Citation
Le préfet Christian Prouteau, rosette à la boutonnière et lauriers à l'ombre, se lance dans la réhabilitation de sa mémoire de supergendarme du président de la République (1). En 1982, méfiant envers la police marquée à droite, Mitterrand opte pour ce gendarme aux yeux clairs qui monte au feu dans les prises d'otages et s'exécute le doigt sur la couture du pantalon. Prouteau hésite : « De famille politique RPR, je trouvais gonflé de servir un Président socialiste », mais il obéit. Invité à Latché, Prouteau, emprunté dans son costume des dimanches, évoque l'intervention du GIGN à l'hôtel Fesch d'Ajaccio, qui s'est dénouée par la reddition des nationalistes corses, et son « respect de la vie, en mission ». Fasciné par ce sujet philosophique, Mitterrand sonde le commandant : « Question d'éthique ou attitude face à la mort ? ». Rescapé des tirs d'un forcené, Prouteau parle des 54 plombs reçus au visage, de « la flamme orange du coup de feu », mais aussi du dilemme de laisser la vie sauve ou de donner la mort, qu'il appelle le « pouvoir de Dieu »: « Nous n'avons pas à juger, nous ne sommes pas le bras armé de la vengeance populaire ».
Catholique par ascendance (mère méditerranéenne pieuse) et militaire par atavisme (père officier en Corse), le chef de l'unité d'élite de la gendarmerie (GIGN) est intronisé « M. Sécurité » de François Mitterrand. Parachuté rue du Faubourg-Saint-Honoré, il fonde le GSPR (groupe de sécurité de la présidence de la République) avec motos suiveuses (une innovation) et mallettes blindées-boucliers pour protéger un chef d'Etat allergique aux gilets pare-balles, sous les regards hostiles de courtisans qui le tiennent pour « un Rambo, sans rien dans le ciboulot », et jalousent sa « proximité » avec le Président. A peine installé, le commandant prend l'initiative d'exposer au Président son point de vue sur la lutte antiterroriste après l'attentat de la rue des Rosiers, le 9 août 1982 : « Savoir désamorcer une bombe dans un lieu public, c'est bien », mais « savoir qui va poser cette bombe et l'en empêcher, c'est le seul vrai combat à mener ». Sa lettre tombe à point. Excès de zèle de Prouteau ? « J'ai œuvré avec le sentiment du devoir accompli ». En tout cas, Mitterrand bombarde son gendarme à la tête d'une cellule de coordination antiterroriste.
M. Sécurité, qui, de sa carrière, a été « impressionné » par le seul François Mitterrand, confond le sucrier avec la salière lors du premier petit déjeuner en tête à tête. Le Président, lui, se révèle à l'occasion d'une diatribe de son protégé concernant une barricade dressée par des étudiants en médecine. Le gendarme de droite découvre avec intérêt « le farouche attachement à l'ordre » de son Président de gauche. Alors Prouteau en rajoute sur son concept de « sécurité absolue », « H 24 » (24 heures sur 24), de Mitterrand, persuadé que la protection ne « sert à rien si les proches restent vulnérables ». Mis dans le secret Mazarine, Prouteau dépêche une garde rapprochée pour « la petite demoiselle », rend des comptes à mots couverts à son père : « Nous n'avons jamais parlé explicitement de sa fille ». M. Sécurité essuie la colère de « Madame », Danielle Mitterrand, qui l'accuse de l'espionner et joue au « superintendant ». Ainsi, Prouteau dégote « le magnifique double poney Best pour Mazarine » ou le cuisinier (un gars du GIGN) pour son gâteau d'anniversaire. Un jour, le chef de l'Etat ordonne au pilote de son Mystère 50 de stopper sur la piste pour demander à Prouteau, resté sur le tarmac, d'enregistrer son feuilleton préféré "Dallas". « Se rendre utile » au Président en toute chose, « c'est après tout continuer de servir mon pays ». Ses notes de renseignement débordent aussi du « cadre strict de ses attributions ». Ainsi, Prouteau les bons tuyaux alerte le Président sur des sujets embarrassants bientôt traités par la presse : « Ce qui s'est passé après est hors de ma compétence, mais ces articles n'ont jamais paru ».
En parallèle, sa cellule antiterroriste s'empêtre dans l'arrestation truquée -- par son bras droit, le capitaine Barril des Irlandais de Vincennes. Le « Grand » (surnom de Prouteau au GIGN), pourtant affranchi des travers du « Petit » Barril (« roi des tuyaux tordus »), paie son amitié mal placée d'une condamnation pour « complicité de subornation de témoins », avant d'être relaxé en appel. Mitterrand n'a jamais reproché à Prouteau son manque de perspicacité sur son sulfureux adjoint, juste une remarque : « Ce Barril vous aura fait beaucoup de mal ». Fleur bleue, Prouteau ne se reconnaît qu'une « indécrottable naïveté » : « Paul, je l'ai ramassé après un saut de parachute, je lui ai tenu la main à l'hôpital quand il pleurait, c'était le Petit que je protégeais, j'aimais son courage et sa témérité ».
Le patron de la cellule élyséenne ne supporte pas sa réputation de spécialiste « des coups bas » de Mitterrand, qui, « s'il avait eu une saloperie à faire faire, ne me l'aurait pas demandé à moi ». Et pas plus sa caricature de poseur de branchements sur des quidams, écrivains, avocats ou journalistes, pour le compte du Président. Mis en examen pour « atteinte à l'intimité de la vie privée », Christian Prouteau assume grosso modo 120 écoutes entre 1983 et 1986, « toujours pour vérifier ou lever un soupçon » sur des « atteintes à la sûreté de l'Etat ». Dans Au service du Président, il se risque à une étrange analogie avec le métier de « plombier » : « pour trouver la fuite [d'informations des ministères], il faut savoir par quel tuyau elle passe. Or, dans un tuyau, il y a deux bouts : le départ et l'arrivée. Pour remonter au départ, il est souvent plus rapide de surveiller l'arrivée ».
Néanmoins « humilié par ses passages au tribunal », Christian Prouteau juge incohérent de personnifier le « scandale » des écoutes de l'Elysée : « Alors qu'aucune voix ne s'est élevée contre le fait que j'ai été obligé de tuer plusieurs hommes en opération ! Ces morts, je les porte plus lourdement sur ma conscience que les vivants écoutés par nos services » (2). L'ex-chef du GIGN occulte ces victimes : « J'ai libéré 470 otages en neuf ans, et commandé 64 opérations. » Et combien de morts ? Une minute de silence, les yeux dans ses bulles de Perrier. « Deux fois, j'ai donné l'ordre de tirer en sachant que j'allais tuer : à Djibouti en 1976, huit terroristes et quatorze Somaliens ; et puis à Clairvaux, deux condamnés à perpétuité qui retenaient deux gardiens de prison dans un mirador ». Le soldat porte aussi comme une blessure la phrase ironique de son cher Président, prononcée à la télé : « Prouteau est l'un des plus beaux prototypes de ce que peut produire l'armée française ».
Mis hors cadre depuis l'élection de Jacques Chirac, le préfet se morfond dans l'attente d'un poste à la hauteur de son salaire, 31 000 francs. Comme « s'occuper des banlieues, de la Corse ou d'un corps de frontière européen ». Serviteur de la République, toujours. Sans limites.
(1) Au service du Président, éd. Michel Lafon.
(2) Mémoires d'Etat, éd. Michel Lafon.
Christian Prouteau en 10 dates
1944 : Naissance à Béziers.
1968 : Ecole militaire de Coëtquidan.
1971 : Sous-lieutenant de gendarmerie.
1974 : Créateur et commandant du GIGN.
1982 : Conseiller à la sécurité du président de la République et patron de la cellule antiterroriste de l'Elysée.
1985 : Nommé préfet.
1988 : Délégué à la sécurité des Jeux olympiques d'Albertville.
1993 : Conseiller officieux à la sécurité à l'Elysée. Mis en examen dans l'affaire des écoutes.
1997 : Perquisition de la DST dans ses archives stockées dans un box de garage.
1999 : Relaxé du chef de « recel de documents classés secret » par le tribunal de Versailles.