Fiche du document numéro 31634

Num
31634
Date
Vendredi 4 mai 2018
Amj
Taille
781157
Titre
40 ans de mystères sur l’assassinat d’Henri Curiel
Sous titre
L’enquête judiciaire concernant l’assassinat du résistant et militant anticolonialiste à Paris le 4 mai 1978 a été rouverte pour une troisième fois au début de l’année. Le secret-défense fait toujours obstacle à la vérité de ce qui a tous les attributs du crime d’État.
Nom cité
Nom cité
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation


C’était le 4 mai 1978, un jeudi de l’Ascension. Henri Curiel était assassiné devant son domicile de la rue Rollin, dans le cinquième arrondissement à Paris. Un commando Delta revendiquait alors l’exécution d’« un agent du KGB, un traître à la France ». Henri Curiel était un résistant, un militant anticolonialiste, un porteur de valise pendant la guerre d’Algérie, un compagnon de lutte des militants anti-apartheid d’Afrique du sud, un médiateur du conflit israélo-palestinien.

La planète perdait alors « l’un des grands citoyens du Tiers-monde » selon l’expression de l’écrivain et journaliste Gilles Perrault qui consacra à cet homme d’exception l’ouvrage « Un homme à part » en 1984 (1).

L’enquête à nouveau ouverte sur ce crime resté impuni



40 ans plus tard, ce crime est resté impuni. Et la quête de vérité est restée entravée. La justice conclut une première fois l’affaire par un non-lieu en 1992. L’enquête rouverte par la suite sera à nouveau classée en 2009. Elle vient d’être ouverte une troisième fois et la juge d’instruction Laurence Lazerges a été désignée pour s’en occuper le 9 janvier dernier.

Ce rebondissement est dû au témoignage posthume d’un ancien mercenaire. Dans « Le roman vrai d’un fasciste français » paru en 2015, trois ans après la mort de l’intéressé, René Resciniti de Says rapporte avoir fait partie du commando chargé d’éliminer Henri Curiel. L’ordre émanait, selon lui, de Pierre Debizet, alors chef du service d’action civique (SAC), sorte de police parallèle au service du parti gaulliste.

Batailler pour la levée du secret-défense



La famille d’Henri Curiel entend cette fois-ci ne pas rater le coche et batailler pour que le secret-défense soit enfin levé, afin d’élucider ce crime et de désigner ses commanditaires. À l’occasion des 40 ans de la mort d’Henri Curiel une conférence se tient ce vendredi 4 mai à Paris sur « l’exigence de vérité sur l’assassinat d’Henri Curiel » et se poursuit par un colloque en hommage à son parcours intitulé « La solidarité est-elle un « métier » dangereux ? » (2).

Et plusieurs démarches sont entreprises auprès de la mairie de Paris pour qu’une rue porte le nom d’Henri Curiel. « Cette requête a été reçue positivement », se réjouit la journaliste Sylvie Braibant, petite cousine d’Henri Curiel.

Un homme à abattre



Henri Curiel était un homme à abattre. « Avant sa mort, on lui attribue à tort d’avoir été à l’origine des révélations sur le fait que la France violait l’embargo contre le régime d’apartheid en Afrique du Sud en lui vendant des armes », explique Sylvie Braibant.

Toutes ses activités lui étaient reprochées. Car Henri Curiel, juif égyptien apatride, profondément marqué par la misère de la population égyptienne avant d’être contraint à l’exil par le roi Farouk, fut un ancien résistant puis un soutien du FLN algérien.

Il met ensuite toute son expertise au service des mouvements de libération et des réseaux anti-fascistes de tous pays : « repérage et rupture d’une filature, impression de tracts et de brochures grâce à un matériel léger, fabrication de faux papiers, chiffrement et écriture invisible, soins médicaux et premiers secours, éventuellement, maniement d’armes et utilisation des explosifs, cartographie et topographie… », listait Gilles Perrault dans un article paru en 1998 dans le Monde diplomatique pour les vingt ans de son assassinat.

La raison d’État



L’année avant sa mort, le ministre de l’intérieur de l’époque, Christian Bonnet faisait état dans un document à propos d’Henri Curiel « du caractère extrêmement dangereux des activités qu’il exerce à partir de notre territoire, au risque de mettre constamment en péril la situation diplomatique de la France à l’égard de plusieurs pays ».

Et deux années après sa mort, Christian Bonnet justifie la non-divulgation d’informations sur le dossier au motif qu’elles porteraient « atteinte à la sûreté de l’État et à la sécurité publique ». Le journaliste du Monde Michel Bole-Richard avait alors rapporté ces propos du ministre dans l’édition du quotidien du 20 septembre 1980.

La justice n’a jamais pu faire son travail



La donne n’a au fil des décennies guère changé. Le dossier Curiel est resté secret-défense. « La justice n’a jamais pu faire son travail, elle n’a jamais eu accès au dossier des services de renseignement même après l’élection en 1981 de François Mitterrand qui s’était dit désireux d’élucider l’affaire », précise Sylvie Braibant.

La journaliste vient de rejoindre le collectif secret-défense afin de briser l’omerta qui sévit en France sur nombre de potentiels crimes d’État.

Une culture du secret



« La France a une culture du secret, c’est un des pays européens les plus verrouillés », dénonce François Graner, l’un des fondateurs du collectif créé en septembre dernier après que le Conseil constitutionnel français a donné raison à la gardienne des archives de la présidence Mitterrand qui en refuse l’accès concernant le rôle de la France dans le génocide des Tutsis au Rwanda.

Le collectif regroupe tous ceux qui veulent établir la vérité sur nombre d’affaires non élucidées telles la disparition de Maurice Audin en 1957 en Algérie, l’assassinat de Robert Boulin en 1979, celui du juge Borrel en 1995 à Djibouti, mais aussi le naufrage du chalutier breton Bugaled Breizh en 2004 ou plus récemment l’enlèvement et l’assassinat en 2013 au Mali des journalistes de RFI Ghislaine Dupont et Claude Verlon, et beaucoup d’autres affaires en souffrance au nom de la raison d’État.


« Même lorsque les présidents annoncent l’ouverture d’archives, ces annonces ne sont pas suivies d’effet. C’est le cas pour cinq affaires », poursuit François Graner.

Bachir Ben Barka, fils de l’opposant marocain Medhi Ben Barka, enlevé et assassiné à Paris en 1965, en sait quelque chose. Dans les derniers jours du mandat présidentiel de François Hollande, feu vert a été donné à la déclassification de 89 documents. « Nous n’avons obtenu aucune nouvelle information, il s’agissait en fait de documents connus de longue date », déplore Bachir Ben Barka qui a également rejoint le collectif.


(1) éditions Barrault, plusieurs fois réédité, chez Fayard en 2006.

(2) organisé par le collectif Méditerranée, le journal en ligne Orient XXI et la maison du monde d’Évry.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024