Citation
SENAT DE BELGIQUE
SESSION ORDINAIRE 1996-1997
Commission d'enquête parlementaire
concernant les événements du Rwanda
COMPTE RENDU ANALYTIQUE
DES AUDITIONS
Vendredi 30 mai 1997
SOMMAIRE
AUDITION DU M. LEON SAUR
(Orateurs: M. Saur, Mme Dua, MM. Destexhe, Anciaux, Ceder, Jonckheer, Hostekint, Mme
Willame Boonen, MM. Verhofstadt et Caluwé.)
Le Compte rendu analytique des auditions qui se déroulent à huis clos
est distribué uniquement aux membres de la commission
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PRESIDENCE DE M. SWAELEN, PRESIDENT
La réunion est ouverte à 16 h 45 m.
AUDITION DE M. LEON SAUR
M. le Président.—Nous avons parmi nous M. Saur qui a proposé lui-même de venir
témoigner.
—M. Saur prête serment.
M. Saur.—Si j'ai voulu venir témoigner, c'est parce que j'estime qu'il y a, en Belgique, au moins
deux demi douzaines de familles qui ont droit à ce que toute la lumière soit faite sur cette
tragédie, et, au Rwanda, plus d'un demi-million de gens qui ont ce même droit.
Par les fonctions qui étaient les miennes, je peux vous apporter un éclairage sur les influences
au sein du monde social-chrétien belge et international et sur la façon dont j'ai vu et ressenti la
situation politique au Rwanda.
Je voudrais particulièrement insister sur les relations entre l'IDC, le PSC belge et les partis
rwandais qui se revendiquaient du courant social-chrétien, à savoir le MRND et le MDR.
Je voudrais donc développer une approche thématique basée sur les différentes prises de
position et les clivages qui se sont créés dans le monde social-chrétien et dans le paysage
politique rwandais.
En octobre 1990, le front populaire est entré dans Kigali les armes à la main. J'étais alors
responsable du secteur international du PSC mais ne suivais pas spécialement la situation en
Afrique car nous nous concentrions essentiellement sur la situation en Europe orientale et
centrale. Lorsque le Rwanda s'est présenté comme un pôle d'intérêt, j'en avais une image
d'Epinal. Pour moi, ce pays était un modèle de développement avec un peuple courageux et
industrieux dont la progression se faisait de manière positive, sous la direction du président
Habyarimana.
Dès l'entrée du FPR, j'ai été surpris des réactions que j'ai pu enregistrer et, très rapidement
notamment sous l'influence d'Alain De Brouwer j'ai reconsidéré ma position vis-à-vis du
Rwanda. Ma conclusion était finalement double. D'une part, si le front populaire ne
constituait pas une initiative démocratique, il n'en était pas moins porteur de revendications
légitimes qu'il ne fallait pas écarter.
D'autre part, le régime du président Habyarimana n'était sans doute pas aussi idyllique que je
croyais. J'ai donc prôné un soutien conditionné au régime en fonction d'un retour vers plus de
démocratie et de respect des droits de l'homme.
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Dès janvier 1991, nous avons été approchés par le MRND—par l'intermédiaire de l'IDC—qui
désirait tisser des liens avec les partis sociaux-chrétiens belges, néerlandophone et
francophone, afin de les aider à transformer leur pays.
Au printemps 1991, nous avons eu deux réunions conjointes au cours desquelles j'ai eu
l'occasion de discuter avec M. Delcroix qui gérait la délégation pour le CVP. M. Delcroix m'a
précisé tout ce que le CVP entreprenait en faveur du Rwanda et en tant que secrétaire général
du PSC. J'ai constaté que les moyens mis en œuvre par le CVP étaient pour le moins
disproportionnés
Ma position vis-à-vis du MRND est devenue de plus en plus méfiante. Dès octobre, il y a eu
des arrestations massives que nous pouvions toutefois encore considérer comme une réaction
épidermique d'un régime en pleine panique et qui n'avait pas atteint le stade de la maturité. La
semaine suivante, j'ai eu des échos relatifs à des massacres dans le nord du Rwanda et à
l'attitude inacceptable des forces armées rwandaises. Ces informations concernaient les
massacres des Bagogwe.
En mai 1991, la constitution a été votée ainsi que la loi relative aux partis politiques. Sur la
scène politique apparaît alors officiellement le Mouvement démocratique républicain qu'Alain
De Brouwer va me faire connaître. Durant l'été 1991, j'ai des contacts avec des représentants
du MDR.
En août 1991, le Secrétaire général de l'IDC, M. André Louis, revient du Rwanda avec une
perception positive du MRND. Il est favorable à un soutien à ce parti. Il n'y avait donc pas
d'accord au sein même de l'IDC. Fort de son expérience en Amérique latine, André Louis opte
pour la tenue rapide d'élections et pour la mise en place d'un nouveau gouvernement.
Mes informations en provenance du Rwanda renforcent ma méfiance envers le MRND qui se
compose à la fois de personnalités très conservatrices et de membres rénovateurs.
En octobre 1991 j'ai rencontré Edouard Karemera qui rentrait de Bonn où il avait eu des
contacts, qui n'avaient pas abouti, avec le CDU et la fondation Adenauer.
Enfin, il y a eu la constitution du gouvernement de transition qui a opté pour une politique de
paix et d'élections. Des contacts ont eu lieu ici au Parlement, à Paris et enfin à Arusha.
Les divergences étaient toutefois toujours présentes, les uns prônant des élections à organiser
le plus vite possible, les autres prônant la paix d'abord. Il s'agissait d'un véritable débat sur la
notion même de démocratie. Le point principal concernait l'intégration des exilés dans le corps
électoral. En clair, il fallait régler la question de savoir comment on pouvait donner une
légitimité à un gouvernement si une partie du corps électoral se trouvait dans un autre pays.
Cela signifie que le FPR peut considérer que l'essentiel de son corps électoral se trouve à
l'extérieur du pays. Il pourrait donc ne pas reconnaître les élections effectuées au sein de la
population. Le MRND prend alors position contre les accords d'Arusha car il constate que
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ceux-ci constituent une alliance du MDR, du FPR et des partis de l'opposition démocratique
pour le contraindre à lâcher du lest.
La situation va de mal en pis avec notamment, en 1992, le discours de Léon Mugesera. Les
accords d'Arusha aboutissent fin 1992 début 1993. Le MRND et le CDR entament une
campagne de désobéissance civile qui engendre des massacres et une réplique du FPR. Un
million de personnes sont déplacées et on constate que les FAR ne peuvent plus gagner la
guerre face au FPR. On tente donc d'amener ce dernier à faire la paix pour organiser des
élections.
En été 1993, on assiste à un chassé-croisé politique. Habyarimana fait alliance avec
Twagiramungo, le président du MDR. Ceci entraîne une division durable des partis de
l'opposition démocratique et une radicalisation des démocrates chrétiens et des libéraux.
Arusha est vidé de son principe de force car sa base était tripolaire. La nomination de
Twagiramungo et d'Agathe engendre une bipolarisation du monde politique rwandais.
Les accords d'Arusha sont signés en août et impliquent la participation de la Communauté
internationale. Mais cette dernière fait traîner les choses. Dans l'intervalle, le président
Ndadaye est assassiné et la Communauté internationale continue à briller par son absence.
C'est un coup dur pour les partisans d'Arusha. Le FPR réagit et les Hutus sont confortés dans
leur idée qu'ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes pour se défendre.
En avril 1994, les présidents rwandais et burundais sont assassinés ainsi que les dix Casques
bleus belges. Le 7 avril paraît un communiqué de presse de la communauté des étudiants
rwandais de Belgique qui dénonce le rôle de la Belgique dans ces assassinats et le soutien belge
au FPR. Je décide alors de couper tout contact avec ces personnes et avec le gouvernement
intérimaire rwandais. Une note du ministère des affaires étrangères rwandais accuse les Belges
d'avoir commis une forfaiture.
On se rend compte que les massacres se développent. Nous coupons alors tous nos contacts
alors que les autres milieux sociaux-chrétiens, notamment l'IDC, maintiennent des relations
entre la classe politique belge et le gouvernement intérimaire. La position du PSC est alors de
refuser toute discussion avec ce gouvernement tant que les accusations envers les Belges n'ont
pas été rejetées. Nous réaffirmons que la seule solution possible, c'est Arusha.
Le 28 avril, de guerre lasse, le gouvernement belge décrète qu'il refuse tout contact avec le
gouvernement intérimaire. Mais, suite aux pressions de l'IDC, du parlement belge et de
certains parlementaires CVP et Agalev, on envisage de renouer à nouveau des contacts plutôt
que de laisser le FPR remporter la guerre.
En septembre 1994, le comité directeur du PSC reçoit deux des pères des accords d'Arusha. Il
réclame que les auteurs du génocide soient poursuivis, que la clarté soit faite sur les massacres
et il répète qu'Arusha est la seule solution.
En octobre a lieu l'expédition de Bukavu. Une délégation de démocrates chrétiens belges et
européens se rend sur place pour prendre contact avec les réfugiés. Je refuse toutefois que le
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PSC participe car nous n'avons pas la garantie que les personnes que nous allions rencontrer
n'étaient pas impliquées dans les massacres. De plus, je désirais que la délégation soit
multipartite et que nous puissions également nous rendre à Kigali afin de jeter les bases d'une
nouvelle discussion. Il faudra bien qu'un jour ou l'autre, les Rwandais puissent reconstruire
leur pays.
Mme Dua (Agalev) (en néerlandais).—Nous avons reçu un dossier de l'internationale
démocrate chrétienne, contenant des lettres adressées par le MRND à vous-même et à Léo
Delcroix, qui vous remercient du soutien politique et logistique pour, entre autres, les
transports et les communications. Je ne trouve pas de date, mais je situe ces lettres en 1992 et
1993. Ce soutien a-t-il effectivement été donné au MNRD ?
M. Saur.—Si ces lettres ont été conjointement adressées à Léo Delcroix et à moi-même, elles
datent du printemps 1991 et font allusion aux délégations de janvier et avril 1991. Au PSC,
nous n'y avons jamais donné suite car je me méfiais du MRND. Cette méfiance a d'ailleurs été
confirmée par les arrestations massives d'octobre 1990 et le massacre des Bagogwe dans le
nord. Je ne sais pas quelle a été l'attitude du CVP. Cependant, durant l'été 1992, Ngirumpatse,
le secrétaire général du MRND, m'a dit que le CVP lui avait promis un million de francs. Mais
peut-être m'a-t-il dit cela pour tenter de me convaincre.
M. Deprez était visiblement opposé à l'idée du parti unique. Le MNRD a cherché le soutien
des partis sociaux chrétiens belges avec l'aide de l'IDC. Mais, je suis formel, pour le PSC, cela
n'a été suivi d'aucun effet.
Mme Dua (Agalev) (en néerlandais).—Est-il exact que tant le CVP que le PSC considéraient le
MRND comme leur parti frère et que cela a été contesté au moment où on a commencé à avoir
des doutes au sujet du MRND ?
M. Saur.—Pour le PSC, c'est non. Quant au CVP, je ne sais pas. Nous cherchions à soutenir le
processus de paix, pas un parti. Le MDR était pro-Arusha, nous l'avons soutenu de
préférence au FPR dont certaines revendications étaient légitimes, comme le retour des
réfugiés, mais qui suivait une logique militaire, et contre le MRND qui traînait manifestement
les pieds dans le processus de démocratisation. Le MDR n'était cependant pas considéré
comme un parti frère.
Mme Dua (Agalev).—Ce n'était pas conforme à la politique de l'IDC.
M. Saur.—La politique de l'IDC n'était pas claire. Celle de M. De Brouwer ou celle de M.
Louis n'était pas identiques.
M. Destexhe (PRL-FDF). — M. Louis occupait des fonctions plus élevées que celle de M. De
Brouwer à l'IDC.
M. Saur.—Certes, mais ce dernier occupait plus de place.
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M. Anciaux (VU) (en néerlandais).—Vous avez démissionné de la fonction de secrétaire
général compétent pour les relations internationales au PSC pour aller au cabinet Poncelet.
Quand êtes-vous parti? Etait-ce à votre propre demande?
M. Saur. — J'ai quitté le secrétariat général en juillet 1995 lorsqu'a été constitué l'actuel
gouvernement. Ma spécialité étant les problèmes de la défense, j'ai été repris au cabinet du
ministre Poncelet.
M. Anciaux (VU) (en néerlandais).—Vous êtes un expert du Rwanda. A partir de 1995, le
Sénat a pris des initiatives concernant l'enquête sur les événements au Rwanda. Etiez-vous
chargé au cabinet Poncelet de suivre le dossier du Rwanda ?
M. Saur.—Je n'ai pas été chargé du suivi de ce dossier.
M. Anciaux (VU) (en néerlandais).—Comment pouvez vous expliquer cela ? Y avait-il d'autres
spécialistes ? N'y avait-il pas au cabinet des discussions concernant cette commission et sa
transformation en commission d'enquête ?
M. Saur. — On en a peut-être parlé au cabinet de M. Poncelet, mais je n'ai jamais été invité à
ces discussions.
M. Anciaux (VU) (en néerlandais). — Pourquoi n'avez vous pas été invité ? Avez-vous une
explication ?
M. Saur.—Si vous voulez savoir pourquoi je n'étais pas invité, il faut poser la question au
ministre. Il décide des tâches qu'il confie à ses collaborateurs. De surcroît, il y a entre le
ministre Poncelet et moi-même une certaine incompatibilité. Néanmoins, je suis sûr qu'il y a eu
au moins une réunion sur la question rwandaise.
M. Anciaux (VU) (en néerlandais).—Etes-vous encore au cabinet Poncelet ?
M. Saur.—Pas du tout. Le ministre s'est passé de mes services à la fin du mois de juillet 1996.
Je suis resté un an au cabinet.
M. Anciaux (VU) (en néerlandais).—Vous avez travaillé une année au cabinet. Votre
démission est-elle liée à l'affaire du Rwanda ?
M. Saur.—Il y avait trois ou quatre bonnes raisons pour lesquelles le ministre pouvait
souhaiter mon départ. En 1996, la situation intérieure du PSC était troublée. Je n'ai jamais
caché mes options durant la campagne présidentielle interne. De plus, je n'avais pas de bonnes
relations avec le ministre. Je dois pourtant avouer que lorsque j'ai quitté le cabinet, je n'avais
aucune raison de penser que cela pouvait avoir une relation avec le dossier rwandais.
Les événements d'avril 1994 au Rwanda me sont pourtant restés en travers de la gorge. Nous
avions trahi les gens qui au Rwanda nous faisaient confiance. A partir d'août 1996, je me suis
mis à étudier plus attentivement ce dossier rwandais. J'ai toujours été favorable à l'institution
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d'une commission d'enquête. Sur les raisons de mon départ du cabinet, mon analyse a évolué.
Je préférais, cependant, que nous en discutions à huis clos, si cela vous intéresse.
M. le Président.—Le tout est de savoir si celle concerne vos relations personnelles avec le
ministre ou le dossier rwandais
M. le Président.—S'il s'agit de la commission du Rwanda et de la politique rwandaise du PSC,
je ne vois pas de raison de nous réunir à huis clos.
M. Anciaux (VU) (en néerlandais). —Ma question portait sur le fait de savoir si la démission
de M. Saur devait être mise en relation avec cette commission. Il ne voulait y répondre qu'à
huis clos.
M. le Président.—Je prose d'achever d'abord les autres questions et de nous réunir ensuite à
huis clos. (Assentiment)
M. Anciaux (VU) (en néerlandais). — En tant que responsable des relations internationales au
PSC, vous aviez régulièrement des contacts avec les spécialistes de l'Afrique. Aviez-vous des
contacts avec le professeur Van Ypersele de la KUL ?
M. Saur.—Non, tant que j'ai été secrétaire général du PSC. Pour la situation actuelle, je ne sais
pas.
M. Anciaux (W) (en néerlandais).— Comment expliquez-vous les tentatives acharnées de
l'IDC et des milieux CVP et PSC pour nier ou relativiser le génocide ?
M. Mahoux prend place au fauteuil présidentiel
M. Saur.—Un génocide est un crime contre l'humanité. Les responsables d'un génocide
méritent un châtiment et ne sont en aucun cas des interlocuteurs valables.
Après les massacres d'opposants politiques et de Hutus en avril 1994, la population hutue a
fui l'avance du FPR. Elle a été contrainte à le faire aussi par les milices hutues qui considéraient
que ceux qui ne fuguaient pas étaient des traîtres. Ces populations se sont retrouvées en
Tanzanie et au Zaïre avec des dirigeants qui avaient des comptes à rendre à la justice parce
qu'ils étaient responsables d'un génocide.
M. Twagiramungo n'a eu aucune responsabilité dans les massacres, contrairement à de
nombreuses personnalités politiques. En 1994, ceux qui voulaient aider la population qui avait
fui le génocide n'avaient qu'une alternative: soit il n'y a pas eu de génocide, soit il y a eu deux
génocides, l'un annulant l'autre. Personnellement, je crois qu'il y a eu un génocide.
Un communiqué de presse publié par la section MRND Belgique en mai 94 rapproche
scandaleusement les goedendags brugeois aux machettes hutues. Ce rapprochement est
symbolique dans l'esprit des assassins qui se considèrent comme des résistants. Ils ne sont
donc pas près de reconnaître le génocide. L'élimination physique des femmes, enfants et
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vieillards fait partie d'une stratégie militaire. La communauté internationale ne peut accepter
cela. L'explication du génocide découle de raisons politiques et sociologiques.
M. Anciaux (VU) (en néerlandais). —Les personnes dont vous parlez étaient des amis du PSC
et du CVP; elles coopéraient et avaient des contacts privilégiés avec ces deux partis.
M. Saur.—Dès le 8 avril 1994, j'ai ordonné que tout contact avec les représentants du MNRD
Belgique soit rompu. J'ai aussi interdit aux sociaux-chrétiens d'avoir des relations avec des
représentants du gouvernement intérimaire.
M. Anciaux (VU) (en néerlandais).—André Louis et Alain De Brouwer ont-ils la nationalité
belge ? Dans l'affirmative, étaient-ils membres du PSC ?
M. Saur.—Ils étaient membres du PSC mais exerçaient leur fonction en tant que représentants
de l'Internationale démocrate chrétienne.
M. Anciaux (VU) (en néerlandais).—Il est quand même étrange que deux personnes de l'IDC
impliquées dans ce dossier étaient justement membres du PSC.
M. Saur.—Je n'avais aucune autorité sur ces gens puisqu'ils travaillaient pour l'IDC.
M. Ceder (Vlaams Blok) (en néerlandais).—Comment sont financés les immeubles, les frais de
personnel et d'administration, etc. de l'IDC ?
M. Saur.—Il faut poser cette question aux représentants de l'IDC.
M. Anciaux (VU) (en néerlandais).—Peut-être le PSC contribue-t-il aussi au financement de
l'IDC?
M. Saur.—Il y a une cotisation du PSC.
M. Ceder (Vlaams Blok) (en néerlandais). — Connaissez-vous l'asbl "Démocratie"?
M. Saur.—Je connaissais ces noms parce que je me suis retrouvé bombardé dans leur conseil
d'administration et éjecté deux ans plus tard. Je ne connais, ni les raisons de ma nomination, ni
celles de mon éjection. Les dossiers étaient traités par André Louis.
M. Ceder (Vlaams Blok) (en néerlandais).—Y a-t-il, outre le lien par l'intermédiaire de contacts
personnels, également un lien structurel entre l'IDC et cette asbl ?
M. Saur. — Elle avait son siège social rue de la Victoire 16, comme l'IDC. Ce bâtiment
appartenait à une asbl.
M. Anciaux (VU) (en néerlandais).—Le PPE et d'autres organisations de la mouvance
chrétienne étaient-elles également hébergées dans ces immeubles ?
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M. Saur.—Il occupaient un ou deux étages là-bas. Ils ont déménagé.
M. Ceder (Vlaams Blok) (en néerlandais).—Quelles étaient les objectifs de l'asbl IDC ? On
vous avait demandé de faire partie du conseil d'administration. Cela suppose quand même une
certaine affinité sur le plan idéologique. Vous avez dit que les objectifs de l'IDC ne
correspondaient pas totalement aux vôtres. Pouvez-vous nous donner des précisions à ce
sujet?
M. Saur.—Je ne pourrais entrer dans les détails. Je ne sais pas ce que faisait l'asbl Démocratie.
Il faut poser la question à ceux qui s'en occupent.
M. Jonckheer (Ecolo). — Vous avez pourtant été pendant deux ans au conseil
d'administration.
M. Saur.—Je n'y ai jamais mis les pieds.
M. Ceder (Vlaams Blok) (en néerlandais).—Vous avez expliqué comment l'IDC soutenait le
MRND. Ce soutien était-il purement politique ? Tentait-on seulement à rallier les partis
politiques belges au régime rwandais ou s'agissait-il également d'un soutien financier ?
M. Saur.—Il y avait, en Belgique, une volonté de faire passer les idées du MRND, et de le
conseiller. L'Internationale démocratique chrétienne s'y est attachée, particulièrement André
Louis et Rika De Backer, et ce jusqu'en octobre 1994 au moins. Le 28 octobre, si je ne
m'abuse, est la date du rapport du voyage à Bukavu. Dans les personnes que la délégation va
rencontrer à Bukavu se trouvent des gens du MRND.
M. Ceder (Vlaams BIok). — La fondation Konrad Adenauer a acheté un bâtiment.
M. Saur.—Effectivement. Cela figure dans le rapport de M. André Louis, en 1991.
Cette fondation développe depuis longtemps une politique active d'aide au Rwanda.
Je crois d'ailleurs que la politique d'aide active au Rwanda est un secret de polichinelle. Un des
gros problèmes qu'a rencontré le MRND, lors de la démocratisation, était de faire la différence
entre ce qui devait revenir au MRND et à l'Etat. Il y avait une confusion entre les biens du
MRND et ceux de l'Etat, du fait que le MRND, c'était l'Etat.
M. Ceder (Vlaams Blok) (en néerlandais).—Vous ne niez donc pas que la fondation Konrad
Adenauer est dirigée par l'IDC. Il y a une différence entre l'achat d'une plantation de tomates et
l'achat d'un immeuble gouvernemental ou de parti.
M. Saur.—Je vous remets dans le contexte de l'époque. Le MRND, c'était l'Etat. Je n'ai pas de
précisions à vous donner sur la nature exacte de l'activité de la fondation Konrad Adenauer. Ce
qui est clair, c'est que la fondation aidait les partis rwandais. Dans la phase de démocratisation,
elle ne se limitera pas au MRND.
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M. Ceder (Vlaams Blok) (en néerlandais).—La RTLM a affirmé qu'elle recevait de l'argent de
l'IDC. En êtes-vous au courant de ce fait ?
M. Saur. —RTLM disait être aidée par la fondation. J'en doute. En tout cas, le PSC n'a jamais
financé RTLM.
M. Ceder (Vlaams BIok) (en néerlandais).—Certains milieux du PSC, du CVP et de l'IDC
ont-ils collaboré à l'exfiltration de criminels de guerre rwandais ou de suspects ou complices du
génocide ? Les ont-ils abrités et protégés en Belgique et dans d'autres pays ?
M. Saur.—Formulée ainsi, je réponds non à votre question. Mais si vous me demandez s'il y a
eu une politique exfiltrations, je vous réponds oui.
M. Anciaux (VU) (en néerlandais).—De qui s'agissait-il alors ? Des Eglises ?
M. Saur.—Un certain nombre de pays d'Europe ont recueilli, par l'intermédiaire de fondations
religieuses, des Rwandais, et notamment des prêtres, ayant participé au génocide Je ne
possède pas d'informations directes là-dessus. Mes renseignements proviennent de la presse.
M. Ceder (Vlaams Blok) (en néerlandais).—Avez-vous, dans l'ensemble du processus
décisionnel de l'IDC concernant le Rwanda, entendu parler de contacts ou d'influence de
personnes de l'entourage de la Cour de Belgique ?
M. Anciaux (VU) (en néerlandais).—En 1993 ou 1994 ?
M. Ceder (Vlaams Blok) (en néerlandais).Même en 1992 ?
M. Saur.—Il n'y a pas eu d'intervention directe ou de tentative d'influence.
M. Ceder (Vlaams Blok) (en néerlandais).—Mme Rika De Backer avait des contacts avec Van
Yperseele, Rocca, etc. En savez-vous plus à ce sujet ?
M. Saur.—La question qui a été formulée est très vague. Chacun sait que Mme Rocca a
accompagné le ministre de la défense nationale. Mais je ne sais rien de ce qui a été dit.
M. Jonckheer (Ecolo).—Je suppose que vous étiez, à l'époque, un des conseillers directs de
M. Deprez. Ma question porte sur l'analyse que vous faisiez, tout à l'heure, des Accords
d'Arusha. Vous avez indiqué que vous étiez favorable à un processus de paix. A l'automne '93,
au moment où on décide du mandat pour la MINUAR, pensiez-vous que cette mission était
dangereuse ?
M. Saur.—Il faut faire la distinction entre les périodes avant et après le putsch au Burundi.
A l'époque, j'avais des contacts avec la plupart des partis rwandais soit le MRND, le MDR et
le Front populaire ainsi qu'avec l'ambassade. Chacun souhaitait que les Belges constituent
l'épine dorsale de la MINUAR. Il y avait donc unanimité quant à la présence belge.
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Le caractère dangereux de la mission n'était donc pas apparent au moment de la prise de
décision par le conseil de sécurité. Le risque s'est accru après le putsch au Burundi. A cet
égard, j'ai proposé à la signature de M. Wathelet, une lettre à destination de M. Claes en vue
d'envoyer une force au Burundi. M. Wathelet a signé cette lettre. La réponse a été que l'un
réfléchissait à la création d'une force d'interposition centre africaine.
Si le risque a augmenté c'est parce qu'une frange importante de la population hutu s'est sentie
trahie et menacée. Ce n'est pas un hasard si l'appel en faveur du Hutu-power du 23 octobre
s'est déroulé à l'issue d'une marche de soutien au peuple burundais.
A l'examen du courrier échangé entre la présidence et le MDR, on constate que le ton change
considérablement. Au début, il y a des critiques terribles à l'encontre du président
Habyarimana concernant le retard dans la mise en place des institutions et dans la mise en
œuvre des accords d'Arusha. Fin 1993 - début 1994, le courrier se transforme en une sorte
d'appel au secours.
Je demeure convaincu que la mort du processus d'Arusha se trouve à Bujumbura. La
Communauté internationale, et donc la Belgique, s'est fourvoyée en ne réagissant pas au
putsch d'octobre 1993 au Burundi. Le reste a été un enchaînement d'événements.
M. Jonckheer (Ecolo).—En août et septembre 1993, aviez-vous connaissance du rapport
établi en avril 1993 et publié en août 1993, par les Nations Unies sur la situation des droits de
l'homme ?
M. Saur.—Je ne disposais pas de ce rapport.
M. Jonckheer (Ecolo).—Avez-vous eu recours à des experts extérieurs ou universitaires ici en
Belgique ?
M. Saur.—J'ai bien sûr utilisé la littérature relative à la question, mais je n'ai pas eu de
consultance directe.
Je ne saisis toutefois pas la portée de votre question sur le rapport entre la situation des droits
de l'homme et l'envoi de la MINUAR.
M. Jonckheer (Ecolo).—Le rapport des Nations Unies contient un certain nombre de
paragraphes relatifs aux massacres et au risque de génocide.
Il me semble donc contradictoire de monter une opération de maintien de la paix en considérant
que la situation au Rwanda est calme alors que nous disposons d'information sur le caractère
tendu de la situation politique.
M. Saur.—J'ai cru que vous parliez du climat anti-Belge. Celui-ci s'est développé après le
putsch au Burundi et après qu'un bataillon belge ait escorté le FPR jusqu'à Kigali.
Nous savions évidemment que la situation des droits de l'homme au Rwanda était désastreuse
et se dégradait. Déjà en 1992, nous disposions du rapport de la Commission d'enquête
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internationale de la FIDH fait par M. Gillet et c'est pour cela que nous voulions que la
Communauté internationale s'implique au Rwanda. Depuis 1993, le PSC s'est prononcé en
faveur de l'envoi de troupes au Rwanda et le 15 février 1993 son comité directeur a demandé
que le Conseil de sécurité soit saisi de la question rwandaise. J'ai également pris l'initiative, en
janvier 1993, d'écrire au président Habyarimana. Pour lui demander de mettre en œuvre les
accords d'Arusha et de proposer l'envoi de troupes internationales au Rwanda. En effet, il n'y
avait plus aucune confiance entre les différentes parties rwandaises.
En fin 1992, se déroule la deuxième phase du partage du pouvoir avec le Front patriotique.
Cette phase crée des conditions telles que le MRND n'aurait plus le droit de veto. Ce parti
organise alors une campagne de désobéissance civique qui dégénère en massacres ethniques. Le
Front patriotique saisit cette occasion afin de mener une offensive dans le nord du pays qui a
conduit à un déplacement de plus 700 000 personnes.
Le communiqué de février 1993 du comité directeur montre bien que nous avions conscience
qu'il y avait un risque réel y compris pour les hommes que nous envoyions au Rwanda. S'il n'y
avait pas eu de risques, il n'y aurait d'ailleurs pas eu de raison d'envoyer des troupes
A la question de savoir si les Belges devaient y aller, la réponse est tout à fait positive parce
que c'était l'opinion de toutes les parties.
M. le Président.—Lorsque vous dites toutes les parties c'est donc y compris le MDR et
Faustin Twagiramungo ? Or, ce dernier nous a dit ce matin qu'il n'y avait pas eu de demande en
vue d'une participation belge et certainement pas afin que les Belges constituent la pierre
d'angle de la MINUAR.
M. Saur.—Posez la question aux personnes qui, en septembre 1993, ont rencontré
Habyarimana lors de sa visite à Bruxelles. Qu'était-il venu demander avant de partir à New
York où le Conseil de sécurité a décidé la constitution de la MINUAR ?
M. le Président. —Est-il habituel que le secrétaire général d'un parti national écrive à un
président étranger ? Le connaissiez-vous ?
M. Saur.—Je ne l'ai jamais rencontré, mais j'avais des contacts avec son directeur de cabinet. Il
n'est pas coutumier qu'un secrétaire de parti s'adresse directement à un président. J'ai donc
pris sur moi de le faire en tant que secrétaire général. Mon but était de faire savoir au Rwanda
que les déclarations de l'IDC ne représentaient en rien l'opinion des démocrates-chrétiens
belges.
M. Jonckheer (Ecolo).—Confirmez-vous que, dès le putsch d'octobre 1993 au Burundi, les
conditions n'étaient plus réunies pour l'application des accords d'Arusha ?
M. Saur.—Je continue à croire que l'esprit d'Arusha, soit le suffrage universel et le partage du
pouvoir, est une condition sans laquelle il n'est pas possible de reconstruire le Rwanda. Je n'ai
pas dit qu'Arusha n'était plus réalisable. J'ai dit qu'après octobre 1993, les conditions de son
application étaient plus difficiles.
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M. Jonckheer (Ecolo).—Avez-vous cru l'application des accords possibles jusqu'au bout ?
M. Saur.—Oui. Malgré tout ce qui s'est passé, je referais ce qui a été fait. Bien entendu, il
faudrait un autre mandat de l'ONU. C'est en fait la Communauté internationale qui a failli. On
attendait beaucoup d'elle. Elle devait créer les conditions idéales.
M. Jonckheer (Ecolo).—Avez-vous eu connaissance des télex de l'ambassadeur Swinnen ?
M. Saur.—Non.
M. Jonckheer (Ecolo).—Vous nous avez pourtant dit que vous aviez des contacts directs avec
l'ambassade.
M. Saur. — Il s'agissait de celle du Rwanda. M. Swinnen a cependant rencontré à plusieurs
reprises Gérard Deprez afin de donner son sentiment sur la situation.
M. Hostekint (SP).—N'est-ce pas là un exemple de diplomatie parallèle ?
M. Saur.—Ce n'est pas l'ambassadeur qui s'est adressé au parti, c'est le parti qui a demandé à
l'ambassadeur s'il était possible d'obtenir des informations.
M. Verhofstadt (VLD).—Que contiennent les deux gros classeurs que vous avez avec vous ?
M. Saur.—Ils contiennent des informations intéressantes.
M. le Président.—Si vous souhaitez les mettre à la disposition de la commission, nous en
prendrons connaissance.
M. Saur.—Je n'y vois aucune difficulté. Laissez-moi cependant une copie.
Mme Willame-Boonen (PSC). — Si les classeurs contiennent des avis du comité directeur, je
voudrais qu'ils se limitent au Rwanda.
M. Verhofstadt (VLD).—Madame, que faites-vous de la nouvelle culture politique ?
M. Saur, le PSC est-il intervenu dans le financement de RTLM ?
M. Saur.—Nous n'avons pas participé à ce financement et nous n'avons pas été sollicités pour
le faire.
Il est vrai que, lors de son passage en Belgique, le prédécesseur d'Agathe était à la recherche de
fonds pour créer une radio du MDR. Ce n'était pas pour RTLM, car ce Monsieur affirmait
que sa station devait contrebalancer celle du MRND.
M. Verhofstadt (VLD).—Est-il venu seul ?
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M. Saur.—Il agissait en tant que président faisant fonction du MDR. Je crois que Paul
Willems, mon alter ego du CVP, était présent ainsi que le représentant du MDR pour le
Bénélux.
M. Verhofstadt (VLD).—Un représentant de l'IDC était-il aussi présent ?
M. Saur.—Lors de la réunion dans mon bureau, je ne le pense pas. Mais, pendant cette
réunion, il a été fait allusion à une réunion qui s'était tenue quelques jours auparavant à l'IDC,
en présence notamment d'André Louis, Alain De Brouwer et de Rika De Backer. On y avait
discuté de l'aide des partis chrétiens au MDR et pour la fondation d'une radio.
M. Verhofstadt (VLD). —Dans son argumentation, votre interlocuteur vous a-t-il parlé du
financement de RTLM ?
M. Saur.—Non. Je n'en ai en tout cas conservé aucune trace.
M. Verhofstadt (VLD).—Vous nous avez dit qu'il n'y avait pas d'indice d'un financement de
RTLM par l'IDC.
M. Saur.—En effet. Je ne pense pas que l'IDC ait financé RTLM dans la mesure où elle avait
de gros problèmes de financement à l'époque.
M. Verhofstadt (VLD).—Est-il possible que des partis membres de l'IDC aient financé
RTLM ?
M. Saur.—C'est possible. Rien n'obligeait un parti démocrate chrétien européen à passer par
l'IDC pour financer un projet de ce type.
M. Verhofstadt (VLD). —Votre réponse a-t-elle été négative ?
M. Saur.—Je n'ai pas donné de suite à cette demande. J'en ai pris acte. J'y étais favorable à
titre personnel. Mais les événements se précipitaient.
M. Verhofstadt (VLD).—Est-il possible, selon vous, que des partis membres de l'IDC aient
pu financer RTLM ?
M. Saur.—C'est possible. Rien n'oblige ces partis à passer par l'IDC pour financer ce type de
projet.
M. Verhofstadt (VLD).—Vous dites "possible" là où d'autres auraient dit “ je ne sais pas ”.
M. Saur.—Si je dis que je ne sais pas et qu'un jour on découvre qu'un parti démocrate chrétien
a financé RTLM, vous pourriez en déduire que je mentais.
M. Verhofstadt (VLD).—A quel parti pensez-vous quand vous envisagez qu'il pourrait être
découvert ?
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M. Saur. — Je pense à tous les partis démocrates chrétiens qui ont eu des relations avec le
MRND. Ils sont une kyrielle susceptibles d'avoir été sollicités.
Je ne sais pas comment a été financé RTLM et je ne connais pas les moyens qui ont pu être
mobilisés par ses actionnaires. Il est possible qu'ils aient cherché un financement ailleurs. Je
n'ai aucune information à ce sujet.
M. Verhofstadt (VLD).—Vous avez parlé d'une discussion avec Léo Delcroix et vous avez
utilisé le terme de “ recours à des moyens disproportionnés ”. Que signifie
“disproportionnés”?
M. Saur.—M. Delcroix y a fait allusion dans une interview paru dans Panorama en 92 ou 93,
ce n'est donc pas un secret. Ce qui me paraît disproportionné, c'est qu'il était capable de
trouver environ 1,5 million de francs pour financer une radio libre à Moscou et que je devais
me battre avec le secrétaire général du ministère pour obtenir 5 000 francs pour faire de petites
choses. Dans le rapport que j'ai rédigé pour M. Deprez, j'ai mis que j'avais été surpris par le
montant et qu'il y avait même de quoi rêver.
M. Destexhe (PRL-FDF).—S'agissait-il seulement de financer une radio à Moscou ?
M. Saur.—Non, nous avions parlé aussi d'achat de 4 x 4 pour le Zaïre car nous y avons un
parti frère, le PDSZ. Cela ne me paraissait pas choquant.
M. Destexhe (PRL-FDF). — Un tous terrains coûte environ un million de francs. Vous parlez
de plusieurs voitures.
M. Saur.—Le montant estimé tournait autour de 4 à 5 millions. Je n'ai pas été vérifier sur
place ce qu'il en a été. Quelques mois plus tard pourtant, le représentant du PDSZ réclamait
encore des moyens.
M. Verhofstadt (VLD).—Vous nous assurez donc que ce financement de radio libre ne
concernait pas RTLM.
Mme De Backer nous a dit ici qu'elle n'avait pas eu beaucoup de contacts avec l'IDC et que ce
n'était pas à la demande de cet organisme qu'elle s'occupait du Rwanda. Qu'en dites-vous ?
M. Saur.—Je ne sais pas où se trouvait Mme De Backer en avril 1994. Il est cependant
évident que même si Mme De Backer ne fait pas partie de la structure de l'IDC, elle intervenait
régulièrement dans les contacts entre l'IDC et le Rwanda. Je ne sais pas non plus si, quand elle
allait au Rwanda, son voyage était payé par l'IDC ou par l'ONG qu'elle présidait.
M. Verhofstadt (VLD).—Etes-vous au courant des contacts étroits entretenus par l'IDC avec
le gouvernement intérimaire du Rwanda en mai et juin 1994 ? Saviez-vous que l'IDC aidait le
MRND et le MDR à rédiger et à envoyer des communiqués de presse ?
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M. Saur.—Ce qui est certain, c'est qu'Alain De Brouwer essayait de nous convaincre d'avoir
des contacts avec ce gouvernement intérimaire, car il estimait que si ce gouvernement perdait le
pouvoir, le FPR le confisquerait. Il y avait donc des contacts entre l'IDC et ce gouvernement.
M. Verhofstadt (VLD).—Que dites-vous de l'aide pour les communiqués ?
M. Saur.—Votre question peut prêter à confusion. Le MRND, pour l'essentiel, et sa section
belge en particulier, étaient impliqués dans le génocide. En ce qui concerne le MDR, il faut y
distinguer la tendance “ Hutu power ” et celle que représentent Faustin Twagiramungo et
d'autres.
Le 13 avril 1994, j'ai reçu dans mon bureau les représentants en Belgique du MDR
accompagnés d'un parlementaire du MDR. Je leur ai dit très ouvertement ma façon de penser.
Dès le lendemain, ils ont écrit une lettre à Léo Delcroix où ils désolidarisaient le MDR de ce
qui se passait au Rwanda.
Il faut examiner les personnes au cas par cas pour connaître leurs liens avec le gouvernement
intérimaire. Le 20 ou le 22 avril, le représentant du MDR pour le Bénélux a envoyé un fax à
partir de l'IDC. Alain De Brouwer, qui avait lancé le fax, s'est fait réprimander par André
Louis; celui-ci a dit qu'il ne fallait plus envoyer d'autre fax que ceux de l'IDC. Je n'ai pas
connaissance qu'IDC ait envoyé des messages du MDR.
M. Hostekint (SP) (en néerlandais).—Durant la période de 1989-1990, vous vous intéressiez
surtout à l'Europe de l'Est. En quoi consistaient vos activités à cette époque ?
Vous étiez au sein du PSC le pendant de Léo Delcroix au CVP. Vous concertiez-vous
régulièrement avec lui ? Y avait-il une stratégie commune en ce qui concerne le Rwanda ?
Pouvez-vous définir l'objectif de l'ASBL "Démocratie" et pouvez-vous donner les noms des
président, vice président, secrétaire et trésorier de cette ASBL ?
M. Saur.—Si vous posez cette question, c'est que vous connaissez la réponse. Je n'ai pas
connaissance des objectifs de l'ASBL.
M. Anciaux (VU) (en néerlandais).—Vous avez été pendant deux ans membre d'une
organisation dont vous ne connaissez pas les objectifs ?
M. Saur.—Vous pouvez trouver cela curieux, mais l'ASBL Démocratie ne fait pas partie de
mes préoccupations. Vous pouvez vous procurer le compte-rendu des assemblées générales et
des conseils d'administration. Vous constaterez que je n'y ai jamais mis les pieds. En ce qui
concerne le statut et l'objet social, je vous suggère d'interroger le président de votre
commission qui était président du conseil d'administration. MM. Delcroix, Deprez,
Theysbaert et André Louis étaient membres de ce conseil.
M. Anciaux (VU) (en néerlandais).—Georges Theysbaert fut-il ensuite le chef de cabinet
adjoint du ministre Delcroix ?
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M. Saur.—Je dois avoir oublié l'un ou l'autre nom. Je ne sais pas si l'ASBL s'occupait du
Rwanda. Entre le PSC et le CVP, il n'y avait pas de contact concernant la politique étrangère,
ni pour l'Afrique centrale ni pour l'Europe de l'Est.
M. Anciaux (VU) (en néerlandais).—Le PSC n'avait donc rien à voir avec cela. Le mal résidait
donc chez le CVP ?
M. Saur.—Je n'ai pas dit cela. Il est manifeste qu'au sein du CVP il y avait, comme au PSC,
différentes tendances. Au CVP, il y avait ceux qui soutenaient les accords d'Arusha et les
autres. André Louis était membre du PSC mais travaillait au sein de l'IDC.
M. Anciaux (VU) (en néerlandais).—Le PSC, présentait donc diverses tendances et il était
donc possible que certains soutenaient le MRND ou le MRD ?
M. Saur.—Non, je vous l'ai déjà dit. Ils agissaient dans le cadre d'IDC mais non comme
membres du PSC. Je puis vous assurer que je n'avais aucune autorité sur le président d'IDC ni
sur leur conseiller des affaires étrangères. Deprez et moi-même soutenions les accords
d'Arusha. Dès avril, j'ai décidé de ne plus discuter avec les gens du MRND. J'ai eu des
contacts avec le Front patriotique, le MRND et même le CDR avant le génocide. J'ai essayé de
leur expliquer que les accords d'Arusha étaient la seule façon de maintenir le paix. Sans eux, on
se dirigeait vers le chaos.
M. Caluwé (CVP) (en néerlandais).—Vous avez fait allusion au fait que des parlementaires
écologistes et CVP ont encore plaidé pour qu'on prenne contact avec le FPR et avec le
gouvernement de transition. Je déplore que vous ne soyez pas complet. Vous ne dites pas que,
lors du débat parlementaire du 11 avril, des parlementaires écologistes et CVP ont plaidé en
faveur d'une intervention militaire pour arrêter les massacres qui, selon M. Eyskens, revêtaient
le caractère d'un génocide. Avez-vous également conseillé à vos parlementaires de prendre
position dans ce sens ?
M. Saur.—Il est difficile de résumer cinq années en vingt minutes. Si j'ai oublié quelque chose,
ce n'est pas volontaire. Le matin du 14 avril, dans le cadre du comité directeur, nous avons eu
une discussion quant à l'attitude à prendre. En début d'après-midi, M. Claes, ministre des
affaires étrangères, a annoncé le départ des Casques bleus “ quoi que décide le Conseil de
Sécurité ”. Les jeux étaient faits. Au sein du comité directeur, il a été dit que notre départ
ouvrait la porte aux massacres. Le comité directeur a pris fin vers 13 heures.
M. le Président.—Le comité directeur s'est bien tenu le jeudi matin ?
M. Saur. —Je ne me souviens pas avoir donné la moindre consigne à ce moment-là.
M. Caluwé (CVP) (en néerlandais).—Les prises de position individuelles de membres de l'IDC
ont-elles eu une quelconque influence sur les décisions du gouvernement belge ?
M. Saur.—C'est, par définition, ce qu'on appelle le rôle d'influence. L'IDC a certainement
voulu jouer un tel rôle. Dans quelle mesure ? Je l'ignore. Autant le secrétaire général de l'IDC
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était-il réticent aux accords d'Arusha, autant la diplomatie belge les a-t-elle encouragés. Il y a
donc sûrement eu une volonté d'influencer le gouvernement belge.
M. le Président. —
conseiller?
Etait-ce vous qui donniez les consignes ou aviez-vous un rôle de
M. Saur. —J'avais un rôle de coordination, ce qui signifie que je donnais des indications après
avoir consulté un certain nombre de personnes.
M. Anciaux (VU) (en néerlandais).—Qu'avez-vous fait, en tant que responsable du PSC, afin
de faire part à l'IDC du mécontentement du PSC sur la façon de travailler de l'IDC dans le
dossier rwandais ? Avez-vous par exemple entrepris des démarches pour que le PSC mette fin
à son appartenance à l'IDC ?
M. Saur.—Le fait qu'il y avait un désaccord entre le PSC et l'IDC sur le dossier rwandais ne
signifie pas qu'il y avait nécessairement des désaccords sur les autres dossiers que nous avions
à traiter ensemble. Je n'ai pas de traces écrites de toutes les conversations que j'ai pu avoir avec
Alain De Brouwer mais je lui ai souvent dit combien j'étais en désaccord avec ses approches.
Vérifiez dans les textes écrits: a plusieurs reprises, nous avons fait part de notre
mécontentement à l'IDC.
M. Destexhe (PRL-FDF).—Pouvez-vous nous donner le nom de personnes du CVP en
contact avec le gouvernement du intérimaire ?
M. Saur.—Cela se trouve dans les textes des annales. Ce sont Mme Aelvoet et M. Van Peel.
M. Destexhe (PRL-FDF).—Quel était le rôle d'André Louis ? Etait-il hostile au partage du
pouvoir ?
M Saur.—André Louis, fait de son expérience latino américaine, était convaincu qu'on ne
pouvait résoudre une guerre civile qu'après que des élections libres aient légitimé un pouvoir.
Concernant le front patriotique, on pouvait considérer que l'essentiel de ses bases électorales
se trouvait en dehors du pays. Il aurait donc fallu les faire revenir pour que le FPR accepte les
élections.
M. Destexhe (PRL-FDF).—M. Louis n'essayait-il pas de vous court-circuiter ? Dans la lettre
qu'il adresse en décembre 1994 à M. Deprez, il évoque “ le sanglant échec de la politique de
partage du pouvoir suite aux tristes accords d'Arusha ”.
M. Saur.—Dans les partis politiques, il y a toujours des luttes d'influence. J'ai toujours
défendu les accords d'Arusha. Les erreurs commises ont coûté la vie à 1 million de personnes.
Il devenait alors évident qu'André Louis allait revenir avec sa propre théorie. J'avais perdu ma
crédibilité dans cette affaire.
M. Destexhe (PRL-FDF).—Vous avez parlé de groupes activistes en Belgique ? Qui sont-ils?
A quel niveau avaient-ils des contacts. M. Ruggio en faisait-il partie ?
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M. Saur.—J'ai une liste de ces activistes. La base de ce groupe était l'ambassade du Rwanda
elle-même. Ce groupe multipliait les associations et les prises sous différents titres. L'une
d'entre elles, le “ Groupe de réflexion rwando-belge ” voit apparaître, début 1993, le nom de
Ruggio.
M. Destexhe (PRL-FDF).—Avez-vous des informations concernant Vincent Ntezimana ?
M. Saur.—Avant d'en entendre parler par la presse au cours de l'été 1996, ce nom ne m'était
apparu qu'une seule fois en juin ou juillet 1993. Il avait signé une lettre en qualité de secrétaire
de la section MDR-Bénélux et ce à la place du représentant du MDR-Bénélux.
M. Destexhe (PRL-FDF).—Vous n'êtes jamais allé au Rwanda mais pouvez-vous nous donner
votre impression, à partir d'ici, sur l'existence d'un double jeu qu'aurait joué le président
Habyarimana ?
M. Saur.—A l'évidence, il y avait un double jeu et je vais vous en donner un exemple.
Lors du discours prononcé par le président Habyarimana à Ruhengeri, le 15 novembre 1992, à
l'occasion d'un meeting du MRND, il a qualifié les accords d'Arusha de “ chiffons de papier ”.
S'étant exprimé en kinyarwanda, il y a contestation concernant le fait de savoir s'il a parlé de
“chiffons ” ou de “ morceaux de papier ”. Mais l'esprit du discours était tout, sauf un appel à
la concorde et à la réconciliation. Même dans la version qui a été fournie plus tard par Eugène
Nahimana, on pouvait lire: “ Qu'importe un texte que l'on signe si le cœur et l'esprit n'y sont
pas”. On peut également lire dans cette version que le président espère le soutien des
Interahamwe.
Le 22 novembre, lors d'un discours à l'université nationale du Rwanda, à Butare, le président a
plaidé en faveur des accords d'Arusha et de la réconciliation.
Le président adapte donc son discours à son auditoire. En politique, les mots sont
généralement différents mais l'esprit demeure le même. Dans ce cas-ci, il y a plus qu'un monde,
il y a un univers de différence.
Le 28 novembre, lors d'un meeting du MRND à Gisenyi, un cadre de MRND déclare: “ Nous
allons expliquer à ces “ cancrelats ” que leur pays, c'est l'Ethiopie, et nous allons les y envoyer
par express ”.
Ceci constitue la preuve du double langage du président Habyarimana.
Mme Willame-Boonen (PSC).—Dans votre introduction, vous avez parlé du décalage entre les
affirmations et les actes à partir du printemps 1991. Au niveau des contacts que vous avez eus
avec les cadres du MRND, avez-vous retrouvé ce double langage ? Certains cadres du MRND
n'ont ils pas également pu être trompés ?
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M. Saur.—Je vais vous donner un seul exemple. Le 3 novembre 1992, j'ai déjeuné avec M.
Ngirumpatse alors secrétaire général du MRND, et qui m'a tenu un discours de concorde et
d'apaisement.
Le 12 novembre, il a conclu une alliance avec la CDR.
C'est un bel exemple de double discours.
M. Caluwé (CVP) (en néerlandais).—Rika De Backer a fait contrôler tous les comptes et rien
ne prouve que le CVP ou l'IDC aient soutenu financièrement la RTLM. Je dis cela pour qu'il
n'y ait pas de malentendu à ce sujet.
M. Jonckheer (Ecolo). —Je voudrais revenir à vos déclarations concernant le comité directeur
du PSC du 14 avril. Si j'ai bien compris, le comité directeur était conscient que le retrait de la
MINUAR allait faciliter les massacres mais qu'il avait été mis devant le fait accompli par la
décision du ministre des affaires étrangères et qu'une réaction à cela ne valait pas une crise
gouvernementale.
M. Saur. — J'ai dit qu'une crise gouvernementale n'aurait rien changé.
M. Jonckheer (Ecolo).—Cela signifie donc qu'il n'y avait pas moyen de faire revenir le ministre
des affaires étrangères sur sa décision, même en sortant du gouvernement ?
M. Saur.—Si le ministre des affaires étrangères avait fait cette déclaration, cela signifiait que la
décision était prise
M. Jonckheer (Ecolo).—Le ministre Claes s'était rendu à Bonn pour rencontrer le secrétaire
général de l'ONU. Mme Des Forges nous a dit que le ministre a plaidé à la fois pour un retrait
du contingent belge et aussi pour un retrait total de la MINUAR. Etiez-vous au courant de
cela ?
M. Saur.—Le 7 avril, le ministre Claes a déclaré qu'il allait demander un élargissement du
mandat de la MINUAR sur base d'une dépêche de l'agence Belga. Le 12, à Bonn, il tient un
discours tout à fait différent. En fait il a décidé que nous partions et que rien ne le ferait
changer d'avis.
Tout récemment, j'ai lu le livre intitulé “ Casques bleus, sang noir ” dans lequel quelques pages
sont consacrées au rôle de la diplomatie belge entre le 7 et le 12 avril 1994. L'auteur y indique
clairement que la diplomatie belge a reçu pour consigne de préparer le retrait de la MINUAR.
Je ne fais toutefois que citer l'auteur sans assumer ce qu'il écrit.
M. Jonckheer (Ecolo). —Vous avez déclaré que la décision a été prise par le ministre Claes.
Cela signifie-t-il que le 14, au matin, les ministres PSC n'ont pas été associés à cette décision ?
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M. Saur.—Je suis incapable de vous dire où étaient les ministres PSC, mais, à mon sens, ils ne
devaient pas être présents au comité directeur. La seule façon de le savoir consiste à vérifier la
liste des présences pour autant qu'une telle liste existe.
M. Jonckheer (Ecolo).—Le président du PSC, le 14 au matin, était-il au courant du fait que le
retrait de la MINUAR allait faciliter et amplifier les massacres ?
M. Saur.—Il n'était pas au courant mais cette conclusion ressort d'un raisonnement simple et
logique.
Les choses tournaient mal au Rwanda et la question essentielle était de savoir si les Belges,
considérés comme alliés du FPR, devaient rester et essayer d'assurer l'ordre ou se retirer. En
effet, les milices risquaient de se retourner contre les Belges.
Il s'agissait d'une discussion de fond à laquelle le comité directeur a consacré toute l'avant-midi.
L'enjeu consistait à savoir quelle était la meilleure décision à prendre.
La situation était différente car, à partir du 6 avril au soir, nous étions accusés d'avoir tué le
président.
M. le Président.—Qui sont les activistes au moment où le génocide se produit ?
M. Saur.—Il est évident qu'une frange du monde chrétien affirme soit qu'il n'y a pas eu de
génocide, soit qu'il y a eu un double génocide qu'ils banalisent. Ces milieux sont toujours en
activité aujourd'hui. Dès mai-juin 1994, il y a eu un discours qui tend à mettre en évidence les
massacres commis par le FPR.
M. le Président.—Avez-vous eu des contacts politiques avec les personnes qui défendent ces
théories ?
M. Saur.—Dans les semaines qui ont suivi le début du génocide, ces idéologies sont clairement
apparues notamment dans le chef de certains responsables comme Alain De Brouwer qui
affirmait qu'il y avait eu deux génocides.
M. le Président.—M. Swinnen vous a-t-il alerté sur la situation au Rwanda ?
M. Saur.—Il n'est jamais entré dans le détail mais il a attiré notre attention sur la dégradation
de la situation et il nous a indiqué que la Belgique devait obtenir une révision du mandat de
l'ONU.
M. le Président.—Nous vous remercions pour votre témoignage.
- La réunion est close à 19 h 40 m.
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