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Le premier cercle du président rwandais Paul Kagame. © Montage JA
« Pour Paul Kagame, la priorité est de créer des institutions qui fonctionnent. » Si notre interlocuteur ne le précise pas, il le laisse entendre : pour le président rwandais, les individus sont interchangeables, seules comptent les performances assignées aux piliers institutionnels de l’édifice national et la fidélité de celles et ceux qui les incarnent aux préceptes impulsés par « le boss ».
Au Rwanda, dans les cercles politiques, militaires ou économiques, l’incarnation n’a pas cours. Chercher à mettre en avant une personnalité relève du blasphème car l’effort est collectif, et les succès aussi. Seule la faute est individuelle, ce qui a valu à divers responsables, au cours des années de gouvernance Kagame, mises au placard ou poursuites judiciaires. Tel un CEO à la tête de Rwanda Inc. (titre d’un ouvrage comparant le régime rwandais à une multinationale à l’américaine), le président accorde toutefois un soin scrupuleux au choix de ses collaborateurs.
Sur son compte Twitter, où elle poste sans relâche les activités du président rwandais, sa fonction est ainsi formulée : « Press Secretary ». Pilier du « Village Urugwiro », le complexe qui héberge les personnels de la présidence, Stéphanie Nyombayire, qui a effectué ses études aux États-Unis, est à la fois porte-parole et conseillère vis-à-vis des médias.
Yolande Makolo, qui l’avait précédée à ce poste, est quant à elle devenue la porte-parole du gouvernement. Spécialiste des joutes sur les réseaux sociaux (en particulier sur Twitter) face aux adeptes du Rwanda-bashing, cette dernière intervient régulièrement dans les médias anglophones lorsqu’une polémique surgit.
Des tensions récurrentes avec la RDC à la politique d’apaisement à l’égard de la France qui a suivi l’élection d’Emmanuel Macron à l’Élysée, Vincent Biruta a hérité, en 2019, du portefeuille sensible des Affaires étrangères et de la Coopération. Il a succédé à ce poste à Louise Mushikiwabo, qui cumulait cette charge avec celle de porte-parole du gouvernement, lorsque celle-ci est devenue la secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Président du Parti social-démocrate, l’une des formations qui ont forgé le multipartisme au Rwanda, au début des années 1990, Vincent Biruta apparaît comme un élément inamovible du dispositif institutionnel post-1994.
Depuis 1997, il aura exercé successivement les fonctions de ministre de la Santé ; des Travaux publics, des Transports et de la Communication ; de l’Éducation ; des Ressources naturelles ; de l’Environnement. Il aura également été président de l’Assemblée nationale de transition (2000-2003), puis du Sénat (2003-2011).
Si l’eau de la rivière Kagera a coulé sous les ponts depuis que Paul Kagame a quitté le maquis de l’armée ougandaise, dans les années 1980, puis « la lutte » des années 1990-1994, qui s’est conclue au lendemain du génocide perpétré contre les Tutsi, le président n’a jamais cessé pour autant de se préoccuper des dossiers sécuritaires. Sa première fonction officielle, en juillet 1994, est celle de vice-président de la République et de ministre de la Défense.
Mais, depuis son accession à la fonction suprême, sa priorité aura consisté à faire de la Rwanda Defence Force (RDF) une armée professionnelle, disciplinée et efficace. Au titre de la responsabilité de protéger, celle-ci (ainsi que la police rwandaise) est d’ailleurs intervenue sur de multiples terrains de crise, en Haïti comme en République centrafricaine. Au sommet du dispositif, le général Jean Bosco Kazura, chef d’état-major depuis 2019, qui avait été le commandant de la Minusma au Mali, devenue par la suite Misma.
En mars 2022, il avait conduit en France une délégation d’officiers supérieurs rwandais dans laquelle figuraient les généraux de brigade Patrick Karuretwa (responsable de la coopération militaire internationale, par ailleurs ancien secrétaire particulier et conseiller de Paul Kagame) et Vincent Nyakarundi (chef des services de renseignement militaire), ainsi que le colonel Jean Chrysostome Ngendahimana (J3 – chef des opérations et de la formation).
Le général Joseph Nzabamwita est aussi au cœur du dispositif sécuritaire de Kigali. Ancien attaché de défense au sein de l’ambassade du Rwanda à Washington, il est devenu le porte-parole de l’armée en 2011 et a été maintenu à ce poste jusqu’à sa nomination à la tête des renseignements, en mars 2016. Il joue aujourd’hui un rôle clé, non seulement sur le plan sécuritaire mais aussi dans la diplomatie de l’ombre du président rwandais, en tant que chef des services de renseignement nationaux (NISS).
Il était notamment l’un des interlocuteurs privilégiés de François Beya, l’ancien conseiller du président congolais Félix Tshisekedi dans le domaine sécuritaire. Par ailleurs, Nzabamwita assure actuellement un suivi – avec le chef du renseignement militaire Vincent Nyakarundi – de la crise qui oppose Kigali à Kinshasa autour de la question du M23. Leurs services respectifs ont maintenu un canal de discussion avec Kinshasa. En septembre dernier, des responsables des services de renseignement rwandais, congolais et ougandais s’étaient d’ailleurs rendus à Paris dans le cadre d’une médiation menée par la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE).
Née en Ouganda, Clare Akamanzi est la directrice générale du Rwanda Development Board (RDB), cette institution d’État chargée du développement, mais aussi de la diplomatie économique, du pays. C’est cette agence, entre autres exemples, qui avait signé, à la fin de 2019, un partenariat de trois ans avec le Paris Saint-Germain pour promouvoir le pays des Mille Collines à travers le slogan « Visit Rwanda ». Destiné à attirer les investissements dans des domaines aussi variés que les nouvelles technologies, l’énergie, les mines, les services financiers, etc., le RDB est une institution clé de « Rwanda Inc. ».
Depuis son accession au pouvoir, en 2000, Paul Kagame a privilégié des Premiers ministres au profil discret : technocrates, spécialistes des dossiers et du développement économique plus que des joutes oratoires. Son actuel chef du gouvernement, Édouard Ngirente, s’inscrit dans cette ligne. Titulaire d’un doctorat ès sciences économiques, après des études supérieures effectuées à Louvain, en Belgique, il a occupé plusieurs fonctions de conseiller auprès de la direction de la Banque mondiale avant de revenir exercer ses talents au Rwanda.
« C’est le bras armé du président pour exécuter son programme, un technicien avant tout », commente un observateur avisé de la vie politique rwandaise. « Le Groupe Banque mondiale est un des partenaires clés du Rwanda et Édouard Ngirente y a acquis cette compétence : prévision, programmation, comment construire l’avenir », commente une autre source. Un profil à la Donald Kaberuka, en somme. Technique, qualifié et déconnecté de la politique.
Il est le secrétaire général du Front patriotique rwandais (FPR, le parti au pouvoir) depuis décembre 2002, un record de longévité à cette fonction clé. Et, comme la plupart des membres du premier cercle présidentiel, il a des allures de moine shaolin : ascétique et apparatchik.
« Son mode de vie est monacal, sa vie est entièrement tournée vers son travail et sa fonction », résume quelqu’un qui le connaît bien. Quand on l’interroge, ce parfait francophone (il a étudié au Burundi) « répond à toutes les questions mais on ne peut pas le citer », précise la même source.
Depuis que le FPR a changé de siège, quittant la capitale pour sa grande banlieue, son bureau s’est agrandi. C’est peut-être le seul luxe que s’est offert cet homme « sympathique mais jamais familier, modeste, qui ne cherche pas à se mettre en avant ».