plutôt que d'accorder cet audit, l'État français
préfèrera sans doute hâter l'annulation quasi-complète de la dette - une forme
d'amnistie...
- Le traitement de la dette relève de l'apurement des erreurs passées. Une
partie de l'actuelle APD relève des facilités commerciales ou d'une politique
de rayonnement culturel. La véritable coopération est en principe motivée par
la lutte solidaire contre la pauvreté. Il importe d'identifier et distinguer
l'enveloppe annuelle consacrée à cet objectif de générosité collective, la
séparant des autres flux vers les pays du Sud qui répondent à d'autres

99

motivations. Puis, comme se propose de le faire la Grande-Bretagne, il faudra

adopter une stratégie de lutte contre la pauvreté réelle, avec des priorités.
D'importants progrès méthodologiques ont été accomplis en la matière, de
même que dans l'évaluation de l'efficacité des politiques menées (critères,
indicateurs synthétiques). Le choix d'indicateurs de résultat et la réalisation
d'évaluations indépendantes faciliteraient le travail de contrôle du
Parlement.
- Ces mesures et évaluations doivent permettre d'observer l'efficacité des
sommes allouées, respectivement, à la coopération bilatérale interétatique,
aux institutions internationales, à la coopération non-gouvernementale et
décentralisée. L'effort de solidarité internationale consenti par la France devra
être réorienté vers les supports les plus efficaces dans la lutte contre la
pauvreté, plutôt que vers les administrations les plus puissantes. Comme en
bien d'autres domaines aujourd'hui, il n'est pas envisageable d'empêcher la
France de sombrer dans la sclérose si le pouvoir politique ne parvient pas à
reprendre la maîtrise de l'administration.

100

Sigles
AFASPA : Association d'amitié et de solidarité avec les peuples d'Afrique.
AFDL : Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre.
AFP : Agence France-Presse.
ALNK : Armée de libération nationale kamerunaise.
ANC : Congrès national africain (Afrique du Sud).
APD : Aide publique au développement.
APR : Armée patriotique rwandaise.
AZADHO : Association zaïroise de défense des droits de l'Homme.
BCRA : Bureau central de renseignement et d'action.
BRGM : Bureau de recherche géologique et minière.
CCCE : Caisse centrale de coopération économique.
CCER : Centre de coordination et d'exploitation des renseignements (Tchad).
CCI : Cour criminelle internationale.
CDR : Coalition pour la défense de la République et de la démocratie (Rwanda).
CDR : Comités de défense de la révolution (Burkina).
CEA : Commissariat à l'énergie atomique.
CEDEAO : Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest.
CEE : Communauté économique européenne.
CERI : Centre d'études et de recherches internationales.
CFA : Communauté financière africaine.
CFD : Caisse française de développement.
CFDT : Compagnie française du textile.
CGT : Confédération générale du travail.
CIA : Central Intelligence Agency (États-Unis).
Cimade : Comité intermouvements auprès des évacués (devenu Service oecuménique d'entraide).
CIMAO : Cimenterie de l'Ouest africain (Togo).
CIRAD : Coopération internationale en recherche agronomique pour le développement.
CNR : Conseil national de la révolution (Burkina).
CNS : Conférence nationale souveraine (Tchad, Zaïre, etc.).
COFACE : Compagnie française d'assurance du commerce extérieur.
CRAP : Commandos de recherche et d'action en profondeur.
DEA : Diplôme d'études approfondies.
DGSE : Direction générale de la sécurité extérieure.
DOM-TOM : Départements et territoires d'Outre-mer.
DPS : Département Protection-Sécurité.
DRM : Direction du renseignement militaire.
DSP : Division spéciale présidentielle (ex-Zaïre).
DST : Direction de la surveillance du territoire.
EcoMoG : ECOWAS Monitoring Group, Groupe CEDEAO de contrôle du cessez-le-feu (Liberia, Sierra Leone).
ECOWAS : Economic Community of West Africa States (= CEDEAO).
FAC : Fonds d'aide et de coopération.
FAR : Forces armées rwandaises.
FAZ : Forces armées zaïroises.

101

FDA : Forces démocratiques alliées (Ouganda).
FDD : Forces de défense de la démocratie (Burundi).
FDI : Food and Disarmament International.
FEANF : Fédération des étudiants d'Afrique noire en France.
FF : Franc français.
FIDH : Fédération internationale des droits de l'homme.
FLEC : Front de libératon de l'enclave de Cabinda (Angola).
FLN : Front de libération nationale (Algérie).
FMI : Fonds monétaire international.
FNI : Front national islamique (Soudan).
FNSP : Fondation nationale de sciences politiques.
FN : Front national.
FPH : Fondation Léopold Mayer pour le progrès de l'homme.
FPR : Front patriotique rwandais.
FROLINAT : Front de libération nationale du Tchad.
GAN : Groupe des assurances nationales.
GLNF : Grande loge nationale française.
GMF : Garantie mutuelle des fonctionnaires.
GTM : Grands travaux du midi.
GUD : Groupe Union Droit.
HCR : Haut-commissariat aux réfugiés.
HLM : Habitations à loyer modéré.
HRW : Human Rights Watch.
IDC : Internationale démocrate-chrétienne.
IEP : Institut d'études politiques.
INPFL : Independent National Patriotic Front of Liberia.
Jeucafra : Jeunesse camerounaise française.
LDF : Liberian Peace Council (Liberia).
LPC : Lofa Defence Force (Liberia).
LRA : Lord's Resistance Army (Ouganda).
MDRT : Mouvement démocratique de rénovation tchadienne.
MINUAR : Mission des Nations unies au Rwanda.
MMC : Mission militaire de coopération.
MNC : Mouvement national congolais (Congo-Kinshasa).
MRND : Mouvement républicain national pour la démocratie et le dévelopement (Rwanda).
MRP : Mouvement républicain populaire.
MSF : Médecins sans frontières.
NI : Non-inscrit.
NNPC : Nigerian National Petroleum Company.
NPFL : National Patriotic Front of Liberia.
NRC : Nimba Redemption Council (Liberia).
OAS : Organisation de l'armée secrète.
OCAM : Organisation commune africaine et malgache.
OCDE : Organisation de coopération et de développement économiques.
ONG : Organisation non-gouvernementale.
ONU : Organisation des Nations unies.

102

OPA : Offre publique d'achat.
OPCF : Observatoire permanent de la coopération française.
OPEP : Organisation des pays exportateurs de pétrole.
ORTF : Office de radiodiffusion-télévision française.
OTAN : Organisation du Traité de l'Atlantique-nord.
OUA : Organisation de l'unité africaine.
PAI : Parti africain de l'indépendance.
PCF : Parti communiste français.
PCRV : Parti communiste révolutionnaire burkinabé.
PDCI : Parti démocratique de Côte d'Ivoire.
PDG : Parti démocratique gabonais.
PDG : Président-directeur général.
PIB : Produit intérieur brut.
PMA : Pays les moins avancés.
PME : Petite ou moyenne entreprise.
PNB : Produit national brut.
PNUD : Programme des Nations unies pour le développement.
PPT : Parti progressiste tchadien.
PS : Parti socialiste.
Racam : Rassemblement camerounais.
RDA : Rassemblement démocratique africain.
RDP : Régiment de dragons parachutistes.
RG : Renseignements généraux.
RIMa : Régiment d'infanterie de marine.
RL : République et Libertés.
RPF : Rassemblement du peuple français.
RPIMa : Régiment parachutiste d'infanterie de marine.
RPR : Rassemblement pour la République.
RTLM : Radio-Télévison libre des Mille collines.
RUF : Revolutionary United Front (Sierra Leone).
SAC : Service d'action civique.
SCTIP : Service de coopération technique internationale de la police.
SDECE : Service de documention extérieure et de contre-espionnage.
Sédoc (SDESC) : Service de documentation et d'études de la sécurité camerounaise.
SFIO : Section française de l'Internationale ouvrière.
SGS : Société gabonaise de services.
SIRPA : Service d'information et de relations publiques des armées.
SLORC : Conseil d'État pour la restauration de l'ordre public (Birmanie).
SNTV : Société nationale de transport de voyageurs (Algérie).
SPLA : Sudan People's Liberation Army.
SWAPO : South West Africa's People Organization (Namibie).
TPIR : Tribunal pénal international pour le Rwanda.
UDF : Union pour la démocratie française.
UDSR : Union des démocrates-sociaux de la Résistance.
UFD : Union des forces démocratiques (Tchad).
UIDH : Union interafricaine des droits de l'homme.

103

ULIMO : United Liberation Movement of Liberia for Democracy.
UNCP : United Nigeria Congress Party.
UNESCO : Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture.
UNICEF : Fonds des Nations unies des secours d'urgence à l'enfance.
UNITA : Union nationale pour l'indépendance totale de l'Angola.
UNI : Union nationale interuniversitaire.
UPC : Union des populations du Cameroun.
URSS : Union des Républiques socialistes soviétiques.
USCC : Union des syndicats confédérés du Cameroun.
WNBF : West Nile Bank's Front (Ouganda).

104

Index
Abacha Sani : 151n, 225, 300.
Abba Mahamat : 156.
Abdallah Ahmed : 266, 322, 323.
Abdul Raouf Huda : 85n.
Abelin Jean-Pierre : 77n.
Accords de défense : 100, 121, 354.
Acedo Jean : 54n.
Adda Jacques : 58n.
Adefi : 216.
Adewi Robert : 113-114, 118, 119, 121.
ADF : voir FDA.
AFASPA : 195n.
AFDL : 251, 253, 279.
Affaires étrangères (ministère des) : 32, 37, 52, 152, 259, 262n,
278-279, 286n, 355.
Afghanistan : 257.
AFP : 144n, 150.
Afrika Janvier : 21n.
Afrique du Sud : 24, 77, 96n, 141, 185, 190-201, 220, 229n, 313,
322, 323, 328, 354.
Agence française de développement : voir Caisse française de
développement.
Agir ici : 58, 68n, 85, 127n, 351n.
Ahidjo Ahmadou : 98-104.
Ahmed Yahia : 85n.
Aide publique au développement : 44, 47, 48-52, 53, 55, 56-75,
82-83, 84, 123, 149, 175, 180, 185, 233, 287-288, 316, 321, 322n,
325, 341, 351, 353, 355-356.
Airbus : 84.
Air Cameroun : 246.
Ajustement structurel : 60.
Akazu : 16.
Albertini Pierre-André : 196.
Algérie : 15-16, 20, 37-39, 66, 92, 100, 137, 141, 195, 269, 300,
334.
Algérie (guerre d') : 15, 17-18, 27n, 98, 102, 104, 108, 113, 116,
117, 120, 121, 143, 145n, 330.
Alleg Henri : 143n.
Allemagne : 15, 37, 56, 92, 109, 122, 141n, 145, 270, 334, 337,
354.
Allix (lieutenant) : voir Sidos.
ALNK : 100.
Alsthom : 192.
AMCL : 211-212.
Amin Dada Idi : 16, 237, 238, 251.
Amnesty International : 68n, 247.
Amondji Marcel : 127n.
ANC : 96n, 192-201.
Anglo-Saxons : 77, 79, 85, 87, 123, 139, 141, 153, 202, 250, 291,
297.

105

Angola : 17n, 80, 179, 185, 196, 251n, 265, 300, 312, 313-315,
322.
Apartheid : 24, 77, 96n, 141, 149, 190-201.
Arc International Consultants : 328.
Armée française : 17-18, 20-21, 24, 28n, 29-32, 34-35, 55, 80, 81,
85-86, 100-104, 117, 120, 121, 133, 145-146, 151, 171, 182, 235,
246, 249, 253, 255, 256, 276, 279, 280, 311, 312, 314, 324, 329,
334-335, 354.
Armes (livraisons officielles d') : 68, 71, 72, 83, 182, 231n, 328.
Armes (trafics) : 30, 73, 87, 127, 141-146, 148-150, 192, 194,
196, 208, 213, 214-215, 221, 237-239, 242, 244, 245-248, 249, 254255, 264, 268, 271-273, 312, 314, 328-329.
Arthuis Jean : 136n.
Artur José : 65.
Assemblée nationale : 11, 47, 49-52, 53, 54, 55, 58, 66, 77, 262n,
306, 341, 351, 353, 354, 355.
Associated Press : 145.
Association internationale des juristes démocrates : 158.
Aubame Jean-Hilaire : 132-133.
Aujoulat Louis-Paul : 96.
Aurillac Michel : 49, 231, 344.
Aurore (L') : 337.
Aussaresses Paul : 287n, 325.
Auta Benjamin : 275.
Ba Mehdi : 28n.
Bachman (commandant) : 149.
Badinter Robert : 34.
Bagheera : 326.
Bagosora Théoneste : 28, 31, 32-33, 246.
Balladur Édouard : 32, 52, 54, 84-85, 232, 309, 350.
Banane : 73, 215.
Bangui Antoine : 160.
Banque de France : 61n.
Banque mondiale : 16, 60, 62n, 63, 64, 82, 181, 355.
Bapuwa Muamba : 85n.
Baramoto Kpama : 228n.
Barayagziwa Jean-Bosco : 32.
Bardet Max : 91.
Baré Maïnassara Ibrahim : 300.
Baroin Michel : 136n.
Baroum Jacques : 157.
Barril Paul : 233, 239, 260n, 290, 316, 326, 327-328, 329, 354.
Batmanian Jacques : voir Baulin.
Baudillon Philippe : 54.
Baudis Dominique : 45.
Baule (La, discours de) : 56.
Baulin (Batmanian) Jacques : 128n, 142n.
Bayart Jean-François : 58n, 74n, 79n, 87, 207n, 215n, 271, 333,
336n.

Bayonne Henri : 161-169.
BCRA : 162.
Bechir (el) Omar : 300.
Bechtel William : 104-105.
Belgique : 16, 24n, 29, 32, 41-42, 43, 48, 105, 107, 143, 192n,
194, 212, 227, 231, 248, 250n, 254, 255, 256, 262, 266, 267, 268.
Belkiri Alain : 129.
Bellon André : 47.
Belorgey Jean-Michel : 11, 50, 51, 52.
Ben Ali Ali : 300.
Ben Barka Mehdi : 282n.
Ben Yahmed Béchir : 163n.
Benelhadj Djelloul : 38n.
Bénin : 16, 118, 122, 153n, 176, 268, 300, 319-320.
Benot Yves : 108n.
Bercy : voir Trésor.
Bérégovoy Pierre : 67n.
Beresnikoff Alexis : 124.
Bernard Alain : 165.
Bernard Philippe : 228.
Bertossa Bernard : 132.
Bescond Henri : 113.
Béti Mongo : 335.
Bettencourt Liliane : 131n.
Biafra : 136, 137-153, 161n, 175, 190, 202-203, 218, 254, 258,
262, 297, 307, 314, 318, 319, 321.
Biaka-Boda Victor : 128.
Bianco Jean-Louis : 56.
Biarritz (sommet et contre-sommet) : 78, 80, 85, 232, 333n.
Biberson Philippe : 242.
Bichelot Raymond : 139.
Biélorussie : 255.
Bigot Paul, alias Paul Wuis : 170.
Billets d'Afrique : 74.
Birmanie : 34, 268, 271.
Biya Paul : 62-64, 86, 221n, 300.
Bizimungu Augustin : 28, 29, 33, 248.
BK2F : 124.
Black : 111n.
Blanc Laurent : 53.
Blanchard François : 314.
Bloc des démocrates : 96-97.
Bocquel Jacques, alias Leonardi ou Léon Hardy : 166-168, 170.
Bodard Lucien : 143n.
Bodjollé Emmanuel : 113-114, 118.
Bodjona (lieutenant) : 113-114, 117.
Boganda Barthélémy : 117n.
Bois (exploitation du) : 69, 203, 207, 212.
Boisgallais Anne-Sophie : 59n.
Boka Ernest : 131.
Bokassa Jean-Bedel : 162, 166.
Bolloré Vincent : 316.
Bolloré-Rivaud (groupe) : 185, 290, 294n.

106

Bongo Albert-Bernard, puis Omar : 64-65, 66, 67, 127, 132, 134136, 175, 180, 203, 300, 311-312, 314-315, 319, 322, 333.
Bonino Emma : 43n.
Bono Outel : 153n, 155-172, 177.
Bosnie : 33, 257, 263, 272, 273.
Botha Pieter : 185, 190-192
Bouchardeau Huguette : 45, 49.
Bouchet-Saulnier Françoise : 85n.
Bouillon Antoine : 193n.
Bouquet Carole : 51n.
Bourequat Ali : 144n.
Bourges Hervé : 136n.
Bourgi Mahmoud : 306n.
Bourgi Robert : 99n, 220, 231-232, 296, 306.
René Bousquet : 23.
Bouygues (groupe) : 68, 185, 188, 290, 294n, 321n.
Braeckman Colette : 29n, 32, 76n, 85n, 230, 297.
Bramly Serge : 317.
Brandt Willy : 337.
Braud Pascal : 54n.
Braudel Fernand : 300-301.
Brauman Rony : 85n.
Brazzaville (conférence de) : 91.
Brenner Yves : 116.
BRGM : 212.
Briand Max : 102.
Briganti Michel : 198.
Brouillet Jean-Claude : 144.
Bruneau Michel : 44n.
Brunel Sylvie : 57, 59n, 85n.
Buijtenhuis Robert : 171n.
Burkina Faso : 65, 153n, 168n, 173-189, 203, 206, 211, 218-219,
260n, 297, 300.
Burundi : 33, 246, 249, 251.
Bush George : 209.
Buthelezi Mangusuthu : 96n.
Cabinda (enclave) : 313.
Cacao : 69, 217.
Café : 69, 80, 212, 240.
Cahen Max-Olivier : 231.
Caïman (îles) : 64.
Caisse centrale de coopération économique : voir Caisse française
de développement.
Caisse française de développement : 66, 70, 124, 217, 260n.
Caistab : 217.
Cambodge : 33, 268, 329.
Cameroun : 40, 61-64, 71, 86, 91-108, 120, 134, 153n, 246, 288n,
289n, 297, 300, 313, 314, 315, 335, 336.
Campagne mondiale contre la collaboration militaire et nucléaire
avec l'Afrique du Sud : 194.
Canada : 147, 148.
Canal + : 54.

Canard déchaîné (Le) : 161, 165.
Canard enchaîné (Le) : 142-143, 144n, 165, 179, 213, 311, 315.
Caoutchouc : 209, 212.
Capodanno Jean : 296.
Carbonare Jean : 15-21, 44n, 104.
Carbonare Marguerite : 15, 16n.
Carignon Alain : 45.
Carlos (Ramirez Sanchez Ilitch, dit) : 80-84, 236.
Carrefour du développement : 42, 49, 213n.
Carton Daniel : 262n, 309n.
Castel (groupe) : 290, 315.
Casteran Christian : 111n.
Castoriadis Cornélius : 39n.
Caudron Jean-Philippe : 240.
Cazeel Pierre : 193, 197.
Cazenave Richard : 77n, 345.
CCER : 160, 166.
CDR (Burkina) : 180, 181, 186, 187n.
CDR (Rwanda) : 32.
CEA : 135.
CEDEAO : 208-209.
Cédétim : 36n.
CEE : voir Union européenne.
Cekovic Jovan : 273.
Centrafrique : 67, 81, 83, 117n, 133, 150, 162, 166, 238-239, 246,
254, 270, 286, 312, 315, 351.
Centre international des droits de la personne et du
développement : 18n.
CFA : voir Zone franc.
CFDT (société) : 159.
CGT : 92, 105.
Chaffard Georges : 102.
Chalier Yves : 213n.
Chambaud Éric : 58n.
Chandernagor Françoise : 42n.
Charbonnages de France : 192.
Charrier Jean-François : 220.
Chatain Jean : 76n.
Chaumien Marcel : 101n.
Chauvel (journaliste) : 115.
Cheysson Claude : 352.
Chili : 268.
Chine : 141n, 168, 248.
Chirac Jacques : 33, 35, 62n, 85, 160, 183, 184-185, 190, 195n,
196, 197n, 215, 225, 227, 231, 232-233, 249-250, 255, 262, 264265, 286, 298-299, 305-307, 309, 311-312, 314, 316, 323, 325, 334,
345.
Chrétien Jean-Pierre : 24n, 85n.
CIA : 239, 250n.
Cimade : 15.
Cimao : 68, 124.
CIRAD : 77.
Claustre Françoise : 166n.

107

Club de Londres : 71.
Club de Paris : 71.
Clubs 89 : 49, 298, 319.
CML International : 233n.
CNR : 180.
Cobalt : 69, 229.
Codet (lieutenant-colonel) : 319.
Coetzee Dirk : 199.
Coface : 69-70, 83, 231n.
Cofras (société) : 329.
Cohen Herman : 231.
Colasesga (société) : 321n.
Colombier Georges : 77n.
Colonisation : 16, 25, 92, 93-97, 109, 128, 168, 176, 205, 285,
302, 304, 331.
Comilog : 135.
Commonwealth : 225.
Communauté européenne : voir Union européenne.
Communauté : 122, 130, 142, 155, 175, 290.
Comores : 11, 192, 199-200, 266, 267, 268, 300, 322-326, 329.
Compagnie des mines d'uranium de Franceville : 135.
Compagnie togolaise des mines du Bénin : 118.
Compaoré Blaise : 168n, 173n, 174, 180, 183-184, 186-189, 203,
206, 218-219, 221, 260n, 300.
Conan Georges : 101, 134.
Conférence nationale souveraine : 171, 227, 310.
Congo-Brazzaville : 33, 61, 68, 69, 71, 106, 127, 153n, 168n, 196,
260n, 286n, 288n, 289n, 300, 309-316, 328, 351.
Congo-Kinshasa : 17, 24, 31-32, 48n, 66, 69, 71, 79-80, 84, 85,
136, 143, 144, 150-151, 227-282, 285, 287, 289n, 290n, 311, 312,
313, 315, 321, 327, 329, 330.
Conseil de l'Entente : 183.
Conseil de l'Europe : 51.
Conventions de Genève sur le génocide : 33.
Coopération (ministère de la) : 23, 28n, 30, 42, 49, 52, 66n, 168n,
213n, 215, 232-233, 254, 306-307, 355.
Coopération civile : voir APD.
Coopération militaire : 11, 17, 28-30, 76, 100, 117, 124, 254, 329.
Corée du Sud : 72, 229.
Corse : 67, 307n, 309, 310.
Corruption : 38n, 48, 57, 58, 63, 71, 73, 123, 127, 176, 188, 215,
223, 225, 228, 265, 288, 289, 316, 328, 338, 353, 355.
Cot Jean-Pierre : 42, 45.
Côte d'Ivoire : 63, 64, 66, 68, 69, 73, 93, 127-132, 137-140, 142144, 146, 148, 157, 176, 182-184, 202-203, 206-208, 211, 214-217,
223, 260n, 287, 288n, 290n, 296, 297, 300, 306.
Coton : 156, 159.
Cotontchad : 159.
Cour criminelle internationale permanente : 33-35, 355.
Cour des comptes : 66.
Courcelle Bernard : 270.
Courcelle Nicolas : 270.

Courrier austral parlementaire : 195.
Courrier de la colère (Le) : 140n.
Courtoux Sharon : 44n.
Couve de Murville Maurice : 152.
CRAP : 254.
Craxi Bettino : 48.
Crédit Lyonnais : 70.
Crillon (hôtel) : 65, 136, 316, 333.
Criminalisation des régimes : 74-75, 86, 175, 229, 289, 296.
Crimes contre l'humanité : 19, 24n, 33, 108, 264n, 279n, 355.
Croatie : 277.
Croix (La) : 315.
Croix-Rouge : 149-150, 214.
Cros Marie-France : 76n.
Cuba : 179.
Cuivre : 229.
Dabany Guy-Aïssa : 175n.
Dabezies Pierre : 299.
Dahomey : voir Bénin.
Daillet Jean-Marie : 52.
Dassault (groupe) : 231n.
Dauch-Bono Nadine : 155-172.
Dawa Islamyia : 249.
Debbasch Charles : 124.
Debizet Pierre : 157n, 287n, 321.
De Bonis (journaliste) : 198.
Debré Jean-Louis : 136n, 345.
Debré Michel : 104, 140n.
Déby Idriss : 163n, 168n, 171-172, 219, 300, 312.
Decourtray Albert : 51n.
Défense (ministère de la) : 34, 101, 146, 262n, 312, 313, 326.
De Gaulle Charles : 86, 92, 96, 98, 100, 119, 121, 125, 130, 133,
135, 139-142, 146, 151-153, 162, 218, 262, 286-287, 290, 304, 305.
Degli Jean : 85n.
Delacampagne Christian : 39n.
Delalande Jean-Pierre : 50, 52, 345.
Delauney Maurice : 97, 134, 135, 144, 266, 319-320.
Delaye Bruno : 21, 32.
Delbecque Léon : 195, 287n.
Delebois Jacques : 213.
Deligny Fernand : 39n.
Delorme Odile : 44n.
Delouche Hervé : 198.
Delouette Roger, alias Delore : 143-144.
Delpal Marie-Christine : 58.
Demain la France : 124.
Denard Bob : 87, 143, 144, 148-149, 151, 192, 199, 220, 250n,
256, 261, 266-268, 270, 276, 285, 297, 318-326, 329-330, 354.
Denisot Michel : 54.
Depardieu Gérard : 46.
Derogy Jacques : 58n.
Désertification : 16, 41n.

108

Des Forges Alison : 85n.
Desgranges Henri-Gérard : 322n.
Desjardin Thierry : 166.
Dette : 60, 63, 64, 68-72, 82, 124, 132, 288, 310, 355.
Développement : 15-16, 38-39, 42, 48, 50, 72, 177-178, 181, 186,
288, 303, 341-343.
DGSE (ex-SDECE, voir aussi Services secrets) : 28n, 73n, 81, 86,
101-102, 104-105, 113, 129, 133, 134, 139, 140n, 143-144, 151,
162, 166, 168n, 170, 171, 183, 199, 200, 215, 219, 235, 236, 254,
257, 261, 263-264, 287n, 290n, 308, 309, 317, 319, 321, 323-324,
327, 328.
Diallo Salif : 187n.
Diamants : voir Pierres précieuses.
Diouf Abdou : 61n, 300.
Djibouti : 300.
Djiguimbaye : 161, 165, 168-170.
Djimadoum Jérôme : 165.
Djohar Saïd Mohamed : 11, 220, 266, 323-326.
Djonouma Adoum : 160.
Dnevni Telegraf : 272.
Doe Samuel : 205-208, 214, 218, 221.
Domenech Raymond : 52-53.
Dominic (colonel), alias Yugo, alias Malko : 257, 263-264, 274275.
Donnat (syndicaliste) : 92n.
Dos Santos Eduardo : 300, 313, 315.
Doux Simon : 205n.
DPS : 269-270.
Dreyfus (affaire) : 337.
DRM : 235.
Drogues (trafics de) : 144, 208, 212, 215, 289, 329.
Droits de l'homme : 18-19, 25, 26, 68, 355.
Drozdiak William : 230n.
DSP : 243, 311.
DST : 236, 257, 261, 262, 264, 271, 308.
Dubard Isabelle : 44n.
Ducroquet (docteur) : 150.
Dumas Roland : 135-136.
Dungia Emmanuel : 227n, 231n.
Dupuch Michel : 183, 306.
Durand Guillaume : 318n.
Durand Jean-Philippe : 53.
Duvalier Jean-Claude, dit Baby Doc : 126.
Duvillard Albert : 45, 46.
DYL-Invest : 328.
Eboussi-Boulaga Fabien : 336.
École de guerre : 28n.
EcoMoG : 203, 209, 211, 218, 219, 221, 222-224.
Écoutes téléphoniques : 257, 260n.
Effiong (général) : 152n.
Église catholique : 16, 17n, 24n, 97, 251.
Égypte : 237, 268, 271, 273, 300.

Éléphants blancs : 67, 68, 288.
Elf : 62-64, 134, 135-136, 139, 141, 151, 175, 179, 185, 225, 265,
286n, 290, 307-309, 310-316, 319, 321, 335.
Élysée : 11, 17, 21-22, 30, 31-32, 42, 46, 47, 50, 52, 56, 61n, 62n,
71, 77, 86, 101, 104, 105, 113, 121, 136n, 142, 151-152, 162, 163,
166n, 170, 190, 216-217, 220, 232, 240, 255, 256, 260, 261, 262n,
264-265, 267, 269, 279, 286, 287, 289, 296, 298, 306, 309, 311,
314-316, 323, 328, 334, 353.
Émon Albert : 54.
Environnement (ministère de l') : 45.
Épervier (opération) : 172n, 313n.
Érythrée : 236.
Escadrons de la mort : 21n, 199, 288.
Espagne : 43n, 141.
État de droit : 68, 171.
États-Unis : 18, 82, 92n, 111n, 112-115, 141, 144, 153, 193, 202,
205, 206, 209, 219, 222n, 223, 227, 228n, 231, 236, 250, 268, 276n,
281, 354.
Éthiopie : 205, 229n, 236.
Ethnisme : 16-17, 19, 25, 80, 86, 102, 106-107, 118, 137, 148,
205-207, 210, 243, 251, 253, 288, 291.
Étudiant tchadien (L') : 155.
Événement du Jeudi (L') : 220, 262-264.
Express (L') : 179n, 194, 263, 315.
Extrême droite : 192, 199-200, 264n, 269-270, 321.
Eyadéma Étienne Gnassingbe : 64, 66, 113-126, 134, 176, 184,
188, 218, 221n, 260n, 287, 297, 300, 319, 327.
Fabius Laurent : 85, 136n.
Fabre Jean : 41-44.
Fabrique nationale belge : 248.
Fachoda (syndrome de) : 85, 226, 271.
FAC : 68.
Faim, famine : 16, 37, 41-55, 82, 147-148, 201, 280-281, 341343.
Falcone Pierre : 314n.
FAR : 28-30, 240-248, 251, 271, 280, 311.
Fatih Irwa (el) : 81.
Faulques Roger : 143, 145n.
Fausses factures : 169n, 215.
Faux-monnayage : 229, 233, 244.
FAZ : 80, 246, 249, 251, 253-254, 256, 276-277.
FDA : 238.
FDD : 249.
FEANF : 130, 155, 157n, 159, 177.
Feliciaggi Charles : 307n.
Feliciaggi Robert : 307n, 316.
Fernandez Luis : 53.
Feuille d'Avis (Lausanne) : 149.
Fiba (banque) : 315.
FIDH : 18n, 33.
Figaro (Le) : 28n, 46, 76n, 115, 136n, 166, 258, 259n, 267, 324.
Figaro-Magazine (Le) : 180.

109

Finances (ministère des) : voir Trésor.
Firestone : 209.
Fire : 266.
FLEC-rénové : 313.
Fleury Jean-Pierre : 216-217.
FLN : 15, 38n, 330n.
Flon Suzanne : 51n.
Flosse Gaston : 66, 346.
FMI : 62n, 82, 355.
Foccart Jacques : 62n, 79, 80, 85, 86, 87, 96, 99, 102, 104-105,
108, 118-122, 125-126, 133-136, 137-153, 155, 156, 157n, 160,
161, 162, 163, 165, 166n, 168, 170, 175-176, 179-180, 184-185,
190-192, 196, 203, 218, 226, 227-228, 231-232, 235, 249, 250, 255256, 257n, 260-262, 264, 271, 282, 285-287, 289n, 290n, 296-299,
304-308, 309, 317, 318-323, 325, 326.
Foccart (réseau) : 96, 99, 101, 152, 168-169, 195n, 214, 215, 228,
232n, 254, 256, 258n, 260-261, 264, 266, 285, 286, 290, 291, 296,
299, 305-306, 310.
Foccartisme : 86-87, 132, 175-176, 281-282, 285-299, 305, 325,
330, 333.
Fochivé Jean : 101.
Folon Jean-Michel : 51.
Fontbonne Paul : 290.
Food and Disarmament International : 43.
Forman Milos : 39n.
Forum européen pour un Contrat de génération Nord-Sud : 43n.
Fossey Brigitte : 51n, 52.
Fottorino Éric : 56-57, 68n, 73.
Foucault Michel : 39n.
Fournier Paul : 144n.
FPH : 48n.
FPR : 16, 18, 28n, 30, 232, 235, 241, 242, 243, 245.
Franc-maçonnerie : 161, 168-169, 290, 310.
Françafrique : 55, 87, 117, 175-176, 178, 181, 182, 185, 190, 200,
201, 208-209, 210-211, 212n, 213, 218, 219, 226, 235, 248, 251,
253, 259n, 265, 279, 286, 291, 298-300, 309-312, 314, 320, 323,
324, 327, 331, 334, 335.
France 2 : 15, 18-20, 54-55, 83-84, 318n.
Franche Dominique : 17n, 24n.
Franco Francisco : 141, 149.
Francophonie : 32, 67, 79, 137-139, 140, 224, 228, 250, 290, 291,
297, 352.
Fraude électorale : 11, 86, 96, 98, 132, 134, 171, 233.
Frères des hommes : 36n.
Fressoz Jean : 44.
Frilet Alain : 76n.
Fritscher Frédéric : 253n.
Frolinat : 156n, 158, 163.
Front national islamique : 249.
Front national : 42, 251, 268-270, 329.
Fuchs Jean-Paul : 50, 52, 346.
Gabas Jean-Jacques : 58n.

Gabon : 61, 64-65, 66, 67, 127, 132-136, 142, 144-146, 149-150,
168n, 175n, 180, 203, 233, 266, 282n, 296, 299, 300, 306, 307, 310312, 313, 314, 319, 320, 322, 335.
Galand Pierre : 43n.
Galinier Yvonne : 85n.
Galopin Pierre : 160, 166n.
Gambie : 206, 212, 222.
GAN : 215.
Garang John : 80, 235.
Garde Rémy : 53.
Gardes présidentielles : 28, 80, 172, 245, 288, 289.
Garrault Régis : 54n.
Gatete Jean-Baptiste : 31, 246.
Gatsinzi Marcel : 28.
Gaydamak Arcadi : 314n.
Gécamines : 229.
Gélinon (gendarme) : 160.
Génocide rwandais : 19-22, 23-35, 55, 76-78, 79, 136n, 194, 231,
232, 238, 241, 250-252, 271, 280, 281, 297, 333, 338.
Gencor (société) : 197n.
Gentilini (professeur) : 160.
Geolink (société) : 257-259, 264, 275, 311.
Géopolitique : 32, 79, 291.
George Susan : 48n, 58n.
Géorgie : 275.
Georgy Guy : 98n.
Germanos Raymond : 326.
Ghana : 105, 118, 140, 176, 179, 184, 206, 208-209, 222.
GIAT (groupe) : 248.
Giesbert Franz-Olivier : 136n.
Gilleron Pierre-Yves : 260n, 290, 326.
Gillet Éric : 33, 85n.
Ginet Jean-Pierre : 45.
Girard Renaud : 76n.
Giscard d'Estaing Valéry : 17n, 101, 135, 166n, 185, 231, 289.
Gizenga Antoine : 266.
Glaser Antoine : 58n, 65, 68, 231n.
GLNF : 161, 168-169.
GMF : 215.
Gnassingbe Ernest : 125.
Godelier Maurice : 39n.
Godfrain Jacques : 168n, 220, 232-233, 254, 306-307, 325, 346.
Gorbanifar : 136.
Gouled Hassan : 300.
Gourvenec Camille : 159-160, 166-168, 170.
Gouteux Jean-Paul : 28n.
Gracia Robert : 134n.
Grande-Bretagne : 92, 111, 122, 141, 147, 153, 162, 193, 194,
200, 225, 238, 250, 356.
Grand Orient : 168n.
Grange (de la) Arnaud : 258, 267, 277.
Greenpeace : 265, 324, 326.
Griffon Michel : 48n.

110

Groenink Evelyn : 193n, 198-199.
Grossouvre (de) François : 136n, 190, 326.
Groupe 11 (société) : 270.
Grunitzky Nicolas : 118-119, 120, 121, 125.
GTM : 84.
Guardian (The) : 145n.
GUD : 270.
Guédé Alain : 73n.
Guena Yves : 140.
Guillaumat Pierre : 101, 135, 139, 308.
Guillet Jean-Jacques : 168n, 320, 346.
Guinée : 16, 127, 140, 206, 207, 212, 222, 282n.
Guinée Bissau : 212.
Guinée équatoriale : 141, 145, 289n, 300, 313, 314, 321n, 322n.
Habré Hissène : 160, 166n, 172.
Habyarimana Agathe : 16, 76.
Habyarimana Jean-Pierre : 17, 76.
Habyarimana Juvénal : 16-18, 21-22, 24n, 67, 76, 79, 84, 136n,
232, 243, 247, 326.
Haddam (Cheikh) : 51n.
Hadzibegic Faruk : 54n.
Hage Georges : 77n, 346.
Haïti : 126.
Halphen Éric : 213, 215n.
Hannoun Michel : 77n, 346.
Hardy Léon : voir Bocquel Jacques.
Harkis : 27n, 195.
Hassan II : 144n, 251n, 300, 319.
Haute-Volta : voir Burkina Faso.
Hauts-de-Seine : 68.
Havel Vaclav : 337.
HCR : 243, 280.
Hejeij Hassan : 136n.
Hel Bongo Adoum : 157, 161.
Hémard Jacqueline : 144n.
Hermes Peter : 200.
Hilali Saïd : 220, 326.
Hitler Adolf : 26, 32, 104n, 250.
Honorin Michel : 145.
Houphouët-Boigny Félix : 66, 70, 73n, 93, 111, 127-132, 136,
137-152, 155, 157, 175-176, 179-180, 182-185, 188, 190-192, 203,
207, 211, 214-216, 218, 226, 287, 306, 319.
Hubert (chef de région) : 96.
Huchon Jean-Pierre : 29-31, 32, 76n.
Hugeux Vincent : 194, 196, 254n, 271n.
Hüman Heine : 199.
Human Rights Watch : 18n, 245-247.
Humanité (L') : 76n, 158.
Husson Bernard : 48n.
Hutu power : 17, 22, 28, 31, 32, 75, 76n, 77, 80, 85, 235, 239251, 297, 311, 312, 316n, 328-329.
Immigration : 50n.

Indochine (guerre d') : 17, 102, 104, 108, 120, 143, 144n, 145n,
285, 330.
Inkatha : 96n.
INPFL : 208.
Institut néerlandais pour l'Afrique australe : 200.
Interahamwe : 22n, 28, 31, 76, 240, 244, 246, 247, 249, 251, 253,
280.
Intérieur (ministère de l') : 49, 68, 80-81, 83, 144n, 190, 194-196,
197n.
Internationale démocrate-chrétienne : 96n.
Ipis : 248.
Irak : 34, 83.
Iran : 34, 136n, 172, 192, 196.
Irangate : 136.
Iris Services : 326.
Isaïa Thierry : 213.
Islamisme : 82-83, 84, 152, 236, 238, 251.
Israël : 72.
Italie : 41-43, 48, 213, 268.
Ivoire : 289.
J'accuse : 198.
Jacquard Albert : 51n.
Jacquat Denis : 50, 52, 349.
Jacquet (ministre) : 98.
Jacquot (syndicaliste) : 92n.
Jaeckin Just : 49n.
Jaffré Bruno : 177n, 181n, 188.
Jaffré Philippe : 314, 316.
Jaruzelski Wojciech : 85.
Jawara Dawda : 212n.
Jehanne Philippe : 28.
Jersey : 123, 217.
Jeucafra : 91.
Jeune Afrique : 161, 163, 165.
Jeux : 192, 213, 215.
Jimbo (opération) : 101n.
Jobert Michel : 289n.
Johnson Prince : 208, 209n.
Joinet Louis : 34.
Joly Éva : 132, 136n, 307.
Jorcin Bernard : 45.
Jospin Lionel : 136n, 257n, 306, 307, 315, 316, 334-335, 351.
Josselin Charles : 23.
Joxe Pierre : 49.
Julliard Jacques : 77, 84.
Juppé Alain : 32, 52, 85, 136n, 249, 257n, 286, 350.
Kabbah Ahmad Tejan : 222n.
Kabila Laurent-Désiré : 250n, 251, 253, 266, 267n, 279, 285.
Kabiligi Gratien : 248.
Kadhafi Mouammar : 169, 179, 219-221.
Kafando Hyacinthe : 174n.
Kagame Paul : 240.

111

Kai Kai Gabriel : 212n.
Kaké Ibrahima Baba : 111n.
Kaldor Pierre : 155n, 157-158, 164, 165, 167-168.
Kara (soldat) : 116.
Karadzic Radovan : 86.
Kayieshema Clément : 31.
Kayumba Cyprien : 30n.
Kebzaboh Saleh : 161, 163n.
Keita Abdoulaye : 322n.
Kengo wa Dondo : 244.
Kentzler Georges : 217.
Kenya : 246, 247, 300.
Kerekou Mathieu : 153n, 300, 319, 321.
Kesey Ken : 39n.
Khmers noirs : 18.
Kingue Abel : 105.
Kister Jean-Luc : 326.
Kolingba André : 67, 81.
Kona Moussa : 115.
Konan-Bédié Henri : 129, 214-215, 260n, 300.
Konate Daouda : 157.
Kony Joseph : 237, 251.
Krop Pascal : 111n, 195.
Lacaze Jeannou : 290, 327.
Lacouture Jean : 21, 51n.
Laïcité : 16.
Lakwena Alice : 237.
Lalaurie (syndicaliste) : 92n.
Lamberton Jean-Marie : 98, 102, 106-107.
Lamizana Sangoulé : 176, 178.
Lanfranchi Jean-Paul : 307n.
Langewiesche Renate : 40n.
Laporte Édouard : 321n.
Lazard (banque) : 82.
LDF : 210n.
Leandri Daniel : 307n.
Lebouvier Guy : 188n, 219.
Le Caro Alain : 260, 327.
Le Floch-Prigent Loïk : 62, 139, 179, 265, 307-309, 317.
Le Forestier Maxime : 51n.
Léger Paul-Alain : 330n.
Légion étrangère : 199, 270.
Leguay Jean : 23.
Lemonnier Dominique : 328-329.
Lengrand Jacques : 38n.
Lénine (Vladimir Ilitch Oulianov dit) : 104n.
Leonardi : voir Bocquel Jacques.
Le Pen Jean-Marie : 85.
Le Remp Gérard : 327.
Leroy (capitaine) : 101.
Lettéron Philippe : 143-144, 254.
Lettre de l'Océan Indien (La) : 195, 200.
Lettre du Continent (La) : 212n, 311.

Liban : 192, 270.
Libano-africains (réseaux) : 203, 212, 215, 216, 222, 229, 309.
Libé-Afrique : 36n.
Libération : 76n.
Liberia : 123, 127, 189, 202-226, 297, 300.
Libre Belgique (La) : 76n.
Libye : 34, 137, 161, 169, 179, 180, 203, 206, 211, 218, 219-221,
255, 323, 326.
Lienemann Marie-Noëlle : 52.
Liffran Hervé : 73n.
Ligue des droits de l'homme : 11.
Ligue nationale de football : 53.
Lilic Zoran : 272.
Lingani Jean-Baptiste : 174, 180.
Lisette Gabriel :155.
Lissouba Pascal : 309-316.
Lobby militaro-africaniste : 249, 335.
Loiseau Yves : 192, 196.
Lollé (gendarme) : 118.
Lorentz Dominique : 136n.
Lorgeoux Jeanny : 50-51, 188n, 190, 192, 221.
Loustal (de) Patrice : 309.
LPC : 210n.
LRA : 237, 239, 251.
Luchaire (entreprise) : 248.
Luciani Toussaint : 307n.
Lumières noires : 126, 233n.
Lumumba Patrice : 104n, 250n, 261, 265, 285.
Luppi Jean-Pierre : 52.
Luxembourg : 64, 66.
Lyautey Louis-Hubert : 107.
Madagascar : 71, 92, 108, 153n, 175n, 177-178, 300.
Madelin Alain : 294n, 350.
Madelin Philippe : 59n, 228n.
Mafia : 202, 207, 213, 258n, 288, 291.
Mahele (général) : 254, 270, 275.
Maires : 41-42, 44-47, 49.
Maîtrier Georges : 98, 113-114, 117-121, 126, 134.
Makembe Tollo Alphonse : 106n.
Mali : 60, 173n, 178, 182, 187, 287.
Malley Simon : 244.
Malloch Jack : 149.
Mally Théophile : 118.
Maloubier Bob : 134.
Manbweni Vangu : 250.
Mandela Nelson : 93, 193, 337.
Mantion Jean-Claude : 81, 83, 236.
Maraby Julien : 161, 162.
Marchiani Jean-Charles : 81, 83, 86, 236, 257, 263, 269, 306,
307n, 314.
Marin Christian : 51n.
Marion Pierre : 129, 183n.

112

Markpress (société) : 147.
Maroc : 144n, 251n, 282n, 300, 320n.
Marraud David : 54n.
Marsiglia René : 54n.
Marti Claude : 220-221.
Martini André : 259.
Massacres coloniaux : 25, 40, 92, 108.
Masure Bruno : 15, 19-20.
Matières premières : 61, 65, 73, 159, 175, 217, 287-288.
Matignon (hôtel) : 32, 33-34, 52, 54-55, 63, 104, 152, 168n, 185,
190, 196, 257n, 311, 316, 334.
Maugein Patrick : 197n.
Maurice (île) : 228.
Mauricheau-Beaupré Jean : 139-140, 141, 143-144, 149, 151,
202, 214, 215, 261, 319.
Mauritanie : 300.
Mayi Matip Théodore : 98.
Mazoyer Henri : 112-114, 117, 119-120.
M'Ba Germain : 282n, 322.
M'Ba Léon : 132-134.
Mbembe Achille : 95, 108n, 288.
Mbida André-Marie : 97, 98.
MDRT : 161-164.
Méatchi Antoine : 118-119.
Médard Jean-François : 85n, 287n.
Médecins sans frontières : 147, 203n, 214, 237n, 242-243.
Médias : 21, 24, 27, 44, 46, 47, 52, 53-54, 74, 108, 147-151, 203,
235, 260, 314, 325.
Melnik Constantin : 104.
Mendès-France Pierre : 321.
Mercenaires : 143, 145, 148-149, 161n, 175, 192, 199-200, 215,
239, 251, 254, 255-279, 285, 311, 312, 318-326, 329-330, 354.
Merle (colonel) : 150.
Méry Jean-Claude : 169n.
Messmer Pierre : 97.
Miallier Thierry : 328n.
Migaud Didier : 77n.
Milices : 207-208, 210, 246, 288, 310, 312, 320.
Millet (ambassadeur) : 158.
Millon Charles : 326.
Milosevic Slobodan : 84, 273.
MINEMET : 192n.
Minty Abdul : 194.
Miskine : 156.
Misser François : 229n.
Mitterrand Élizabeth : 217.
Mitterrand François : 17, 21, 32, 42, 44, 45-46, 56, 62n, 67n, 76n,
77, 79, 93, 99, 101, 119, 123, 127, 135, 179, 185, 196, 197n, 217218, 227-228, 231, 233, 235, 239, 290, 307, 308, 326.
Mitterrand Jean-Christophe : 17, 51, 135-136, 190, 213, 216-217,
221, 231n, 290, 316, 328n.

Mitterrand (réseau) : 50-51, 84, 185, 188, 190, 203, 219, 290,
299.
Mladic (général) : 257n.
MNC : 250n.
Mobutu Joseph-Désiré, puis Sese Seko : 17n, 24n, 31, 51, 66, 70,
79-80, 84, 85, 86, 123, 144, 149, 160, 227-279, 285, 287, 296, 297,
311, 312, 327.
Mobutu Kongolu : 229.
Moï Daniel Arap : 300.
Mol Geneviève : 15.
Mollet Guy : 178n.
Momoh Joseph : 221.
Monde (Le) : 41, 56, 143, 146, 248, 259, 260, 263, 312.
Mongo Thomas (Mgr) : 97.
Monroe James : 205.
Montaldo Henri : 169n.
Montoya Robert : 260, 290, 327.
Moubarak Hosni : 300.
Moubaris Alex : 200-201.
Moulin Jean : 337.
Moumié Félix : 100, 104-105.
Moussa Adoum : 156.
Moustapha Jules : 115.
Mozambique : 179, 192, 229n, 322.
MRP : 96.
Mulele Pierre : 266.
Multipartisme : 289.
Museveni Yoweri : 16, 79-80, 232, 237, 238, 291.
Myanmar : voir Birmanie.
Nahor Mahamout : 171-172.
Nairay Guy : 129, 183.
Narco-dollars : 202, 208, 215, 229, 291.
Nassour Abbo : 157n.
Nations unies : 24n, 31, 34, 93, 100, 109, 143, 147n, 216, 222n,
224n, 240, 241, 243, 244, 246, 247, 265, 279, 280, 329-330, 353,
354.
N'Djaména Hebdo : 163n.
Ndongmo Albert : 106.
Néel Louis : 42.
Négationnisme : 24n, 42n.
Neuwirth Lucien : 77n.
New York Times : 146, 258-259.
Newsweek International : 275.
Ngaba Toura : 161.
Ngbanda Honoré : 264.
Nguesso Denis Sassou : 33, 153n, 168n, 286n, 300, 309-316.
Niger : 65, 86, 233, 300, 335.
Nigeria : 93, 122, 127, 136-153, 161n, 202-203, 208-212, 219,
222-225, 297, 300, 335.
Nil : 17, 82, 237.
Nkema Liloo : 227n.
Nkrumah Kwame : 140.
NNPC : 225.

113

Nobel (Prix) : 41-43, 49.
Noiret (colonel) : 101.
Norvège : 194.
Nouvel Observateur (Le) : 20, 84, 311.
Nouvelle-Zélande : 324.
NPFL : 205-216, 218, 221-224.
NRC : 210n.
Nucci Christian : 42, 44, 49, 213n.
Nucléaire (civil ou militaire) : 135-136, 141, 153, 192, 194, 201.
Nyangoma Léonard : 249.
Nyerere Julius : 181.
Nzimbi Ngbale : 228n.
OAS : 145n, 157n, 195, 269.
Obiang Teodoro : 300.
Obote Milton : 16, 238.
Observatoire permanent de la coopération française : 78, 351n.
OCAM : 161.
OCDE : 51, 72.
Office togolais des phosphates : 64, 123.
Ogata Sadako : 243, 280.
Ojukwu Odumegu Emeka : 137, 141, 144, 145, 148, 151n, 225.
Ollivier Jean-Yves : 192, 196, 220, 294n.
Olympio Dina : 111n, 112, 115-116.
Olympio Gilchrist : 124-125.
Olympio Sylvanus : 109-125, 134, 297, 324.
Omaar Rakiya : 25n.
Omnès Yvon : 62n.
ONG : 47-48, 58, 77, 78, 147, 203, 242, 290, 343, 353.
ONU : voir Nations unies.
OPEP : 135.
Optorg : 290n.
Oréal (L') : 131n.
Oris Juma : 237.
Orsenna Érik : 56.
ORTF : 149.
Or : 69, 203, 212, 229.
Osendé Afana : 106.
OTAN : 153, 272.
Ouandié Ernest : 105.
OUA : 112.
Ouedraogo Jean-Baptiste : 179-180.
Ouedraogo Pierre : 187n.
Ouganda : 16, 25, 79-80, 223, 232, 235-239, 250-251, 272, 291.
Ould Taya Maaouya : 300.
Outmane Mahamat : 169.
Oyono Dieudonné : 91n.
Pagal Jean-Claude : 54n.
Pahad Aziz : 194.
PAI : 156, 177, 186.
Palemic Milorad, alias Misa : 273.
Panafricanisme : 122, 128, 140, 155, 232.
Panama : 64, 66, 123.

Pandraud Robert : 197n, 347.
Panella Marco : 42-43.
Pantalacci Noël : 307n.
Paris-Match : 140n.
Parti radical (Italie) : 42.
Partis politiques (financement des) : 56-75, 87, 124, 169n, 287,
352.
Pasqua Charles : 49, 62n, 68, 79-84, 86, 124, 136, 184, 190, 194,
213n, 233, 235-236, 255-256, 269, 306, 307-309, 316.
Pasqua Pierre : 190, 269, 290, 307n, 309.
Pasqua (réseau) : 49, 80-84, 134n, 144n, 168n, 188, 190, 195,
220, 228, 256-257, 261, 264, 285, 290, 299, 309, 310, 314, 323,
326.
Patasse Ange-Félix : 239.
Patrimonialisme : 287.
Pauw Jacques : 199n, 201n.
Pavillons de complaisance : 202, 208.
Pays-Bas : 141n, 198.
PCF : 50, 93, 156, 341, 344.
PCRV : 187n.
PDCI : 128.
PDG (Gabon) : 134.
Péan Pierre : 58, 105n, 132, 180n, 319n.
Péchoux Laurent : 128.
Pecqueur Michel : 135.
Pendergast (journaliste) : 115.
Penne Guy : 62n, 179-180, 239, 307, 316.
Pères blancs : 17n.
Perez Esquivel Adolfo : 42-43.
Pernod-Ricard (groupe) : 144n.
Perrette Philippe : 259.
Pétain Philippe : 37.
Pétrole : 33, 38, 62-63, 64, 65, 69, 73, 84, 135-136, 137-139, 141142, 192, 197n, 220, 225, 307-308, 310, 312-316, 321, 334-335,
344, 352.
Peuples en marche : 195n.
Peuples solidaires : 195n.
Phosphates : 64, 69, 111, 118, 123.
Pie XII : 97.
Piéplu Claude : 51n.
Pierre (commissaire) : 157.
Pierres précieuses : 69, 162, 203, 207, 209, 212, 221-222, 228n,
229, 289, 291.
Pinsseau (juge) : 165, 167.
Pisani Edgard : 188, 352.
Piveteau Fabien : 53, 54n.
Playboy : 233.
Ploquin Jean-François : 85n.
PMA : 51.
PNUD : 51.
Point (Le) : 325.
Pologne : 147.

114

Pompidou Georges : 103n, 142, 289, 305.
Poniatowski Michel : 162n.
Pontaut Jean-Marie : 58n.
Portugal : 141, 268.
Poullada Léon B. : 111n, 112-113, 114, 119, 120.
Pounewatchy Stéphane : 54n.
PPT : 155n, 157.
Pré Roland : 97.
Présence militaire : voir Armée.
Presse : voir Médias.
Privatisations : 71.
Probst Jean-François : 306.
Programme Solidarité-Eau : 45.
Protestants : 15, 51n.
Prouteau Christian : 260n, 327.
Prunier Gérard : 18n, 23n, 25n, 237-239, 251.
Psychiatrie : 39-40.
PS : 47, 49, 50, 192, 313, 334, 341, 344.
Pukan Régis : 53.
Punch : 224.
Qatar : 328.
Quai d'Orsay : voir Affaires étrangères.
Quesnot Christian : 30.
Quiwonkpa Thomas : 205, 206.
Racam : 92-93.
Racisme : 16-17, 22n, 24, 32, 42n, 95, 242, 329.
Radio-France (ex-ORTF) : 54, 116, 193.
Raids : 268, 277.
Ramirez Sanchez Ilitch : voir Carlos.
Ratsiraka Didier : 153n, 300.
Rawiri Georges : 136n, 168n.
RDA (Afrique) : 93, 128, 140, 155n.
RDP : 254.
Renseignements généraux : 166, 213.
Résurrection (plan) : 287n.
Reuter : 102, 275.
Révisionnisme : 25.
Rhodésie : 141, 149, 268.
Ribeiro Catherine : 51n.
Ricardo : 53.
Richard Alain : 313.
Robert Maurice : 101, 133, 134, 151, 261, 264n, 319, 320, 321.
Rocard Michel : 136n.
Rocca Jean-Louis : 59n.
Roche Alain : 53.
Roche Émile : 168n.
Rochereau Olivier : 34n.
Rose-Croix : 290.
Rosenblum Peter : 85n.
Rothschild (banque) : 142.
Rouillé d'Orfeuil Henri : 48n.
Roumanie : 248.
Roume Ernest : 202.

Roussin Michel : 28n, 52, 136n, 168n, 215, 294n, 350.
RPF : 96, 99, 287n, 305.
RPIMa : 17, 133, 270, 326.
RPR : 50, 169n, 215, 220, 307-309, 311, 341, 344.
RTLM : 31.
Ruby (adjudant) : 326.
RUF : 221-222, 224.
Rummelhardt Jacques : 278.
Russie : 212, 213, 247, 256, 277-278, 314.
Rwabalinda Ephrem : 29-30, 76n.
Rwabuhihi Ezéchias : 16.
Rwanda : 15, 16-22, 23-34, 48n, 55, 67-68, 76-80, 84, 85, 97,
104, 106-107, 136n, 150-151, 194, 231-232, 235, 238, 239-251,
253, 258, 271, 280-281, 289n, 291, 293, 296, 297, 312, 326, 328329, 330, 331, 333, 336, 338.
Sabith Aziz : 160.
SAC : 144n, 157n, 287n, 305, 306, 321.
Safiex (société) : 287, 290n.
Saint-Exupéry (de) Patrick : 28n, 241.
Sakharov Andreï : 337.
Salazar Antonio de Oliveira : 141.
Sanders Richard : voir Denard Bob.
Sanguinetti Antoine : 269.
Sankara Mariam : 187.
Sankara Paul : 177n.
Sankara Thomas : 153n, 173-189, 221, 297, 337.
Sankoh Foday : 221.
Saro-Wiwa Ken : 225.
Saussez Thierry : 314-315.
Savimbi Jonas : 185, 313.
Schimpf Jean-Paul : 169n.
Schuller Didier : 169n.
SDECE : voir DGSE.
Secours populaire : 158.
Secrets (Sté.) : 233, 326.
Sédoc : 101, 104, 160.
Séguéla Jacques : 220.
Séguin Philippe : 136n, 307, 348.
Sénégal : 15n, 16, 61, 92, 133, 206, 212-213, 223-224, 300, 306.
September Dulcie : 193-201.
Serbie : 84, 251, 257-259, 262-264, 268, 271-278, 311.
Sérusclat Franck : 77n.
Services secrets français (voir aussi DGSE) : 17, 27, 30, 83, 104,
122n, 139, 142, 144, 162, 170, 175, 188, 198, 200, 235-236, 259,
262-263, 287, 290, 291, 308, 312, 314, 328, 354.
Services de sécurité : 38, 81, 83, 101, 104, 160, 236, 289.
Séti Yale Jean : 228n, 258, 259n.
SFIO : 96.
SGS : 321.
Shoah (la) : 23, 27, 35, 36-37.
Siddick Abba : 157, 158, 167.
Sidibé Lansina : 177, 182n.
Sidos François-Xavier, alias Allix : 268-270.

115

Sierra Leone : 206, 211, 212, 221-222, 229n.
Sigué Vincent : 187-188.
Silberzahn Claude : 86, 235.
Simca : 104.
Sindjoun Pokam : 107.
Singap Martin : 100.
SIRPA : 24, 31, 311n.
Sirvent Philippe : 54n.
Sitruk Joseph : 51n.
Smith Ian : 149.
Smith Stephen : 58n, 65, 68, 231n.
Smouts Marie-Claude : 58n.
SNTV (Société nationale de transport de voyageurs) : 38.
Soilihi Ali : 266, 322.
Soir (Le) : 76n, 267.
Soizeau Jean-Pierre, dit Yanni : 73n, 214-215.
Soljenitsyne Aleksandr : 337.
Sollac : 211.
Somalie : 20, 48.
SOS Attentats : 83.
Sotinel Thomas : 280n.
Soucadaux André : 93, 96.
Soudan : 79-84, 85, 161n, 212n, 235-239, 249, 250-252, 289n,
290n, 291, 297, 300, 328.
Soulez-Larivière Daniel : 324.
Soulier (syndicaliste) : 92n.
Soumialot Gaston : 266.
Southscan : 267.
Spiegel (Der) : 169.
SPLA : 80, 235.
Sport Eco (société) : 193, 198.
Spot (satellite) : 83.
Srebrenica (massacre de) : 86, 257n, 273, 329.
Staline Joseph : 26.
Stanisic Jovica : 273.
Stasi Bernard : 77n.
Steiner Rolf : 145.
Stewart Jacques : 51n.
Stoffberg Dirk : 199, 201.
Storch Richard : 114-115.
Strasser Valentine : 221n.
Sucden : 217, 219.
Suède : 146, 147.
Suisse : 64, 66, 104-105, 123, 131, 132, 136, 147, 149, 198, 229n,
255-256, 288, 328.
Survie : 21, 28n, 40-55, 57-59, 74-75, 77-78, 127n, 331, 351n.
SWAPO : 195n.
Syrie : 128.
Taki Mohamed : 220, 221n, 300.
Tanzanie : 31-32, 181, 223.
Taousson Jean-Dominique : 195-196, 233n.
Tarallo André : 62n, 134, 136n, 307-309.

Tavernier(s) Christian : 239, 256, 258n, 260-261, 264, 266-268,
318n.
Taylor Charles : 189, 202-226, 300.
Tchad : 86, 98, 102n, 153n, 154-172, 219, 233, 255, 270, 295,
296, 300, 311, 312, 313, 315, 335.
Tchétchénie : 316.
Tenet Bernard : 45.
Ternon Yves : 33.
Terrasson de Fougère Chantal : 183, 187-189.
TF1 : 49, 52.
Thant (U) Sithu : 147n.
Thion (société) : 192n.
Thomas Jean-Pierre : 66.
Thomson : 83, 290n.
Tiehi Joël : 54n.
Tigana Jean : 53.
Time-Life : 115.
Tindemans Léo : 267.
Togo : 64, 66, 68, 85, 100, 109-126, 176, 184, 188, 217, 251n,
287, 289n, 290n, 294, 296, 297, 300, 324, 327.
Togo-Presse : 116.
Tolbert Adolphus-Benedictus : 214n.
Tolbert William : 205, 214n.
Tombalbaye François : 155-163, 165, 166, 169-170.
Tomi Jean-Baptiste : 307n.
Tomi Michel : 307n.
Torture : 20-21, 25, 27n, 68, 103-104, 131, 172, 208, 274.
Tosi Jean-Pierre : 307n.
Total : 84, 221, 271.
Toubon Jacques : 32, 136n, 296, 298, 350.
Tourabi (el) Hassan : 81, 84, 300.
Touré Adama : 177.
Touré Sekou : 104n, 122, 282n.
Tourres Jean : 45.
TPIR : 34n.
Transgabon (société) : 144.
Traoré Moussa : 60, 182, 287.
Trésor : 52, 61, 64, 66n, 70, 217, 290, 355.
Trudeau Pierre-Elliott : 148.
Tshisekedi Étienne : 228n.
Tshombé Moïse : 143, 266.
Tunisie : 37, 158, 300.
Turcinovic Ratko : 277n.
Turenge (époux) : 324.
Turquoise (opération) : 31, 78, 79-80, 232, 239, 246, 247, 281.
UDC : 50, 341.
UDF : 50, 341, 344.
UDSR : 93.
UFD : 172.
UIDH : 18n.
Ukraine : 268, 271n, 277.
ULIMO : 210, 222, 224.

116

Um Nyobé Daniel : 98n.
Um Nyobé Ruben : 91-98, 153n.
UNCP : 151n.
UNESCO : 51.
UNICEF : 51, 60.
Unilever : 109n.
Union européenne : 20, 34, 51, 60, 64, 67, 68, 82, 141, 343, 352.
Union française (assemblée de l') : 99-100, 118.
UNITA : 185, 196, 251n, 265, 313.
UNI : 321.
UPC : 93-107, 297.
Uranium : 135-136, 352.
URSS : 92n, 153, 178n, 302, 336.
USCC : 92.
Usinor : 211.
UTA : 221, 290n.
Uwechue Ralph : 147, 152.
Vallée Olivier : 229n.
Van de Lanoitte Charles : 102-103.
Variétés-Club : 54.
Varsano Serge : 217.
Vendroux Jacques : 54.
Vergès Jacques : 124, 327.
Vial-Massat Théo : 50, 52.
Vichnievsky Laurence : 132.
Vichy (régime de) : 27.
Vidal Claudine : 17n, 24n, 25n.
Vietminh : 105.
Vietnam (guerre du) : 102.
Vigilance Soudan : 82n.
Villepin (de) Dominique : 136n, 255-256, 264, 286, 298, 306.
Viol : 19, 251.
Viotay Francis : 85n.
Vivien Alain : 47.
von Rosen Carl Gustav : 146.
Weekly Mail & Guardian (The) : 199.
Weissmann Fabrice : 203n, 214.
Wibaux Fernand : 62n, 86, 136n, 160, 162, 168n, 179, 196, 220,
228, 255-256, 258, 260-265, 267, 271, 296, 306, 307, 316.
Willame Jean-Claude : 85n.
Williamson Craig : 196.
WNBF : 237.
Wuis Paul : voir Bigot Paul.
Wurtz Francis : 77n.
Y(o)ugo Dominic : voir Dominic.
Yamba (colonel) : 254.
Yameogo Maurice : 176.
Yougoslavie (ex-) : 19, 20, 257, 258, 271, 272, 275, 276.
Youssouf Abba : 326.
Zaïre : voir Congo-Kinshasa.
Zeller Adrien : 77n.
Zola Émile : 28n, 337.
Zone franc : 296.

Zongo Henri : 174, 180.

117

87

Table
EMPORTE VERS L'INIMAGINABLE
1. Un avertissement dans le désert
2. Les champs du déshonneur
3. Objections à l'inhumanité
4. Aidons-nous les uns les autres
5. « L'horreur qui nous pend au visage »

13
15
23
36
56
76

CRIMINELLE FRANÇAFRIQUE
1. Massacres en pays bamiléké
2. Trop indépendant Olympio
3. Parrain Félix et le dauphin Albert
4. Biafra pétrolo-humanitaire
5. Intraitable Docteur Bono
6. Sankara, l'anti-Houphouët
7. Dulcie doit mourir
8. My Taylor is rich
9. Macédoine pro-mobutiste
10. La crème des mercenaires

89

RUINEUX FOCCARTISME
1. La décomposition d'un système
2. Les réseaux résistent
3. Denarderies

283

91
109
127
137
155
173
190
202
227
253

CONCLUSION : Une défoccartisation est-elle possible ?

285
298
318
333

Annexe 1 : Proposition de loi relative à la contribution de la France à la lutte contre la faim et pour le
développement des régions très défavorisées.
Annexe 2 : Propositions pour refonder la crédibilité des relations franco-africaines.

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