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Étrange procès que celui qui s’ouvre ce jeudi 19 janvier au tribunal de Paris. Celui non de l’ancien chef du renseignement militaire de l’armée rwandaise pendant le génocide des Tutsis en 1994, Aloys Ntiwiragabo, mais de la journaliste Maria Malagardis, poursuivie par ce dernier pour « injure publique ».
D’un côté, un homme recherché pendant des années par le Tribunal pénal international pour le Rwanda, retrouvé en situation irrégulière en France par un journaliste de Mediapart, objet d’une « enquête préliminaire » ouverte par le parquet français pour « crime contre l’humanité », d’une plainte pour génocide déposée par le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) en février 2022, et d’un mandat d’arrêt international émis par le parquet de Kigali. De l’autre, la spécialiste reconnue de l’Afrique du quotidien Libération qui a couvert, pour La Croix, le génocide des Tutsis en 1994. L’ancien dignitaire rwandais lui reproche de l’avoir qualifié de « nazi africain » dans un tweet où elle appelait les autorités françaises à se saisir de son cas après la découverte de Mediapart.
Cette qualification pour désigner les dignitaires du régime rwandais du temps du génocide des Tutsis n’est pourtant pas nouvelle. L’historien Jean-Pierre Chrétien évoquait dès le mois d’avril 1994, dans une tribune publiée dans Libération, un « nazisme tropical » à propos du régime en place alors à Kigali. « Les juifs d’Europe ont été victimes d’une idéologie raciste très proche de celle mise en scène au Rwanda », souligne-t-il aujourd’hui. « À l’instar des génocides précédents, celui des Tutsis a commencé par une phase de stigmatisation de la population, s’est poursuivi par la persécution qui allait déboucher sur la mise à mort », explique aussi le Mémorial de la Shoah.
Une curieuse impunité
Le plus curieux dans cette affaire, c’est l’impunité dont a bénéficié le colonel Ntiwiragabo. Il a pu en toute tranquillité devenir l’une des figures publiques des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), le mouvement armé créé par des cadres du régime génocidaire exilés dans l’est de la RD-Congo, dont l’objectif est de reprendre le pouvoir à Kigali. Ce groupe, toujours violemment actif, est inscrit sur la liste des sanctions de l’ONU.
En France, Aloys Ntiwiragabo n’a jamais vraiment été inquiété alors qu’il n’est pas autorisé à y séjourner. Son visa lui a été refusé en 2011, une décision confirmée en 2014 en raison de ses anciennes responsabilités au Rwanda pendant le génocide. Et il a été débouté de sa demande d’asile en août 2020 par l’Ofpra, puis en appel en septembre 2021, car il existe « des raisons sérieuses de penser » qu’il « s’est rendu coupable d’entente en vue de planifier le génocide et rendu complice de la commission d’actes de génocide ». « Je l’ai retrouvé à la messe à l’église Saint-André de Fleury-les-Aubrais, dans la banlieue d’Orléans où il habitait depuis des années en toute impunité », se souvient le journaliste Théo Englebert.
La France terre d’accueil
Son cas n’est pas isolé en France. « Notre pays est un refuge et une base arrière pour les responsables du régime génocidaire », assurait en 2021 à La Croix Dafroza Gauthier, cofondatrice avec son époux Alain, du CPCR. En témoigne l’arrestation à Asnières, en juin 2020, de Félicien Kabuga, le financier du génocide. L’ancien ministre des services publics et de l’énergie du gouvernement génocidaire et l’un des fondateurs des FDLR, Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki, « habite à Créteil depuis le 6 juin 2012 », confie Dafroza Gauthier.
À Paris vit Callixte Mbarushimana, soupçonné d’avoir participé au génocide alors qu’il était un agent de l’ONU, avant de devenir secrétaire exécutif des FDLR. Arrêté le 3 octobre 2010 pour « crimes de guerre et crimes contre l’humanité » commis par les FDLR dans le Kivu en 2009, il a été transféré à La Haye le 25 janvier 2011, et libéré fin 2011. « La présidente de la Chambre avait regretté que le procureur ait si mal ficelé son dossier contre lui », se souvient le Britannique Charles Petrie, l’un de ses anciens collègues à Kigali en 1994, qui lui a consacré un livre, The Triumph of Evil en 2021 (non traduit en français).
Le cas d’Agathe Habyarimana, l’épouse du président rwandais décédé dans l’attentat contre son avion qui avait marqué le début du génocide contre les Tutsis, exfiltrée de Kigali par François Mitterrand en avril 1994, est sans doute le plus troublant. Si la justice française ne s’est toujours pas prononcée sur son rôle au Rwanda, le rapport des historiens sur la France au Rwanda remis à Emmanuel Macron le 26 mars 2021 établit qu’elle était bien le « véritable cerveau » de l’Akazu, cette structure composée d’extrémistes hutus, soupçonnée d’avoir pensé et préparé le génocide contre les Tutsis dès 1991. Elle habite en toute liberté depuis des années dans un pavillon à Courcouronnes, au sud de Paris.