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Connu pour avoir été un grand réformateur du renseignement français, Claude Silberzahn est mort, le 18 avril, à l’âge de 85 ans, à son domicile de Simorre (Gers), commune dont il fut le maire (2001-2014). Né le 18 mars 1935 à Mulhouse (Haut-Rhin), licencié en droit, il a été breveté de l’Ecole nationale de la France d’outre-mer, qui forme alors des administrateurs coloniaux. Après avoir été élève-administrateur en Guinée, il plonge dans la guerre d’Algérie pendant son service militaire comme officier. Une expérience qui lui permettra, dans ses fonctions futures, notamment à la tête de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), de savoir parler aux militaires, surtout à ceux qui n’ont jamais connu la guerre.
A l’heure de la décolonisation, il rejoint la préfectorale alors que nombre de ses collègues administrateurs optent pour les affaires étrangères, mais il restera toujours attiré par l’outre-mer. Claude Silberzahn est nommé secrétaire général de la préfecture de la Martinique en 1967 avant de devenir membre de cabinets ministériels : conseiller technique d’André Bord au secrétariat d’Etat auprès du ministre de l’intérieur en 1971-1972 ou encore chef de cabinet d’Albin Chalandon au ministère de l’équipement et du logement en 1972. En 1973-1974, il occupe les fonctions de directeur du cabinet de Bernard Stasi, secrétaire d’Etat aux DOM-TOM.
De retour dans la préfectorale, il est secrétaire général de la préfecture de Seine-Maritime de 1979 à 1982, préfet de la Guyane de 1982 à 1984. Remarqué par Laurent Fabius lors de son passage sur ses terres électorales de Normandie, Claude Silberzahn entre, le 9 août 1984, à son cabinet lorsqu’il accède à Matignon. Préfet de la région Haute-Normandie et préfet de Seine-Maritime en juillet 1985, il devient, en octobre 1986, préfet de la région Franche-Comté, territoire d’un autre poids lourd socialiste, Jean-Pierre Chevènement.
Réduire l’influence des militaires
Fin politique et goûtant la chose administrative, M. Silberzahn navigue à son aise et se fait apprécier des politiques qu’il côtoie. Certaines régions, comme la Franche-Comté, se souviennent encore de son passage. Dans son livre Au cœur du secret. 1500 jours aux commandes de la DGSE (avec Jean Guisnel, Fayard, 1995), il raconte avoir décroché le poste de directeur de la DGSE après avoir été appelé, en 1988, par François Mitterrand, tout juste réélu à la présidence de la République. Estimant avoir fait le tour de la préfectorale, il souhaitait, écrit-il, découvrir « un média, radio, télévision, ou la DGSE ».
Le chef de l’Etat a été échaudé, en 1985, par l’affaire Greenpeace au cours de laquelle la DGSE avait coulé le navire amiral de l’organisation, le Rainbow-Warrior, en Nouvelle-Zélande, et tué un photographe. Il veut réduire l’influence des militaires au sein des services secrets extérieurs. En nommant un préfet, il entend donner la main à des civils et il confie à Claude Silberzahn la mission d’accrocher fermement la DGSE à l’Etat et à la République. Dès son arrivée, ce dernier choisit un policier comme directeur du renseignement et un diplomate pour la direction de la stratégie, une nouvelle entité chargée des liens avec le ministère des affaires étrangères. Il crée, enfin, la direction des opérations qui coiffe le service action. Tous ces directeurs sont désormais nommés en conseil des ministres.
Dans un long entretien au Monde, fin mars 1993, trois mois avant de quitter ses fonctions à la demande du nouveau gouvernement d’Edouard Balladur, M. Silberzahn, qui tranche avec le mutisme observé dans le monde du secret, montre à quel point il a pris son métier à cœur. Il a profondément changé le mode de gestion d’une maison coupée du monde et traumatisée par l’affaire Greenpeace. « En matière de ressources humaines, nous avons entrepris une démarche longue, difficile et qui suppose un véritable changement de culture. »
Si les civils représentaient à son arrivée deux tiers des effectifs, les postes d’encadrement étaient monopolisés par les militaires. Il a changé ce fait. « S’il a modifié l’équilibre entre les civils et les militaires, il n’a pas pour autant privé la DGSE de l’ADN de ces derniers, essentiels à son bon fonctionnement, nuance le diplomate Bernard Bajolet, l’un de ses successeurs, en poste de 2013 à 2017, et il a atténué la blessure profonde causée par le Rainbow-Warrior. »
« L’éclatement des nations »
Pour M. Bajolet, M. Silberzahn aura également joué un rôle important en Afrique. « Son travail paradiplomatique a été central pour apaiser cette zone et notamment déminer la crise entre la Mauritanie et le Sénégal. De même, il a vu, avant beaucoup, l’enjeu stratégique de la région sahélienne, il a été une référence, un réformateur mais aussi un visionnaire. » Certains caciques de l’armée française lui reprocheront néanmoins son tropisme pro-Touareg.
Lors de son discours d’adieu à la DGSE, en juin 1993, Claude Silberzahn insistera sur la montée des intolérances ethniques et religieuses qui provoquent « l’éclatement des nations et les guerres », et sur les dangers de « la quête effrénée de l’argent » dans le monde. Il considérera, cependant, comme beaucoup après la chute du mur de Berlin, en 1989, que « le contre-espionnage politique n’est plus une véritable priorité », une prédiction qui s’avérera imprudente.
Interrogée, mercredi 22 avril, la DGSE, a indiqué : « Claude Silberzahn incarnait un moment charnière de l’histoire de notre institution, une époque où, avec le premier ministre d’alors, Michel Rocard, la France a voulu se doter d’un renseignement moderne, membre à part entière de l’appareil d’Etat et digne d’une grande démocratie. » Selon la DGSE, « il a laissé un fort souvenir parmi les personnels et une vraie empreinte sur le service, notamment en matière de gouvernance, de diversité du recrutement ou sur le principe de collégialité dans les prises de décision ».
Claude Silberzahn en quelques dates
18 mars 1935 Naissance à Mulhouse (Haut-Rhin)
1982 Préfet de Guyane
1986 Préfet de la région Franche-Comté
1989 Directeur général de la sécurité extérieure
18 avril 2020 Mort à Simorre (Gers)