Fiche du document numéro 31146

Num
31146
Date
Mercredi 7 décembre 2022
Amj
Taille
103866
Titre
En hommage à Géraud
Type
Discours
Langue
FR
Citation
J’ai lu que Géraud était d’une famille de juristes. Il était un grand monsieur, un grand juriste, tout en modestie.

S’il n’avait pas accepté de la présider, la Commission d’enquête citoyenne sur le rôle de la France durant le génocide des Tutsi au Rwanda (CEC), tenue en mars 2004, n’aurait eu aucune crédibilité. C’est cette commission qui a initié des enquêtes qui ont débouché en 2005 sur le dépôt de plaintes de six rescapés rwandais contre l’armée française.

C’est au cours de cette année-là que Géraud a publié son livre Imprescriptible. L’implication française dans le génocide tutsi portée devant les tribunaux (Les Arènes, 2005), qui étayait juridiquement ces plaintes. Dans ce livre comme dans ses interventions publiques, Géraud a fait preuve de pédagogie en expliquant comment les règles juridiques françaises pouvaient être invoquées pour établir le délit de complicité voire d’entente en vue de commettre un génocide à l’encontre de citoyens ou de dirigeants français. Toutefois, il n’a jamais bercé d’illusions les rescapés du génocide. En conclusion de son livre, il prévoyait que ceux-ci n’obtiendraient que de « beaux discours ».

Tout s’est ligué contre ces six plaintes iconoclastes. À commencer par la fatalité qui a emporté Gilles Durou, François-Xavier Verschave, Jean-Paul Gouteux. On peut s’interroger sur le non-lieu prononcé cette année 2022 suite à ces plaintes et sur la signification de l’inauguration simultanée à Paris d’une place Aminadabu Birara, le dirigeant de la résistance des Tutsi à Bisesero, tué juste à l’arrivée de l’opération Turquoise. Ce sparadrap est-il à même de cicatriser la plaie ?

La stratégie judiciaire d’obtenir la mise en examen d’exécutants militaires afin qu’ils se retournent contre leurs donneurs d’ordres à Paris a échoué. Un des juges chargé de l’instruction du dossier a d’ailleurs soutenu qu’il n’était pas question de mettre en examen un militaire français et qu’il travaillait pour l’Histoire. De fait, les documents déclassifiés et versés dans ce dossier pourront alimenter un travail d’historien.

On peut regretter que ce dossier d’instruction ait servi à demander une déclassification dans un autre dossier, celui sur l’attentat du 6 avril 1994, qui a permis de prolonger jusqu’en 2022 l’accusation contre l’actuel président rwandais d’avoir été l’auteur de cet attentat ; donc le responsable du génocide des Tutsi. La lutte d’ONG et d’association de défense de droits de l’homme contre la prétendue dictature de Kagame a servi à excuser les dirigeants français de l’époque qui ont permis ce génocide.

Certes, ce dépôt de plaintes en 2005 était déjà trop tardif eu égard au délai de prescription de 10 ans pour certains crimes. Pourquoi l’éclair de lucidité du livre de François-Xavier Verschave Complicité de génocide ? La politique de la France au Rwanda, paru en novembre 1994, n’a-t-il pas débouché sur des enquêtes ? Pourquoi la brochure d’African Rights sur la résistance à Bisesero, parue en avril 1998, a-t-elle été camouflée en France ? Pourquoi les enquêtes filmées de Cécile Grenier de 2002 n’ont été reprises par aucune association, aucun journal ? Pourquoi des documents versés au dossier des six plaintes trahissant la complicité de la France avec les auteurs du génocide n’ont pas été exploitées ? Pourquoi enfin la piste française dans l’attentat qui a déclenché le génocide n’a pas été suivie ? La litanie des pourquoi ne se termine pas.

Il reste que, parmi tous les Français qui fuient leurs responsabilités mais sont prompts à accuser les autres de génocides, Géraud, lui, est un des rares qui n’ont pas failli.

Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024